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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6636/2023

ACPR/437/2024 du 12.06.2024 sur OTMC/1246/2024 ( TMC ) , ADMIS/PARTIEL

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6636/2023 ACPR/437/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 12 juin 2024

Entre

A______, représenté par Me B______, avocat,

recourant

 

contre l'ordonnance de prolongation partielle des mesures de substitution rendue le 23 avril 2024 par le Tribunal des mesures de contrainte

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9,
1204 Genève, case postale 3715, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés

 


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 2 mai 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 23 avril 2024, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a ordonné, pour cinq mois, la prolongation des mesures de substitution auxquelles il est assujetti (interdiction de se rendre au domicile conjugal ; interdiction d'entretenir tout rapport quelconque avec C______, sa femme, à l'exception de contacts par messages téléphoniques écrits strictement limités aux besoins de leurs enfants ; obligation de suivre les règles ordonnées dans ce cadre par le Service de probation et d'insertion [ci-après : SPI]).

Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance querellée et au rejet de la demande de prolongation du Ministère public, subsidiairement, à la limitation à un mois de la durée des mesures de substitution, soit jusqu’au 28 mai 2024.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        A______, né en 1960, de nationalité suisse, a été arrêté le 26 mars 2023.

b.        Il est soupçonné de lésions corporelles simples (art. 123 CP), voies de fait (art. 126 CP), injure (art. 177 CP) et menaces (art. 180 CP) pour avoir à Genève, au domicile conjugal :

-       à tout le moins depuis l'année 2015 et jusqu'en mars 2023, à réitérées reprises, menacé de mort C______ ;

-       à tout le moins depuis l'année 2020, période non couverte par la prescription, et jusqu'en mars 2023, à réitérées reprises, lancé sur elle des objets, dans le but de l'atteindre, mais sans pour autant réussir, de l'avoir griffée et de lui avoir tiré les cheveux et d'avoir tenté de lui asséner des coups de pied et de poing ;

-       depuis le début de l'année 2023, période couverte par le dépôt de plainte, à réitérées reprises, l’avoir traitée de « pute » et de « salope », l'atteignant ainsi dans son honneur.

Il lui est également reproché d'avoir, à Genève, au domicile conjugal, devant leurs enfants :

-       menacé de mort son épouse, en lui disant : « je vais te pourrir la vie, je vais te tuer » ;

-       traité son épouse de « pute » et de « salope » ;

-       asséné un coup de poing au front de son épouse, la blessant.

A______ conteste ces accusations, se considérant soumis à son épouse. Les enfants du couple, nés en 2010 et 2012, ont confirmé pour partie les faits reprochés ci-dessus.

C______ a expliqué être victime de violences conjugales depuis plusieurs années. Elle vivait un enfer et avait très peur de son mari, lequel pouvait mettre ses menaces à exécution.

c.         À l'issue de l'audience du 27 mars 2023, le Procureur a décidé d'élargir le prévenu sous les mesures de substitution suivantes : interdiction de se rendre au domicile conjugal ; interdiction d'entretenir des « rapports », sous quelque forme que ce soit, avec C______ ; obligation de se soumettre à un suivi thérapeutique régulier, aux rythme et conditions fixés par le thérapeute, pour ses problèmes de gestion de la violence, par exemple par le biais de l'association D______ ; obligation de produire en mains du SPI, chaque mois, un certificat attestant de la régularité du suivi thérapeutique ; obligation de se présenter au SPI d'ici au 30 mars 2023 ; obligation de suivre les règles ordonnées dans ce cadre par ledit Service.

Le précité a acquiescé à ces mesures.

Par ordonnance du 28 mars 2023, le TMC les a ratifiées et en a fixé l'expiration au 26 septembre 2023.

d.        À l'audience de confrontation du 31 mai 2023, les parties ont maintenu leurs positions, chacune s’affirmant soumise à l'autre.

e.         Par mandat d'actes d'enquête du 1er juin 2023, le Ministère public a notamment délégué à la police l'audition de témoins, à savoir les enfants du prévenu issus d'une précédente union, ainsi que la sœur de la plaignante.

Il ressort de ces auditions que la sœur de la plaignante corrobore les propos de cette dernière, ajoutant avoir peur que le mari de celle-ci ne la tue, et avoir vu des marques rouges sous l'œil de sa sœur, 4 ou 5 ans plus tôt. Les enfants du prévenu, majeurs, confirment la position défendue par leur père, soit sa soumission à son épouse, et que les enfants du couple sont manipulés par leur mère.

f.          Après que l’épouse se fut plainte à plusieurs reprises que A______ ne respectait pas les interdictions d'entretenir des rapports avec elle et de se rendre au domicile conjugal (il venait souvent à l'école des enfants et en bas de son domicile, la dernière fois le 31 août 2023, et lui avait envoyé plusieurs sms via le téléphone de leur fils, la dernière fois le 7 juillet 2023, lui demandant notamment de retirer sa plainte, car cela pourrait « baisser la condamnation »), le Ministère public a invité le prévenu, les 17 juillet et 12 septembre 2023, à respecter les mesures de substitution auxquelles il était soumis.

g.        Par ordonnance du 6 octobre 2023, le TMC a prolongé ces mesures jusqu'au 28 mars 2024.

À la suite d'un recours de A______, la Chambre de céans a partiellement annulé cette décision, réduisant de deux mois la durée de prolongation, soit au 28 janvier 2024 (ACPR/867/2023 du 7 novembre 2023).

La Chambre a notamment considéré que les risques de récidive et de collusion persistaient. Cependant, l'interdiction faite à A______ de contacter son épouse paraissait difficilement compatible avec l'intérêt des enfants, sous l'angle de la communication parentale à leur sujet. Il était donc disproportionné de porter la durée des mesures à six mois, puisque le Ministère public semblait sur le point de clore l'instruction et n'attendait que le rapport du Service d'évaluation et d'accompagnement de la séparation parentale (ci-après, SEASP). Quatre mois paraissaient suffisants pour permettre au Ministère public de clore la procédure et de décider de la suite à lui donner.

h.        Selon le rapport du SPI du 25 janvier 2024, A______ se présentait régulièrement aux rendez-vous fixés et était collaborant. Le prénommé avait « bien retenu la leçon » concernant les interdictions de contact avec son épouse et regrettait ses écarts passés.

i.          Un certificat thérapeutique de l'association D______, du même jour, atteste du suivi de A______. Celui-ci avait pu revoir ses enfants depuis le mois d'août 2023, dans un point de rencontre, mais s'inquiétait pour eux, car ils ne semblaient pas libres de leur parole. Son suivi relevait d'un soutien dans son éloignement et des conséquences liées à sa situation.

j.          Le 8 février 2024, le Ministère public a reçu du Tribunal civil, comme il le lui avait demandé, le rapport du SEASP. Selon ce rapport, le lien de A______ avec les enfants du couple était complètement rompu, et ceux-ci ne souhaitaient pas le revoir ; il convenait d’en attribuer la garde à leur mère ; les contacts de A______ avec eux devraient reprendre dans un lieu thérapeutique, selon des modalités à définir avec la curatrice des relations personnelles [nommée en été 2023].

k.        Le 20 février 2024, le Ministère public a émis l’avis de prochaine clôture de l’instruction, annonçant le prononcé d’une ordonnance pénale. A______ a demandé encore l’audition de six témoins, voisins ou ex-alliés, et C______, d’une collègue de travail.

l.          Le 28 mars 2024, la Chambre de céans a rejeté un recours de A______ contre la prolongation des mesures jusqu’au 28 avril 2024, soit pour la durée de trois mois demandée par le Ministère public (ACPR/229/2024).

Nonobstant le dépôt du rapport du SEASP, la possibilité existait encore, si toutes les restrictions de contact étaient levées avant la fin de la procédure, que le recourant ne tentât de pousser son épouse à modifier ses déclarations et/ou à retirer sa plainte, comme il avait tenté de le lui faire faire par le passé. La situation, sous cet angle, soit celui du risque de collusion, demeurait inchangée.

Quant au risque de réitération, il devait lui aussi être retenu. Nonobstant l'absence d'antécédent du prévenu, la durée des faits soupçonnés et les reproches constants de celui-ci à son épouse par l'intermédiaire de différents intervenants pouvaient encore être considérés comme des sources de tension, laissant craindre une récidive en cas de levée des mesures.

m.      Dans sa demande de prolongation de celles-ci – du 19 avril 2024 –, le Ministère public rappelle les auditions de témoins demandées, précise avoir reçu le dossier du greffe de la Chambre de céans le 28 mars 2024 et sollicite une durée de six mois, le temps de statuer sur les réquisitions de preuve, convoquer le cas échéant les témoins et fixer la suite de la procédure.

C. Dans l'ordonnance entreprise, le TMC reprend les arguments du Ministère public et fixe la durée de la prolongation à cinq mois, soit jusqu’au 28 septembre 2024, au motif que cette durée était nécessaire « avant la date de l’audience de jugement », qui n’interviendrait vraisemblablement pas avant plusieurs mois, car le prévenu n’était pas détenu.

D. a. À l'appui de son recours, A______ relève que les mesures étaient en vigueur depuis plus d’un an. En ayant annoncé une ordonnance pénale, le Ministère public montrait qu’il tenait les faits pour établis, de sorte qu’aucun risque de collusion ne pouvait plus être retenu. La Chambre de céans, dans sa dernière décision, n’avait pas expliqué pourquoi un retrait de plainte ou une modification des déclarations de la plaignante entraveraient la manifestation de la vérité.

Quant au risque de réitération, la durée des faits reprochés n’était pas un argument. La Chambre de céans n’avait pas donné d’explication claire à ce sujet.

Il n’y avait aucune logique à prolonger les mesures de substitution de cinq mois, en regard des durées de prolongation précédentes. La peine menace concrètement envisageable était très proche de la durée totale des mesures à ce jour. Le principe de la proportionnalité commandait de lever toutes ces mesures. Les conditions posées par la Chambre dans sa dernière décision étaient aujourd’hui remplies.

b. Le TMC renonce à formuler des observations et maintient les termes de son ordonnance.

c. Le Ministère public s’en tient aux motifs de sa demande et aux décisions rendues.

d. Le recourant a répliqué.

EN DROIT :

1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 384 let. b, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222, 237 al. 4 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2. Le recourant ne remet pas en cause l'existence de charges suffisantes, mais conteste les risques de collusion et de réitération. Il estime disproportionné le maintien des mesures de substitution.

2.1. Les principes applicables ont été exposés dans l’arrêt de la Chambre de céans du 28 mars 2024 (ACPR/229/2024 consid. 2.1. à 2.3.). Il peut y être renvoyé sans inutile redite.

2.2. En l'espèce, le Ministère public, au retour du dossier après le dernier arrêt de la Chambre de céans, a saisi le TMC trois semaines plus tard d’une demande de prolongation des mesures, pour six mois, sans avoir statué sur les suggestions d’audition de témoins qui lui ont été soumises, se contentant de réserver « la suite de la procédure » là où son avis de prochaine clôture de l’instruction annonçait le prononcé d’une ordonnance pénale. De son côté, le premier juge augure d’une audience « de jugement » qui ne se tiendrait pas avant plusieurs mois, sans que l’évolution de la procédure depuis son ordonnance précédente ou que la position du Ministère public – qui avait expressément annoncé une ordonnance pénale, et non un acte d’accusation – ne l’explique. Pour sa part, le recourant, qui estime disparu le risque de collusion au motif que l’annonce d’une ordonnance pénale signifiait que les faits reprochés étaient établis (cf. art. 352 al. 1 CPP), propose l’audition de six témoins, voisins ou ex-alliés, lesquels n’apparaissent pas être des témoins dits de moralité. Quant à elle, la plaignante, qui a pris des conclusions civiles à l’attention « du Tribunal correctionnel », a demandé à faire entendre une collègue de travail sur ce qu’elle lui a confié de sa vie conjugale.

Il s’ensuit que l’instruction n’est pas encore terminée, pour des raisons tenant aussi au recourant, et ce, quel que soit le mode qui sera adopté pour le règlement définitif de la procédure préliminaire (cf. art. 299 al. 2 let. a et b CPP).

En outre, le rapport du SEASP confirme les positions diamétralement opposées de la plaignante et du recourant dans leur différend conjugal et son origine. La possibilité subsiste par conséquent que celui-ci ne tente d’inciter celle-là à retirer sa plainte, comme il a tenté de le faire par le passé.

Or, toutes les préventions qui lui ont été notifiées au mois de mars 2023 sont poursuivies sur plainte.

Par surcroit, peu de preuves objectivent ces accusations, que le recourant conteste intégralement. Il n’en est que plus nécessaire de préserver la plaignante de toute pression. Qu’elle n’ait pas montré de nouveau signe d’inquiétude après l’admonestation du recourant par le Ministère public, au mois de septembre 2023, peut être l’indice de l’efficacité des règles de comportement imposées au recourant.

Quant au risque de réitération, il continue de devoir être apprécié de manière similaire aux derniers arrêts de la Chambre. Là aussi, la quiétude régnant apparemment chez la plaignante peut raisonnablement trouver son fondement dans l’efficacité des règles de comportement imposées au recourant.

Pour le surplus, il n’y a pas à s’attarder sur les critiques que le recourant décoche à la motivation précédente de la Chambre de céans, puisqu’il ne l’a pas attaquée.

2.3. Le recourant invoque le principe de proportionnalité.

L’atteinte portée à sa liberté personnelle demeure toutefois légère, quelle qu’en soit aujourd’hui la durée. Le recourant – dont le SEASP constate qu’il n’a plus aucun lien avec les enfants qu’il a eus avec la plaignante et que ceux-ci ne souhaitent pas le revoir – ne fait valoir aucun intérêt personnel qui l’emporterait sur la restriction des contacts avec celle-ci ou sur l’interdiction de s’approcher de son domicile. On ne voit pas qu’un allègement lui serait utile ni ce qu’il lui apporterait concrètement, puisque la reprise du lien avec ses enfants – lien dont la Chambre de céans avait voulu tenir compte à la lumière d’un souhait du Service de protection des mineurs (ACPR/867/2023, précité, consid. 4.3.) – devrait passer, selon le rapport du SEASP, par la curatrice des relations personnelles et dans un lieu thérapeutique.

Cela étant, la règle applicable aux prolongations, de détention ou de mesures de substitution, est de trois mois (ATF 141 IV 190 consid. 3.3.) ; une prolongation d’une durée de six mois est voulue exceptionnelle par le législateur (art. 227 al. 7 CPP). La raison invoquée à cet égard par le premier juge pour outrepasser la limite usuelle – soit le calendrier judiciaire, si le recourant était renvoyé en jugement – n’est pas convaincante, puisque cette hypothèse ne trouve pas d’assise dans le dossier.

Il y a donc lieu de s’en tenir aux trois mois qui sont de règle et qui sont largement compatibles avec les auditions demandées après la dernière décision de la Chambre de céans et avec le prononcé d’une ordonnance pénale.

Sur ce point, le recours s’avère fondé.

3. Le recourant, qui obtient partiellement gain de cause, ne supportera pas de frais envers l'État.

4. L'indemnité de son défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet partiellement le recours, annule le ch. 2 de l’ordonnance attaquée et fixe au 23 juillet 2024 l’expiration des mesures de substitution en vigueur, charge à la Direction d’en requérir la prolongation si elle s’y estime fondée à cette échéance.

Laisse les frais de l’instance à la charge de l’État.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

Le communique, pour information, au Service de probation et d'insertion.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Valérie LAUBER, juges ; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).