Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/585/2025 du 31.07.2025 sur OMP/13963/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/13038/2025 ACPR/585/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 31 juillet 2025 |
Entre
A______, représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate, BAZARBACHI LAHLOU & ARCHINARD, rue Micheli-du-Crest 4, 1205 Genève,
recourant,
contre l'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN rendue le 10 juin 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 20 juin 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du
10 juin 2025, communiquée le jour même en mains propres, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil d'ADN.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de la décision entreprise.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. À teneur du rapport d'arrestation du 9 juin 2025, A______, ressortissant sénégalais né le ______ 2003, a été interpellé le jour même à la rue 1______, à Genève, alors qu'il circulait en direction de Rive au guidon d'une trottinette électrique, en sillonnant entre les piétons sur le trottoir. Il se trouvait en outre en situation irrégulière sur le territoire cantonal.
b. Entendu le jour même par la police, A______ a admis avoir séjourné en Suisse sans les autorisations nécessaires. Il a expliqué qu'il était venu voir des amis. Il n'avait pas de domicile fixe et dormait dans un parc à B______, en France. Il savait faire l'objet d'une interdiction de périmètre cantonale, du 7 avril 2025, pour une durée de 18 mois, mais outrepassait cette interdiction pour se nourrir et mendier. Détenteur d'un titre de séjour italien, il était venu la première fois en Suisse en janvier 2025, mais n'y avait jamais résidé. Il rentrait tous les jours à B______, comme cela était le cas au moment de son interpellation. La trottinette lui appartenait, tout comme son téléphone. Les CHF 130.- retrouvés sur lui provenaient de la mendicité de la journée.
c. Devant le Ministère public, le lendemain, A______ a notamment répété qu'il était venu à Genève saluer des amis, malgré l'interdiction qui lui avait été notifiée.
d. S'agissant pour le surplus de sa situation personnelle, A______ n'a ni famille ni proches en Suisse et dit avoir des "amis". Il a indiqué dormir dans des parcs à B______ depuis le mois de novembre 2024 et a aussi indiqué subvenir à ses besoins en vendant des sacs.
L'extrait de son casier judiciaire suisse (au 10 juin 2025) ne fait état d'aucune condamnation entrée en force, mais de deux procédures en cours, à savoir la P/2______/2025, devant la Chambre pénale d'appel et de révision, pour séjour illégal et empêchement d'accomplir un acte officiel et la P/3______/2025 devant le Ministère public, pour infraction à la LEI et art. 19 LStup.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a ordonné l'établissement du profil d'ADN de A______, sous le titre "Infraction(s) passsée(s) (art. 255 al.1bis CPP)",
au motif que "le prévenu a déjà été soupçonné par la police d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN (cf. liste des infractions mentionnées dans la directive A.5, art. 4), soit pour infraction à l'art. 19 LStup".
D. a. Dans son recours, A______ dénonce avoir fait l'objet d'un contrôle d'identité sur son faciès et invoque une violation de plusieurs droits fondamentaux – droit à une décision motivée (art. 13 para. 1 CEDH), liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.), protection contre l'emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst.), droit à la sphère privée (art. 13 Cst. et art. 8 CEDH) et interdiction de discrimination (art. 8 Cst. et 14 CEDH) – ainsi que du principe de la proportionnalité (art. 36 Cst.). L'établissement de son profil d'ADN n'apparaissait pas justifié puisqu'il avait été récemment établi, le 23 mai 2025. Le recours systématique à des mesures de contrainte intrusives, pourtant prohibé par le Tribunal fédéral, sans examen individualisé au cas par cas, constituait une dérive préoccupante, ce d'autant plus lorsqu'une telle pratique visait de manière récurrente des personnes étrangères. Il était par ailleurs choquant qu'une telle mesure fût justifiée par la seule invocation d'une Directive du Procureur général, laquelle était traitée comme une norme législative en violation de la séparation des pouvoirs. Il y avait dès lors lieu d'annuler l'ordonnance querellée, de procéder à l'effacement de son profil d'ADN, ainsi qu'à la destruction des échantillons prélevés.
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN.
2.1. Comme toute mesure de contrainte, le prélèvement d'un échantillon d'ADN et l'établissement d'un profil d'ADN sont de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH; ATF 147 I 372 consid. 2.2; 145 IV 263 consid. 3.4). Ces mesures doivent ainsi être fondées sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 147 I 372 consid. 2.3.3).
L'art. 197 al. 1 CPP rappelle ces principes en précisant que des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si elles sont prévues par la loi (let. a), si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d).
2.2. Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2).
2.3. L'établissement d'un profil d'ADN, lorsqu'il ne sert pas à élucider une infraction pour laquelle une instruction pénale est en cours, est conforme au principe de la proportionnalité uniquement s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, mêmes futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2; 145 IV 263
consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_217/2022 du 15 mai 2023 consid. 3.1). Il convient à cet égard également de prendre en considération les éventuels antécédents du prévenu; l'absence d'antécédents n'empêche pas encore de prélever un échantillon et d'établir le profil d'ADN de
celui-ci, mais il faudra tenir compte de cet élément dans la pesée d'intérêts à réaliser (ATF 145 IV 263 consid. 3.4 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 précité consid. 4.3; 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).
2.4. En l'espèce, l'établissement du profil d'ADN a été ordonné pour élucider, non pas les infractions en cours d'instruction, mais d'autres infractions contraires à la LStup, dès lors que le recourant avait déjà été soupçonné pour des faits similaires.
À cet égard, il existe effectivement des indices sérieux et concrets de la commission, par le recourant, de tels actes punissables, quand bien même l'extrait de son casier judiciaire suisse ne fait état d'aucune condamnation entrée en force. Depuis son arrivée en Suisse en janvier 2025, A______ est connu des autorités suisses pour la vente de stupéfiants qui va de pair avec des reproches de séjours illégaux (cf. P/3______/2025).
Aussi, d'autres infractions à la LStup ne sauraient être exclues, compte tenu de l'absence de tout revenu avéré connu au recourant. Ce dernier a expliqué qu'il venait régulièrement à Genève pour mendier ou encore qu'il s'adonnait à la vente de sacs, sans plus de précisions, ce qui laisse penser qu'il a pu se livrer à d'autres reprises à des actes contraires à la LStup, ce d'autant qu'il avait en sa possession, le 9 juin 2025,
CHF 130.- sans rapport avec la situation personnelle alléguée. Ce contexte personnel laisse ainsi craindre un ancrage du recourant dans la délinquance liée aux stupéfiants et qu'il pourrait être impliqué dans d'autres infractions à la LStup, lesquelles pourraient lui être attribuées si l'on était en mesure de comparer son profil d'ADN à des traces prélevées sur les lieux de leur commission.
Enfin, les infractions à la LStup susceptibles d'être élucidées revêtent une certaine gravité eu égard à la santé publique. Il s'agit d'ailleurs d'un des cas expressément listés par la Directive A.5 du Procureur général (cf. n. 4.3) qui, bien que n'ayant pas force de loi, est fondée sur l'art. 255 al. 1bis CPP, lequel autorise l'établissement d'un profil d'ADN pour les infractions passées.
Partant, la mesure querellée n'apparaît pas illégale ni disproportionnée.
À titre superfétatoire, le recourant ne saurait tirer argument du fait que son profil d'ADN aurait d'ores et déjà été établi. Dès lors que les profils d'ADN sont soumis à effacement après un certain délai (cf. art. 16 de la Loi sur les profils d'ADN; RS 363), il existe un intérêt, quand bien même l'établissement de son profil d'ADN aurait déjà été ordonné et son effacement n'interviendrait pas avant de nombreuses années, à le soumettre derechef à cette mesure, pour autant bien évidemment que les conditions soient à nouveau réalisées, ce qui est le cas en l'espèce. Cet intérêt public prime celui – privé – du recourant à ce que son profil d'ADN ne soit pas établi une nouvelle fois. Ainsi, quand bien même le Ministère public aurait, dans de telles circonstances et comme le recourant le soutient, ordonné une nouvelle fois l'établissement de son profil d'ADN, un tel acte n'apparait nullement disproportionné.
3. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.
4. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 800.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
5. Corrélativement, aucun dépens ne lui sera alloué (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 800.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Mesdames Valérie LAUBER et Catherine GAVIN, juges ; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/13038/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 800.00 |
Total | CHF | 885.00 |