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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/13121/2023

ACPR/430/2024 du 10.06.2024 sur OCL/544/2024 ( MP ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;INTÉRÊT JURIDIQUEMENT PROTÉGÉ;PERSONNE MORALE;LÉSÉ
Normes : CPP.319; CPP.382

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13121/2023 ACPR/430/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 10 juin 2024

 

Entre

A______ et B______, tous deux représentés par Me Philippe JACQUEMOUD, avocat, JACQUEMOUD STANISLAS, place des Philosophes 10, case postale, 1211 Genève 4,

recourants,

 

contre l'ordonnance de classement rendue le 24 avril 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 6 mai 2024, A______ et B______ recourent contre l'ordonnance du 24 avril précédent, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a rejeté leurs réquisitions de preuve (chiffre 1 du dispositif), ordonné le classement de la procédure à l'égard de C______ (ch. 2) et ordonné la levée des séquestres des comptes nos 1______, ouvert au nom de D______ LTD, et 2______, ouvert au nom de E______ LTD, auprès de [la banque] F______ (ch. 3).

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public pour poursuite de l'instruction des chefs de tentative d'escroquerie, subsidiairement de tentative de gestion déloyale et de faux dans les titres.

b. Les recourants ont partiellement versé les sûretés en CHF 2'000.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure, un solde de CHF 36.30 étant ouvert.

c. Par ordonnance du 7 mai 2024 (OCPR/21/2024), la Direction de la procédure a, sur demande d'effet suspensif, maintenu le séquestre des comptes susmentionnés.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. G______, décédé en Thaïlande le ______ 2020, était le frère de A______ et B______, ainsi que l'époux de C______, avec qui il s'était marié en France, le ______ 1998, mais dont il vivait séparé depuis 2009.

Il était l'unique actionnaire et administrateur de D______ LTD et E______ LTD, sociétés sises aux îles Vierges britanniques (ci-après: les BVI).

Ces sociétés étaient titulaires de deux relations bancaires (nos 1______ et 2______), dont G______ était l'ayant droit économique, ouvertes en les livres de [la banque] F______. Leur valeur totale s'élevait, à la fin avril 2022, à plus de USD 10 millions.

b. Le 16 juin 2023, A______ et B______ ont porté plainte contre C______ des chefs de tentative d'escroquerie (art. 22 cum art. 146 CP), subsidiairement de tentative de gestion déloyale (art. 22 cum art. 158 CP) et de faux dans les titres (art. 251 CP).

Ils ont expliqué qu'à la suite du décès de leur frère, C______ avait introduit une action devant les autorités thaïlandaises pour être désignée comme administratrice unique de la succession et faire reconnaître ses droits d'héritière. Pour cela, la précitée avait faussement fait valoir qu'elle était l'épouse légitime de G______, alors que leur mariage n'avait pas été enregistré en Thaïlande, et avait produit un testament dont ils contestaient l'authenticité.

En parallèle de ce litige, C______ avait déposé devant la "High Court of Justice" des BVI une déclaration sous serment, dont le contenu était contesté, visant à se faire octroyer des "Letters of Administration", lui conférant les pouvoirs d'agir comme administratrice unique de la succession. Ils n'avaient été informés ni de l'introduction de cette procédure, ni de la décision donnant droit à la requête de C______. Sur la base de ces documents, C______ s'était fait inscrire comme seule et unique actionnaire de D______ LTD et E______ LTD, faisant fi des règles de la succession, et, par la suite, avait signé deux résolutions à teneur desquelles elle devenait, à leur insu, l'unique signataire des comptes détenus par ces sociétés auprès de F______.

Dans ces circonstances, l'intéressée avait cherché, le 3 janvier 2023, à se faire reconnaitre par la banque comme seule autorisée à représenter D______ LTD et E______ LTD, tout en dissimulant une partie des faits relatifs à la succession de G______. En particulier, elle n'avait pas mentionné l'existence du litige successoral pendant devant les tribunaux thaïlandais, de leurs droits successoraux reconnus à hauteur de 25% et des recours formés contre le jugement des autorités des BVI lui reconnaissant la qualité d'administratrice de la succession. C______ avait même demandé à la banque de garder cette affaire confidentielle. Ils avaient alors tenté – en vain – d'obtenir de la précitée la confirmation qu'elle n'entreprendrait aucune action en rapport avec les avoirs de la succession jusqu'à droit connu concernant les héritiers. Après plusieurs échanges avec F______, celle-ci avait décidé de maintenir le statu quo, le temps d'obtenir une décision judiciaire.

d. Le 10 juillet 2023, le Ministère public a ordonné le séquestre des avoirs en compte pour toute relation dont D______ LTD et E______ LTD étaient titulaires en les livres de F______ et le dépôt, par la banque, de toute la documentation y relative à compter du 4 octobre 2020.

e. Le même jour, il a ordonné à H______ SA, gestionnaire externe des avoirs de D______ LTD et E______ LTD, le dépôt de toute correspondance échangée avec C______ ou ses représentants.

f. Dans un courrier du 27 octobre 2023 au Ministère public, C______ s'est déterminée sur la plainte, dont elle avait pris connaissance dans le cadre d'un litige civil parallèle pendant devant les juridictions genevoises (C/3______/2023).

L'intégralité de ses démarches, critiquées par A______ et B______, s'inscrivait dans le cadre du droit des BVI et dans le respect de ses devoirs d'administratrice de la succession. Elle avait été reconnue en cette qualité par jugement du 10 février 2022 du Tribunal provincial de I______ [Thaïlande]. À la suite de quoi, elle avait requis et obtenu, le 23 septembre 2022, de la "High Court of Justice" des BVI, la délivrance d'un "Grant of Letters of Administration" pour D______ LTD et E______ LTD, sur la base d'une déclaration sous serment et sans omettre la moindre information.

Selon un avis de droit des BVI, "les biens de la succession du défunt [étaient] dévolus au représentant personnel en cette qualité et non en sa qualité d'héritier de la succession". À cet égard, elle avait procédé aux modifications nécessaires auprès du registre du commerce compétent pour être inscrite comme administratrice des deux sociétés, afin de gérer leurs activités et leurs affaires et de garantir ainsi la préservation des avoirs du défunt.

A______ et B______ n'avaient pas contesté la décision du 23 septembre 2022 de la "High Court of Justice" des BVI et se limitaient à alléguer des "prétendues manigances et autres agissements illicites", sans le moindre fondement. À aucun moment elle n'avait requis le transfert des avoirs déposés auprès de F______, et ce, même si elle était en droit de le faire. L'attitude "fallacieuse" des précités l'empêchait d'agir dans l'intérêt de la succession et faisait courir un risque de dommage, dans la mesure où la banque refusait de lui transmettre des informations tant que la situation n'était pas éclaircie.

g. Le 22 décembre 2023, A______ et B______ ont contesté ces éléments.

Dans le courriel du 3 janvier 2023 adressé à F______, C______ avait fourni des registres des actions de D______ LTD et E______ LTD, datés du 20 décembre 2022, lesquels ne reflétaient pas la réalité juridique. Leurs droits reconnus (25% de la succession) n'y apparaissaient pas, ni la détention des actions par la précitée en qualité d'administratrice de la succession ou comme "personal representative". C______ avait produit de nouveaux registres des actions, datés du 2 août 2023, mentionnant cette fois sa qualité de "personal representative" de la succession aux BVI. La première version de ces registres constituait ainsi "la preuve évidente que ce document [était] un faux intellectuel". C______ tentait astucieusement d'induire en erreur la banque afin de s'approprier les avoirs de D______ LTD et E______ LTD. Au demeurant, le sort du litige successoral en Thaïlande n'était pas définitivement tranché, dans la mesure où ils avaient formé recours contre l'arrêt du 13 mars 2023 et, quoiqu'il en soit, la prévenue ne pouvait pas se présenter comme unique ayant droit économique des actions.

h. Par suite de l'avis de prochaine clôture, A______ et B______ ont, le 29 janvier 2024, sollicité du Ministère public:

- l'obtention de toute la documentation bancaire détenue par F______ au sujet des comptes de D______ LTD et E______ LTD;

- l'obtention de toute la documentation utile détenue par H______ SA;

- l'audition de C______.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public rejette les réquisitions de preuves aux motifs que les faits étaient suffisamment établis et que les actes sollicités n'étaient pas susceptibles d'apporter des éléments décisifs. Par ailleurs, la documentation requise avait déjà été obtenue et permettait de déterminer la manière dont C______ s'était présentée auprès des interlocuteurs concernés.

Sur le fond, les pièces versées à la procédure permettaient d'établir que C______ avait bien été l'épouse de feu G______ et que les prétentions de celle-ci dans la succession de son époux semblaient légitimes et reconnues par les autorités thaïlandaises et des BVI. La prévenue avait entrepris des démarches auprès des autorités compétentes, au siège des sociétés D______ LTD et E______ LTD, en déclarant être en droit de réclamer 75% des avoirs de la succession, et non l'intégralité, de sorte qu'elle ne s'était pas présentée comme étant l'unique héritière du défunt. Elle avait été désignée comme administratrice de la succession aux BVI sur la base de ces décisions, avait modifié les registres des actionnaires et administrateurs des deux sociétés en question et avait pris des résolutions l'instituant comme seule signataire des comptes auprès de F______. Enfin, dans le courriel adressé à la banque le 3 janvier 2023, elle se présentait comme administratrice et non comme seule et unique bénéficiaire ou encore héritière des actions. Ainsi, les documents transmis à la banque ne constituaient pas des faux dans les titres et, a fortiori, aucune escroquerie ne pouvait être retenue.

D. a. Dans leur recours, A______ et B______ reprochent au Ministère public une constatation inexacte et incomplète des faits et une violation de l'art. 319 CPP. Il ressortait de leur plainte que C______ s'était fait délivrer des "Letters of Administration" en présentant de façon incomplète les faits, qu'elle avait fait usage de ce pouvoir pour se désigner administratrice de D______ LTD et E______ LTD et modifier les registres d'actionnaires et, enfin, qu'elle avait signé des résolutions pour ces sociétés selon lesquelles elle disposait de la signature individuelle sur les comptes de ces sociétés. Ces documents, faux car ne reflétant pas la réalité juridique, avaient été utilisés auprès de F______, dans le but d'obtenir le transfert des avoirs en sa faveur. Une tentative d'escroquerie, subsidiairement de gestion déloyale, devait ainsi être retenue.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.


 

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP). Il concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).

1.2. Reste à examiner si les recourants disposent de la qualité pour recourir.

1.2.1. Seule une partie à la procédure qui a un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée peut se voir reconnaître la qualité pour agir (art. 382 al. 1 CPP). Tel est, en particulier, le cas du lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure comme demandeur au pénal ou au civil (art. 118 al. 1 CPP).

La notion de lésé est définie à l'art. 115 CPP. Il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction. En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridiquement protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte (ATF 143 IV 77 consid. 2.2; 141 IV 454 consid. 2.3.1).

1.2.2. Lorsqu'une infraction est perpétrée au détriment du patrimoine d'une personne morale, seule celle-ci subit un dommage et peut donc prétendre à la qualité de lésée (ATF 141 IV 380 consid. 2.3.3).

1.3. En l'espèce, on comprend de la plainte des recourants et de leurs écritures subséquentes qu'ils accusent la prévenue de vouloir "s'accaparer" les avoirs déposés sur les relations ouvertes en les livres de F______ et qui font actuellement l'objet d'un séquestre.

Or, ces avoirs appartiennent d'abord et exclusivement à D______ LTD et E______ LTD. Ainsi, même feu G______, unique actionnaire et administrateur de ces sociétés ainsi qu'ayant droit économique des comptes bancaires concernés, n'aurait pas été directement lésé de son vivant par les infractions dénoncées.

Il en va de même pour ses éventuels héritiers, étant précisé qu'à ce stade, il n'est pas définitivement établi que les recourants revêtiraient une telle qualité, même si cela ne semble pas contesté. Quoiqu'il en soit, ces derniers n'ont pas allégué – ni, a fortiori, démontré – être en mesure d'agir au nom des sociétés précitées. De toute manière, leur plainte et leur recours ont été déposés en leur nom propre et pour leur compte, si bien que cette hypothèse n'a pas lieu d'être examinée.

Compte tenu de ce qui précède, la qualité pour agir doit être déniée aux recourants.

2.             À cette aune, leur recours est, partant irrecevable. Dans cette mesure, il pouvait d'emblée être traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

3.             Les recourants succombent (art. 428 al. 1 CPP). Dès lors, ils assumeront, solidairement (art. 418 al. 2 CPP), les frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 2'000.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), somme qui sera prélevée sur les sûretés versées.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Déclare le recours irrecevable.

Condamne solidairement A______ et B______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 2'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants et à C______, soit pour eux leurs conseils respectifs, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Valérie LAUBER, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/13121/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'905.00

Total

CHF

2'000.00