Skip to main content

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/8130/2024

ACPR/892/2024 du 03.12.2024 sur ONMMP/4425/2024 ( MP ) , REJETE

Normes : CPP.310; CPP.382; CPP.115; LCD.23; CP.143; CP.179novies; LPD.5.letc

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/8130/2024 ACPR/892/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 3 décembre 2024

 

Entre

A______ et B______ SA, représentés par Me Cédric KURTH, avocat, rue de Bernex 340, case postale 187, 1233 Bernex,

recourants,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 9 octobre 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 28 octobre 2024, A______ recourt – à bien le comprendre tant à titre personnel qu’au nom de B______ SA – contre l'ordonnance du 9 précédent, notifiée le 18 du même mois, à teneur de laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte pénale déposée contre C______.

Il conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision, la cause devant être retournée au Procureur afin qu'il ouvre une instruction contre le précité.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ est l'unique administrateur de B______ SA, société qui exploite, à Genève, la Clinique D______.

b.a. Le 21 mars 2024, le prénommé a déposé une plainte pénale, semble-t-il en son propre nom et en celui de la société susmentionnée, contre C______, employé administratif ayant officié au sein de la Clinique D______ jusqu'au 5 février précédent, jour de son licenciement.

En substance, ils lui reprochent d'avoir, le 31 janvier 2024, à deux reprises, dont une fois en-dehors de ses horaires de travail, indûment photographié, au moyen de son téléphone portable, des documents contenant des données "confidentielles" [sans autre précision] se rapportant à des médecins de ladite Clinique, documents répertoriés dans des classeurs entreposés au secrétariat. Le travail du mis en cause consistant dans l'achat de fournitures, il n'avait aucune raison de consulter de telles données. Eux-mêmes le soupçonnaient d'avoir collecté ces informations pour E______, responsable d'une institution médicale concurrente et cousin du mis en cause.

b.b. À l'appui de leur plainte, A______ et B______ SA ont produit des attestations, établies par deux secrétaires ayant assisté à la prise de clichés par C______. L'une d'elles y expose que ce dernier lui a demandé, à la date précitée, "le classeur du personnel afin de récupérer des informations administratives".

c. Entendu par la police, sur délégation du Ministère public (art. 309 al. 2 CPP), le mis en cause a contesté tout acte pénalement répréhensible.

Il avait, certes, pris des photographies des documents évoqués dans la plainte, toutefois pour mettre à jour, dans le système informatique de la clinique, des données concernant des médecins, tels que leurs numéros AVS, dates de naissance et d'entrée en fonction, etc. Il avait averti A______ de sa démarche. Il n'était plus en possession des clichés – qu'aucun tiers ne lui avait demandé de prendre –, les ayant effacés de son téléphone.

C. Dans sa décision déférée, le Ministère public a considéré que les déclarations des plaignants et du mis en cause étaient contradictoires, sans qu'il ne fût possible d'en privilégier une, respectivement que rien ne permettait d'inférer que les données litigieuses auraient été effectivement divulguées/transmises à des concurrents ou exploitées.

Le prononcé d'une non-entrée en matière s'imposait donc (art. 310 al. 1 let. a CPP).

D. a. À l'appui de leur recours, A______ et B______ SA soutiennent que le Procureur ne pouvait, en l'absence d'instruction, exclure que C______ ait agi comme décrit dans leur plainte. Les agissements du mis en cause étaient susceptibles de contrevenir tant à la Loi fédérale sur la concurrence déloyale (LCD; RS 241) qu’à l'art. 143 CP (soustraction de données).

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les actes manifestement irrecevables et/ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

2. 2.1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) contre une ordonnance de non-entrée en matière, sujette à contestation (art. 310 al. 2 et 322 al. 2 cum 393 al. 1 let. a CPP).

2.2. Seule la partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l’annulation d’une décision est habilitée à quereller celle-ci (art. 382 al. 1 CPP).

Il appartient au recourant d'établir qu'il dispose d'un tel intérêt, lorsque celui-ci n'apparaît pas d'emblée évident (arrêt du Tribunal fédéral 7B_587/2023 du 11 septembre 2024 consid. 2.2.3).

2.2.1. Selon l'art. 118 al. 1 CPP, on entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure (al. 1); une plainte pénale équivaut à une telle déclaration (al. 2).

La notion de lésé est définie à l'art. 115 CPP; il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction, c’est-à-dire le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte (ATF 147 IV 269 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_147/2024 du 7 juin 2024 consid. 1.2.2).

2.2.2. A qualité pour se plaindre d'une infraction à la LCD, la personne qui subit, ou risque de subir, du chef d'un acte de concurrence déloyale, une atteinte dans sa clientèle, son crédit ou sa réputation professionnelle, ses affaires ou ses intérêts économiques en général (art. 23 al. 2 cum 9 LCD).

Lorsque cette atteinte/menace vise une société, seule celle-ci dispose d'une telle qualité, à l'exclusion de ses actionnaires, organes ou collaborateurs (ACPR/277/2023 du 14 avril 2023, consid. 2.2.3; W. FISCHER/ T. LUTERBACHER (éds.), Haftpflichtkommentar, Zurich 2016, n. 7 ad art. 9 LCD).

2.2.3. La soustraction de données est visée par deux dispositions du code pénal : l'art. 143 CP lorsque celles-ci sont traitées de façon informatique et l'art. 179novies CP quand elles consistent en des informations personnelles dites sensibles (M. DUPUIS/ L. MOREILLON/ C. PIGUET/ S. BERGER/ M. MAZOU/ V. RODIGARI (éds), Petit commentaire du CP, 2ème éd., Bâle 2017, n 6 s. ad art. 179novies).

Cette dernière norme protège avant tout les droits de l'individu auquel lesdites données se rapportent, voire également ceux des personnes qui traitent/exploitent celles-là – cas de figure qui est toutefois controversé en doctrine – (M. DUPUIS/ L. MOREILLON/ C. PIGUET/ S. BERGER/ M. MAZOU/ V. RODIGARI (éds), op. cit., n. 2 et n. 13 ad art. 179novies).

2.2.4. En l’espèce, les recourants se prévalent, tout d'abord, d’une infraction à la LCD.

À supposer que le mis en cause ait divulgué/transmis à un/des tiers les données litigieuses et qu’il s’agisse d’un acte de concurrence déloyale – questions qui souffrent de demeurer indécises –, les recourants n’exposent pas en quoi cet acte aurait été de nature à préjudicier, ou à menacer, l’exercice de leurs activités professionnelles respectives.

L’existence d’une atteinte directe à leurs droits est d’autant moins évidente qu’ils ne fournissent aucune explication quant à la teneur desdites données et que A______, organe de la société exploitant la Clinique D______, n’apparaît pas être personnellement touché par les agissements du mis en cause.

Faute, pour les intéressés, d’établir leur qualité pour agir, ils ne sauraient se plaindre d’une éventuelle violation de la LCD.

Leur recours est donc irrecevable en tant qu’il porte sur cet aspect.

2.2.5. Les recourants invoquent, ensuite, l’art. 143 CP.

Cette norme n’est toutefois pas applicable in casu, les données litigieuses étant contenues dans des supports papier, et non informatiques.

Seul l’art. 179novies CP pourrait donc entrer en ligne de compte.

A______ n’est pas légitimé à se prévaloir de cette infraction, dès lors qu’il n’est, ni la personne que visent les informations prétendument soustraites, ni celle pour le compte de laquelle les données ont été compilées/traitées. Son recours est, partant, irrecevable sur ce point.

La situation est plus délicate s’agissant de B______ SA, exploitante desdites données (via la Clinique D______). En effet, certains auteurs de doctrine reconnaissent la qualité pour agir à un tel exploitant, tandis que d’autres la lui dénient. Il n’y a pas lieu de trancher cette problématique, la question de la recevabilité du recours pouvant demeurer ouverte sur cet aspect, vu l’issue du litige sur le fond.

3. 3.1. Le prononcé d'une non-entrée en matière s'impose lorsque les conditions d'une infraction ne sont manifestement pas réunies (art. 310 al. 1 let. a CPP).

Il suffit, pour rendre une telle décision, qu'une seule desdites conditions ne soit pas réalisée (Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).

3.2. Se rend coupable d'infraction à l'art. 179novies CP quiconque soustrait des données personnelles sensibles qui ne sont pas accessibles à tout un chacun.

3.2.1. Celles-ci sont énumérées, de façon exhaustive, à l'art. 5 let. c de la Loi fédérale sur la protection des données (LPD; RS 235.1; S. METILLE/ P. MEIER (éds), Commentaire romand de la Loi sur la protection des données, Bâle 2023, n. 50 ad art. 5; A. MACALUSO/ L. MOREILLON/ N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017 n. 6 ad art. 179novies).

Par informations sensibles, l’on entend celles ayant trait : aux opinions ou activités religieuses, philosophiques, politiques et syndicales (ch. 1); à la santé, la sphère intime et l’origine raciale/ethnique (ch. 2); aux caractéristiques génétiques (ch. 3) et biométriques (ch. 4); aux poursuites ou sanctions pénales et administratives (ch. 5); aux mesures d’aide sociale (ch. 6).

Les données sur la santé sont celles qui permettent, (in)directement, de tirer des conclusions sur l’état physique, mental ou psychique d’une personne. Celles afférentes à la sphère intime visent, notamment, les conflits familiaux, les peurs ou phobies, la vie sexuelle (comportements, orientation ou préférences), les secrets financiers ou encore le contenu d’un journal intime (S. METILLE/ P. MEIER (éds), op. cit,, n. 56 à 58 ad art. 5).

3.2.2. La soustraction peut consister en une simple visualisation, pour autant qu’elle permette une utilisation ultérieure des données (M. DUPUIS/ L. MOREILLON/ C. PIGUET/ S. BERGER/ M. MAZOU/ V. RODIGARI (éds), op. cit., n. 11 ad art. 179novies).

3.3. En l’occurrence, B______ SA reproche au mis en cause d’avoir consulté/photographié des informations "confidentielles" dans les locaux de la Clinique D______.

Elle n’expose toutefois pas en quoi consistent ces informations.

Celles-ci semblent être d’ordre administratif, d’après les déclarations de l’une des secrétaires de ladite Clinique et du mis en cause. Or, des données de ce type ne revêtent point un caractère sensible au sens de l’art. 5 let. c LPD.

À cette aune, une infraction à l’art. 179novies CP ne peut être envisagée ni, a fortiori, l’ouverture d’une instruction de ce chef.

4. En conclusion, le recours de A______ sera déclaré irrecevable et celui de B______ SA rejeté, pour autant que recevable.

5. Les recourants succombent (art. 428 al. 1, 1ère et 2ème phrases, CPP).

Ils supporteront, en conséquence, solidairement (art. 418 al. 2 CPP), les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1’000.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), montant qui sera prélevé sur les sûretés versées.

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Déclare irrecevable le recours de A______.

Rejette le recours de B______ SA, pour autant que recevable.

Condamne solidairement A______ et B______ SA aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 1000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées (CHF 1'000.-).

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants, soit pour eux leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/8130/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00