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Décisions | Sommaires

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C/130/2025

ACJC/825/2025 du 17.06.2025 sur JTPI/3255/2025 ( SEX ) , CONFIRME

Normes : CPC.335.al3; LDIP.27.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/130/2025 ACJC/825/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 17 JUIN 2025

 

 

Monsieur A______, domicilié ______ (Canada), recourant contre un jugement rendu par la 5ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 4 mars 2025, représenté par Me Cyril-Marc AMBERGER, avocat, Amberger Avocat, route des Jeunes 9, 1227 Les Acacias.

 


EN FAIT

A. a. Le 6 janvier 2025, A______ a déposé par-devant le Tribunal de première instance une demande tendant à la reconnaissance d'un jugement n° 1______/2024 rendu le 6 juin 2024 par le Tribunal confessionnel Druze de B______ (Liban), ayant pour objet la confirmation de décès et la détermination de l'héritage de feu son frère C______.

A l'appui de sa requête, A______ a exposé qu'il avait une sœur et qu'ils étaient tous deux héritiers de leur défunt frère, dont la succession comprenait une société anonyme sise à Genève. Pour le surplus, la requête ne contenait aucune autre information, que ce soit sur la situation du de cujus ou toute autre circonstance entourant le prononcé de la décision étrangère dont la reconnaissance était requise.

A______ a produit la décision étrangère du 6 juin 2024, accompagnée de deux traductions certifiées conformes, l'une en anglais et l'autre en français.

b. Il ressort de la décision précitée que le défunt est décédé le ______ 2023 sans laisser de testament, que ses héritiers légaux druzes sont sa sœur, D______, et son frère, A______, et que l'héritage est "limité" aux héritiers légaux précités et réparti entre eux conformément à l'obligation légale qui prévoit que l'homme hérite d'une part égale à celle de deux filles, A______ obtenant ainsi 1600 parts et D______ 800 parts.

Au bas de la décision figurait la mention suivante :

"Copie conforme à l'original sachant que la copie valable pour exécution est délivrée le 01/08/2024" (traduction française).

"Copy conformed, valid for exécution, delivered on 01 August, 2024" (traduction anglaise).

c. Par jugement JTPI/3255/2025 du 4 mars 2025, le Tribunal a rejeté la requête en reconnaissance formée le 6 janvier 2025 par A______ (chiffre 1 du dispositif), laissé les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., à la charge de ce dernier (ch. 2), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 3) et l'a débouté de toutes autres conclusions (ch. 4).

Le Tribunal a considéré qu'aucune pièce versée au dossier ne permettait d'établir que la décision étrangère était définitive.

B. a. Par acte expédié le 17 mars 2025 à la Cour de justice, A______ a recouru contre le jugement précité, concluant à son annulation et au renvoi de la cause à l'instance inférieure pour nouvelle décision, avec suite de frais.

Il a exposé que la justice confessionnelle Druze était une institution indépendante dans son fonctionnement, n'intervenant que pour les membres de cette communauté religieuse, et ne disposait pas des attestations ou apostilles usuelles telles qu'utilisées en Suisse. Le caractère exécutoire et définitif de la décision ressortait néanmoins des mentions apposées au bas de la décision indiquant "conforme à l'originale" et délivrée "pour exécution".

b. Le 24 avril 2025, A______ a déposé, en complément de son recours, une attestation de son avocat au Liban datée du 18 avril 2025, expliquant qu'il n'avait pas été en mesure de l'obtenir dans le délai de recours.

c. Par avis de la Cour du 2 mai 2025, A______ a été informé de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 La présente procédure ayant pour objet la reconnaissance ainsi que la déclaration de force exécutoire d'une décision étrangère, elle relève de la compétence du tribunal de l'exécution (art. 335 al. 3 CPC) et est soumise à la procédure sommaire (art. 339 al. 2 CPC).

L'appel étant irrecevable contre les décisions du tribunal de l'exécution, seule la voie du recours est ouverte (art. 309 let. a et 319 let. a CPC).

1.2 Le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 142 et 321 al. 1 et 2 CPC).

En l'occurrence, le recours a été interjeté dans le délai utile de dix jours.

1.3.1 Selon l'art. 327 al. 3 CPC, l'instance de recours peut annuler la décision entreprise et renvoyer la cause à l’instance précédente (let. a) ou rendre une nouvelle décision, si la cause est en état d’être jugée (let. b).

Même si le recours extraordinaire de l'art. 319 CPC déploie avant tout un effet cassatoire, le recourant ne peut se limiter à conclure à l'annulation de la décision attaquée. Il devra prendre des conclusions au fond sous peine d'irrecevabilité du recours, de façon à permettre à l'autorité supérieure de statuer à nouveau dans le cas où les conditions de l'art. 327 al. 3 let. b CPC sont réunies (Jeandin, in Commentaire romand CPC, 2ème éd., 2019, n. 5 ad art. 321 CPC et n. 6 ad art. 327 CPC et les références citées).

Pour éviter tout formalisme excessif, il faut exceptionnellement entrer en matière sur un acte dont les conclusions sont formellement lacunaires, si la motivation, le cas échéant en relation avec la décision attaquée, permet de comprendre clairement ce que veut le recourant (ATF 137 III 617 consid. 6.2; arrêt du Tribunal fédéral 2C_195/2020 du 18 mars 2021 consid. 1.2).

1.3.2 Bien que le recourant n'ait pas pris de conclusions réformatoires, la motivation du recours ainsi que les conclusions formulées lues à la lumière du dispositif attaqué permettent de comprendre d'emblée la modification requise, à savoir la reconnaissance de la décision étrangère refusée par le Tribunal.

Le recours sera donc déclaré recevable, sous peine de faire preuve de formalisme excessif.

1.4 La pièce produite le 24 avril 2025 est un avis de droit d'un avocat libanais tendant uniquement à appuyer le raisonnement juridique du recourant, si bien qu'il ne s'agit pas d'une pièce contenant des faits nouveaux, mais d'une argumentation juridique recevable.

1.5 En matière de recours, le pouvoir de cognition de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits
(art. 320 CPC).

3. Le recourant reproche au Tribunal de ne pas avoir reconnu la décision étrangère rendue le 6 juin 2024 par le Tribunal confessionnel libanais.

3.1 La reconnaissance, la déclaration de force exécutoire et l'exécution des décisions étrangères sont régies par les dispositions du Code de procédure civile relatives à l'exécution, à moins qu'un traité international ou la LDIP n'en dispose autrement (art. 335 al. 3 CPC).

En l'absence de Convention applicable entre la Suisse et le Liban sur la reconnaissance et l'exécution des décisions étrangères en matière civile, le Liban n'étant notamment pas partie à la Convention de Lugano, la LDIP est applicable (art. 1 al. 1 let. c et al. 2 LDIP).

3.1.1 Les art. 25 à 29 LDIP règlent les conditions et la procédure de reconnaissance des décisions de la juridiction contentieuse et, en vertu de l'art. 31 LDIP, s'appliquent par analogie aux décisions et actes de la juridiction gracieuse (ATF 122 III 213 consid. 3c; arrêt du Tribunal fédéral 4A_600/2018 du 1er avril 2019 consid. 3.1.2 et les références citées).

Selon l'art. 25 LDIP, une décision étrangère est reconnue en Suisse si les autorités judiciaires de l'Etat dont émane la décision étaient compétentes (let. a), si la décision n'est plus susceptible d'un recours ordinaire (let. b) et pour autant qu'il n'y ait pas de motif de refus au sens de l'art. 27 LDIP (let. c).

3.1.2 Aux termes de l'art. 29 al. 1 let. b LDIP, la requête en reconnaissance ou en exécution doit être accompagnée d'une attestation constatant que la décision n'est plus susceptible de recours ordinaire ou qu'elle est définitive.

Il convient d'éviter tout formalisme excessif dans l'application de cette disposition. L'attestation a en effet pour seul but de fournir, par un moyen de preuve formel, la certitude que la décision a acquis force de chose jugée. Son absence n'entraîne toutefois pas le refus de l'exequatur s'il n'est pas contesté ou qu'il ressort des autres pièces du dossier que la décision est passée en force (arrêts du Tribunal fédéral 5A_17/2022 du 4 août 2022 consid. 5.3.1; 5A_712/2018 du 20 novembre 2018 consid. 2.3.2 et les références citées).

Il n'est ainsi pas requis d'attestation du caractère exécutoire si celui-ci résulte déjà d'un dispositif le stipulant expressément et que l'écoulement du temps exclut l'exercice d'une voie de droit ordinaire contre le prononcé, ou que le caractère exécutoire puisse être établi par d'autres moyens (arrêt du Tribunal fédéral 5A_70/2021 du 18 octobre 2021 consid. 4.1; Piotet, in Petit Commentaire CPC, 2021, n. 9 ad art. 336 CPC et les auteurs cités; Arnet, Die Vollstreckbarerklärung schweizerischer Kindesunterhaltsverträge auf staatsvertraglicher Basis, 2013, n. 213 p. 86; Abbet, La mainlevée de l'opposition, 2017, nos 49 et 51 ad art. 80 LP et les références citées).

3.1.3 Selon l'art. 27 LDIP ("Motifs de refus"), la reconnaissance d'une décision étrangère doit être refusée en Suisse si elle est manifestement incompatible avec l'ordre public suisse (al. 1), exigence du respect de l'ordre public matériel, qui a trait au fond du litige, ou si elle viole certaines règles fondamentales de procédure civile, énoncées exhaustivement à la lumière des exigences de l'ordre public procédural (citation irrégulière, violation du droit d'être entendu, litispendance et chose jugée). De façon générale, la réserve de l'ordre public doit permettre au juge de ne pas apporter la protection de la justice suisse à des situations qui heurtent de manière choquante les principes les plus essentiels de l'ordre juridique, tel qu'il est conçu en Suisse. En tant que clause d'exception, la réserve de l'ordre public doit être interprétée de manière restrictive, spécialement en matière de reconnaissance et d'exécution des jugements étrangers où sa portée est plus étroite que pour l'application directe du droit étranger (effet atténué de l'ordre public) (ATF
142 III 180 consid. 3.2 5; 143 III 51 consid. 3.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_650/2023 du 13 mai 2024 consid. 5.1.2).

Le droit musulman comportent certaines normes discriminatoires, au regard du droit suisse, en matière successorale, notamment à l'égard des femmes ou pour cause d'appartenance religieuse. Ayant comme fondement le Coran, il attribue aux fils le double de la part des filles et exclut la succession entre un musulman et un non musulman (Aldeeb Abu-Sahlieh, Droit musulman de la famille et des successions en Suisse, in Revue critique de droit international privé [RCDIP] 2007, p. 529 s.)

Dans un arrêt publié aux ATF 143 III 51, le Tribunal fédéral a eu l'occasion de confirmer que la dévolution légale d'une succession qui exclut l'épouse en raison du fait qu'il n'y a pas de succession entre un musulman et un non musulman contrevient clairement au principe de l'interdiction de la discrimination en raison des convictions religieuses, qui - indépendamment de sa valeur constitutionnelle (art. 8 al. 2 Cst; cf art. 14 CEDH et 26 Pacte ONU II) - ressortit à l'ordre public suisse (ATF 143 III 51 consid. 3.3.5 et les références citées). Le Tribunal fédéral a, en revanche, laissé ouverte la question de savoir si un "acte d'hoirie" qui accorde à l'héritier de sexe masculin une part double de celle de l'héritier de sexe féminin enfreint l'ordre public (matériel) suisse (ATF 143 III 51 consid. 3.3.4).

3.2 En l'espèce, la décision dont la reconnaissance est requise reconnaît la qualité d'héritiers aux seuls enfants du de cujus et accorde au recourant une part double de celle de sa sœur.

Le recourant n'a pas produit d'attestation spécifique confirmant le caractère définitif et exécutoire de la décision étrangère. Cela étant, celle-ci a été rendue le 6 juin 2024 et le recourant a produit une copie conforme datée du 1er août 2024, soit près de deux mois plus tard, assortie de la mention "valable pour exécution", ce qui tend à démontrer, compte tenu du temps écoulé entre le prononcé du jugement et la délivrance de la copie conforme, le caractère exécutoire et définitif de la décision litigieuse. Cette question n'a toutefois pas besoin d'être tranchée au vu des considérations qui suivent.

En effet, le dossier ne permet pas d'examiner les conditions relatives à la reconnaissance de la décision étrangère en Suisse, s'agissant notamment de l'ordre public. Ni ladite décision, ni les pièces du dossier, ni encore les écritures du recourant ne fournissent des renseignements suffisants, ce qui rend impossible l'examen de la question de l'ordre public. La décision étrangère ne contient pas d'état de fait ni de motivation suffisante et le recourant ne fournit aucune explication complémentaire, se limitant à solliciter la reconnaissance de la décision.

D'une part, l'on ignore si le de cujus était marié et, partant, si la dévolution de sa succession légale à ses seuls frère et sœur excluait ou non une éventuelle épouse et, cas échéant, pour quel motif, étant ici relevé que l'exclusion basée sur la différence de religion, telle qu'applicable dans plusieurs systèmes juridiques musulmans, contrevient à l'ordre public suisse.

D'autre part, aux termes de la décision étrangère, la sœur du défunt ne peut faire valoir que des droits inférieurs à ceux du recourant et ce uniquement en raison de son sexe. Cette répartition contrevient au principe de l'interdiction de discrimination consacrée à l'art. 8 al. 2 Cst. qui stipule que nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue ou de ses convictions religieuses. L'art. 8 al. 3 Cst précise que l'homme et la femme sont égaux en droit. Ces dispositions constitutionnelles reflètent l'engagement international de la Suisse à respecter les normes fondamentales relatives aux droits de l'homme dont fait partie l'interdiction de discrimination prévue aux art. 14 CEDH et 26 Pacte ONU II. Les conséquences découlant ainsi de la décision étrangère heurtent de manière choquante les principes les plus essentiels de l'ordre juridique tel qu'il est conçu en Suisse. Par conséquent, la reconnaissance de la décision litigieuse aboutirait à un résultat fondamentalement contraire à la conception du droit suisse et doit être refusée pour ce motif.

Ce point suffit à lui seul à sceller le sort du litige.

Le recours sera, par conséquent, rejeté.

4. Le recourant, qui succombe, sera condamné aux frais de recours (art. 106 al. 1 CPC). Ceux-ci seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 48 et 61 OELP) et entièrement compensés avec l'avance du même montant fournie par ce dernier, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 17 mars 2025 par A______ contre le jugement JTPI/3255/2025 rendu le 4 mars 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/130/2025.

Au fond :

Le rejette.

Déboute le recourant de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de recours à 1'000 fr., les met à la charge de A______ et dit qu'ils sont entièrement compensés avec l'avance de frais fournie par ce dernier, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Barbara NEVEUX, greffière.

 

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Barbara NEVEUX

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.