Décisions | Sommaires
ACJC/244/2025 du 18.02.2025 sur JTPI/10882/2024 ( SML ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/9978/2024 ACJC/244/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 18 FEVRIER 2025 |
Entre
Madame A______, p.a. Etude B______, ______ [GE], recourante contre un jugement rendu par la 23ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 13 septembre 2024, représentée par Me C______, avocate, B______, ______ [GE],
et
Madame D______, domiciliée ______ [GE], intimée.
A. Par jugement du 13 septembre 2024, le Tribunal de première instance a débouté A______ de ses conclusions en mainlevée provisoire (ch. 1 du dispositif), mis à sa charge les frais judiciaires, arrêtés à 400 fr. (ch. 2 et 3), et dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 4).
B. a. Par acte déposé à la Cour de justice le 25 octobre 2024, A______ a formé recours contre ce jugement. Elle a conclu à son annulation et au prononcé de la mainlevée provisoire de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______, à hauteur de 25'625 fr. 85 avec intérêts à 5% dès
le 15 avril 2023, subsidiairement au renvoi de la cause au Tribunal, avec suite de frais.
b. Dans sa réponse du 8 novembre 2024, D______ a conclu à l'irrecevabilité du recours pour cause de tardiveté.
c. Dans sa réplique du 19 novembre 2024, A______ a contesté la tardiveté de son recours, fournissant le suivi des envois de la Poste relatif au courrier recommandé contenant le jugement attaqué qui lui a été adressé.
d. Dans sa duplique du 28 novembre 2024, D______ a contesté le fondement du recours.
e. A______ s'est encore déterminée le 16 décembre 2024.
f. Les parties ont été informées le 9 janvier 2025 par la Cour de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.
a. Le 11 décembre 2023, l'Office des poursuites a notifié à D______, sur requête de A______, avocate, un commandement de payer, poursuite n° 1______, portant sur un montant de 25'625 fr 85 avec intérêts à 5% dès le 15 avril 2023, la créance résultant de notes d'honoraires des 26 janvier, 28 février, 29 mars, 25 mai, 27 juin et 31 juillet 2023.
D______ y a formé opposition.
b. Le 21 avril 2024, A______ a requis du Tribunal la mainlevée provisoire de cette opposition.
Elle a produit à l'appui de sa requête, outre le commandement de payer précité, une procuration en sa faveur signée par D______ le 21 décembre 2022 pour qu'elle assiste cette dernière, en sa qualité d'avocate, dans le cadre d'un litige matrimonial, un courrier qu'elle avait adressé à D______ le 22 décembre 2022 lui communiquant ses conditions de rémunération et notamment son tarif horaire et celui d'un avocat collaborateur travaillant sous sa supervision ainsi qu'une demande de provision de 4'000 fr., la copie de six notes d'honoraires des 26 janvier (6'356 fr. 55), 28 février (6'963 fr. 20), 29 mars (6'216 fr. après déduction de la provision de 4'000 fr.), 25 mai (1'899 fr. 25), 27 juin (3'488 fr. 95) et 31 juillet 2023 (393 fr. 90), soit un montant total de 25'317 fr. 85, un courrier du 20 juillet 2023 de D______ résiliant le mandat confié à A______ et un courrier de cette dernière mettant en demeure D______ de lui verser la somme de 25'608 fr. 90 à réception de son courrier.
c. Par courrier du 10 septembre 2024, D______ a indiqué au Tribunal ne pas être en mesure de se présenter lors de l'audience qui avait été fixée le 13 septembre suivant, devant se rendre à Berne pour un examen professionnel. Elle a produit des pièces dont il ressort notamment qu'elle a indiqué le 21 juin 2023 chercher des solutions pour s'acquitter des notes d'honoraires litigieuses, mais également qu'elle a contesté le 14 août 2023 le montant réclamé à titre d'honoraires et qu'elle a saisi la Commission en matière d'honoraires d'avocats.
d. Lors de l'audience devant le Tribunal du 13 septembre 2024, A______ a persisté dans ses conclusions.
D______ n'était ni présente ni représentée.
e. Dans son jugement du 13 septembre 2024, le Tribunal a considéré que A______ n'avait produit aucune pièce valant reconnaissance de dette. Elle avait produit un courrier de sa part annonçant son tarif horaire ainsi que des notes d'honoraires, mais aucune de ces pièces ne comportaient la signature de D______.
1. 1.1 S'agissant d'une procédure de mainlevée, seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. b et 309 let. b ch. 3 CPC). La procédure sommaire s'applique
(art. 251 let. a CPC).
1.2 Aux termes de l'art. 321 al. 1 et 2 CPC, le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée.
Interjeté en temps utile, au vu de la date de réception du jugement attaqué selon le suivi des envois de la Poste, et selon les formes prescrites, le recours est recevable.
1.3 Selon l'art. 326 al. 1 CPC, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables. Les pièces nouvelles produite devant la Cour sont donc irrecevables.
1.4 Le recours est recevable pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). L'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait, n'examinant par ailleurs que les griefs formulés et motivés par la partie recourante (Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, n. 2307).
1.5 La procédure sommaire étant applicable, la preuve des faits allégués doit être apportée par titres (art. 254 al. 1 CPC). Les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1, 255 let. a a contrario et art. 58 al. 1 CPC).
2. La recourante soutient avoir conclu un contrat avec l'intimée pour lequel elle est en droit de réclamer des honoraires. Elle invoque à l'appui de ses conclusions en mainlevée le fait que les parties ont eu la volonté de se lier contractuellement, que le tarif horaire a été annoncé à l'intimée, laquelle a versé une provision et lui avait donné des instructions. Ces différents éléments constituaient une reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 LP, comme cela résultait de la jurisprudence de la Cour de justice du 27 avril 1964, publiée à la Semaine judiciaire 1965, p. 397.
2.1
2.1.1 Selon l'art. 82 LP, le créancier dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette constatée par acte authentique ou sous seing privé peut requérir la mainlevée provisoire (al. 1); le juge la prononce si le débiteur ne rend pas immédiatement vraisemblable sa libération (al. 2).
Constitue une reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 al. 1 LP, en particulier, l'acte sous seing privé, signé par le poursuivi - ou son représentant -, d'où ressort sa volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition, une somme d'argent déterminée, ou aisément déterminable, et exigible (ATF 145 III 20 consid. 4.1.1; 139 III 297 consid. 2.3.1 et les références). Une reconnaissance de dette peut résulter du rapprochement de plusieurs pièces, dans la mesure où les éléments nécessaires en résultent (ATF 139 III 297 consid. 2.3.1; 136 III 627 consid. 2 et la référence).
Pour valoir titre de mainlevée provisoire, une reconnaissance de dette doit chiffrer de manière précise le montant de la prétention déduite en poursuite ou renvoyer à un document écrit qui permet au juge de la mainlevée de déterminer avec exactitude le montant dû. La créance doit être déterminée ou déterminable au moment de la signature de la reconnaissance de dette (Abbet/Veuillet,
La mainlevée de l'opposition, 2ème éd., 2022, n. 47 et 48 ad art. 82 LP).
2.1.2 Un contrat écrit justifie en principe la mainlevée provisoire de l'opposition pour la somme d'argent incombant au poursuivi lorsque les conditions d'exigibilité de la dette sont établies (ATF 145 III 20, consid. 4.1.1).
Le contrat de mandat à titre onéreux constitue ainsi une reconnaissance de dette pour la rétribution du mandataire si cette rétribution est chiffrée de façon précise dans le titre lui-même ou dans un écrit annexé auquel le titre se rapporte. Tel n'est pas le cas d'un procuration d'avocat qui renvoie à un tarif horaire (Abbet/Veuillet, op. cit., n. 187 ad art. 82 LP; Staehelin, Basler Kommentar, SchKG I, 3ème éd., 2021, n. 187 ad art. 82 LP). Constitue en revanche un titre de mainlevée le décompte d'honoraires contresigné par le mandant ou approuvé par lui dans une déclaration signée par lui (Abbet/Veuillet, eo loc., avec référence aux arrêts du Tribunal fédéral 5A_309/2015 du 1er octobre 2015, consid. 3 et 5A_892 2015 du 16 février 2016, consid. 4.3).
Des factures ne valent pas reconnaissance de dette et ce, même si elles ne sont pas contestées (arrêt du Tribunal fédéral 5P.290/2006 du 12 octobre 2006 consid. 3.2).
2.1.3 La procédure de mainlevée provisoire est une procédure sur pièces (Urkundenprozess), dont le but n'est pas de constater la réalité de la créance en poursuite, mais l'existence d'un titre exécutoire. Le juge de la mainlevée provisoire examine seulement la force probante du titre produit par le créancier, sa nature formelle - et non la validité de la créance - et lui attribue force exécutoire si le débiteur ne rend pas immédiatement vraisemblables ses moyens libératoires (ATF 145 III 160 consid. 5.1 et la référence). Il doit notamment vérifier d'office l'existence d'une reconnaissance de dette, l'identité entre le poursuivant et le créancier désigné dans ce titre, l'identité entre le poursuivi et le débiteur désigné et l'identité entre la prétention déduite en poursuite et la dette reconnue (ATF 142 III 720 consid. 4.1 et la référence).
2.2 En l'espèce, les parties sont liées par un contrat de mandat et des prestations ont été fournies pour lesquelles une rémunération est en principe due, compte tenu de la nature professionnelle des services fournis et l'intimée a d'ailleurs fourni une provision sur honoraires.
Cela étant, ces éléments ne sont pas suffisants pour que la recourante puisse obtenir gain de cause dans le cadre de la présente procédure de mainlevée (indépendamment de la question d'une inexécution ou d'une mauvaise exécution du contrat), le but de cette procédure étant uniquement d'examiner, d'office, l'existence d'une reconnaissance de dette et non d'une créance.
Le contrat de mandat conclu entre les parties et signé par l'intimée ne fixe pas le montant des honoraires pour lesquels cette dernière est poursuivie, de sorte qu'il ne constitue pas une reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 LP, même si un tarif horaire a été annoncé à l'intimée et que celle-ci a versé une provision. Les honoraires réclamés résultent uniquement de factures, qui ne sont pas signées par l'intimée et ne valent pas non plus reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 LP.
De plus, contrairement à ce que soutient la recourante, la jurisprudence de la Cour ne considère pas que, de manière générale, le mandat d'avocat établi par procuration vaut titre de mainlevée pour les honoraires dudit avocat. En effet, la décision publiée à la Semaine judiciaire 1965, p. 397 invoquée – outre le fait qu'elle a été rendue par le Tribunal de première instance et non la Cour de justice – traite d'un cas particulier, dans lequel les honoraires de l'avocat avaient été préalablement taxés par différentes autorités. Le Tribunal en a dès lors conclu que la preuve de l'exécution du mandat avait été apportée et que la procuration valait titre de mainlevée au sens de l'art. 82 LP, "dès lors qu'elle est assortie des décisions de l'autorité compétente, qui se sont prononcées sur la quotité de la prestation que la citée s'était engagée, en principe, à fournir au requérant et dès lors que celle-ci ne soulève pas d'exception tirée de l'inexécution du contrat" (SJ 1965, p. 400). La présente cause n'est pas comparable au cas particulier faisant l'objet de la décision précitée et la recourante ne peut se prévaloir de cette jurisprudence.
La recourante ne peut enfin pas se prévaloir du fait que l'intimé n'aurait pas contesté ses factures, étant relevé que si cette dernière a indiqué par courriel (lequel ne comporte pas de signature manuscrite), qu'elle recherchait un moyen pour les payer, elle a également, par la suite, contesté les notes d'honoraires de la recourante et saisi la Commission en matière d'honoraires d'avocats.
Dès lors, au vu de ce qui précède, la recourante ne dispose pas de reconnaissance de dette signée par l'intimée pour les montants réclamés à titre d'honoraires. Le recours n'est ainsi pas fondé, de sorte qu'il sera rejeté.
3. La recourante, qui succombe, sera condamnée aux frais du recours (art. 106 al. 1 CPC).
Les frais judiciaires seront arrêtés à 600 fr. (art. 48 et 61 al. 1 OELP) et compensés avec l'avance versée par la recourante, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).
Il ne sera pas alloué de dépens à l'intimée qui comparaît en personne et n'a pas allégué avoir effectué des démarches le justifiant (art. 95 al. 3 let. c CPC).
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable le recours interjeté par A______ contre le jugement JTPI/10882/2024 rendu le 13 septembre 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/9978/2024–23 SML.
Au fond :
Rejette ce recours.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Met à la charge de A______ les frais judiciaires de recours, arrêtés à 600 fr. et compensés avec l'avance versée, acquise à l'État de Genève.
Dit qu'il n'est pas alloué de dépens de recours.
Siégeant :
Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Laura SESSA, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 30'000 fr.