Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/924/2025 du 10.11.2025 sur OMP/20103/2025 ( MP ) , ADMIS
| république et | canton de Genève | |
| POUVOIR JUDICIAIRE P/18683/2025 ACPR/924/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du lundi 10 novembre 2025 | ||
Entre
A______, représenté par Me B______, avocat,
recourant,
contre l'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN rendue le 21 août 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 1er septembre 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 21 août précédent, notifiée le jour même, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil d'ADN.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 19 août 2025, A______, né le ______ 1985, ressortissant nigérian, a été interpellé au passage frontière de Moillesulaz, lors de son entrée en Suisse, en tant que passager du tram 17. Il était en possession de son passeport nigérian, ce qui a permis son identification. Il détenait également un permis de séjour italien échu et une carte d'identité italienne valable, comportant la mention suivante "non valida per l'espatrio".
Soupçonné de transporter des stupéfiants dans son organisme ["body pack"], une radiographie a été effectuée, mettant en évidence 4 corps étrangers non déterminés dans son abdomen. La fouille de son dépôt a également mis en évidence la présence de 10 grammes de cristaux blancs et 1 gramme de poudre brune. Il était aussi porteur d'un téléphone portable éteint.
L'intéressé n'ayant pas de domicile connu, aucune perquisition n'a pu être effectuée.
b. Entendu le jour même par les gardes-frontière, A______ a d'abord déclaré vouloir se rendre dans un magasin africain avant d'expliquer s'être trompé d'arrêt et ne pas vouloir se rendre en Suisse. Il habitait chez un ami [dont il souhaitait taire l'identité] à C______ (France).
c. Il a refusé de s'exprimer lors de son audition par la police.
d. Le 21 août 2025, le Ministère public a prévenu A______ d'entrée illégale
(art. 115 al. 1 let. a LEI).
L'intéressé a persisté dans ses précédentes déclarations. Aucune question en lien avec d'éventuels soupçons d'infraction à la loi sur les stupéfiants ne lui a été posée.
e. Par ordonnance pénale du 21 août 2025, le Ministère public a déclaré A______ coupable d'entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a LEI), et l'a condamné à une peine pécuniaire de 30 jours-amende, sous déduction de 2 jours de détention avant jugement. Le Ministère public a également rendu une ordonnance de non-entrée en matière partielle, fondée sur l'art. 310 al. 1 let. a CPP, s'agissant des faits susceptibles d'être constitutifs d'une infraction à l'art. 19 LStup. En effet, les examens médicaux effectués sur le mis en cause avaient démontré qu'il ne transportait, en réalité, aucun produit stupéfiant [les corps étrangers identifiés sur la première radiographie s'étant avérés être vraisemblablement des "boules" formées par des aliments] et l'analyse des substances retrouvées dans son dépôt n'avait pas permis de les identifier précisément.
f. Le 1er septembre suivant, sous la plume de son conseil, il a formé opposition à l'ordonnance pénale précitée. La cause est actuellement pendante devant le Tribunal de police.
g. Selon l'extrait du casier judiciaire suisse, dans sa teneur au 21 août 2025, A______ a été condamné à deux reprises par le Tribunal de police de Genève:
- le 1er octobre 2024, à une peine pécuniaire de 20 jours-amende à CHF 10.- l'unité, avec sursis et délai d'épreuve de 3 ans, pour infraction à l'art. 119 al. 1 LEI;
- le 21 juillet 2025, à une peine pécuniaire de 20 jours-amende à CHF 10.- l'unité, avec sursis et délai d'épreuve de 3 ans, pour infraction à l'art. 119 al. 1 LEI.
Hormis la présente procédure, le prénommé ne fait, toujours selon cet extrait, l'objet d'aucune autre procédure pénale en cours.
Il ressort toutefois des renseignements de police qu'en 2023 et 2024, il serait connu des services de police pour des affaires liées à l'art. 19 al. 1 LStup.
h. S'agissant, pour le surplus, de sa situation personnelle, le précité est, à teneur du dossier, célibataire, sans domicile connu et déclare travailler comme vendeur de journaux à C______ (France), pour un salaire de EUR 1'200.-, sans toutefois bénéficier d'un contrat de travail. Il n'a aucune attache avec la Suisse.
C. Dans l’ordonnance querellée, fondée sur l'art. 255 al. 1bis CPP, le Ministère public considère qu'il y a lieu d'établir le profil d'ADN de A______, celui-ci ayant déjà été soupçonné d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN, référence étant faite aux renseignements de police spécifiant qu'il avait été soupçonné, à plusieurs reprises, en 2023 et 2024, d'avoir commis des infractions à l'art. 19 al. 1 LStup.
D. a. À l'appui de son recours, A______ reproche au Ministère public de ne pas avoir étayé quels indices concrets permettaient de supputer une implication de sa part dans d'autres infractions passées ou futures à la LStup. Bien qu'il eût, par le passé, été soupçonné d'infractions à la loi sur les stupéfiants, l'instruction pénale avait démontré son innocence, à l'instar de l'ordonnance de non-entrée en matière partielle du 21 août 2025. Compte tenu des simples soupçons d'infractions à la LEI pesant sur lui, rien ne justifiait d'établir, en l'occurrence, son profil d'ADN. Cette méthode du Ministère public, arbitraire et disproportionnée, mettait en lumière un "automatisme préoccupant" qui se répercutait directement sur les frais de justice. Enfin, le Ministère public n'avait pas mentionné, dans l'ordonnance pénale du 21 août 2025, en violation de l'art. 353 al. 1 let. fbis CPP, le délai d'effacement de son profil d'ADN.
b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours, sous suite de frais.
Selon les renseignements de police, versés à la procédure dans l'onglet "pièces de forme", A______ était connu de leurs services pour des affaires de stupéfiants
(28 décembre 2023, 4 janvier 2024 et 15 novembre 2024), ce qui suffisait – même s'il n'avait finalement jamais été condamné – à justifier l'établissement de son profil d'ADN. Enfin, en prenant en compte les informations issues des renseignements de police et non uniquement le casier judiciaire du prévenu, il s'était contenté d'appliquer la Directive A.5 du Procureur général, laquelle découlait de l'art. 255 al.1bis CPP.
c. A______ n'a pas répliqué.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN.
2.1. Comme toute mesure de contrainte, le prélèvement d'un échantillon d'ADN et l'établissement d'un profil d'ADN sont de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH; ATF 147 I 372 consid. 2.2; 145 IV 263 consid. 3.4). Ces mesures doivent ainsi être fondées sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 147 I 372 consid. 2.3.3).
L'art. 197 al. 1 CPP rappelle ces principes en précisant que des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si elles sont prévues par la loi (let. a), si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d).
2.2. Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2).
L'établissement d'un profil d'ADN destiné à élucider des crimes ou délits passés/futurs n'est proportionné que s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, mêmes futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2; 145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_217/2022 du 15 mai 2023 consid. 3.1). Il convient à cet égard également de prendre en considération les éventuels antécédents du prévenu; l'absence d'antécédents n'empêche pas encore de prélever un échantillon et d'établir le profil d'ADN de celui-ci, mais il faudra tenir compte de cet élément dans la pesée d'intérêts à réaliser (ATF 145 IV 263 consid. 3.4 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).
2.3. À teneur des points 4.1 et 4.3 de la Directive A.5 du Procureur général sur la gestion et la conservation des données signalétiques et des profils d'ADN, lorsque la police a procédé au prélèvement d'un échantillon d'ADN, le procureur en charge de la procédure pénale ordonne l'établissement d'un profil d'ADN en cas d'infraction(s) passée(s) lorsque le prévenu a déjà été soupçonné d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN, soit notamment une infraction à
l'"art. 19 LStup".
2.4. En l'espèce, l'établissement du profil d'ADN du recourant a été ordonné pour élucider, non pas l'infraction à la LEI en cours d'instruction, mais d'autres actes contraires à la LStup, dès lors qu'il aurait déjà été soupçonné, selon les renseignements de police figurant au dossier, pour des faits similaires.
Il sied donc de déterminer s'il existe des indices sérieux et concrets de la commission, par le recourant, de tels actes punissables.
À cet égard, le recourant a été condamné, à deux reprises, les 1er octobre 2024 et
21 juillet 2025, à des peines pécuniaires avec sursis, pour des infractions à l'art. 119 al. 1 LEI. La procédure en cours est également circonscrite à la LEI, le transport de produits stupéfiants ["body pack"] n'ayant, avant même l'ouverture d'une instruction de ce chef, pas été retenu par le Ministère public. Il ne ressort pas, non plus, des déclarations du recourant qu'il aurait été impliqué dans un quelconque trafic de stupéfiants. Aucune question en ce sens ne lui a, en sus, été posée.
Par ailleurs, l'autorité intimée ne précise ni l'existence, ni l'état (ou l'issue) des procédures qui auraient été ouvertes ensuite des soupçons d'infractions à la LStup évoqués dans les renseignements de police. Selon l'extrait du casier judiciaire suisse au dossier, le recourant ne fait toutefois pas l'objet d'une autre procédure pénale en cours.
Par conséquent, dans la mesure où, d'une part, le recourant n'a pas d'antécédents judiciaires en lien avec des infractions à la LStup et, d'autre part, la présente procédure ne vise qu'une infraction à la LEI, laquelle ne revête pas de gravité particulière (cf. en ce sens ACPR/642/2024 du 29 août 2024 consid. 2.3), les soupçons relatés dans les renseignements de police, ne permettent pas, à eux seuls, sans autres explications du Ministère public, de fonder des indices suffisamment sérieux et concrets laissant penser que l'intéressé pourrait être, ou avoir été, impliqué dans des infractions à la LStup encore inconnues des autorités.
Dans ces circonstances particulières, les réquisits pour le prononcé de la mesure querellée ne sont pas réunis.
3. Fondé, le recours sera admis; partant, l'ordonnance querellée sera annulée, les échantillons d'ADN prélevés détruits et le profil d’ADN du recourant supprimé, le Ministère public étant chargé de l'exécution de ce qui précède.
4. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).
5. Le recourant conclut à l'octroi de dépens, sans toutefois les chiffrer, ni les justifier.
Tenue de statuer d'office (art. 429 al. 2 cum art. 436 al. 1 CPP), la Chambre de céans fixera, ex aequo et bono, l'indemnité due à CHF 300.- TTC, compte tenu de l'issue de la cause, dépourvue de complexité juridique, et du recours de 6 pages (page de garde et conclusions comprises).
6. Ladite indemnité sera allouée à son conseil, conformément à l'art. 429 al. 3 CPP.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Admet le recours.
Annule l'ordonnance querellée.
Ordonne la destruction de(s) échantillon(s) d’ADN prélevé(s) sur A______, ainsi que la suppression de son profil d’ADN, et charge le Ministère public de l’exécution de ce qui précède.
Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.
Alloue à Me B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 300.- TTC pour l'activité déployée dans le cadre de la procédure de recours (art. 429 CPP).
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Catherine GAVIN et
Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
| La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).