Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/599/2025 du 05.08.2025 sur OMP/15897/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/14793/2025 ACPR/599/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mardi 5 août 2025 |
Entre
A______, représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate, BAZARBACHI LAHLOU & ARCHINARD, rue Micheli-du-Crest 4, 1205 Genève,
recourant,
contre l'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN rendue le 30 juin 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 10 juillet 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 30 juin 2025, notifiée le jour même, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil d'ADN.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, principalement, à l'annulation de cette ordonnance, subsidiairement, au renvoi de la cause au Ministère public.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. À teneur des rapports de police du 29 juin 2025, A______, ressortissant guinéen, né le ______ 1999 et sous le coup d'une décision d'expulsion judiciaire –prononcée le 29 juin 2022 par le Tribunal de police pour une durée de cinq ans –, a été retrouvé ensanglanté ce jour-là devant le poste de police B______, sis rue 1______ no. ______, à Genève. Il avait précédemment été impliqué dans un conflit avec une travailleuse du sexe, qu'il avait tenté de frapper au visage, avant que ledit conflit ne virât à la rixe, à l'occasion de laquelle un coup de pied lui avait été assené au niveau du bassin et une bouteille en verre jetée violemment sur la tête, le blessant de la sorte, sans toutefois que sa vie ne fût mise en danger. Au vu de sa situation irrégulière et afin qu'il ne pût se soustraire à la procédure pénale, A______ a été placé en arrestation provisoire et acheminé aux urgences des Hôpitaux Universitaires de Genève.
b. Le jour même, après avoir été entendu par la police en qualité de personne appelée à donner des renseignements en lien avec l'altercation précitée, A______ a une nouvelle fois été auditionné en qualité de prévenu en lien avec sa situation irrégulière. Il a, à cette occasion, refusé de s'exprimer, faisant usage de son droit au silence.
c. Le 30 juin 2025, le Ministère public a ouvert une instruction contre :
- C______, notamment du chef de tentative de meurtre (art. 111 cum 22 CP), pour avoir tenté de tuer A______, à tout le moins par dol éventuel, en lui assénant un coup au niveau du visage à l'aide d'un tesson de bouteille; et
- A______, du chef de rupture de ban (art. 291 CP), pour avoir, entre le
12 avril 2025, lendemain de sa dernière condamnation pour rupture de ban, et le 29 juin 2025, persisté à séjourner sur le territoire suisse, alors qu'il savait faire l'objet d'une mesure d'expulsion du territoire suisse.
d. Lors de son audition par le Ministère public, le même jour, A______ a expliqué se trouver en Suisse depuis 2017. Il y était resté car il était "en procédure" et avait l'intention de quitter le territoire helvétique à l'issue de celle-ci. Au courant de la mesure d'expulsion dont il faisait l'objet, il était venu rencontrer son avocate afin de rédiger une plainte pénale contre l'individu également impliqué dans la présente procédure, lequel l'avait déjà "attaqué" par le passé.
e. Par ordonnance pénale du 30 juin 2025, le Ministère public a déclaré A______ coupable de rupture de ban (art. 291 CP), et l'a condamné à "une peine pécuniaire égale à zéro", dans la mesure où le plafond de 180 jours prévu par la loi avait déjà été atteint s'agissant de cette infraction.
f. S'agissant de sa situation personnelle, A______, célibataire, sans enfant à charge et sans emploi, a expliqué vivre de l'aide d'associations telles que D______.
À teneur de l'extrait de son casier judiciaire suisse, il a été condamné à onze reprises entre mai 2017 et avril 2025, dont quatre fois pour des délits contre la loi fédérale sur les stupéfiants (le 12 mai 2017, le 16 octobre 2019, le 24 août 2020 et le 22 août 2023), six fois pour des infractions à la législation sur les étrangers (les 12 mai et
23 novembre 2017, le 9 janvier 2018, les 16 octobre et 5 décembre 2019, ainsi que le 24 août 2020) et cinq fois pour rupture de ban (le 12 août 2021, le 29 juin 2022, le
22 août 2023, le 5 février 2024 et le 11 avril 2025).
Son expulsion a été ordonnée à deux reprises par le Tribunal de police, les
24 août 2020 et 29 juin 2022, pour des durées de trois, respectivement, cinq ans.
C. Le Ministère public motive l'ordonnance querellée par le fait que A______ avait déjà été soupçonné par la police d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN (cf. liste des infractions mentionnées dans la Directive A.5, art. 4), au vu de ses condamnations, les 16 octobre 2019, 24 août 2020 et 22 août 2023, notamment pour des délits contre la loi fédérale sur les stupéfiants.
D. a. Dans son recours, A______ indique avoir été victime d'une agression sauvage au moyen d'un tesson de bouteille, soit d'une tentative de meurtre, de sorte qu'il était contraire au principe de la proportionnalité de le soumettre à une telle mesure. Il déplorait une multiplication des ordonnances d'établissement de profil d'ADN, "les procureurs semblant donner plus d'importance à la Directive du Procureur général qu'au respect de la jurisprudence en la matière", faisant ainsi redouter une volonté "de ficher de manière massive les étrangers". L'établissement de son profil d'ADN avait déjà été ordonné à de très nombreuses reprises par le passé. Quand bien même les profils d'ADN seraient soumis à effacement après un certain délai, il ne se justifiait guère d'ordonner derechef à son égard une telle mesure – "arbitraire", "inutile" et portant atteinte à sa liberté personnelle, à sa dignité et à son droit d'être protégé contre l'emploi abusif des données le concernant –, dont les frais devraient être mis à sa charge et à celle du contribuable genevois, ce d'autant que son profil d'ADN pourrait de toute façon être conservé pendant 20 ans et qu'un tel profil ne changeait pas "au cours de la vie d'un être humain".
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN.
2.1. Comme toute mesure de contrainte, le prélèvement d'un échantillon d'ADN et l'établissement d'un profil d'ADN sont de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH; ATF 147 I 372 consid. 2.2; 145 IV 263 consid. 3.4). Ces mesures doivent ainsi être fondées sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 147 I 372 consid. 2.3.3).
L'art. 197 al. 1 CPP rappelle ces principes en précisant que des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si elles sont prévues par la loi (let. a), si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d).
2.2. Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2).
2.3. L'établissement d'un profil d'ADN, lorsqu'il ne sert pas à élucider une infraction pour laquelle une instruction pénale est en cours, est conforme au principe de la proportionnalité uniquement s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, mêmes futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2; 145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_217/2022 du 15 mai 2023 consid. 3.1). Il convient à cet égard également de prendre en considération les éventuels antécédents du prévenu; l'absence d'antécédents n'empêche pas encore de prélever un échantillon et d'établir le profil d'ADN de celui-ci, mais il faudra tenir compte de cet élément dans la pesée d'intérêts à réaliser (ATF 145 IV 263 consid. 3.4 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 précité consid. 4.3; 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).
2.4. En l'espèce, l'établissement du profil d'ADN du recourant a été ordonné pour élucider, non pas les infractions en cours d'instruction, mais d'autres actes contraires à la LStup, dès lors qu'il avait déjà été soupçonné pour des faits similaires.
À cet égard, il existe des indices sérieux et concrets de la commission, par le recourant, de tels actes punissables.
Il a en effet été condamné à quatre reprises, entre mai 2017 et août 2023, pour des délits contre la loi fédérale sur les stupéfiants. Ces condamnations à la LStup vont de pair avec des reproches répétés de situation irrégulière en Suisse, étant précisé qu'il a été condamné à six reprises, entre mai 2017 et août 2020, pour des infractions à la législation sur les étrangers, et à cinq reprises, entre août 2021 et avril 2025, pour rupture de ban. Dans le cadre de la présente procédure, il a une nouvelle fois été condamné pour rupture de ban, par ordonnance pénale du 30 juin 2025, contre laquelle il n'a pas fait opposition.
Ces nombreux antécédents, auxquels s'ajoute le contexte personnel du recourant, laissent craindre un ancrage dans la délinquance liée aux stupéfiants. Ces éléments permettent de penser que l'intéressé pourrait être impliqué dans d'autres infractions à la LStup encore inconnues des autorités, qui pourraient lui être attribuées si l'on était en mesure de comparer son profil d'ADN à des traces prélevées sur les lieux de leur commission.
Enfin, les infractions à la LStup susceptibles d'être élucidées revêtent une certaine gravité eu égard à la santé publique. Il s'agit d'ailleurs d'un des cas expressément listés par la Directive A.5 du Procureur général (cf. n. 4.3) qui, bien que n'ayant pas force de loi, est fondée sur l'art. 255 al. 1bis CPP, lequel autorise l'établissement d'un profil d'ADN pour les infractions passées.
Le recourant soutient qu'ordonner un nouvel établissement de son profil d'ADN alors qu'un tel profil, immuable, avait déjà été établi plusieurs fois par le passé, était arbitraire.
La Chambre de céans est toutefois d'avis [cf. notamment, ACPR/400/2025 du 23 mai 2025 consid. 2.3] que dans la mesure où les profils d'ADN sont soumis à effacement après un certain délai [cf. art. 16 de la Loi sur les profils d'ADN; RS 363], il existe un intérêt public prépondérant – quand bien même l'établissement du profil d'ADN aurait déjà été ordonné à une ou plusieurs reprises et son effacement n'interviendrait pas avant de nombreuses années –, à soumettre derechef le prévenu à cette mesure, pour autant que les conditions légales soient à nouveau réalisées, ce qui est le cas en l'espèce. Ce sont d'ailleurs les soupçons de la commission de nouvelles infractions – en l'occurrence un délit à la LStup – qui ont conduit le Ministère public à ordonner à nouveau l'établissement du profil d'ADN du recourant, afin d'en prolonger d'autant la date d'effacement dans les fichiers de la police. Dans la mesure où on se trouve dans une situation dans laquelle l'art. 255 al. 1bis CPP permet d'ordonner un tel établissement, la mesure est légale, et, partant, nullement arbitraire.
Le recourant invoque encore le droit à être protégé contre l'emploi abusif des données qui le concernent (art. 8 CEDH et art. 13 al. 2 Cst. féd.). Or, on ne voit pas en quoi le nouvel établissement de son profil d'ADN pourrait constituer une tel emploi abusif, puisqu'il a été ordonné sur la base – légale – de l'art. 255 al. 1bis CPP, dont les conditions sont remplies, comme cela a été retenu ci-dessus.
Ainsi, le fait, pour le Ministère public, d'avoir, dans de telles circonstances, ordonné une nouvelle fois l'établissement du profil d'ADN du recourant, afin d'en prolonger de quelques semaines le délai de conservation, n'apparait nullement disproportionné, quand bien-même l'échéance dudit délai n'interviendra que dans dix ou vingt ans.
Le recourant invoque encore que les frais de ce nouvel établissement de son profil d'ADN allaient être mis à sa charge et à celle du contribuable genevois. Il n'a toutefois pas été condamné à en supporter le coût et il ne saurait se soustraire à la mesure au prétexte que les frais pourraient incomber au contribuable genevois.
Au vu de ce qui précède, la mesure contestée n'apparait ni arbitraire, ni disproportionnée, et ne porte par ailleurs aucunement atteinte à la liberté personnelle du recourant, à sa dignité ou à son droit d'être protégé contre l'emploi abusif des données le concernant.
Que le recourant ait subi, à l'occasion d'une altercation survenue le même jour que son arrestation, des lésions corporelles – faits pour lesquels le Ministère public a ouvert, en parallèle, une instruction pour tentative de meurtre –, ne change rien à cette conclusion.
En définitive, l'ordonnance querellée ne prête pas le flanc à la critique, les réquisits pour le prononcé de l'établissement du profil d'ADN du recourant étant réunis.
3. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait d'emblée être traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
4. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixée en totalité à CHF 500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 500.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Valérie LAUBER, présidente; Madame Catherine GAVIN et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.
La greffière : Séverine CONSTANS |
| La présidente : Valérie LAUBER |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/14793/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 415.00 |
Total | CHF | 500.00 |