Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/852/2025 du 16.10.2025 sur OMP/8171/2025 ( MP ) , REJETE
| république et | canton de Genève | |
| POUVOIR JUDICIAIRE P/7803/2025 ACPR/852/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 16 octobre 2025 | ||
Entre
A______, représenté par Me B______, avocate,
recourant,
contre l’ordonnance d’établissement d’un profil d’ADN rendue le 1er avril 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 10 avril 2025, A______ recourt contre l’ordonnance du 1er avril 2025, notifiée le même jour, par laquelle le Ministère public a ordonné l’établissement de son profil d’ADN.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, principalement, à l’annulation de cette ordonnance, subsidiairement au renvoi de la cause au Ministère public.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a.a. À teneur du rapport d'arrestation du 31 mars 2025, la police a contrôlé un véhicule qui roulait à vive allure sur la route 1______ en direction de D______, et dont la conductrice, C______, faisait l’objet d’une interdiction générale de circuler. Lors de son audition, elle a déclaré consommer de la cocaïne, mettant en cause son "dealer" pour lui avoir vendu, depuis environ une année, 24 grammes de cette drogue pour la somme de CHF 1'900.-, proposant de lui fixer un rendez-vous au lieu habituel, à l’avenue 2______. La police a interpellé l’individu – identifié par la suite comme étant A______ –, après que C______ l’eut désigné. L’usage de la force a été nécessaire, l’intéressé ayant fortement résisté à son interpellation, durant laquelle il a avalé "quelque chose de blanc" qu’il tenait dans sa main droite. Il était aussi en possession d’un E______ [smartphone] – duquel il a refusé de donner le code d'accès aux policiers et dont le numéro correspondait à celui communiqué par C______ – ainsi que de la somme de CHF 126.-.
L'intéressé n'ayant pas de domicile connu, aucune perquisition n'a pu être menée.
Les vérifications effectuées, par la suite, ont révélé qu'il n'était pas au bénéfice des autorisations nécessaires et de moyens de subsistance légaux pour pénétrer et séjourner sur le territoire suisse.
a.b. C______ a confirmé que la personne interpellée – qu’elle connaissait sous le nom de "F______" [donc A______] – était son vendeur de cocaïne.
a.c. A______, en l’absence de son conseil, s’est refusé à toute déclaration.
b. Devant le Ministère public, il a accepté de s’exprimer hors la présence de son conseil, contestant avoir vendu de la drogue à C______. Cette dernière était une amie avec laquelle il achetait de temps en temps de la marijuana pour leur consommation personnelle. Parfois, il l’accompagnait pour l’aider à trouver de la cocaïne, voire en achetait pour elle aux Pâquis. Il ne se souvenait pas de la quantité totale de cocaïne qu’il lui avait transmise, mais elle portait sur un montant en tout cas inférieur à CHF 1'920.-. Il a admis avoir avalé, lors de son interpellation, une boulette de cocaïne qu’il entendait consommer avec C______. En décembre 2020, il avait quitté la Suisse pour se rendre au Portugal, avant de revenir au début 2025.
c. Par ordonnance pénale du 1er avril 2025, le Ministère public a déclaré A______ coupable de délit contre la loi sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. c LStup), entrée et séjour illégaux (art. 115 al. 1 let. a et b LEI), et l'a condamné à une peine privative de liberté de 180 jours, sous déduction d'un jour de détention avant jugement.
d. Le 8 avril suivant, sous la plume de son conseil, le précité a formé opposition à cette ordonnance pénale.
e. Selon l'extrait du casier judiciaire suisse, dans sa teneur au 1er avril 2025, A______ a été condamné à trois reprises, à des peines pécuniaires, pour séjour illégal [29 octobre 2013, 8 février 2016 et 3 décembre 2020], infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants [contravention (29 octobre 2013) ; délit (8 février 2016)], ainsi que pour du recel [3 décembre 2020].
f. S'agissant, pour le surplus, de sa situation personnelle, l’intéressé soutient habiter au Portugal, pays dans lequel il disposerait d’un permis de séjour, être marié, père d’un enfant en bas âge et sans revenu.
C. Dans l’ordonnance querellée, fondée sur l'art. 255 al. 1bis CPP, le Ministère public considère qu'il y a lieu d'établir le profil d'ADN de A______, celui-ci ayant déjà été soupçonné d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN, référence étant faite à sa condamnation du 8 février 2016 pour délit contre la loi sur les stupéfiants (cf. let. B. e. supra). Aucun frais en lien avec l'établissement du profil d'ADN n'a été mis à la charge du prévenu dans le cadre de cette ordonnance.
D. a. À l'appui de son recours, A______ relève que la multiplication des ordonnances d'établissement de profils d'ADN laissait craindre une volonté "de ficher massivement les étrangers". Le prélèvement d’échantillons d’ADN et leur analyse ne pouvaient pas être effectués de manière systématique. En outre, un tel établissement, pour des infractions passées/futures, n'était conforme au principe de la proportionnalité qu'en présence d'indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, d'une certaine gravité. La Directive du Procureur général A.5 n’avait pas force de loi. Ses antécédents étaient anciens et il n’avait été condamné qu’à des peines pécuniaires légères. Enfin, il citait l'AARP (recte : ACPR/642/2024) du 29 août 2024, dans lequel une violation du principe de la proportionnalité en matière d'établissement d'un profil d'ADN avait été retenue, et sollicitait le même traitement. La mesure ordonnée était donc arbitraire et disproportionnée, s'agissant d'un acte "inutile" et "coûteux".
b. À réception, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN.
2.1. Comme toute mesure de contrainte, le prélèvement d'un échantillon d'ADN et l'établissement d'un profil d'ADN sont de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH; ATF 147 I 372 consid. 2.2; 145 IV 263 consid. 3.4). Ces mesures doivent ainsi être fondées sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 147 I 372 consid. 2.3.3).
L'art. 197 al. 1 CPP rappelle ces principes en précisant que des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si elles sont prévues par la loi (let. a), si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d).
2.2. Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2).
L'établissement d'un profil d'ADN destiné à élucider des crimes ou délits passés/futurs n'est proportionné que s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, mêmes futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2; 145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_217/2022 du 15 mai 2023 consid. 3.1). Il convient à cet égard également de prendre en considération les éventuels antécédents du prévenu; l'absence d'antécédents n'empêche pas encore de prélever un échantillon et d'établir le profil d'ADN de celui-ci, mais il faudra tenir compte de cet élément dans la pesée d'intérêts à réaliser (ATF 145 IV 263 consid. 3.4 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 précité consid. 4.3; 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).
2.3. À teneur des points 4.1 et 4.3 de la Directive A.5 du Procureur général sur la gestion et la conservation des données signalétiques et des profils d'ADN, lorsque la police a procédé au prélèvement d'un échantillon d'ADN, le procureur en charge de la procédure pénale ordonne l'établissement d'un profil d'ADN en cas d'infraction(s) passée(s) lorsque le prévenu a déjà été soupçonné d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN, soit notamment une infraction à l'"art. 19 LStup".
2.4. En l'espèce, l'établissement du profil d'ADN du recourant a été ordonné pour élucider, non pas les infractions en cours d'instruction, mais d'autres éventuels actes contraires à la LStup, dès lors qu'il avait déjà été soupçonné pour des faits similaires.
À cet égard, il existe des indices sérieux et concrets de la commission, par le recourant, de tels actes punissables.
En effet, il a été condamné à trois reprises, entre le 29 octobre 2013 et le 3 décembre 2020, notamment une fois, en 2016, pour un délit à la LStup, soit une infraction qui dépassait le cadre de la simple consommation personnelle. Cette condamnation est certes ancienne. Elle va toutefois de pair avec des reproches répétés de situation irrégulière en Suisse. Pendant la période pénale précitée, l'intéressé a en effet été condamné à trois reprises (29 octobre 2013, 8 février 2016 et 3 décembre 2020) pour des infractions à la législation sur les étrangers, étant souligné que sa dernière condamnation – avant qu’il ne quitte la Suisse durant plusieurs années – portait également sur une infraction contre le patrimoine (recel). À cela s'ajoutent les circonstances de son arrestation, intervenue alors qu’il était expressément mis en cause par une toxicomane pour lui avoir vendu 24 grammes de cocaïne pour la somme de CHF 1'900.- sur une période d’environ une année et lors de laquelle il a avalé une boulette de cocaïne. Il était de plus en possession d'un téléphone portable [à la vérification duquel il s'est opposé] et de CHF 126.-, d'une provenance inconnue, alors qu'il a indiqué devant le Ministère public se trouver dans une situation précaire.
Ces éléments, ainsi que sa situation personnelle – absence de domicile connu et de revenu – laissent craindre un ancrage dans la délinquance liée aux stupéfiants et permettent de penser que l'intéressé pourrait être impliqué dans d'autres infractions à la LStup encore inconnues des autorités, qui pourraient lui être attribuées si l'on était en mesure de comparer son profil d'ADN à des traces prélevées sur les lieux de leur commission.
Les éventuelles infractions à la LStup susceptibles d'être élucidées revêtent également une certaine gravité eu égard à la santé publique. Il s'agit d'ailleurs d'un des cas expressément listés par la Directive A.5 du Procureur général (cf. n. 4.3) qui, bien que n'ayant pas force de loi, est fondée sur l'art. 255 al. 1bis CPP, lequel autorise l'établissement d'un profil d'ADN pour les infractions passées.
L'arrêt de la Chambre de céans cité par le recourant – qui annule une décision du Ministère public ordonnant l'établissement d'un profil d'ADN – ne lui est d'aucun secours et ne saurait donc être transposé ici. Dans ladite affaire, en particulier, le prévenu n'était soupçonné que d'infraction à la LEI – l'absorption par lui d’un parachute de stupéfiants n’ayant pas été retenue –. Tel n'est pas le cas ici, le recourant étant, comme on l'a vu, également soupçonné d'infraction à l'art. 19 LStup.
Partant, la mesure querellée n'apparaît pas inutile ou disproportionnée.
Que son coût soit éventuellement mis à la charge du recourant – ce qui n'est pas évident à ce stade, dès lors que cette question ne se posera qu'à l'issue de la procédure et à la condition que l'intéressé soit condamné – n'est donc pas pertinent.
En définitive, l'ordonnance querellée ne prête pas le flanc à la critique, les réquisits pour le prononcé de l'établissement du profil d'ADN du recourant étant réunis.
3. Justifiée, l'ordonnance attaquée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait d'emblée être traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
4. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 600.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).
5. Corrélativement, aucun dépens ne lui est dû (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 600.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Le communique, pour information, au Tribunal de police.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Françoise SAILLEN AGAD et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
| La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
| P/7803/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
| Débours (art. 2) | | |
| - frais postaux | CHF | 10.00 |
| Émoluments généraux (art. 4) | | |
| - délivrance de copies (let. a) | CHF | |
| - délivrance de copies (let. b) | CHF | |
| - état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
| Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
| - décision sur recours (let. c) | CHF | 515.00 |
| Total | CHF | 600.00 |