Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/546/2025 du 15.07.2025 sur ONMMP/5352/2024 ( MP ) , ADMIS
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/16374/2024 ACPR/546/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mardi 15 juillet 2025 |
Entre
A______, représenté par Me B______, avocat,
recourant,
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 3 décembre 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte déposé le 16 décembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 3 décembre 2024, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 11 juillet 2024.
Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance précitée, au renvoi de la procédure au Ministère public pour ouverture d'instruction, identification et audition du chauffeur du taxi immatriculé GE 1______ et à l'allocation d'une indemnité équitable de CHF 1'000.- au titre de participation à ses honoraires d'avocat.
b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 11 juillet 2024, A______, exerçant une activité de chauffeur professionnel à Genève, a déposé plainte pénale pour tentative de lésions corporelles graves, subsidiairement lésions corporelles simples, menaces et injures. Le 8 juillet 2024, vers 19h00, un individu, chauffeur de taxi conduisant le véhicule immatriculé GE 2______, s'en était physiquement et verbalement pris à lui sur le parking C______ de l'aéroport. L'individu l'avait traité notamment "d'imbécile" et avait proféré des menaces de mort à son encontre, hurlant vouloir le tuer, ce qui l'avait effrayé. Ce dernier l'avait violemment saisi par le cou durant de longues minutes et il avait manqué de perdre connaissance. Grâce à l'intervention de passants, il avait été délivré puis s'était rendu à l'Hôpital D______ où la Dre E______ avait constaté des contusions et lésions superficielles à son cou. Ayant éprouvé des difficultés et des douleurs à la déglutition, ainsi que des maux de tête, il avait été particulièrement choqué et n'était plus en mesure de travailler. Les faits avaient certainement été filmés, des caméras de vidéosurveillance se trouvant sur les lieux.
À l'appui de sa plainte, A______ a produit un constat médical établi le 9 juillet 2024 par la Dre E______ concluant à une contusion et lésion superficielle du cou et dont l'anamnèse reproduit les faits précités.
b. Le 11 juillet 2024, le Ministère public a transmis la plainte à la police pour complément d'enquête.
c. Par courrier du 11 septembre 2024, reçu le 12, A______ a signalé au Ministère public que l'immatriculation du taxi du chauffeur l'ayant agressé était GE 1______, ledit chauffeur se prénommant F______ et étant atteignable au +41_3______. Ce courrier a été transmis par le Ministère public au gendarme en charge du dossier, le jour-même.
d.a. Auditionné le 27 septembre 2024, suite à un mandat de comparution du
15 précédent, F______, identifié comme chauffeur du véhicule immatriculé GE 2______, a contesté les faits. Il n'avait pas d'accès au parking C______ de l'aéroport et n'était pas sur place à la période concernée. Interrogé sur une plainte d'un client de taxi, il a indiqué que le client devait avoir confondu les plaques de son taxi avec un autre.
d.b. Selon le rapport de police du 29 septembre 2024, F______ avait produit des quittances de passage au tunnel du Mont-Blanc, ainsi que son agenda de travail, tendant à prouver qu'il était en vacances au Kosovo le jour des faits. Aucune image de vidéosurveillance n'était disponible concernant ces derniers. Il n'était pas possible de "statuer sur la culpabilité" de F______.
C. Dans son ordonnance de non-entrée en matière, le Ministère public a relevé que les versions des parties étaient contradictoires. Du fait que le détenteur des plaques d'immatriculation dénoncé par le plaignant avait prouvé par pièce ne pas être à Genève le jour de l'attaque. Compte tenu de l'absence d'images de vidéosurveillance, il n'existait pas de prévention pénale suffisamment établie et une non-entrée en matière devait être rendue. Une reprise de la procédure préliminaire pourrait être ordonnée en cas de nouveaux moyens de preuve ou de faits nouveaux révélant une responsabilité pénale d'un prévenu ou de F______.
D. a. Dans son recours, A______ relève que son courrier du 11 septembre 2024 avait été envoyé au Ministère public avant même que le mandat de comparution ne fût adressé par la police à F______. Comme mentionné dans le courrier précité, il s'était rendu compte après son dépôt de plainte que l'auteur des faits n'était pas F______ mais le chauffeur du taxi immatriculé GE 1______, également prénommé F______. Le Ministère public n'avait effectué aucun acte d'enquête après qu'il avait donné le numéro de cette plaque. Or l'identification de l'intéressé permettrait indubitablement de faire avancer l'enquête. A______ avait des prétentions en réparation du dommage matériel et en tort moral.
b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. Le courrier du 11 septembre 2024 avait été transmis à la police le jour de sa réception. Il ignorait les raisons pour lesquelles ce courrier n'avait pas été versé au dossier, vraisemblablement en raison d'une erreur administrative. Le chauffeur du taxi GE 2______ avait été identifié et entendu. Les pièces versées ayant rendu son absence de Genève au moment des faits vraisemblable, une ordonnance de non entrée en matière avait été rendue.
c. Dans sa réplique, A______ rappelle que son courrier du 11 septembre 2024 fait mention du taxi immatriculé GE 1______. Il était loisible au Ministère public d'identifier et entendre ce dernier, ce qui n'avait pas été fait.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. 2.1. Le Ministère public prononce une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (art. 310 al. 1 let. a CPP).
Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (arrêt 6B_196/2020 précité; ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; ATF 138 IV 86 consid. 4.1; ATF 137 IV 219 consid. 7).
2.2. L'art. 123 ch. 1 CP réprime, sur plainte, quiconque, intentionnellement, fait subir à une personne une autre atteinte – que grave – à l'intégrité corporelle ou à la santé. Cette disposition protège l'intégrité corporelle et la santé tant physique que psychique. Elle implique une atteinte importante aux biens juridiques ainsi protégés.
Sous l'angle subjectif, cet article décrit une infraction intentionnelle, ce qui signifie que l'auteur doit adopter le comportement typique avec conscience et volonté (art. 12 al. 2 CP). Cette intention doit porter sur tous les éléments constitutifs de l'infraction, le dol éventuel – l'auteur doit avoir envisagé le résultat dommageable et s'en être accommodé – étant toutefois suffisant (ATF 119 IV 1 consid. 5a et 103 IV 65 consid. I.2).
2.3. En l'espèce, outre d'autres infractions, le plaignant a déposé plainte pour tentative de lésions corporelles graves, subsidiairement lésions corporelles simples, contre une personne non identifiée. Le certificat de la Dre E______ versé à la procédure confère de la vraisemblance aux faits du 8 juillet 2024 qu'il a dénoncés, de sorte qu'il se justifie de chercher à identifier la personne qui pourrait en être l'auteur.
Le Ministère public a mentionné qu'une erreur administrative pouvait être à l'origine du non versement au dossier du courrier du 11 septembre 2024, pourtant transmis à la police le même jour, par lequel le recourant a signalé son erreur initiale concernant l'immatriculation du taxi dont il reprochait au chauffeur les faits dénoncés. On ne peut cependant que conclure que la police n'a pas pris en compte ledit courrier, qu'elle a pourtant reçu avant même l'envoi du mandat de comparution à F______, dès lors qu'elle n'en fait aucune mention dans son rapport du 29 septembre 2024, pas plus que du chauffeur de taxi dont le véhicule porterait les plaques d'immatriculation GE 1______. Une telle confusion paraît d'autant plus plausible que le précité a fourni des pièces prouvant qu'il n'était pas l'auteur des faits reprochés.
À teneur de ce qui précède, l'on ne saurait considérer qu'aucun soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable n'est effectif dans la présente procédure, que la situation est claire sur le plan factuel ou qu'aucun acte d'enquête ne permettrait de faire progresser l'enquête.
L'ordonnance de non-entrée en matière querellée, constatant une absence de responsabilité pénale, paraît donc à tout le moins prématurée. Il convient dès lors de renvoyer la procédure au Ministère public afin de procéder ou faire procéder à l'identification puis à l'audition du chauffeur du taxi immatriculé GE 1______. L'éventuelle confrontation des parties pourra ensuite être envisagée, si le Ministère public l'estime utile.
En conséquence, le Ministère public ne pouvait prononcer une ordonnance de non-entrée en matière, les conditions de l'art. 310 al. 1 let. a CPP n'étant pas réunies.
3. Fondé, le recours doit être admis ; partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour un nouveau complément d'enquête ou ouverture d'une instruction (art. 309 al. 2 CPP).
4. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP). Les sûretés versées par le recourant lui seront donc restituées.
5. Le recourant, partie plaignante qui obtient gain de cause, conclut à une "équitable indemnité" de CHF 1'000.- pour ses frais d'avocat.
N'ayant pas justifié de ses dépens, comme exigé par l'art. 433 al. 2 CPP, applicable en instance de recours (art. 436 al. 1 CPP), il ne lui en sera point alloué.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Admet le recours.
Annule l'ordonnance de non-entrée en matière du 3 décembre 2024 et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.
Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.
Ordonne la restitution à A______ des sûretés versées pour la procédure de recours.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Valérie LAUBER, présidente; Monsieur Vincent DELALOYE, juge; Monsieur Pierre BUNGENER, juge suppléant; Madame Séverine CONSTANS, greffière.
La greffière : Séverine CONSTANS |
| La présidente : Valérie LAUBER |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).