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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10339/2022

ACPR/574/2024 du 07.08.2024 sur ONMMP/2181/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;DIFFAMATION;CALOMNIE;INJURE;INTERPRÉTATION(SENS GÉNÉRAL)
Normes : CPP.310; CP.173; CP.174; CP.177

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10339/2022 ACPR/574/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 7 août 2024

 

Entre

A______, représenté par Me Romain JORDAN, avocat, Merkt & Associés, rue Général-Dufour 15, case postale, 1211 Genève 4,

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 21 mai 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 3 juin 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 21 mai précédent, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a renoncé à entrer en matière sur sa plainte du 11 mars 2022.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à l'ouverture d'une instruction pour calomnie, subsidiairement diffamation et injure, avec des actes d'instruction qu'il énumère.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 900.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 11 mars 2022, A______ a porté plainte contre B______, C______, D______, E______ et F______, signataires d'un "courrier attentatoire à [s]on honneur".

Il avait travaillé pour l'association G______ en qualité de responsable du secrétariat, avant d'être licencié le 13 août 2021. Le motif avancé était son comportement "problématique vis-à-vis de ses collègues". Le 2 mars 2022, il avait reçu de sa Caisse de chômage copie du courrier susmentionné, daté du 4 août 2021 et adressé aux six membres du comité et aux deux coprésidents de l'association.

Ce courrier comportait notamment les passages suivants:

- "Nous tenions à vous informer que le secrétariat subit depuis plusieurs mois l'enfer sur son lieu de travail";

- "Depuis que Monsieur A______ a rejoint l'équipe du secrétariat, de nombreux problèmes sont apparus […] harcèlement moral sur certaines collaboratrices et ceci, pendant des mois";

- "Le secrétariat ne peut en aucun cas accepter de travailler avec une personne qui manque de respect envers les collaboratrices et collaborateurs et ne prend pas soin du matériel mis à sa disposition (coups de couteau sur la table de conférence, chaises cassées, rideaux arrachés)";

- "Le secrétariat ne peut plus travailler avec ce dernier beaucoup trop bruyant, dissipé, brouillon et désordonné dans ses tâches administratives. Il ne gère absolument pas les tâches qui lui ont été confiées. Le secrétariat se trouve devant un individu stressé au quotidien, en procès avec beaucoup de monde extérieur à l'association, ce qui nous dérange énormément et se répercute sur l'ambiance au sein de notre équipe";

- "Nous avons à faire à une personne manipulatrice, qui s'adonne à diviser pour mieux reigner (sic)";

- "Aujourd'hui notre décision est prise, nous ne souhaitons plus collaborer avec Monsieur A______";

- "Il serait fortement regrettable qu'une équipe de cinq personnes soudée se voit complétement anéantie par une seule personne nuisible. Cette personne n'est pas digne de notre association, nous demandons sont (sic) licenciement".

b. La police a entendu les signataires du courrier. Il ressort de leurs auditions les éléments suivants:

- C______ a confirmé en être la rédactrice, en accord avec l'ensemble des collaborateurs du secrétariat;

- tous les autres ont confirmé l'avoir signé, en connaissant et approuvant son contenu;

- F______ a expliqué que la plupart des manquements dénoncés relevait de "l'appréciation subjective", en ce sens que c'était leur parole contre celle de A______;

- B______ a déclaré avoir vu A______ adopter des comportements "désagréables" à l'égard de C______ et E______ et que l'intéressé apportait une ambiance "délétère au bureau", devenue "insupportable". Elle n'avait toutefois jamais eu de souci personnellement avec lui, qui s'était toujours montré correct avec elle;

- D______ a également déclaré n'avoir jamais eu de problème avec A______ mais que ce dernier avait eu des comportements "détestables" avec les collègues, dont certains étaient "mobbés" et d'autres "appréciés".

c. Sur ordre de dépôt du Ministère public, G______ a transmis un rapport d'audit "relationnel" du 26 août 2021, destiné à l'attention des membres du comité de l'association et ayant pour objectifs d'améliorer "les processus fonctionnels de la Co-présidence, du comité, du secrétariat" et "les rapports humains dans l'association".

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public souligne le conflit opposant les signataires à A______ comme contexte de l'envoi du courrier litigieux, lequel avait été adressé aux responsables de l'association pour demander le licenciement du précité. Certains des termes utilisés, pris isolément, étaient de nature à faire apparaître A______ comme une personne méprisable. Cela étant, les mis en cause s'étaient bornés à adresser leurs griefs à un nombre restreint de personnes, lesquelles connaissaient déjà les tensions rencontrées au secrétariat et à qui il incombait d'agir en qualité d'employeurs. Dans cette mesure, le courrier du 4 août 2021, pris dans son ensemble, ne pouvait pas être considéré comme attentatoire à l'honneur de A______.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir retenu, implicitement, un intérêt à ce que les propos litigieux soient communiqués aux dirigeants de l'association. Ce faisant, l'autorité intimée avaient accordé un crédit aux propos des mis en cause, alors qu'il les contestait. L'instruction avait, en outre, permis d'établir que deux des cinq signataires du courrier avait admis n'avoir jamais eu de souci avec lui, démontrant la fausseté des allégations. Dans une procédure parallèle, F______ avait même admis avoir signé par "solidarité" avec ses collègues. Ces éléments permettaient déjà d'amoindrir le crédit devant être prêté aux propos des mis en cause. En tout état, une éventuelle sauvegarde d'intérêts légitimes relevait de l'examen de l'admissibilité des preuves libératoires, ce qui ne pouvait être admis sans une audience de confrontation. Les mis en cause devaient également être derechef entendus et sa propre audition devait être ordonnée.

L'ordonnance querellée était également contraire aux art. 173, 174 et 177 CP puisque le nombre restreint des destinataires du courrier ne relativisait pas la teneur des propos litigieux. Les allégations de faits inexactes et les jugements de valeur insultants étaient susceptibles de lui porter gravement préjudice, risque d'ailleurs concrétisé puisque G______ avait exploité ce courrier pour construire le motif de son licenciement. La missive avait également été reçue par sa Caisse de chômage, mettant en danger son droit aux indemnités.

A______ produit le procès-verbal d'une audience tenue le 6 mai 2024 dans le cadre d'une procédure fribourgeoise, lors de laquelle F______, à la question de savoir pourquoi il avait signé la lettre du 4 août 2021, a répondu: "Par solidarité avec mes collègues. Parce que c'était la seule chose à faire".

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Les faits nouveaux et les pièces nouvelles sont également recevables (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

2.             Le recourant critique la décision du Ministère public de ne pas entrer en matière sur sa plainte.

2.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, une ordonnance de non-entrée en matière est immédiatement rendue s’il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs d’une infraction ou les conditions à l’ouverture de l’action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1).

2.2. Se rend coupable de diffamation au sens de l'art. 173 CP quiconque, en s'adressant à un tiers, accuse une personne ou jette sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération et quiconque propage une telle accusation ou un tel soupçon (ch. 1).

La calomnie (art. 174 CP) est une forme qualifiée de diffamation, dont elle se distingue par le fait que les allégations propagées sont fausses (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1215/2020 du 22 avril 2021 consid. 3.1).

Se rend coupable d'injure au sens de l'art. 177 CP quiconque attaque autrui dans son honneur par la parole, l’écriture, l’image, le geste ou par des voies de fait.

2.3. L'honneur protégé par le droit pénal est conçu de façon générale comme un droit au respect, qui est lésé par toute assertion propre à exposer la personne visée au mépris en sa qualité d'homme (ATF 145 IV 462 consid. 4.2.2;
ATF 137 IV 313 consid. 2.1.1; ATF 132 IV 112 consid. 2.1). La réputation relative à l'activité professionnelle ou au rôle joué dans la communauté n'est pas pénalement protégée. Il en va ainsi des critiques qui visent comme tels la personne de métier, l'artiste ou le politicien, même si elles sont de nature à blesser et à discréditer (ATF 119 IV 44 consid. 2a; ATF 105 IV 194 consid. 2a).

2.4. Pour apprécier si une déclaration est attentatoire à l'honneur, il faut procéder à une interprétation objective selon le sens que le destinataire non prévenu devait, dans les circonstances d'espèce, lui attribuer (ATF 145 IV 462 consid. 4.2.3;
ATF 137 IV 313 consid. 2.1.3). Les mêmes termes n'ont donc pas nécessairement la même portée suivant le contexte dans lequel ils sont employés (ATF 118 IV 248 consid. 2b; ATF 105 IV 196 consid. 2). Un texte doit être analysé non seulement en fonction des expressions utilisées, prises séparément, mais aussi selon le sens général qui se dégage du texte dans son ensemble (ATF 145 IV 462 consid. 4.2.3; ATF 137 IV 313 consid. 2.1.3 p. 316).

La jurisprudence ne fait cependant pas totalement abstraction du contexte particulier dans lequel des propos ont été tenus pour apprécier leur éventuel caractère attentatoire à l’honneur et elle admet que, selon les circonstances, celui-ci pourra être admis ou ne pas l’être (ATF 148 IV 409 consid. 2.3.3; arrêt du Tribunal fédéral 6B_98/2011 du 24 mars 2011 consid. 4; A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 36 ad Intro. aux art. 173-178; cf. aussi M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Basler Kommentar Strafrecht II : Art. 137-392 StGB, 4ème éd., Bâle 2019, n. 34 et ss ad Vor Art. 173).

2.5. En l'espèce, les pans entiers du courrier du 21 août 2021 par lesquels les mis en cause critiquent uniquement les compétences professionnelles du recourant peuvent être d'emblée écartés de l'examen du caractère attentatoire à l'honneur des propos litigieux.

Demeurent les allégations de "harcèlement moral" le visant et les qualificatifs le désignant comme une personne "manipulatrice" et "nuisible" qui, pris isolément, pourraient être de nature à faire apparaître le recourant comme méprisable.

Toutefois, à teneur de son contenu, le courrier en question avait pour but d'informer les dirigeants de l'association des conditions régnant au secrétariat depuis l'arrivée du recourant, avec qui la collaboration était dépeinte comme impossible. Lors de leurs auditions, les cinq signataires ont tous confirmé avoir approuvé le contenu de la missive. Même si deux d'entre eux ont déclaré n'avoir jamais eu de difficulté directement avec le recourant, ils ont néanmoins affirmé avoir été témoins de comportements problématiques de celui-ci, raison qui a notamment pu pousser F______ à agir "par solidarité avec ses collègues".

Le courrier a été adressé aux membres du conseil de l'association et aux coprésidents, dans le but de demander le licenciement du recourant. Les griefs des mis en cause à l'encontre de ce dernier, bien que formulés de manière peu révérencieuse, poursuivaient donc cette unique finalité et c'est bien ce qu'il ressort d'une lecture globale de la lettre du 21 août 2021.

Les destinataires connaissaient les protagonistes et le conflit les opposant. L'association a même demandé l'établissement d'un audit "relationnel", visant notamment à améliorer les rapports humains à l'interne. Ils pouvaient donc inférer qu'au-delà des termes choisis, les mis en cause cherchaient avant tout à exprimer leur mécontentement face au recourant, dont ils souhaitaient obtenir le départ, plutôt que de porter des jugements de valeur à l'encontre de celui-ci ou de l'injurier.

Les mis en cause ont, en outre, uniquement adressé leur courrier aux responsables de l'association. Si la lettre du 21 août 2021 a dû être transmise à la Caisse de chômage du recourant, cela ne saurait leur être imputé.

Compte tenu de ce qui précède, les propos tenus (ou soutenus) par les mis en cause dans leur lettre litigieuse, pris dans leur ensemble, ne constituent pas une atteinte à l'honneur du recourant. Le Ministère public pouvait donc valablement décider de ne pas entrer en matière sur les faits dénoncés, sans procéder aux actes d'instruction sollicités.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère infondé, pouvait être traité d'emblée sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/10339/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

Total

CHF

900.00