Décisions | Sommaires
ACJC/170/2025 du 04.02.2025 sur JTPI/13737/2024 ( SFC ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/20486/2024 ACJC/170/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 4 FEVRIER 2025 |
Entre
A______ SÀRL, sise ______, recourante contre un jugement rendu par la 19ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 4 novembre 2024, représentée par Me Nadia Isabel CLERIGO CORREIA, avocate, Siegrist & Lazzarotto Avocats, quai des Bergues 23, 1201 Genève,
et
CAISSE DE COMPENSATION B______, sise ______, intimée.
A. a. A______ SARL a pour but toutes activités dans le domaine des produits sanitaires.
Elle est affiliée à la CAISSE DE COMPENSATION B______ (ci-après: la B______), la caisse de compensation et de pension [du secteur] ______, pour les décomptes et paiements des cotisations d'assurances sociales.
b. Par requête expédiée le 23 août 2024 au Tribunal de première instance, B______ a requis la faillite sans poursuite préalable de A______ SARL en application de l'art. 190 al. 1 ch. 2 LP.
Elle s'est prévalue d'une créance totale de 105'428 fr. 02 et de neuf actes de défaut de biens, d'un montant total de 81'179 fr. 47, établis en 2023.
B______ s'est fondée sur un extrait du registre des poursuites concernant A______ SARL émis le 3 juillet 2024, dont il résulte que la précitée fait l'objet d'une poursuite, à laquelle elle a formé opposition, d'un montant de 3'540 fr., de l'ouverture de six poursuites, dont quatre ont été requises par B______, pour un montant total de 29'131 fr., une par la CONFEDERATION, pour un montant de 39'093 fr. 61 et une par C______, pour un montant de 296'553 fr. 96.
Elle a allégué que les forfaits mensuels n'étaient jamais payés et qu'elle devait recouvrer ses créances par voie judiciaire. A______ SARL ne remplissait pas ses obligations de paiement et faisait preuve de graves négligences. Au jour du dépôt de la requête, la précitée était débitrice d'une somme de 105'428 fr. 02.
c. Lors de l'audience du Tribunal du 4 novembre 2024, B______ n'était ni présente ni représentée. A______ SARL, comparant en personne, a pris note de ce que le Tribunal prononcerait sa faillite, à laquelle elle ne s'opposait pas.
La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.
B. Par jugement JTPI/13737/2024 du 4 novembre 2024, le Tribunal, statuant par voie de procédure sommaire, a prononcé la faillite sans poursuite préalable de A______ SARL dès le même jour à 15 heures 20 (chiffre 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 500 fr., mis à charge de A______ SARL et compensés avec l'avance effectuée par B______ (ch. 2), condamné en conséquence A______ SARL à verser à B______ 500 fr. à titre de remboursement de l'avance de frais (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).
Le Tribunal a considéré que B______ avait rendu vraisemblable sa qualité de créancière. A______ SARL faisait l'objet de nombreuses poursuites et avait cessé de payer ses créances de droit public. Il avait ainsi été rendu vraisemblable que la précitée avait suspendu ses paiements et qu'elle n'était pas en mesure à court terme de faire face à ses obligations pécuniaires.
C. a. Le 11 novembre 2024, A______ SARL a requis de la Cour de justice la suspension du caractère exécutoire du jugement précité, alléguant qu'à défaut, elle subirait un préjudice difficilement réparable, la faillite pouvant entraîner sa radiation du Registre du commerce.
Elle a allégué de nouveaux faits et produit de nouvelles pièces (n. 3 à 5).
b. Par décision (ES/117/2024) du 19 novembre 2024, la Cour a suspendu l'effet exécutoire attaché au jugement attaqué et les effets juridiques de l'ouverture de la faillite, et a ordonné l'inventaire des biens de A______ SARL.
c. Le 18 novembre 2024, A______ SARL a formé recours contre le jugement du 4 novembre 2024, sollicitant son annulation. Elle a conclu à ce que la Cour "révoque" sa faillite sans poursuite préalable. Elle a fait valoir de nouveaux faits, en lien avec ses difficultés financières, et a produit de nouvelles pièces (n. 6 à 10).
Elle a admis avoir rencontré des difficultés à régler les cotisations sociales, soulignant avoir toujours honoré le paiement des salaires de ses employés. Elle exploitait l'établissement "D______" depuis le 12 janvier 2022 et comptait une vingtaine de salariés.
Elle a allégué être en contact depuis plusieurs semaines avec différentes personnes intéressées à investir des sommes importantes dans la société pour relancer son activité, ce qui lui permettrait de s'acquitter des dettes existantes.
d. Par pli du 9 décembre 2024, B______ a indiqué maintenir sa demande de faillite, dès lors qu'elle n'avait "pas reçu de paiement". Le montant de sa créance s'élevait à 130'110 fr. 25, décompte du même jour à l'appui.
e. Les parties ont été avisées par plis du greffe du 7 janvier 2025 de ce que la cause était gardée à juger.
1. 1.1 L'appel étant irrecevable dans les affaires relevant de la compétence du tribunal de la faillite selon la LP (art. 309 let. b ch. 7 CPC), seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. a CPC; art. 174 LP, par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP).
Les décisions rendues en matière de faillite sont soumises à la procédure sommaire (art. 251 let. a CPC).
1.2 Formé selon la forme et dans le délai prévus par la loi (art. 143 al. 3, 321 al. 1 et 2 CPC), le recours est recevable.
2. La recourante a formé des allégués nouveaux et produit des pièces nouvelles.
2.1 Dans le cadre du recours de l'art. 174 LP - applicable à la faillite sans poursuite préalable par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP -, les parties peuvent faire valoir des faits nouveaux, lorsque ceux-ci se sont produits avant le jugement de première instance (art. 174 al. 1, 2ème phrase, LP). Cette disposition spéciale de la loi, au sens de l'art. 326 al. 2 CPC, vise les faits nouveaux improprement dits (faux nova ou pseudo-nova), à savoir ceux qui existaient déjà au moment de l'ouverture de la faillite et dont le premier juge n'a pas eu connaissance pour quelque raison que ce soit; ces faits peuvent être invoqués sans restriction et prouvés par pièces, pour autant qu'ils le soient dans le délai de recours. Aux termes de l'art. 174 al. 2 LP, le failli peut aussi invoquer de vrais nova, à savoir les faits, intervenus après l'ouverture de la faillite en première instance, qui sont énumérés aux chiffres 1 à 3; selon la jurisprudence, ces vrais nova doivent également être produits avant l'expiration du délai de recours. En vertu de la lettre claire de l'art. 174 al. 2 LP, aucun autre novum n'est admissible. Partant, dans le cadre d'un recours contre un prononcé de faillite sans poursuite préalable, seuls les pseudo-nova sont en principe recevables, les hypothèses énumérées exhaustivement à l'art. 174 al. 2 ch. 1-3 LP étant étrangères à ce type de procédure (arrêt du Tribunal fédéral 5A_243/2019 du 17 mai 2019 consid. 3.1).
Cette opinion doit cependant être nuancée lorsque la faillite sans poursuite préalable a été déclarée à la requête d'un créancier; dans ce cas, le retrait de la réquisition de faillite ne peut pas être considéré comme une hypothèse étrangère à la procédure. Il s'ensuit que, en cas de faillite sans poursuite préalable au sens de l'art. 190 LP, le failli doit être admis à produire, dans le délai de recours, des pièces nouvelles destinées à établir que le créancier a retiré sa requête de faillite après le jugement (art. 174 al. 2 ch. 3 LP) et à rendre vraisemblable sa solvabilité (art. 174 al. 2 LP) (arrêt du Tribunal fédéral 5A_122/2022 du 21 juin 2022 consid. 3.1).
2.2 En l'espèce, il n'est pas nécessaire de trancher la recevabilité des pièces nouvellement versées, compte tenu de ce qui suit.
3. La recourante fait grief au Tribunal d'avoir prononcé sa faillite sans poursuite préalable. Elle allègue avoir rendu vraisemblable sa solvabilité.
3.1 Selon l'art. 190 al. 1 ch. 2 LP, le créancier peut requérir la faillite sans poursuite préalable si le débiteur sujet à la poursuite par voie de faillite a suspendu ses paiements.
Le motif de la faillite posé à l'art. 190 al. 1 ch. 2 LP est une notion juridique indéterminée qui accorde au juge un large pouvoir d'appréciation. Pour qu'il y ait suspension de paiements, il faut que le débiteur ne paie pas des dettes incontestées et exigibles, laisse les poursuites se multiplier contre lui, tout en faisant systématiquement opposition, ou omette de s'acquitter même des dettes minimes; il n'est cependant pas nécessaire que le débiteur interrompe tous ses paiements; il suffit que le refus de payer porte sur une partie essentielle de ses activités commerciales. Même une dette unique n'empêche pas, si elle est importante et que le refus de payer est durable, de trahir une suspension de paiements; tel est notamment le cas lorsque le débiteur refuse de désintéresser son principal créancier. Le non-paiement de créances de droit public peut constituer un indice de suspension de paiements. La suspension des paiements ne doit pas être de nature simplement temporaire, mais doit avoir un horizon indéterminé (ATF 137 III 460 consid. 3.4.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_235/2020 du 4 juin 2020 consid. 3.1 et les autres références).
La suspension des paiements a été préférée par le législateur à l'insolvabilité parce qu'elle est perceptible extérieurement et, dès lors, plus aisée à constater que l'insolvabilité proprement dite; il s'agit ainsi de faciliter au requérant la preuve de l'insolvabilité. S'il ne faut donc pas confondre la suspension des paiements, qui est la manifestation extérieure d'un manque de liquidités, et l'insolvabilité, il n'en demeure pas moins que, lorsque l'insolvabilité est établie, la faillite sans poursuite préalable doit a fortiori être prononcée (arrêt du Tribunal fédéral 5A_325/2020 du 16 juin 2020 consid. 3.1).
Conformément à l'art. 174 al. 2 LP, applicable à la faillite sans poursuite préalable, le débiteur ne peut obtenir l'annulation de l'ouverture de la faillite que s'il rend vraisemblable sa solvabilité (arrêt du Tribunal fédéral 5A_122/2022 précité consid. 3.2.2).
La solvabilité, au sens de l'art. 174 al. 2 LP, se définit par opposition à l'insolvabilité au sens de l'art. 191 LP; elle consiste en la capacité du débiteur de disposer de liquidités suffisantes pour payer ses dettes échues et peut aussi être présente si cette capacité fait temporairement défaut, pour autant que des indices d'amélioration de la situation à court terme existent. Si le débiteur doit seulement rendre vraisemblable - et non prouver - sa solvabilité, il ne peut se contenter de simples allégations, mais doit fournir des indices concrets tels que récépissés de paiements, justificatifs des moyens financiers (avoirs en banque, crédit bancaire) à sa disposition, liste des débiteurs, extrait du registre des poursuites, comptes annuels récents, bilan intermédiaire, etc. En plus de ces documents, le poursuivi doit établir qu'aucune requête de faillite dans une poursuite ordinaire ou dans une poursuite pour effets de change n'est pendante contre lui et qu'aucune poursuite exécutoire n'est en cours contre lui. L'extrait du registre des poursuites constitue un document indispensable pour évaluer la solvabilité du failli. La condition selon laquelle le débiteur doit rendre vraisemblable sa solvabilité ne doit pas être soumise à des exigences trop sévères; il suffit que la solvabilité apparaisse plus probable que l'insolvabilité (arrêts du Tribunal fédéral 5A_891/2021 du 28 janvier 2022 consid. 6.1.2; 5A_615/2020 du 30 septembre 2020 consid. 3.1; 5A_600/2020 du 29 septembre 2020 consid. 3.1; 5A_251/2018 du 31 mai 2018 consid. 4.1 et les références).
L'appréciation de la solvabilité repose sur une impression générale fondée sur les habitudes de paiement du failli. En principe, s'avère insolvable le débiteur qui, par exemple, laisse des comminations de faillite s'accumuler, fait systématiquement opposition et ne paie pas même des montants peu élevés. S'il y a des poursuites ayant atteint le stade de la commination de faillite ou des avis de saisie dans les cas de l'art. 43 LP, le débiteur doit en principe prouver par titre qu'une des hypothèses de l'art. 174 al. 2 ch. 1 à 3 LP s'est réalisée, à moins qu'il ne résulte du dossier la vraisemblance qualifiée de l'existence de disponibilités en liquidité objectivement suffisantes non seulement pour payer ces créances, mais aussi pour faire face aux autres prétentions créancières déjà exigibles. Des difficultés momentanées de trésorerie, même si elles amènent un retard dans le paiement des dettes, ne sont pas à elles seules un indice d'insolvabilité du débiteur, à moins qu'il n'y ait aucun indice important permettant d'admettre une amélioration de sa situation financière et qu'il semble manquer de liquidités pour une période indéterminée. A l'inverse, l'absence de poursuite en cours n'est pas une preuve absolue de solvabilité; elle constitue toutefois un indice sérieux de la capacité du débiteur de s'acquitter de ses engagements échus (arrêts du Tribunal fédéral 5A_615/2020 précité loc. cit.; 5A_251/2018 précité loc. cit. et les références).
3.2 En l'espèce, la recourante admet qu'elle n'a pas été en mesure de désintéresser l'intimée, dont elle ne conteste pas la créance de plus de 100'000 fr., qui est sa principale créancière de droit public et qu'elle s'est vu délivrer neuf actes de défauts de biens en 2023. L'extrait du registre des poursuites fait état de l'ouverture de six poursuites, dont quatre ont été requises par l'intimée, pour un montant total de 29'131 fr., une par la CONFEDERATION, pour un montant de 39'093 fr. 61 et une par C______, pour un montant de 296'553 fr. 96. La recourante prétend que sa situation se serait améliorée, mais ne fournit aucun indice concret permettant de retenir que ses difficultés de trésorerie ne seraient que passagères. Elle ne produit aucun document confirmant ses allégations selon lesquelles divers investisseurs seraient intéressés à consentir des versements conséquents permettant de relancer son activité. Par ailleurs, elle ne dépose aucun extrait de compte bancaire et ne dit mot des liquidités dont elle disposerait. Elle n'a pas non plus produit ses comptes. Dans ces conditions, la recourante n'a pas rendu vraisemblable sa solvabilité.
3.3 Ainsi, le recours s'avère en tout état infondé et sera en conséquence rejeté.
3.4 L'effet suspensif ayant été accordé au jugement entrepris, la faillite sera prononcée le 4 février 2025 à 12h00.
4. Les frais judiciaires du recours seront mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront fixés à 750 fr. (art. 52 let. b et 61 al. 1 OELP) et compensés avec l'avance effectuée, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).
L'intimée ne sollicite pas de dépens de recours.
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable le recours interjeté le 18 novembre 2024 par A______ SÀRL contre le jugement JTPI/13737/2024 rendu le 4 novembre 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/20486/2024–19 SFC.
Au fond :
Le rejette.
Confirme le jugement attaqué, la faillite de A______ SARL prenant effet le 4 février 2025 à 12h00.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires du recours à 750 fr., compensés avec l'avance de frais fournie, acquise à l'Etat de Genève, et les met à la charge de A______ SARL.
Dit qu'il n'est pas alloué de dépens de recours.
Siégeant :
Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame
Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Mélanie DE RESENDE PEREIRA, greffière.
La présidente : Pauline ERARD |
| La greffière : Mélanie DE RESENDE PEREIRA |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.