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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/3221/2019

ACPR/488/2024 du 28.06.2024 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : DROIT D'OBTENIR UNE DÉCISION;RETARD INJUSTIFIÉ
Normes : CPP.5

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/3221/2019 ACPR/488/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 28 juin 2024

Entre

A______, représenté par Me B______, avocat,

recourant,

 

pour refus de statuer et déni de justice,

contre

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A.           Par acte posté le 2 mai 2024, A______ recourt pour déni de justice et retard injustifié du Ministère public de statuer sur sa demande de levée de séquestres du 16 mars 2023.

Le recourant conclut à la constatation de la violation du principe de célérité, à l’existence d'un déni de justice et à l'injonction au Ministère public d’un délai de vingt jours, dès l’arrêt à intervenir, pour qu’il statue.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.             Le 13 février 2019, l’Administration fédérale des douanes (depuis le 1er janvier 2022, l’Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières, ci-après OFDF) a dénoncé A______, ressortissant iranien, comme possible détenteur aux Ports-Francs de Genève d’antiquités de provenance illégale, qu’elle avait placées en retenue provisoire.

b.             Le 4 mars 2019, le Ministère public a ouvert une procédure pénale « contre inconnu », du chef d’infraction à l’art. 24 al. 1 let. a de la loi sur le transfert des biens culturels (LTBC ; RS 444.1).

c.              Simultanément, il a notifié aux Ports-Francs, mais non à A______, une ordonnance de séquestre des objets. Il en a informé celui-ci, le même jour, en l’invitant à constituer un avocat qui devrait le contacter. Ce que fit un avocat, le 9 avril 2019.

d.             Le 21 octobre 2019, le Ministère public a informé A______ qu’il revêtait le statut de personne appelée à donner des renseignements et l’a prié de fournir toute information utile sur les objets séquestrés ; il lui a demandé s’il accepterait que ceux-ci fussent « confisqués en vue d’une restitution ».

e.              Le 1er mai 2020, A______, s’affirmant « tiers saisi », a déclaré s’opposer à toute confiscation. Il n’a fourni aucune pièce.

f.               Le 7 janvier 2021, le Ministère public a demandé aux Ports-Francs de lui fournir toute documentation sur la relation nouée avec A______. Les Ports-Francs se sont exécutés par retour du courrier.

g.             Le 16 décembre 2021, le Ministère public a redemandé à A______ de lui donner des informations (et de même au Secrétariat à l’économie). A______ a répondu ne pas être en mesure de transmettre le moindre document autre que ceux « déjà fournis ».

h.             Le 5 septembre 2022, le Ministère public a avisé l’OFDF, qui l’avait interpellé, que la procédure pénale était toujours en cours.

i.               Le 14 mars 2023, il a contacté l’Office fédéral de la culture (ci-après, OFC), pour se faire proposer un expert apte à examiner certains des objets séquestrés. L’OFC lui a répondu le lendemain.

j.               Par plis des 16 mars et 10 juillet 2023 et 14 février 2024, A______ a demandé au Ministère public de bien vouloir fixer la suite de la procédure, en particulier en levant les séquestres.

C.         a. À l'appui de son recours, A______ revient sur la chronologie qui précède et ajoute que son avocat avait encore reçu pour réponse orale, le 26 avril 2024, qu’il conviendrait d’écrire au Ministère public. Sa demande de levée de séquestre datait de quatorze mois plus tôt, et le Ministère public faisait montre d’inactivité totale. Son statut de tiers saisi lui conférait la qualité pour recourir.

b.             Le Ministère public, tout en prétendant que le recourant ne démontrait pas d’atteinte immédiate et personnelle à ses droits, conclut au rejet du recours. L’inactivité reprochée n’atteignait pas le seuil requis en jurisprudence, et le dossier était relativement volumineux et portait sur une matière complexe.

c.              A______ réplique que le Ministère public, le même jour qu’il présentait ses observations sur le recours, avait émis un mandat de comparution pour l’entendre (le 16 juillet 2024), à titre de renseignements.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme prescrite (art. 385 al. 1 CPP).

2.             2.1. La notion de partie énoncée à l'art. 382 CPP doit notamment être comprise au sens de l'art. 105 CPP. Selon l'al. 1 let. f de cette disposition, participent à la procédure les tiers touchés par des actes de procédure. Lorsque des participants à la procédure visés à l'alinéa 1 sont directement touchés dans leurs droits, la qualité de parties leur est reconnue dans la mesure nécessaire à la sauvegarde de leurs intérêts (art. 105 al. 2 CPP). Pour que le participant à la procédure se voie reconnaître la qualité de partie en application de l'art. 105 al. 2 CPP, il faut que l'atteinte à ses droits soit directe, immédiate et personnelle, une atteinte de fait ou indirecte étant insuffisante. L'atteinte est, par exemple, directe lorsqu'elle entraîne une violation des droits fondamentaux ou des libertés fondamentales, en particulier lorsque des mesures de contrainte sont ordonnées (ATF 145 IV 161 consid. 3.1 in fine).

Ainsi, un tiers saisi peut recourir contre le refus de lever un séquestre qui le frappe (ACPR/580/2023 du 26 juillet 2023 consid. 1 et 2). A également qualité pour recourir contre une telle mesure celui qui détient des antiquités séquestrées soupçonnées d’être des biens culturels de provenance illicite, et qui s’en prétend légitime propriétaire (ACPR/428/2022 du 6 juin 2023 consid. 1).

La personne appelée à donner des renseignements peut, elle aussi, être directement touchée par une décision de l’autorité et se voir conférer la qualité pour recourir (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 17 ad art. 105).

2.2. En l’occurrence, que le recourant doive être entendu prochainement à titre de renseignements ne saurait priver celui-ci du droit de s’en prendre tant au refus inexprimé de l’autorité pénale de rendre un prononcé qu'à l'omission de le faire dans un temps qu'appelait raisonnablement l'ensemble des circonstances, au sens de l'art. 393 al. 2 let. a CPP.

Il n'y a pas de délai pour saisir la Chambre de céans d'un tel grief (art. 396 al. 2 CPP).

Le recours est par conséquent recevable.

3.             Le recourant reproche au Ministère public de n'avoir indûment pas statué sur sa demande formelle de levée de séquestre du 16 mars 2023.

3.1.       À teneur de l'art. 5 al. 1 CPP, les autorités pénales engagent les procédures pénales sans délai et les mènent à terme sans retard injustifié. Cette disposition concrétise le principe de célérité, et prohibe le retard injustifié à statuer, posé par l'art. 29 al. 1 Cst., qui garantit notamment à toute personne, dans une procédure judiciaire ou administrative, le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable. Un déni de justice ou un retard injustifié est établi lorsqu'une autorité s'abstient tacitement ou refuse expressément de rendre une décision dans un délai convenable (Message concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, FF 2001 4132). Si l'autorité refuse de statuer sur une requête qui lui a été adressée, soit en l'ignorant purement et simplement, soit en refusant d'entrer en matière, elle commet un déni de justice formel (ACPR/187/2012 du 8 mai 2012; G. PIQUEREZ/ A. MACALUSO, Procédure pénale suisse : Manuel, 3e éd., Zurich 2011, n. 187). Une autorité commet un déni de justice formel et viole l'art. 29 al. 1 Cst. lorsqu'elle n'entre pas en matière dans une cause qui lui est soumise dans les formes et délais prescrits, alors qu'elle devrait s'en saisir (ATF 142 II 154 consid. 4.2 p. 157; 135 I 6 consid. 2.1 p. 9; 134 I 229 consid. 2.3 p. 232).  Les art. 5 CPP et 29 al. 1 Cst. garantissent notamment à toute personne le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable. Ces dispositions consacrent le principe de la célérité et prohibent le retard injustifié à statuer. L'autorité viole cette garantie lorsqu'elle ne rend pas une décision qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou dans le délai que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable (ATF 143 IV 373 consid. 1.3.1). Comme on ne peut pas exiger de l'autorité pénale qu'elle s'occupe constamment d'une seule et unique affaire, il est inévitable qu'une procédure comporte quelques temps morts. Lorsqu'aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut; des périodes d'activités intenses peuvent donc compenser le fait que le dossier a été laissé momentanément de côté en raison d'autres affaires. Le principe de la célérité peut être violé même si les autorités pénales n'ont commis aucune faute; elles ne sauraient exciper des insuffisances de l'organisation judiciaire (ATF 130 IV 54 consid. 3.3.3).

3.2.       Il appartient au justiciable d'entreprendre ce qui est en son pouvoir pour que l'autorité fasse diligence, par exemple en l'invitant à accélérer la procédure et à statuer à bref délai, s'il veut pouvoir ensuite soulever ce grief devant l'autorité de recours (ATF 130 I 312 consid. 5.2 ; 126 V 244 consid. 2d). Il serait en effet contraire au principe de la bonne foi, qui doit présider aux relations entre organes de l'État et particuliers en vertu de l'art. 5 al. 3 Cst., qu'un justiciable se plaigne d'un déni de justice devant l'autorité de recours, alors qu'il n'a entrepris aucune démarche auprès de l'autorité concernée pour remédier à la situation (ATF 149 II 476 consid. 1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_4/2023 du 27 février 2023 consid. 2.2).

3.3.       En l'espèce, on ne voit pas que la procédure connaisse de simples temps morts : elle connaît bien plutôt une réelle inactivité, et ce, avant même que le recourant ne s’avise, le 16 mars 2023, de solliciter la levée du séquestre frappant les objets qu’il a entreposés aux Ports-Francs.

Depuis qu’il a été nanti de cette demande, le Ministère public n’a rien entrepris qui lui permettrait de clarifier la situation dont l’avait saisi – quatre ans plus tôt – l’actuel OFDF. Au contraire, s’il a fait mine, l’avant-veille de la demande du recourant, de se faire désigner un expert spécifiquement dédié à l’examen de certains objets parmi ceux séquestrés le 4 mars 2019 – soit il y a plus de cinq ans –, force est de constater qu’il n’en a rien fait à ce jour, et sans s’en expliquer.

Qui pis est, on ne voit pas en quoi l’audition formelle du recourant, première au dossier, pourrait tenir lieu de la « décision » attendue, à savoir une libération ou non de séquestres. Le recourant a beau jeu de pointer la concomitance entre la date des observations du Ministère public et celle du mandat de comparution que celui-ci lui a décerné.

Par conséquent, un déni de justice et un retard injustifié sont constitués.

Le recours doit être admis.

4.             En pareil cas, la Chambre de céans peut donner des instructions au Ministère public, en lui impartissant un délai pour s’exécuter (art. 397 al. 4 CPP). À ce titre, le recourant demande que vingt jours soient impartis au Ministère public pour qu’il se prononce sur la levée des séquestres. On doit cependant laisser ouverte la possibilité que le recourant fournisse des éléments probants lors de son audition, le 16 juillet 2024. Aussi un délai au 31 juillet 2024 apparaît-il expédient.

5.             Le recourant, qui a gain de cause, n’assumera pas de frais judiciaires (art. 423 al. 1 et 428 al. 1 CPP).

6.             Il prétend à une indemnité de CHF 2'737.50 TTC pour l’activité de son avocat en instance de recours (à raison de CHF 450.-/h.).

Dans la mesure où le temps consacré à la réplique est égal à celui consacré au recours, le total revendiqué pour cette activité rédactionnelle, de quatre heures et vingt minutes, se situe à la limite de la durée admissible pour une cause qui eût dû se réduire à simplement récapituler les étapes (ou les absences d’étapes) de la procédure et rappeler la jurisprudence topique. On peut, certes, comprendre que le distinguo introduit par le Ministère public dans ses observations appelait de brèves recherches dans cette direction, mais certainement pas sur deux heures, consacrées essentiellement à citer des pièces d’un dossier dont la consultation n’avait pris que vingt minutes.

Aussi une durée de quatre heures, pour l’ensemble de l’activité nécessaire, sera-t-elle retenue et indemnisée.

La TVA n’est pas due (ATF 141 IV 344 consid. 4.1).

 

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours, constate un retard injustifié du Ministère public et impartit à cette autorité un délai au 31 juillet 2024 pour statuer sur la demande de levée de séquestres.

Laisse les frais de l’instance de recours à la charge de l’État.

Alloue à A______, à la charge de l’État, une indemnité de CHF 1'800.-, non soumise à la TVA, pour ses frais de défense en instance de recours.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur) et au Ministère public.

Le communique pour information à l’Administration fédérale des douanes (réf. : OFC FL 1______, 2______).

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Valérie LAUBER et
Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).