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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/17260/2023

ACPR/443/2024 du 12.06.2024 sur ONMMP/617/2024 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;MOTIVATION;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;CONSULTATION DU DOSSIER
Normes : CPP.310; CPP.3

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/17260/2023 ACPR/443/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 12 juin 2024

 

Entre

A______, représenté par Me B______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 9 février 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 22 février 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 9 précédent, notifiée le 12 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à l'ouverture d'une instruction.

b. Le recourant a été dispensé de verser les sûretés (art. 383 CPP).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Le 8 août 2023, A______, avocat à Genève, a déposé plainte contre C______ pour calomnie (art. 174 CP), voire diffamation (art. 173 CP).

L'un de ses clients avait emprunté EUR 120'000.- à C______. Dans cette affaire, il ne représentait aucune des deux parties. Il avait agi comme un simple intermédiaire, tandis que l'argent prêté avait transité sur le compte de son étude avant d'être immédiatement viré sur le compte de l'emprunteur. C______, qui n'avait pas été remboursé, lui avait alors adressé deux courriels et avait rédigé un avis négatif sur Google [en lien avec l'étude d'avocats D______], dans le but de ternir sa réputation.

a.b. Le premier courriel de C______, du 9 avril 2023, a été adressé en copie à l'adresse générale de l'étude de A______, ainsi qu'à un associé et deux collaborateurs. Il avait la teneur suivante:

"Bonjour A______,

Je voudrais savoir où sont ils parties mes fonds de 120'000 euros que je vous ai envoyés le 10 aout 2022 ?

Sachez que je vais médiatiser cette affaire et je le ferai connaitre à tous les avocats de Genève et de Suisse !!! J'ai des agents qui travaillent dessus…

Vous croyez que ces fonds je le ai trouvés dans un poubelle ? Je suis père d'une famille qui cherchait à investir, est bientôt père d'un garçon… Je ne laisserai pas MES FONDS MON ARGENT PARTIR COMME CA je vous le promets !!!

Je souhaite à tous le cabinet D______ une bonne fête de pâques sauf à A______".

a.c. Le second, du 9 mai 2023, a été envoyé en copie à deux cents adresses électroniques environ, comprenant des avocats de la place et des journaux. Sa teneur était la suivante:

"Bonjour A______

Je vous redemande où sont mes 120 mille euros que je vous ai envoyés à vous et vos soi-disant clients […] et […] et la société […] sachant que vous nous aviez garantie (trois témoins) que l'affaire et les documents sont corrects mais d'après le rapport que nous avons reçu tous les documents sur l'OR que j'ai reçu sont falsifiés !!!!!!!!

Tout Genève (les sociétés, les hôpitaux, les assurances, les libéraux) connaitront mon affaire.

Cher Avocat pénal et civil de Genève, je vous mets en CC aujourd'hui pour que vous sachiez l'histoire avec A______ cabinet D______ un avocat de Genève. Je lui ai envoyé 120 mille euros en aout dernier sois disant que son client (son ami) […] et la société […] ont 652 KG D'OR et qu'il allait me rendre ces fonds en un mois de temps (sous contrat signé dans le cabinet D______), mais depuis rien et a plusieurs reprises son ami […] me demande de renvoyer des fonds au compte de A______ sois disant qu'il est en fasse de finition du raffinage de l'or pour que je reçoive mes fonds.

Si vous connaissez une personne ayant le même souci avec les mêmes personnes physiques ou moraux, où vous avez entendu quelque chose, contactez-moi svp !!!".

a.d. L'avis négatif sur Google, non daté, se lit comme suit: "A éviter ce cabinet A______ a reçu des fonds de grande somme de la part de ces clients […] et à ce jour les sommes n'ont jamais étais rendu. Faites attention un grand conseille..!!".

b. Entendu par la police, C______ a admis être l'auteur de ces trois messages. Il pensait être dans son droit car A______ l'avait induit en erreur. Ce dernier devait vérifier les documents remis lors de la signature du prêt, mais ceux-ci étaient en réalité falsifiés, en ce sens que l'emprunteur ne possédait pas l'or qu'il prétendait détenir. A______ avait ainsi effectué son travail avec négligence car il avait affirmé que tout était en ordre. S'il avait mis plusieurs personnes en copie de ses courriels, c'était dans l'unique but de les aider à faire preuve de clairvoyance. Six à dix autres tiers avaient été "arnaqués" pas A______ et ils (lui compris) avaient porté plainte (P/1______/2022).

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que la plainte était tardive concernant le courriel du 9 avril 2023. Pour celui du 9 mai 2023 et l'avis sur Google, leur contenu suggérait que A______ s'était approprié sans droit les fonds de C______, voire qu'il aurait confectionné de faux documents ou aurait été complice de tels agissements. Ces écrits pouvaient constituer des propos attentatoires à l'honneur. Toutefois, il n'était pas contesté que le client de A______ n'avait pas remboursé le prêt, dont la somme avait transité sur le compte de l'étude de ce dernier. Il ressortait, en outre, de la procédure P/1______/2022 que C______ avait reçu une expertise établissant que plusieurs documents soumis lors de l'octroi de ce prêt étaient des faux. Le précité avait donc des raisons sérieuses de penser qu'il pouvait être victime d'une escroquerie et pouvait donc croire de bonne foi que ses allégations étaient vraies. Par ailleurs, C______ cherchait à savoir si d'autres personnes avaient été victimes de faits similaires à ceux dénoncés, de sorte que ce dernier ne paraissait pas agir dans le dessein de nuire mais plutôt d'alerter et/ou de rassembler des informations pouvant confirmer ses soupçons.

D. a. Dans son recours, A______ invoque une violation des art. 29 al. 2 Cst., 107 CPP et 173 CP. Il reproche au Ministère public d'avoir transmis le dossier à la police pour complément d'enquête. Sa plainte était suffisamment exhaustive sur ses soupçons contre C______ et le procès-verbal de l'audition de ce dernier aurait dû lui être soumis. En outre, l'autorité intimée s'était référée à la procédure P/1______/2022, et en particulier une expertise, auxquelles il n'avait pas accès. Son droit d'être entendu n'avait ainsi pas été respecté.

Sur le fond, le recourant soutient que C______, par ces écrits, l'accusait d'abus de confiance et de faux dans les titres, sans chercher à alerter d'autres personnes mais plutôt pour les rassembler et faire pression sur lui. La "justice propre" ne devait pas être protégée. Le précité était motivé, pour l'envoi du courriel du 9 mai 2023 et la rédaction de l'avis sur Google, par l'intention de lui nuire, afin de récupérer l'argent prêté. C______ ne devait ainsi pas être admis aux preuves libératoires.

b. Par ses observations, le Ministère public confirme la teneur de son ordonnance et estime que la transmission de la plainte à la police était justifiée. À réception du rapport de cette dernière, il n'avait pas le devoir d'instruire les faits, ni d'interpeller le plaignant, qui s'était déjà exprimé dans sa plainte. Sur le fond, s'il n'était ni opportun ni nécessaire de mettre en copie une centaine d'avocats au courriel du 9 mai 2023, le mis en cause s'était limité à relater sa version des faits. Les éléments mentionnés par A______ dans son recours, soit en particulier les documents soumis lors de la conclusion du contrat de prêt litigieux ainsi que le contenu de l'expertise, n'étaient pas pertinents pour juger le caractère diffamatoire ou non des écrits de C______, et étaient instruits dans la procédure parallèle, que les parties n'avaient pas le droit de consulter. Il semblait dès lors établi que, si une accusation devait être portée devant le tribunal, le mis en cause pouvait amener la preuve de sa bonne foi.

c. A______ n'a pas répliqué.


 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             2.1. Le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst., art. 3 al. 2 let. c CPP) comprend notamment pour le justiciable le droit de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d'obtenir l'administration des preuves pertinentes et valablement offertes, de participer à l'administration des preuves essentielles et de se déterminer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 II 218 consid. 2.3; 140 I 285 consid. 6.3.1).

Ce droit comprend également l'obligation pour l'autorité de motiver ses décisions afin que le destinataire puisse la comprendre, la contester utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle (ATF 139 IV 179 consid. 2.2).

2.2. En l'espèce, le recourant ne remet pas en cause la non-entrée en matière en lien avec le courriel du 9 avril 2023, en raison de la tardiveté de la plainte pour ces faits. Ce volet n'étant pas contesté, il n'y a pas lieu d'en discuter.

Pour le reste, le Ministère public a examiné, dans son ordonnance, les preuves libératoires que pourrait faire valoir le mis en cause en lien avec le courriel du
9 mai 2023 et l'avis négatif sur Google. Pour ce faire, il s'est référé à la procédure parallèle P/1______/2020. Plus particulièrement, il a mentionné une expertise, vraisemblablement produite dans ladite procédure, qui établirait la fausseté de documents liés au contrat de prêt dont la somme prêtée a transité par le compte de l'étude du recourant. Sur la base de ces éléments, l'autorité intimée est arrivée à la conclusion que le mis en cause pouvait avoir des raisons sérieuses de penser qu'il était victime d'une escroquerie.

Pas plus que le recourant, la Chambre de céans n'a accès à la procédure P/1______/2020 ni ne dispose de l'expertise susmentionnée. Elle ignore ainsi tout du contenu et de la teneur de l'une comme de l'autre. Les seules informations qui ressortent du dossier à propos de cette procédure parallèle sont celles données par le mis en cause à la police, à savoir qu'elle a fait suite aux plaintes déposées par ce dernier et d'autres tiers.

Dans ces circonstances, le recourant n'était pas en mesure de connaître les éléments utiles ayant conduit au prononcé de l'ordonnance querellée. En retenant que le mis en cause pourrait amener la preuve de sa bonne foi, l'autorité précédente s'est fondée sur des éléments de preuve dont le recourant n'a pas connaissance, en violation de son droit d'être entendu. En outre, le dossier de la présente cause étant dépourvu des pièces de la procédure parallèle, la Chambre de céans ne peut contrôler la motivation de l'ordonnance querellée.

3.             Fondé, le recours doit ainsi être admis et l'ordonnance querellée sera, partant, annulée.

Si le Ministère public compte se fonder sur des éléments de la P/1______/2020 pour mettre le mis en cause au bénéfice des preuves libératoires, il lui revient de procéder de manière formelle, en ordonnant l'apport des pièces utiles.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5.             Représenté par un avocat, le recourant a sollicité une indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure de recours, chiffrée à CHF 1'459.35, correspondant à 3h d'activité au tarif horaire de CHF 450.-, TVA incluse.

Ce montant apparaît excessif, compte tenu de l'ampleur de l'écriture de recours (dix pages, page de garde et conclusions comprises), dont seule une brève partie est consacrée aux développements juridiques pertinents.

L'indemnité sera ainsi arrêtée à CHF 972.90, correspondant à deux heures d'activité, TVA (8.1%) incluse (art. 433 al. 1 let a et 436 al. 1 CPP), et mise à la charge de l'État (ATF 141 IV 476 consid. 1.1-1.2).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet le recours.

Annule l'ordonnance de non-entrée en matière du 9 février 2024 en tant qu'elle porte sur le courriel du 9 mai 2023 et l'avis Google et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

La confirme pour le surplus.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 972.90, TVA (8.1% incluse) (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).