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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/2860/2023

ACPR/556/2024 du 29.07.2024 sur OPMP/8537/2023 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : ORDONNANCE PÉNALE;MISE EN ACCUSATION;COMPLÉMENT;ABSENCE D'INDICATION DES VOIES DE DROIT;LÉSION CORPORELLE PAR NÉGLIGENCE
Normes : CP.125; CPP.319; CPP.325; CPP.333

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/2860/2023 ACPR/556/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 29 juillet 2024

 

Entre

A______, représentée par Me Pascal STEINER, avocat, SCHMIDT & ASSOCIÉS, rue du Vieux-Collège 10, 1204 Genève,

recourante,


contre la décision rendue le 28 mars 2024 par le Ministère public,

et

B______, représenté par Me Matthieu GISIN, avocat, RENOLD & ASSOCIÉ.E.S, boulevard des Philosophes 15, 1205 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 12 avril 2024, A______ recourt contre la décision du 28 mars 2024, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé de compléter l'ordonnance pénale valant acte d'accusation du 4 octobre 2023.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de la décision querellée et du classement implicite contenu dans celle-ci, ainsi qu'à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de modifier l'acte d'accusation "pour que l'infraction de lésions corporelles graves soit dénoncée à satisfaction".

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 24 octobre 2022, à 19h50, un accident de la circulation s'est produit à l'avenue de France no. ______, à Genève, impliquant B______, automobiliste né en 1965, et A______, piétonne née en 1988.

Selon le rapport de renseignements établi par la Brigade routière et accidents, l'automobiliste – venant de la rue de Lausanne – avait percuté, avec l'avant de son véhicule, la piétonne, qui traversait la chaussée sur le passage pour piétons sans feux de circulation, de droite à gauche, dans son sens de marche. À l'éthylotest, B______ présentait une alcoolémie de 0,43 mg/l. Grièvement blessée, A______ avait été prise en charge par les ambulanciers.

b.a. Le 3 janvier 2023, A______ s'est présentée à la police pour déposer plainte contre B______. Elle n'avait aucun souvenir des faits, étant précisé qu'elle avait repris connaissance à l'hôpital, où on lui avait expliqué qu'elle avait été victime d'un accident de la circulation.

Elle avait subi les lésions suivantes: une fracture de l'os sous l'œil droit; des points de suture à proximité de l'œil droit à la suite "d'une grande" plaie; une commotion cérébrale; un hématome à l'œil droit; une luxation de l'épaule gauche; une côte gauche cassée; des douleurs aux deux genoux en cas d'immobilité prolongée; une "plaie saignante" sur la fesse droite ; ainsi que plusieurs griffures et hématomes sur le visage et la hanche droite. À la suite de l'accident, elle avait dû reporter la fin de ses études universitaires et avait perdu son emploi, ne parvenant plus à regarder un écran et éprouvant des difficultés à se concentrer.

b.b. À l'appui de sa plainte, elle a produit des constats médicaux, établis entre les 24 octobre et 20 décembre 2022, faisant état d'une incapacité totale de travailler pour cause d'accident du 24 octobre au 31 décembre 2022 ; d'une "fracture de l'arc latéral de la douzième côte gauche"; d'un "hématome du muscle glutéal moyen gauche"; d'une "fracture du plancher de l'orbite droit" et d'une commotion cérébrale.

c. Entendu par la police les 25 octobre 2022 et 11 janvier 2023, B______ a déclaré avoir, le jour de l'accident, entre 19h00 et 19h45, consommé 1 dl de pastis et 3 dl de vin. Alors qu'il circulait en direction de la place des Nations à une vitesse avoisinant les 25-30 km/h, une piétonne – qu'il n'avait pas vue – avait surgi en courant. Aucun tram n'était alors à l'arrêt et personne n'avait demandé à traverser. Il regrettait les évènements.

d. Le 7 mars 2023, une instruction pénale a été ouverte contre B______ des chefs de lésions corporelles par négligence (art. 125 CP) et de conduite en état d'ébriété avec un taux d'alcool qualifié (art. 91 al. 2 LCR).

e. Le 2 mai 2023, le Ministère public a tenu une audience de confrontation.

e.a. A______ a confirmé sa plainte, précisant poursuivre, chaque semaine, notamment des séances de physiothérapie. En plus des lésions constatées par les certificats médicaux versés au dossier (cf. let B. b.c supra), elle avait subi plusieurs fractures au niveau de l'épaule gauche, une rupture des tendons de l'épaule et souffert de douleurs aux genoux. Sa vision s'était par ailleurs altérée et son sommeil était perturbé. Afin de soulager ses douleurs à l'épaule, son médecin lui avait prescrit des injections de cortisone, lesquelles lui avaient causé des effets secondaires (dérèglement hormonal et inflammations dermatologiques). La veille de l'audience, elle avait consulté un gynécologue, lequel lui avait en outre diagnostiqué de multiples "fibromes à l'utérus", susceptibles d'affecter sa fertilité. Souffrant de dépression depuis les faits, elle avait entamé un suivi psychologique.

Elle a produit un bordereau contenant notamment des photographies d'elle au moment de l'accident, à l'hôpital et à la suite d'infiltrations le 8 mars 2023.

e.b. B______ a confirmé ses précédentes déclarations, précisant s'être aperçu de la présence de A______ seulement au moment du choc. Sa voiture, équipée du système "anti-accident" et "anti-angle mort", n'avait rien détecté. Il regrettait d'avoir pris le volant après avoir consommé de l'alcool – ce qui n'était pas dans ses habitudes – et avait présenté ses excuses à la plaignante pour les douleurs occasionnées.

e.c. Entendues en qualité de témoins, C______ et D______ ont déclaré que A______ s'était fait renverser par une voiture alors qu'elle traversait le passage pour piétons en courant, puis avait "volé quelques mètres dans les airs".

f. Par missive du 16 août 2023, le Ministère public a imparti un délai à A______ pour présenter une éventuelle demande d'indemnisation, ce qu'elle a fait le 20 septembre 2023, tout en se réservant le droit de faire valoir d'éventuelles réquisitions de preuve.

g. Par ordonnance pénale du 4 octobre 2023, le Ministère public a déclaré B______ coupable de lésions corporelles simples par négligence (art. 125 al. 1 CP) et de conduite en état d'ébriété avec un taux d'alcool qualifié (art. 91 al. 2 let. a LCR).

Il lui était reproché "d'avoir, à Genève, le 24 octobre 2022 […], circulé au volant de [son] véhicule de marque E______ […] en état d'ébriété avec un taux d'alcool qualifié […], percuté avec l'avant de son véhicule A______, piétonne, […], lui causant de la sorte une fracture de l'arc latéral de la douzième côte gauche, un hématome du muscle glutéal moyen gauche, une fracture du plancher de l'orbite droite, des fractures au niveau de l'épaule et une commotion cérébrale, blessures constatées médicalement".

Le Ministère public a considéré que les "faits reprochés [étaient] établis à teneur des éléments du dossier, notamment des constats médicaux produits […], des constatations policières, en particulier s'agissant du taux d'alcool dans l'haleine du prévenu, et des déclarations des témoins, ainsi que de celles du prévenu".

h. Par plis des 13 et 16 octobre 2023, B______ et A______ ont formé opposition à l'ordonnance pénale, la seconde nommée considérant qu'il y avait lieu de requalifier les faits en lésions corporelles graves par dol éventuel (art. 122 CP).

i. Par ordonnance du 20 suivant, le Ministère public a maintenu son ordonnance pénale et transmis la cause au Tribunal de police, au motif qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier un "quelconque élément permettant de retenir l'infraction de lésions corporelles graves par dol éventuel s'agissant du comportement du prévenu, même si ce dernier avait consommé de l'alcool ; étant rappelé que la plaignante a[vait] commis une faute concomitante en traversant sans circonspection et à toute vitesse la chaussée, même si ce comportement n'était pas propre à interrompre le lien de causalité, et étant également rappelé qu'à teneur de la jurisprudence, le dol éventuel ne p[ouvait] pas être admis à la légère […]".

j. Par lettre de son conseil du 27 février 2024, A______ a requis du Tribunal de police le retour du dossier au Ministère public afin que celui-ci modifie l'ordonnance pénale du 4 octobre 2023, valant acte d'accusation. En effet, les lésions qu'elle avait subies devaient être qualifiées de graves, étant précisé que certaines d'entre elles n'étaient pas même mentionnées. De plus, elle avait été en arrêt de travail en raison de l'accident et contrainte de reporter ses études, ce dont l'ordonnance pénale ne disait mot. Par conséquent, il appartenait au Ministère public de compléter l'acte d'accusation, en y incluant la description des "faits objectifs et subjectifs" permettant d'examiner l'application de l'art. 122 CP, ou, à défaut, de rendre une ordonnance de classement partiel explicite.

k. Par pli du 18 mars 2024, le Tribunal de police a invité le Ministère public à se déterminer sur l'opportunité de compléter l'acte d'accusation dans le sens requis par A______ (art. 333 al. 1 CPP).

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public estime que l'ordonnance pénale du 4 octobre 2023, valant acte d'accusation, relatait "fidèlement" la situation factuelle, notamment les lésions subies par la plaignante, sur la base des certificats médicaux versés au dossier. S'agissant de la qualification juridique des faits, il se référait à son ordonnance de maintien de l'ordonnance pénale rendue le 20 octobre 2023.

D. a. À l'appui de son recours, A______ considère que la décision entreprise – par laquelle le Ministère public refusait de compléter l'acte d'accusation – s'apparentait à une ordonnance de classement implicite, sujette à recours.

L'autorité précédente devait soit dresser un acte d'accusation – cas échéant alternatif –, reflétant ses propres allégations – soit rendre une ordonnance de classement, ce qui n'avait pas été fait. S'étant par ailleurs constituée partie plaignante au pénal et au civil, et entendant formuler des conclusions civiles, elle disposait d'un intérêt juridiquement protégé à voir le prévenu condamné pour l'infraction la plus grave.

L'ordonnance pénale du 4 octobre 2023, valant acte d'accusation, ne mentionnait ni les lésions – pourtant susceptibles d'être qualifiées de lésions corporelles graves – qu'elle avait décrites lors de l'audience devant le Ministère public du 2 mai 2023 (cf. let. B. e.a supra) –, ni les aspects subjectifs de l’infraction de lésions corporelles graves. Or, il était manifeste qu'en ayant pris le volant, alors qu'il présentait un taux d'alcool qualifié, le prévenu avait accepté, au moins par dol éventuel, la réalisation des éléments constitutifs de l'infraction visée à l'art. 122 CP.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, le complément de l'acte d'accusation s'imposait.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut, sous suite de frais, à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

Le refus de modification de l'acte d'accusation ne constituait pas une décision susceptible de recours. Par ailleurs, l'intérêt actuel et pratique de la recourante faisait défaut, puisque le Tribunal de police était en mesure de requalifier les lésions corporelles simples en graves. En effet, les éléments sur lesquels la recourante se fondait pour retenir cette dernière qualification figuraient dans l'ordonnance pénale valant acte d'accusation. En tout état, il n'était pas en mesure de compléter celui-ci, sous peine de violer le principe ne bis in idem, dès lors qu'un éventuel classement implicite contenu dans l'ordonnance pénale du 4 octobre 2023 n'avait pas fait l'objet d'un recours dans les 30 (sic) jours suivant sa notification.

Sur le fond, le seul fait d'avoir circulé au volant de sa voiture en état d'ébriété avec un taux d'alcool qualifié ne suffisait pas pour retenir que le prévenu avait accepté l'éventualité de causer des lésions corporelles.

c. B______ conclut, sous suite de frais et dépens, à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. La décision querellée ne contenait pas un classement partiel des faits, le Ministère public ayant seulement retenu une qualification juridique différente de celle souhaitée par la recourante. Le droit de cette dernière de s'exprimer sur les infractions retenues avait été respecté, dès lors que le Tribunal de police avait donné la possibilité au Ministère public de compléter l'acte d'accusation. Pour le surplus, la décision querellée – qui ne faisait qu'exprimer un choix de l'autorité précédente sur une prérogative qui lui était propre – n'était pas sujette à recours. Admettre le contraire reviendrait à créer une voie de recours contre l'acte d'accusation, partant à contourner la loi. En tout état, si la recourante estimait qu'une partie des faits dénoncés avait fait l'objet d'un classement implicite, il lui aurait appartenu de contester l'ordonnance pénale du 4 octobre 2023, voire l'ordonnance de maintien du 20 suivant.

d. A______ réplique et persiste dans ses conclusions.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées – par la partie plaignante (art. 104 al. 1 let. b CPP).

1.2. Il convient de déterminer s'il porte sur une décision sujette à contestation auprès de la Chambre de céans.

1.2.1. Selon l'art. 324 al. 2 CPP, l'acte d'accusation n'est pas sujet à recours. Il en va de même de l’acte d’accusation modifié ou complété par le ministère public (N. SCHMID, Schweizerische Strafprozessordnung : Praxiskommentar, 2e éd., n. 5 ad art. 333). En revanche, il est concevable que la partie plaignante lésée par un refus du ministère public de compléter l’acte d’accusation à la demande du tribunal puisse recourir contre ce refus (ACPR/489/2019 du 27 juin 2019 consid. 1.3; N. SCHMID, Handbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, Zurich, 2e éd. 2013, n. 1286).

1.2.2. Un refus de complément formel de l'accusation (art. 333 CPP) constitue un classement partiel implicite, que l'on ne saurait reprocher à la partie plaignante de ne pas avoir contesté plus tôt, faute de décision de classement explicite indiquant les voies de droit (ATF 138 IV 241, c. 2.6-2.7 ; ATF 148 IV 124 consid. 2.6.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_819/2018 du 25 janvier 2019). 

1.2.3. En l'occurrence, le recours porte sur un prétendu classement implicite découlant du refus du Ministère public de compléter l'acte d'accusation, après y avoir été invité par le Tribunal de police. Il concerne dès lors une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP ; ATF 138 IV 241 consid. 2.5 et 2.6), contre laquelle la recourante a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à sa modification ou à son annulation (art. 382 al. 1 CPP).

Le recours est donc recevable dans cette mesure.

2.             La recourante reproche au Ministère public d'avoir refusé de compléter l'acte d'accusation et d'avoir ainsi procédé à un classement implicite de faits susceptibles, selon elle, d'être qualifiés de lésions corporelles graves.

2.1.   Aux termes de l'art. 9 CPP, une infraction ne peut faire l'objet d'un jugement que si le ministère public a déposé auprès du tribunal compétent un acte d'accusation dirigé contre une personne déterminée sur la base de faits précisément décrits.

L'ordonnance pénale tient lieu d'acte d'accusation si le ministère public, malgré une opposition, décide de la maintenir (art. 356 CPP). Elle doit par conséquent respecter les prescriptions de l'art. 325 CPP, qui exige que l'acte d'accusation désigne, notamment, le plus brièvement possible, mais avec précision, les actes reprochés au prévenu, le lieu, la date et l'heure de leur commission ainsi que leurs conséquences et le mode de procéder de l'auteur (let. f) de même que les infractions réalisées et les dispositions légales applicables de l'avis du ministère public (let. g).

2.2.1. Lorsque le ministère public estime que seule une partie des faits présente une prévention suffisante d'infraction et rend une ordonnance pénale pour ces derniers, cela implique, pour les autres faits, pour lesquels les charges sont insuffisantes, que l'ordonnance pénale vaut alors classement partiel implicite. Dès lors que le classement doit faire l'objet d'un prononcé séparé, écrit et motivé, il ne saurait être glissé et mélangé au contenu d'une ordonnance pénale. Si à la suite d'une agression, par exemple, le Ministère public ne poursuit pas l'ensemble des lésions que la victime a fait valoir, celui-ci doit impérativement rendre une ordonnance de classement partiel explicite s'agissant des lésions qui n'ont pas été prises en compte. La voie de l'opposition est ouverte à la partie plaignante contre l'ordonnance pénale lorsqu'elle dispose d'un intérêt juridique à faire prévaloir une qualification juridique plutôt qu'une autre par rapport à un état de fait non contesté. Contre le classement, implicite ou explicite, c'est la voie du recours qui est ouverte (ATF 138 IV 241 consid. 2.4 à 2.6 p. 244 ss).

2.2.2. Un classement partiel n'entre en ligne de compte que si plusieurs faits ou comportements doivent être jugés et qu'ils peuvent faire l'objet de décisions séparées. Tel n'est pas le cas en présence de plusieurs qualifications juridiques d'un seul et même état ou complexe de faits ("Lebensvorgang", cf. ATF 144 IV 362 consid. 1.3.1). Dans ce dernier arrêt, le Tribunal fédéral a considéré que lorsqu'un classement partiel était ordonné dans une procédure et qu'il était entré en force, il excluait toute condamnation à raison des mêmes faits, même s'il avait été prononcé à tort en raison de l'identité des faits classés avec ceux renvoyés en jugement ; l'autorité de jugement ne pouvait plus se saisir des faits classés sans violer le principe ne bis in idem (ATF 144 IV 362 consid. 1.4.3 ; cf. aussi arrêt du Tribunal fédéral 6B_367/2020 du 17 janvier 2022 consid. 4.5.1).

Dans un arrêt de principe plus récent, le Tribunal fédéral a nuancé cette dernière solution, retenant que ce qui est déterminant, c'est que la décision de classement partiel se réfère à l'accusation engagée simultanément ou déjà pendante. Il doit ainsi ressortir de l'ordonnance de classement partiel que la procédure n'est pas classée dans son ensemble, mais seulement s'agissant de certaines circonstances de fait aggravantes qui n'ont pas été retenues dans l'acte d'accusation, comme par exemple d'autres agissements dénoncés par la victime, des conséquences supplémentaires de l'acte (par ex. d'autres lésions) ou des faits internes supplémentaires (par ex. une volonté meurtrière allant au-delà des lésions effectivement causées). De telles ordonnances de classement partiel servent ainsi à définir l'objet de la procédure judiciaire. Le principe ne bis in idem ne s'étend qu'aux faits auxquels elles se rapportent concrètement, mais non à ceux qui sont simultanément renvoyés en jugement (ATF 148 IV 124 consid. 2.6.6).

2.3.1. En l'occurrence, force est de constater que certaines des lésions corporelles alléguées par la recourante n'ont pas été retenues dans l'ordonnance pénale du 4 octobre 2023, valant acte d'accusation.

En effet, seules les lésions attestées par certificats médicaux produits à l'appui de la plainte ont été tenues pour établies, à savoir "une fracture de l'arc latéral de la douzième côte gauche, un hématome du muscle glutéal moyen gauche, une fracture du plancher de l'orbite droite, des fractures au niveau de l'épaule et une commotion cérébrale".

Pourtant, lors du dépôt de sa plainte, le 3 janvier 2023, la recourante a exposé avoir également souffert de douleurs aux genoux, d'une plaie saignante au niveau de la fesse droite, ainsi que d'hématomes et de griffures sur le visage et la hanche droite. Par ailleurs, lors de l'audience de confrontation du 2 mai 2023, elle s'est en outre plainte d'une rupture des tendons de l'épaule gauche, d'une vision altérée, de troubles du sommeil ainsi que d'effets secondaires (dérèglement hormonal, inflammations dermatologiques et problèmes gynécologiques susceptibles d'affecter sa fertilité) prétendument causés par le traitement prescrit par son médecin à la suite de l'accident. Le Ministère public ne s'est toutefois pas prononcé sur ces lésions, pas plus que sur les souffrances psychiques (dépression) – résultant de l'accident – dont la recourante a fait état.

L'acte d’accusation, tel qu’il est ainsi rédigé, ne permet pas de retenir que ces atteintes physiques et psychiques seraient liées à l’accident du 24 octobre 2022. 

Or, conformément à la jurisprudence précitée, le Ministère public aurait dû soit intégrer ces éléments dans l’acte d’accusation – en application du principe "in dubio pro duriore" –, soit rendre une ordonnance de classement partiel explicite disant pour quels motifs il n'englobait pas ces lésions. Il ne pouvait, quoi qu'il en soit, pas purement et simplement ignorer ces faits.

2.3.2. La recourante reproche également au Ministère public de ne pas avoir instruit les aspects subjectifs de l'infraction de lésions corporelles graves (art. 122 CP) ; plus particulièrement, de ne pas avoir mentionné dans son ordonnance pénale du 4 octobre 2023, valant acte d'accusation, que le prévenu, en ayant pris le volant après avoir consommé de l'alcool, avait agi en acceptant – à tout le moins par dol éventuel – l'éventualité de lui infliger des lésions corporelles graves. Elle y voit un classement implicite sur ce chef d'accusation, qui serait susceptible de recours.

Force est cependant de constater que les éléments en raison desquels la recourante a demandé une nouvelle qualification juridique découlent du même complexe de faits que celui pour lequel le prévenu a été renvoyé en jugement. En effet, l'autorité précédente a retenu qu'il était reproché au précité d'avoir circulé au volant de sa voiture en état d'ébriété avec un taux d'alcool qualifié et percuté la recourante, lui causant de la sorte des lésions corporelles simples par négligence (art. 125 CP). Dans son ordonnance de maintien de l'ordonnance pénale rendue le 20 octobre 2023, le Ministère public a considéré qu'aucun élément au dossier ne permettait de retenir l'infraction de lésions corporelles graves par dol éventuel, quand bien même le prévenu avait consommé de l'alcool, la recourante ayant au demeurant commis une faute concomitante en s'engageant en courant et sans circonspection sur la chaussée. Il a également rappelé qu'en cas d'accident de la circulation ayant entraîné des lésions corporelles, le dol éventuel ne devait être admis qu'avec retenue.

Il apparaît dès lors que le Ministère public n'a pas renoncé à poursuivre une partie des faits, mais a considéré que ceux-ci n'étaient pas constitutifs de lésions corporelles graves par dol éventuel. La problématique n’est donc pas celle de l'établissement incomplet des faits, ni d'une mise à l'écart de certains d'entre eux, mais bien celle d'une qualification juridique différente, de sorte qu'il ne s'agit pas d'un classement implicite.

Il s'ensuit que le recours est irrecevable sur ce point.

3.             En définitive, le recours s'avère partiellement fondé. La cause sera dès lors renvoyée au Ministère public, à charge pour lui, soit de rendre une ordonnance de classement partielle sur les lésions corporelles omises dans l'ordonnance pénale du 4 octobre 2023, valant acte d'accusation, soit de compléter celui-ci par l’adjonction de ces faits.

4.             La recourante, qui n'obtient que partiellement gain de cause, supportera la moitié des frais de la procédure, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP; art. 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), soit CHF 500.-, le solde étant laissé à la charge de l'État.

5.             La recourante a requis le versement d'une équitable indemnité au sens de l'art. 433 al. 2 CPP, applicable en instance de recours (art. 436 al. 1 CPP), mais, faute de l'avoir chiffrée et justifiée, il ne lui en sera point alloué (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1345/2016 du 30 novembre 2017 consid. 7.2).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet partiellement le recours en tant qu'il vise la décision de classement implicite du Ministère public s'agissant des lésions corporelles omises dans l'ordonnance pénale du 4 octobre 2023, valant acte d'accusation.

Renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Déclare le recours irrecevable pour le surplus.

Condamne A______ à la moitié des frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-, soit CHF 500.-, le solde étant laissé à la charge de l'État.

Dit que ce montant (CHF 500.-) sera prélevé sur les sûretés versées.

Invite les services financiers du Pouvoir judicaire à restituer le solde (CHF 500.-) à A______.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux parties, soit pour elles leurs conseils respectifs, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Valérie LAUBER, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

P/2860/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

905.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

1'000.00