Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/172/2025 du 28.02.2025 sur ONMMP/115/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/277/2025 ACPR/172/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du vendredi 28 février 2025 |
Entre
A______, représenté par Me Yvan JEANNERET, avocat, Keppeler Avocats, rue Ferdinand-Hodler 15, Case postale 6090, 1211 Genève 6,
recourant,
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 9 janvier 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 24 janvier 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 9 précédent, notifiée le 14 suivant, par laquelle le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur sa plainte.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à l'ouverture d'une instruction contre B______ des chefs d'infraction d'escroquerie et d'abus de confiance.
b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 31 décembre 2024, A______ a déposé plainte contre B______, l'accusant de l'avoir "escroqué" pour un montant total de CHF 29'800.- (arrondi), sous la forme d'une "série de prêts".
En 2021, B______ lui avait demandé CHF 12'000.- pour l'achat d'un appartement à C______ (Italie), montant qu'il lui avait accordé. Un contrat avait été signé pour cette opération, dans le cadre duquel D______ intervenait comme caution pour son frère, B______. Au cours de la même année, ce dernier avait "occasionnellement" quémandé de "petites sommes", prétextant un divorce conflictuel. Par amitié, il avait consenti à aider B______, lequel avait remboursé une partie des montants prêtés, par des versements irréguliers entre 2021 et 2024, à concurrence de CHF 12'000.-. Durant cet intervalle, il avait fréquemment hébergé l'intéressé, lorsque celui-ci venait travailler à Genève.
En 2023, B______ lui avait expliqué qu'il comptait utiliser le million d'euros que son beau-frère, E______, qui en avait gagné le double en "jouant en ligne", était d'accord de lui céder, pour le rembourser intégralement. En juin 2024, B______ l'avait informé qu'il voulait ainsi débloquer EUR 250'000.- d'un compte bancaire appartenant à E______, précisant toutefois que la banque exigeait des versements de CHF 1'000.- dans des délais très brefs (un jour ou moins). À ce propos, B______ lui avait communiqué des "demandes et réponses par courriels de ladite banque [dépositaire] avec Mme F______, vivant à Séoul et amie de E______". Il ressortait de ces courriels que B______ demandait également à son beau-frère de participer aux déblocages des fonds, ce qui avait contribué à renforcer sa confiance et l'avait convaincu de prêter les sommes sollicitées. Il avait finalement découvert que B______ n'avait pas l'intention de le rembourser et qu'il était même un "criminel expérimenté", avec plusieurs "victimes" à son actif.
b. Figurent parmi les pièces produites avec cette plainte:
- des tableaux récapitulatifs des "prêts" et des "remboursements". Selon ceux-ci, A______ a prêté CHF 17'576.38 (entre 2021 et 2023, pour "achat loggia C______" et "dépannages") et CHF 24'147.21 (en 2024) à B______, lequel a remboursé CHF 12'000.- au total, affichant un solde de CHF 29'723.59 [CHF 17'576.38 + CHF 24'147.21 – CHF 12'000.-] en faveur du premier;
- divers documents faisant état de versements à B______, par des flux entre établissements bancaires français;
- l'avis officiel d'achat, par B______, de l'appartement à C______;
- des extraits de conversation WhatsApp entre A______ et B______, desquels il ressort que le second demandait régulièrement au premier des versements pour divers motifs (comme "maintenir la réception du code d'accès au compte français" ou "pour que [s]on téléphone soit corrélé à son identité, sur un principe évident d'évasion fiscale");
- des échanges de courriels entre B______ et F______ (à l'adresse électronique: "F______seoul@hotmail.com") de juillet et septembre 2024, transmis par le premier à A______. L'un de ces messages a la teneur suivante: "Monsieur, je desole de vous derange encore mais le bank me reclame de paye a le site le montante de 449 euro pour envoye a moi le code de debloque dans le 2 heure, Pour le compte coreen mon père me dire que je va pouvoir le utilise cet mercredi pour le transaction a le international. Si vous ne paye pas cet 449 rien ne les annule juste de le attendre a le 12 août".
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que les éléments dénoncés ne remplissent pas les éléments constitutifs des infractions d'escroquerie et d'abus de confiance. A______ ne décrivait pas quels moyens astucieux B______ avait utilisé pour obtenir l'argent, ni un quelconque lien de confiance avec ce dernier. Les échanges de courriels entre B______ et F______ ne démontraient pas une tromperie astucieuse, même s'ils avaient encouragé A______ à prêter les sommes demandées. Le litige revêtait un caractère civil prépondérant et les flux d'argents entre des comptes bancaires français ne relevait pas de la compétence des autorités de poursuite pénale suisses.
D. a. Dans son recours, A______ explique qu'en tant que "profane", il n'avait pas su insister sur les éléments importants à décrire dans sa plainte. Ainsi, son amitié avec B______, qu'il avait régulièrement hébergé, avait favorisé les nombreux versements consentis. Il était "hautement vraisemblable" que le précité avait profité de ce lien pour construire un édifice de mensonges et le convaincre de lui prêter cet argent. Il était ainsi nécessaire d'entendre les parties sur ce point et d'examiner l'intégralité des échanges de courriels. L'affaire ne pouvait être considérée comme relevant du droit civil exclusivement et, pour le surplus, il avait également transféré certaines sommes à B______ depuis son compte bancaire genevois.
b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte.
2.1. Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.
2.2. Se rend coupable d'escroquerie au sens de l'art. 146 CP, quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, induit astucieusement en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou la conforte astucieusement dans son erreur et détermine de la sorte la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers
Il y a tromperie astucieuse, au sens de cette disposition, lorsque l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison d'un rapport de confiance particulier
(ATF 142 IV 153 consid. 2.2.2; 135 IV 76 consid. 5.2).
L'astuce n'est pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d'attention ou éviter l'erreur avec le minimum de prudence que l'on pouvait attendre d'elle. Il n'est pas nécessaire, pour qu'il y ait escroquerie, que la dupe ait fait preuve de la plus grande diligence et qu'elle ait recouru à toutes les mesures de prudence possibles. La protection n'est pas exclue à chaque imprudence de la dupe, mais seulement dans les cas de négligence qui font passer le comportement frauduleux de l'auteur en arrière-plan. Une responsabilité de la victime excluant la punissabilité de l'auteur de la tromperie ne sera admise que dans des cas exceptionnels (ATF 142 IV 153 consid. 2.2.2; 135 IV 76 consid. 5.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_645/2021 du 28 avril 2022 consid. 3.1).
2.3. Commet un abus de confiance, au sens de l'art. 138 ch. 1 al. 2 CP, la personne qui, sans droit, emploie à son profit des valeurs patrimoniales qui lui ont été confiées.
Cette infraction suppose qu'une valeur ait été confiée, autrement dit que l'auteur ait acquis la possibilité d'en disposer, mais que, conformément à un accord (exprès ou tacite) ou un autre rapport juridique, il ne puisse en faire qu'un usage déterminé (ATF 143 IV 297 consid. 1.3; 133 IV 21 consid. 6.2). Le comportement délictueux consiste à utiliser la valeur patrimoniale contrairement aux instructions reçues, en s'écartant de la destination fixée (ATF 129 IV 257 consid. 2.2.1).
Celui qui transfert des valeurs patrimoniales à un tiers en contrepartie d'une prestation ne les lui "confie" pas, de sorte que le tiers ne peut pas être puni pour abus de confiance s'il ne verse pas la contre-prestation (ATF 133 IV 21 consid 6 et 7;
118 IV 239 consid. 2b).
Un abus de confiance peut entrer exceptionnellement en ligne de compte dans le contexte d'un prêt. Tel est notamment le cas lorsque le contrat de prêt contient une obligation, à charge de l’emprunteur, de conserver la contre-valeur de ce qu’il a reçu, soit une obligation de rembourser en tout temps. Il est toutefois nécessaire que l’affectation des valeurs patrimoniales soit définie avec clarté et serve à couvrir les risques du prêteur ou, du moins, à diminuer son risque de perte. L'affectation convenue doit donc représenter en elle-même une forme de garantie. L'utilisation de l'argent prêté contrairement à sa destination convenue peut dès lors être constitutive d'abus de confiance lorsqu'elle remet en cause cet objectif et s'avère propre à causer un dommage (ATF 129 IV 257 consid. 2.2.2 et 2.3; M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 35 ad art. 138).
2.4. En l'espèce, le recourant explique avoir prêté – par amitié – un total de CHF 41'723.59 au mis en cause, lequel lui en aurait remboursé CHF 12'000.-.
Si, pour lui, il est "hautement vraisemblable" que le mis en cause aurait profité de ce lien amical pour asseoir sa tromperie astucieuse, il ne fournit toutefois aucun détail sur les moyens usés pour le duper, ni sur les raisons qui l'auraient empêché de les vérifier.
Au contraire, il ressort plutôt du dossier que le mis en cause a bel et bien utilisé une partie de l'argent prêté pour acquérir un bien immobilier à C______. Il n'est également pas établi, ni même allégué par le recourant, que le mis en cause aurait inventé les soucis financiers liés à son divorce et qui ont donné lieu aux avances de "petites sommes" dès 2021. De surcroît, les montants dont il est question ici ont été partiellement remboursés au recourant.
Pour les sommes versées en 2024, dans le cadre des démarches visant prétendument à "débloquer" les avoirs bancaires, si tromperie il devait y avoir – question qui peut souffrir de rester indécise –, elle ne serait de toute manière pas astucieuse.
Le recourant ne prétend pas avoir procédé à la moindre vérification avant de consentir aux divers versements demandés. Il a ainsi prêté un total de CHF 24'147.21 sur la seule parole du mis en cause et de demandes par courriels, ne lui étant pas directement adressées, émanant d'une personne qu'il ne connaissait pas et supposément située à Séoul. Or, rien ne permet de considérer que la nature de son amitié avec le mis en cause le plaçait dans une situation d'une confiance absolue, au point de le dissuader de se renseigner sur la nature des opérations en cause. Pourtant, au regard des motifs invoqués par l'intéressé pour demander certaines sommes, il y avait matière à s'interroger.
S'agissant des demandes de F______ que le mis en cause lui a transmis, leur teneur, rédigés dans un français très approximatif, leur contenu, aux explications sibyllines, ainsi que l'adresse électronique utilisée, générique et sans ancrage avec un quelconque établissement bancaire, étaient de nature à éveiller des soupçons. Des doutes qui auraient facilement pu être dissipés tant auprès du mis en cause que de la première concernée.
Dans ces circonstances, il ne peut être retenu que le recourant aurait fait preuve du minimum de prudence que l'on pouvait attendre de lui avant de consentir au versement d'un tel montant. Partant, les éléments constitutifs de l'infraction d'escroquerie n'apparaissent pas réalisés.
Il en va de même pour l'infraction d'abus de confiance.
Comme exposé plus haut, l'argent prêté au mis en cause pour l'achat du bien immobilier à C______ a servi cette fin et rien ne permet de considérer que les "petites sommes" avancées pour aider ce dernier auraient été détournées dans un autre but. Pour le surplus, il n'est pas non plus établi que les sommes versées en 2024 n'auraient pas été utilisées comme annoncé par le mis en cause. Quoiqu'il en soit, elles ne sauraient pas être considérées comme des valeurs "confiées" au sens de l'art. 138 CP, à défaut d'avoir une affectation clairement prédéfinie et en l'absence d'une obligation, pour le mis en cause, de conserver la contre-valeur de l'argent reçu.
3. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait d'emblée être traité sans échange d'écritures, ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
4. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.
Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.
La greffière : Olivia SOBRINO |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/277/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 915.00 |
Total | CHF | 1'000.00 |