Skip to main content

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/27155/2022

ACPR/514/2024 du 15.07.2024 sur OMP/6764/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : AVOCAT;CONFLIT D'INTÉRÊTS
Normes : CPP.127; LLCA.12

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/27155/2022 ACPR/514/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 15 juillet 2024

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], agissant en personne,

recourant,

contre l'ordonnance de révocation et remplacement du défenseur rendue le 28 mars 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 15 avril 2024, l'avocat A______ recourt contre l'ordonnance du 28 mars 2024, notifiée le 3 avril suivant, par laquelle le Ministère public l'a relevé de sa mission de défenseur d'office de B______, lui a enjoint de faire parvenir sa note d'honoraires et a désigné à sa place l'avocate C______.

Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance entreprise, cela fait, au refus de la demande de changement d'avocat d'office et à sa confirmation en qualité d'avocat d'office de B______.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. B______ et D______ sont mariés et les parents de trois enfants.

b. En décembre 2022, B______ a déposé plainte pénale contre son mari pour des violences conjugales. Elle a retiré sa plainte en janvier suivant.

c. Dans le cadre d'une procédure concernant les enfants devant le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (TPAE), A______ s'est constitué par courrier du 9 mars 2023 à la défense du couple, les noms des deux époux étant expressément mentionnés et la procuration annexée signée par les deux conjoints. L'avocat, excusé par sa stagiaire, a ensuite représenté les époux à une audience le 14 mars 2023. À cette occasion, B______ a déclaré : "Si nous avons le même avocat avec Monsieur D______, c'est parce que nous étions nous deux contre le service de protection des mineurs. J'ai demandé à Maître A______ de me représenter dans la procédure en lien avec ma séparation d'avec Monsieur D______".

Le 16 mars 2023, A______ a informé le TPAE qu'il renonçait à représenter D______ et qu'il représentait désormais seulement B______.

Par décision de la Vice-Présidence du Tribunal civil, B______ a été mise au bénéfice de l'assistance judiciaire pour cette procédure. A______ a été désigné conseil d'office.

d. En juillet 2023, B______ a déposé plainte pénale pour des nouveaux faits de violence commis par son mari en février 2023.

e. Par pli du 11 août 2023, A______ s'est constitué à la défense des intérêts de B______ dans le cadre de la procédure pénale.

f. Le 9 novembre 2023, le Ministère public a désigné A______ conseil d'office de B______.

g. Par courrier du 20 février 2024 au Ministère public, B______, agissant seule, a sollicité un changement d'avocat, se prévalant du fait que A______ avait été initialement choisi et mandaté par son mari lors de la procédure devant le TPAE. Elle souhaitait être assistée par une femme, au vu des faits objets de la procédure. Enfin, elle était insatisfaite de la qualité du travail fourni. Elle proposait donc que C______ soit nommée en lieu et place de A______.

h. A______ s'est déterminé et a contesté avoir été mandaté par D______. Il s'est défendu des reproches formulés par sa cliente et a conclu au rejet de la demande de changement d'avocat d'office.

i. B______ a répliqué et persisté dans sa volonté de changer d'avocat.

j. Parallèlement, B______ a sollicité le même changement de conseil d'office dans le cadre de la procédure civile devant le TPAE. Elle a fait valoir les mêmes motifs.

La Vice-Présidence du Tribunal civil a refusé ce changement, dès lors que rien ne permettait de conclure que les intérêts de la prénommée avaient été mal défendus. Un conflit d'intérêts n'était pas établi, puisque A______ contestait avoir assisté l'époux. Par ailleurs, la procédure était sur le point d'être clôturée : dans ce contexte, un changement d'avocat apparaissait comme inopportun.

C. À teneur de l'ordonnance querellée, le Ministère public a retenu que la relation de confiance entre B______ et A______ était gravement perturbée, la première nommée évoquant un "malaise important" car l'avocat avait été constitué conjointement pour son mari et elle-même dans une procédure civile précédente.

D. a. À l'appui de son recours, A______ souligne que sa cliente avait accepté qu'il la défende, au pénal et au civil, depuis mars 2023, avant un soudain revirement en février 2024, moment à partir duquel elle s'était prévalue d'un conflit d'intérêts pour demander de changer d'avocat d'office. Il conteste l'existence d'une rupture du lien de confiance.

b. Le Ministère public conclut à la confirmation de son ordonnance et observe que le risque demeurait que les faits de violence conjugale dénoncés par B______ aient été évoqués par son mari et A______, lors de la période durant laquelle celui-ci défendait celui-là. La décision civile n'était pas transposable aux circonstances ressortant de la procédure pénale, dont l'instruction ne faisait que débuter.

c. A______ affirme n'avoir jamais assuré la défense des intérêts de D______, ni s'être entretenu seul avec lui.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de l'avocat d'office révoqué qui a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP ; arrêt du Tribunal 6B_466/2020 du 4 septembre 2020 consid. 1).

2.             Le recourant conteste que les conditions de son remplacement en qualité de conseil d'office soient réalisées.

2.1.  Selon l'art. 134 al. 2 CPP, applicable par analogie au conseil juridique gratuit de la partie plaignante (art. 137 CPP), la direction de la procédure confie la défense d'office à une autre personne si la relation entre le prévenu et son défenseur est gravement perturbée ou si une défense efficace n'est plus assurée pour d'autres raisons.

Le simple fait que la partie assistée n'a pas confiance dans son conseil d'office ne lui donne pas le droit d'en demander le remplacement lorsque cette perte de confiance repose sur des motifs purement subjectifs et qu'il n'apparaît pas de manière patente que l'attitude de l'avocat d'office est gravement préjudiciable aux intérêts de la partie (ATF 138 IV 161 consid. 2.4; 114 Ia 101 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 7B_866/2023 du 10 mai 2024 consid. 3.1.2), par exemple en cas de conflit d'intérêts ou de carences manifestes (ATF 139 IV 113 consid. 1.1; 138 IV 161 consid. 2.4; 135 I 261 consid. 1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_539/2022 du 16 janvier 2023 consid. 2).

2.2. À teneur de l'art. 127 al. 3 CPP, un conseil juridique peut défendre dans la même procédure les intérêts de plusieurs participants à la procédure dans les limites de la loi et des règles de sa profession. Les parties peuvent choisir pour conseil juridique toute personne digne de confiance, jouissant de la capacité civile et ayant une bonne réputation; la législation sur les avocats est réservée (art. 127 al. 4 CPP).

Le principe énoncé à l'art. 12 let. c de la loi fédérale sur les avocat (LLCA) commande à l'avocat d'éviter tout conflit entre les intérêts de son client et ceux des personnes avec lesquelles il est en relation sur le plan professionnel ou privé. Cette règle est en lien avec la clause générale de l'art. 12 let. a LLCA, selon laquelle l'avocat exerce sa profession avec soin et diligence, de même qu'avec l'obligation d'indépendance rappelée à l'art. 12 let. b LLCA (ATF 134 II 108 consid. 3). Le Tribunal fédéral a souvent rappelé que l'avocat a notamment le devoir d'éviter la double représentation, c'est-à-dire le cas où il serait amené à défendre les intérêts opposés de deux parties à la fois, car il n'est alors plus en mesure de respecter pleinement son obligation de fidélité et son devoir de diligence envers chacun de ses clients (141 IV 257 consid. 2.1 et les références citées).

Les règles susmentionnées visent avant tout à protéger les intérêts des clients de l'avocat, en leur garantissant une défense exempte de conflit d'intérêts. Elles tendent également à garantir la bonne marche du procès, notamment en s'assurant qu'aucun avocat ne soit restreint dans sa capacité de défendre l'un de ses clients – notamment en cas de défense multiple –, respectivement en évitant qu'un mandataire puisse utiliser les connaissances d'une partie adverse acquises lors d'un mandat antérieur au détriment de celle-ci (ATF 141 IV 257 consid. 2.1).

Il y a conflit d'intérêts au sens de l'art. 12 let. c LLCA dès que survient la possibilité d'utiliser, consciemment ou non, dans un nouveau mandat les connaissances acquises antérieurement sous couvert du secret professionnel, dans l'exercice d'un premier mandat (ATF 145 IV 218 consid. 2.1). Il faut éviter toute situation potentiellement susceptible d'entraîner des conflits d'intérêts. Un risque purement abstrait ou théorique ne suffit pas; le risque doit être concret. Il n'est toutefois pas nécessaire que le danger concret se soit réalisé et que l'avocat ait déjà exécuté son mandat de façon critiquable ou en défaveur de son client (ATF 145 IV 218 consid. 2.1; arrêts du Tribunal fédéral 6B_993/2022 du 18 mars 2024 consid. 2.2.1; 1B_476/2022 du 6 décembre 2022 consid. 2.2.1 et les références citées). Dès que le conflit d'intérêts survient, l'avocat doit mettre fin à la représentation (ATF 145 IV 218 consid. 2.1 et les arrêts cités; arrêt du Tribunal fédéral 6B_993/2022 du 18 mars 2024 consid. 2.2.1). Celui qui, en violation des obligations énoncées à l'art. 12 LLCA, accepte ou poursuit la défense alors qu'il existe un tel risque de conflit doit se voir dénier par l'autorité la capacité de postuler. L'interdiction de plaider est, en effet, la conséquence logique du constat de l'existence d'un tel conflit (ATF 147 III 351 consid. 6.1.3; 138 II 162 consid. 2.5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 7B_215/2024 du 6 mai 2024 consid. 2.1.1 et 2.1.2).

Il y a ainsi notamment violation de l'art. 12 let. c LLCA lorsqu'il existe un lien entre deux procédures et que l'avocat représente dans celles-ci des clients dont les intérêts ne sont pas identiques. Il importe peu en principe que la première des procédures soit déjà terminée ou encore pendante, dès lors que le devoir de fidélité de l'avocat n'est pas limité dans le temps (ATF 134 II 108 consid. 3 et les références).

La règle de l'interdiction du conflit d'intérêts est absolue en matière de représentation en justice ; le consentement éventuel des parties n'y change rien (arrêt du Tribunal fédéral 1A.223/2002 du 18 mars 2003 consid. 5.2 ; M. VALTICOS / A. REISER / B. CHAPPUIS /F. BOHNET, Commentaire romand de la LLCA, 2ème éd., 2022, n. 146 ad art. 12 LLCA).

2.3. En l'espèce, il n'est pas contesté que le recourant a, dans un premier temps, été consulté par les deux époux et les a représentés devant les juridictions civiles, avant de se limiter à la défense de l'épouse dans des procédures pénales et civiles dirigées contre le conjoint de celle-ci.

Cette situation est problématique, tant sous l'angle de la capacité de postuler que sous celui de la relation de confiance entre l'avocat et sa cliente.

À titre préalable, il faut souligner les affirmations fluctuantes de l'avocat : dans certaines de ses prises de position écrites, il nie avoir été mandaté par D______, alors qu'il s'était pourtant expressément constitué à la défense des époux, et donc du précité, procuration signée à l'appui devant le TPAE, puis il reconnaît, dans son recours par exemple, avoir été consulté par le prénommé. Parallèlement, il réfute l'existence d'un potentiel conflit d'intérêts, alors qu'il a justifié la fin de son mandat le liant à D______ par le risque de conflit d'intérêts qu'il avait lui-même identifié alors.

En tout état, il résulte du dossier que le mandat confié par le couple visait à ce que l'avocat les assiste ensemble dans une procédure devant le TPAE concernant leurs enfants. Au vu de la nature de cette procédure, le déroulement de la vie de couple, voire l'existence d'éventuelles violences conjugales commises par le mari, pouvaient vraisemblablement jouer un rôle et ont été ou auraient pu être abordés par l'avocat et ses clients. Or, les faits dénoncés pénalement par l'épouse sont censés s'être déroulés, au moins pour partie, à la même époque où l'avocat représentait le couple, voire peu avant. Il existe donc un lien de connexité étroit entre l'objet du double mandat et la présente procédure. Certes, ce double mandat a été d'une durée relativement brève, mais il ne saurait être retenu d'emblée que l'avocat n'a appris aucun fait qui pourrait jouer un rôle dans la défense de l'épouse désormais opposée à son mari. Dans ce contexte, ce n'est pas tant la défense des intérêts de l'épouse qui pourrait être compromise que celle du mari, si l'avocat a été le confident de celui-ci. Le mari pourrait donc s'opposer valablement à ce que son ancien avocat représente désormais sa partie adverse. Ainsi, sous l'angle de la capacité à postuler, le fait que l'avocat ait exercé un double mandat, puis le limite à une seule des parties désormais opposée à l'autre ne saurait être admis.

Le risque de conflit d'intérêts est donc concret en l'espèce et écorne objectivement la confiance de la cliente en son avocat. Le fait que la cliente ait pu consentir à être représentée par le recourant pendant une certaine durée est sans importance, puisque la volonté des parties ne joue pas de rôle. Elle est donc fondée à se prévaloir de cette situation seulement à ce stade.

L'existence d'une décision contraire des autorités compétentes en matière d'assistance judiciaire civile est sans incidence.

La décision du Ministère public de révoquer le mandat d'office du recourant est donc fondée et sera confirmée.

3.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/27155/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'000.00

Total

CHF

1'085.00