Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/935/2024 du 12.12.2024 sur ONMMP/3673/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/19247/2024 ACPR/935/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 12 décembre 2024 |
Entre
A______ SA, représentée par Me Camille FROIDEVAUX, avocat, Budin & Associés, rue De-Candolle 17, case postale 166, 1211 Genève 12,
recourante,
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 23 août 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte déposé le 6 septembre 2024, A______ SA recourt contre l'ordonnance du 23 août 2024, notifiée le 26 suivant, par laquelle le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur sa plainte du 16 précédent.
La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à ce qu'il soit ordonné au Ministère public d'ouvrir une instruction.
b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'500.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a.a. A______ SA, société sise à B______ [JU], est notamment active dans l'achat, la vente, l'exploitation et la gérance de biens immobiliers.
a.b. C______ AG – dont D______ est l'administrateur président – est une société zougoise – détenue par E______ AG – active dans le même domaine. Elle était propriétaire de la parcelle no 1______ de la commune de Genève, sur laquelle est érigée un souterrain, ainsi qu'un immeuble sis rue 2______ no. ______ et rue 3______ nos. ______ (ci-après, l'immeuble).
a.c. F______ SA – créée le ______ 2022 – est une société genevoise ayant pour but l'achat, la vente et la commercialisation de produits de luxe. G______ et H______ en étaient les administrateurs jusqu'au 13 mai 2024, date à laquelle la seconde nommée a été remplacée par I______. Le siège social était situé no. ______ rue 2______, jusqu'à cette dernière date. Il se trouve actuellement au no. ______ chemin 4______ à J______ [GE].
a.d. K______ SA est une société ayant son siège à L______ [VD] et dont le but est "la promotion des relations commerciales et culturelles entre la Suisse et P______ [pays], ainsi qu'entre l'Europe et P______ […]". M______ en est l'administrateur avec signature individuelle.
b. Le 18 juillet 2022, C______ AG, en qualité de bailleresse, et F______ SA et K______ SA, en qualité de locataires, ont conclu un contrat de bail à loyer commercial – d'une durée initiale de dix ans dès le 15 précédent – portant sur la location d'une surface de 154 m2 au premier étage de l'immeuble (ci-après, le local commercial). Le loyer annuel s'élevait à CHF 369'600.- – soit CHF 2'400 le m2 – et était dû à compter du 1er janvier 2023 (art. 5). Le bailleur était autorisé à pénétrer dans les locaux moyennant un préavis donné au minimum 48 heures à l'avance (art. 16.1).
c. Les 23 novembre et 1er décembre 2022, par l'intermédiaire de N______ SARL, les locataires ont déposé deux demandes d'autorisation de construire portant sur le local commercial, la première – refusée par l'Office des autorisations de construire (ci-après, OAC) le 25 novembre 2022 – comportant les passages suivants: "[s]urface brute de plancher: 1,00 m2; [c]oût estimé: 1,00 fr", et la seconde – admise le 14 février 2023 par l'autorité précitée – mentionnant des coûts estimés à CHF 120'000.- (pour une surface de plancher de 122 m2), et une durée de travaux de trois mois, à partir du 1er janvier 2023.
Les plans d'architecte et le registre des signatures – figurant au dossier des demandes d'autorisation – contiennent la signature de D______ en sa qualité de représentant du propriétaire.
d.a. Par acte authentique du 27 juin 2023, C______ AG a vendu à A______ SA l'immeuble pour le prix de CHF 133'000'000.-.
Aux termes de l'art. 12 du contrat, le vendeur s'engageait à mettre à disposition de l'acquéreur tous les documents qui pourraient être utiles à ce dernier, en particulier les polices d'assurances, les plans, les autorisations et les factures relatives aux travaux réalisés.
L'art. 13 stipulait que la totalité de l'immeuble était loué. L'acquéreur reconnaissait avoir connaissance des clauses des baux en vigueur et avoir eu l'occasion d'en vérifier les contenus. C______ AG garantissait notamment "[qu]'aucun loyer ou acompte de charges n'[était] en retard [et qu]'il n'exist[ait] avec les locataires aucun contentieux déclaré ou occulte de quelque nature que ce soit; avec les réserves suivantes : […] F______ SA: Le vendeur doit à ce locataire CHF 550'000.- […] pour ses travaux d'aménagement". L'art. 18 précisait que ce montant était dû par une société sœur du vendeur et que C______ AG "n'[était] pas lié à l'exécution des travaux d'aménagement du locataire".
L'état locatif de l'immeuble au 1er octobre 2022 – annexé au contrat de vente – recense 27 objets sous location d'un montant total de loyers de CHF 3'929'481.-. La rubrique concernant le locataire F______ SA comprend les mentions suivantes: "[l]oyer mens. 30 800.00"; "[l]oyer annuel 369 600.00" et "[p]rix/m2 2400".
d.b. Aux dires de A______ SA, ce loyer, "largement supérieur au loyer moyen d'une surface similaire", se justifiait, dès lors que O______ AG – "société sœur de C______ AG" – s'était engagée contractuellement à financer les travaux dans le local commercial à hauteur de CHF 1.5 million.
e. Le 12 décembre 2023, A______ SA a mis en demeure les locataires de régler dans les trente jours CHF 134'728.90 à titre d'arriéré de loyers et de charges pour la période du 1er septembre au 31 décembre 2023, et les a informés de son intention, à défaut de paiement intégral dans le délai imparti, de résilier le bail.
f. Par courrier du 10 janvier 2024, F______ SA et K______ SA, sous la plume de leur conseil, ont déclaré résilier le bail, dès lors que le local commercial – faute de permis de construire – n'était pas approprié à l'usage pour lequel il avait été loué et que le nouveau bailleur, contrairement à l'ancien, avait refusé de suspendre le paiement du loyer.
g. Le même jour, F______ SA et K______ SA ont saisi la Commission de conciliation en matière de baux et loyers (ci-après, la Commission) d'une requête tendant notamment à la validation de la résiliation et au constat qu'ils étaient libérés de toute obligation de paiement.
À l'issue de l'audience de conciliation, la Commission leur a délivré l'autorisation de procéder. Aucune action n'a cependant été introduite devant le Tribunal des baux et loyers.
h. Par courrier du 6 février 2024 adressé au conseil de F______ SA et K______ SA, A______ SA a demandé à visiter le local dans les plus brefs délais, ce à quoi ce dernier a répondu, par lettres des 8 et 26 suivant, ne pas être en mesure de donner suite à cette requête, dès lors que les représentants de ses clients se trouvaient à l'étranger. Par ailleurs, "les démarches déployées par [s]es mandantes [avaient], avec peine finalement abouti à une autorisation de construire. Dans le cadre de la liquidation des rapports entre bailleur et locataires, les droits découlant dudit permis de construire pourraient être cédés".
i. Aux dires de A______ SA, son mandataire a pu constater le 9 février 2024 – à l'occasion d'une visite du local commercial – qu'aucuns des travaux n'avaient été réalisés.
j. Le 24 mai 2024 – en réponse à des courriers de A______ SA des 16, 23 et 29 avril précédent [lesquels n'ont pas été produits par cette dernière dans sa plainte] –, C______ AG a exposé avoir fourni à l'acheteur toutes informations sur les relations avec les locataires de l'immeuble. Les difficultés rencontrées par F______ SA et K______ SA dans l'obtention du permis de construire ne justifiaient en aucun cas la résiliation du bail, ce d'autant qu'elles avaient été libérées de l'obligation de payer le loyer entre juillet 2022 et juin 2023. Elle ignorait l'ampleur et la durée des travaux envisagés par elles. Elles avaient causé un dommage à sa société sœur en n'ayant pas aménagé le local commercial et ce, malgré les sommes conséquentes qui leur avaient été remises dans ce but précis.
Elle ne répondait pas du dommage subi par l'acheteur du fait de la résiliation du bail par F______ SA et K______ SA. Ainsi – dans la mesure où elle ne s'était pas portée garante du paiement de loyer par les sociétés précitées –, les prétentions de A______ SA en réduction du prix de vente de l'immeuble étaient infondées.
k. Le 16 août 2024, A______ SA a déposé plainte contre C______ AG, F______ SA, K______ SA, et toute autre personne impliquée, pour escroquerie et faux dans les titres, leur reprochant de l'avoir – par un procédé astucieux, comportant l'usage de faux documents – conduite à acquérir l'immeuble à un prix supérieur à sa valeur réelle.
Après vérifications, il s'était avéré que F______ SA et K______ SA n'avaient jamais disposé d'une boîte aux lettres dans l'immeuble, ni exercé une réelle activité commerciale, la première nommée ayant été, au demeurant, fondée peu avant la conclusion du bail. Tout portait ainsi à croire qu'elles n'avaient pas eu l'intention d'occuper les locaux, de sorte que le contrat de bail du 18 juillet 2022 et l'état locatif – annexé à l'acte de vente – ne reflétaient pas la réalité. En outre, les demandes d'autorisation de construire étaient fictives, dès lors que les travaux prévus n'avaient pas été réalisés – ce que le vendeur savait, mais avait omis d'annoncer – et que les coûts prétendus de ceux-ci étaient largement inférieurs aux montants des subventions prétendument allouées aux locataires. Par ailleurs, le vendeur avait tu la réduction de loyer accordé pour la période de janvier-juin 2023 et faussement prétendu que le contrat de bail aurait été conclu par le biais d'un courtier mandaté pour l'occasion. Enfin, F______ SA et K______ SA avaient résilié le bail, puis déposé une requête en conciliation – non suivie d'une procédure au fond – dans le but de "semer la confusion".
Elle n'était pas en mesure de découvrir ces agissements frauduleux avant l'achat de l'immeuble, dès lors que seuls les contrats de bail avaient été portés à sa connaissance et que les locataires lui avaient refusé l'accès au local commercial préalablement à la conclusion de la vente. Elle n'avait d'ailleurs aucune raison de penser que les travaux n'avaient pas été exécutés à satisfaction, dans la mesure où le vendeur garantissait qu'aucun loyer n'était en retard et qu'il n'existait aucun contentieux de quelque nature que ce soit.
Enfin – au vu de la confiance placée en C______ AG –, l'état locatif constituait un titre, de sorte que les éléments constitutifs de l'art. 251 CP étaient réunis.
Elle sollicitait la perquisition des sièges des mis en cause, l'audition de leurs représentants et la production de divers documents bancaires.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public considère qu'il incombait à la plaignante – au vu de son expertise et ses connaissances – de se renseigner, au moment de l'achat de l'immeuble, tant sur la gratuité des six premiers mois de loyer que sur "la réalité des travaux à entreprendre". Faute d'astuce, les faits dénoncés ne remplissaient les éléments constitutifs d'aucune infraction pénale et relevaient tout au plus d'un litige civil.
D. a. Dans son recours, A______ SA se prévaut d'une constatation erronée des faits et d'une violation de droit. La décision attaquée ne se prononçait pas sur l'infraction de faux dans les titres. S'agissant de l'infraction d'escroquerie, contrairement à ce que soutenait le Ministère public, des investigations sur la clause de gratuité du loyer – d'une durée de six mois seulement –, respectivement sur "la réalité des travaux à entreprendre – dûment autorisés par décision du 14 février 2023 –, n'auraient en aucun cas permis de découvrir les subterfuges utilisés par les mis en cause. Qui plus est, au moment de la conclusion de la vente, son attention avait été attirée sur d'autres contrats de bail. En tout état de cause, le Ministère public ne pouvait pas écarter l'astuce sans avoir confronté les parties.
b. Dans ses observations, le Ministère public conclut, sous suite de frais, au rejet du recours. Les éléments constitutifs de l'art. 251 CP n'étaient pas réunis, faute de qualité de titre des contrats et de l'état locatif. S'agissant de l'art. 146 CP, il était attendu de la recourante qu'elle procédât à des vérifications concernant le locataire F______ SA, ce d'autant plus que – de ses propres aveux – le loyer du local commercial était très élevé. Aucun acte d'enquête n'était susceptible de modifier cette appréciation.
c. Dans sa réplique, la recourante persiste dans les termes de son recours. Le défaut de motivation ne pouvait pas être réparé au stade des observations sur recours. En tout état de cause, les documents litigieux revêtaient une force probante accrue, au vu des relations commerciales nouées entre les parties.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La recourante reproche au Ministère public de ne pas s'être prononcé sur l'infraction de faux dans les titres.
2.1. Le droit d'être entendu, garanti par les art. 3 al. 2 let. c CPP et 29 al. 2 Cst. féd., impose au magistrat l'obligation de motiver sa décision afin, d'une part, que son destinataire puisse l'attaquer utilement et, d'autre part, que la juridiction de recours soit en mesure d'exercer son contrôle (ATF 139 IV 179 consid. 2.2; 138 I 232 consid. 5.1).
Une violation de ce droit peut toutefois être réparée. En effet, le Tribunal fédéral admet la guérison – devant l'autorité supérieure qui dispose d'un plein pouvoir d'examen – de l'absence de motivation, pour autant que l'autorité intimée ait justifié et expliqué sa décision dans un mémoire de réponse et que le recourant ait eu la possibilité de s'exprimer sur ces points dans une écriture complémentaire; il ne doit toutefois en résulter aucun préjudice pour ce dernier (ATF 125 I 209 consid. 9a et 107 Ia 1 consid. 1; arrêt du Tribunal pénal fédéral RR.2019.70 du 3 septembre 2019 consid. 3.1 in fine). La Haute Cour admet également la réparation d'une violation du droit d'être entendu, y compris en présence d'un vice grave, lorsqu'un renvoi à l'instance inférieure constituerait une vaine formalité, respectivement aboutirait à un allongement inutile de la procédure, incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 145 I 167 consid. 4.4; arrêt du Tribunal fédéral 1B_539/2019 précité).
2.2. En l'espèce, il faut concéder à la recourante que la décision querellée n'a pas traité l'infraction de faux dans les titres. Cela étant, la violation du droit d'être entendu a été réparée en instance de recours. Le Ministère public, invité à formuler des observations, s'est prononcé sur l'infraction précitée. La recourante a ensuite pu s'exprimer dans sa réplique. Dans ces circonstances, le renvoi de la cause constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure.
Partant, le vice sera considéré comme réparé dans le cadre de la procédure de recours.
3. La recourante reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte.
3.1. Selon l'art. 310 al. 1 CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (let. a) ou qu'il existe des empêchements de procéder (let. b).
Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (arrêt 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (arrêt 6B_196/2020 précité; ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; ATF 138 IV 86 consid. 4.1 ; ATF 137 IV 219 consid. 7).
3.2. À teneur de l'art. 146 al. 1 CP, commet une escroquerie quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, induit astucieusement en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou la conforte astucieusement dans son erreur et détermine de la sorte la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers.
L'escroquerie consiste à tromper la dupe. Par tromperie, il faut entendre tout comportement destiné à faire naître chez autrui une représentation erronée des faits (ATF 140 IV 11 consid. 2.3.2; ATF 135 IV 76 consid. 5.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_50/2022 du 27 juin 2024 consid. 3.4.2). Une simple tromperie ne suffit cependant pas : encore faut-il qu'elle soit astucieuse. Il y a tromperie astucieuse, au sens de l'art. 146 CP, lorsque l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations , si leur vérification n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement pas être exigée, de même que si l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison d'un rapport de confiance particulier (ATF 147 IV 73 consid. 3.2; ATF 142 IV 153 consid. 2.2.2). Il y a notamment manœuvre frauduleuse lorsque l'auteur fait usage de titres falsifiés ou obtenus sans droit ou de documents mensongers (ATF 128 IV 18 consid. 3a; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1092/2023 du 24 mai 2024 consid 2.2 et 6B_1365/2022 du 25 janvier 2024 consid. 5.1.1).
L'astuce n'est pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d'attention ou éviter l'erreur avec le minimum de prudence que l'on pouvait attendre d'elle. Il n'est cependant pas nécessaire qu'elle ait fait preuve de la plus grande diligence ou qu'elle ait recouru à toutes les mesures possibles pour éviter d'être trompée. L'astuce n'est exclue que si elle n'a pas procédé aux vérifications élémentaires que l'on pouvait attendre d'elle au vu des circonstances. Une coresponsabilité de la dupe n'exclut toutefois l'astuce que dans des cas exceptionnels (ATF 147 IV 73 précité; ATF 143 IV 302 consid. 1.4.1).
3.3. L'art. 251 ch. 1 CP réprime le comportement de quiconque, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui, ou de se procurer à un tiers un avantage illicite, aura créé un titre faux, falsifié un titre, abusé de la signature ou de la marque à la main réelle d'autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou aura, pour tromper autrui, fait usage d'un tel titre.
Cette disposition vise tant le faux matériel, qui consiste dans la fabrication d'un titre faux ou la falsification d'un titre, que le faux intellectuel, qui consiste dans la constatation d'un fait inexact, en ce sens que la déclaration contenue dans le titre ne correspond pas à la réalité.
Le faux intellectuel vise l'établissement d'un titre qui émane de son auteur apparent, mais qui est mensonger dans la mesure où son contenu ne correspond pas à la réalité. Un simple mensonge écrit ne constitue pas un faux intellectuel punissable. Pour que le mensonge soit punissable comme faux intellectuel, il faut que le document ait une valeur probante plus grande que dans l'hypothèse d'un faux matériel. Sa crédibilité doit être accrue et son destinataire doit pouvoir s'y fier raisonnablement. Une simple allégation, par nature sujette à vérification ou discussion, ne suffit pas. Il doit résulter des circonstances concrètes ou de la loi que le document est digne de confiance, de telle sorte qu'une vérification par le destinataire n'est pas nécessaire et ne saurait être exigée (ATF 144 IV 13 consid. 2.2.3; ATF 142 IV 119 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_55/2017 du 24 mars 2017 consid. 2.2). Le simple fait que l'expérience montre que certains écrits jouissent d'une crédibilité particulière ne suffit pas, même si dans la pratique des affaires il est admis que l'on se fie à de tels documents (ATF 146 IV 258 consid. 1.1; 142 IV 119 consid. 2.1 et les références citées).
Selon une jurisprudence bien établie, un contrat dont le contenu est faux ne constitue en principe pas un titre car il ne bénéficie pas de la crédibilité accrue nécessaire (ATF 146 IV 258 consid. 1.1.1; 123 IV 61 consid. 5c/cc; 120 IV 25 consid. 3f; arrêts du Tribunal fédéral 6B_467/2019 du 19 juillet 2019 consid. 3.3.2 et 6B_72/2015 du 27 mai 2015 consid. 1.5). En effet, un tel contrat prouve que deux personnes ont fait, de manière concordante, une déclaration de volonté déterminée, mais n'établit pas que les deux manifestations de volonté concordantes correspondent à la volonté réelle des stipulants. Il ne prouve ni l'absence de vice de la volonté ni l'inexistence d'une simulation. Ce n'est que s'il existe des garanties spéciales de ce que les déclarations concordantes des parties correspondent à leur volonté réelle, qu'un contrat en la forme écrite simple peut être qualifié de faux intellectuel (ATF
146 IV 258 consid. 1.1.1; 123 IV 61 consid. 5c/cc; 120 IV 25 consid. 3f).
La forme authentique, dont la loi fait notamment dépendre la validité des ventes immobilières, est destinée à protéger les parties comme à accroître la sécurité générale du droit. Elle a pour effet que le titre fait foi des actes qu'il constate et dont l'inexactitude n'est pas prouvée (art. 9 CC). Un contrat passé en cette forme doit partant être complet et véridique; toutes les clauses objectivement ou subjectivement essentielles doivent être constatées dans le titre et correspondre à la volonté réelle des parties (arrêt du Tribunal fédéral 6S.438/1999 du 24 février 2020). Un acte authentique jouit ainsi d'une crédibilité accrue (ATF 110 IV 145 consid. 2a). La force probante accrue de l'art. 9 CC n'est donnée qu'en relation avec les faits dont l'exactitude est attestée par le titre authentique, c'est-à-dire ceux que l'officier public a personnellement constatés ou dont il est tenu de vérifier l'exactitude, indépendamment de savoir s'il a ou non procédé à cet examen dans le cas particulier (ATF 144 IV 13 consid. 2.2.4).
Ne peuvent faire l'objet d'une constatation fausse que les faits sur lesquels le titre se prononce immédiatement, non les conditions factuelles ou juridiques de ceux-ci qui peuvent éventuellement s'en inférer médiatement (ATF 131 IV 125 consid. 4.5). Les documents contractuels ne valent pas titre en ce qui concerne l'absence de vices de volonté, ni même en ce qui concerne l'intention de les respecter (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 57 ad art. 251).
3.4.1. En l'espèce, la recourante reproche aux mis en cause de l'avoir, par un procédé astucieux, conduite à acquérir l'immeuble à un prix supérieur à sa valeur réelle. Des investigations sur les locataires – respectivement les travaux à entreprendre dans le local commercial – n'auraient en tout état de cause pas permis de découvrir "les subterfuges utilisés par les mis en cause".
Elle a tort.
Tout d'abord, de son propre aveu, le loyer élevé du local commercial se justifiait par le financement des travaux, lesquels devaient être terminés au moment de la vente. Or, une visite dudit local lui aurait permis de constater l'absence totale de travaux et l'absence totale d'activité commerciale des mises en cause. L'opposition de ces dernières à la demande de visite aurait dû l'inciter à des vérifications, plutôt que de l'en dissuader, ce d'autant que rien ne permettait de supputer que le vendeur – au bénéfice du droit d'inspecter la chose louée en vertu de l'art. 257h al. 2 CO et du contrat de bail – se serait opposé à une telle visite. Par ailleurs, des investigations simples auraient permis de constater que les locataires ne disposaient d'aucune boîte aux lettres dans l'immeuble et n'exerçaient pas d'activité commerciale, ce qui était de nature à l'interpeller sur le bail conclu entre les mises en cause. Enfin, l'examen des demandes d'autorisation lui aurait appris que les coûts des travaux prévus ne correspondaient aucunement au chiffre communiqué par le vendeur pour leur financement, ce qui aurait raisonnablement dû éveiller des soupçons sur le loyer convenu. Or, elle n'a jamais été dissuadée de se rendre à l'OAC, et l'on ne voit pas non plus que cet office l'aurait empêchée de consulter ce dossier.
L'on était en droit d'attendre de l'intéressée – eu égard au prix de vente et à ses connaissances particulières en matière immobilière – qu'elle procédât auxdites vérifications – somme toute peu complexes et à la portée d'un professionnel de la branche –. Une fois la vente exécutée, elle a d'ailleurs rassemblé sans difficulté apparente nombre d'informations contredisant les prétentions des mis en cause, confirmant par-là que celles-ci auraient aisément pu être collectées avant la vente. Que le contrat de vente réservait des litiges avec d'autres locataires ne la dispensait pas, bien au contraire, de se renseigner sur les mises en cause et sur la réalité des travaux qu'elles prétendaient vouloir entreprendre.
La jurisprudence dont se prévaut la recourante ne lui est d'aucun secours, dès lors que dans ces cas les plaignants ne disposaient pas de connaissances spécifiques en matière immobilière et que des travaux d'aménagement avaient été réellement réalisés, ce qui ne leur permettait pas de se rendre compte, d'emblée, du prix réel de vente, respectivement des défauts de la chose.
Il s'ensuit que les éléments constitutifs de l'infraction d'escroquerie ne sont pas remplis.
Au vu de ce qui précède, faute de prévention pénale suffisante, point n'est besoin d'actes d'enquête.
3.4.2. S'agissant de l'infraction à l'art. 251 CP, le contrat de bail du 18 juillet 2022 et l'état locatif ne revêtent pas de valeur probante accrue. Le premier document – revêtant la forme écrite simple – n'établit pas que les manifestations de volonté concordantes des parties correspondent à leur volonté réelle. Il ne prouve ni l'absence de vice de la volonté ni l'inexistence d'une simulation (cf. ATF 146 IV 258 consid. 1.1.1). Le second contient uniquement des déclarations unilatérales du vendeur, lesquelles ne seraient pas propre à prouver la véracité des loyers constatés. Par ailleurs, aucun indice ne permet de croire que les mises en cause seraient dans une position analogue à celle d'un garant. Il a en outre été constaté ci-dessus que la recourante était en mesure de vérifier les affirmations contenues dans les documents litigieux.
Contrairement à ce que semble retenir la recourante, que l'état locatif soit annexé à un contrat passé en la forme authentique – soit un titre – n'est pas suffisant pour lui conférer une valeur probante accrue. Tout d'abord, rien ne permet de retenir – et la recourante ne l'allègue pas – que l'état locatif faisait partie intégrante du contrat de vente. Ensuite – et surtout –, le notaire ne déclare pas dans l'acte authentique avoir vérifié les indications données par le vendeur dans l'état locatif. Rien ne permet non plus de retenir qu'il eût été tenu de les vérifier, étant précisé que les documents contractuels ne valent pas titre en ce qui concerne l'absence de vices de volonté.
Enfin, les arrêts cités par la recourante ne s'appliquent pas ici, dès lors que, dans ces cas, les prévenus avaient fourni aux lésés des états locatifs – respectivement des contrats de bail – falsifiés, soit des faux matériels. Or, dans le cas d'espèce, la recourante reproche aux mises en cause d'avoir constaté dans les écrits litigieux des faits inexacts, soit des faux intellectuels.
Partant, les éléments objectifs de l'infraction de faux dans les titres ne sont pas remplis.
4. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.
5. Dans la mesure où la violation du droit d'être entendu s'agissant de l'infraction de faux dans les titres a été réparée en instance de recours, la recourante supportera la moitié des frais de la procédure (cf. arrêt du Tribunal fédéral 7B_512/2023 du 30 septembre 2024), fixés en totalité à CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP; art. 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), soit CHF 750.-, le solde étant laissé à la charge de l'État.
6. La recourante, partie plaignante, n'a pas chiffré ni justifié ses prétentions en indemnité (art. 433 al. 2 cum 436 al. 1 CPP), de sorte qu'il ne lui en sera point alloué (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1345/2016 du 30 novembre 2017 consid. 7.2).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ SA au paiement de la moitié des frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'500.-, soit au paiement de CHF 750.-, l'autre moitié étant laissée à la charge de l'État.
Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
Invite les services financiers du Pouvoir judiciaire à en restituer le solde à A______ SA.
Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| Le président : Christian COQUOZ |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 L______[VD] 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/19247/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 1'415.00 |
Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9) | CHF | 1'500.00 |