Skip to main content

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/8268/2023

ACPR/411/2024 du 05.06.2024 sur ONMMP/3398/2023 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : RESTITUTION DU DÉLAI;ACTE DE RECOURS;COMMUNICATION ÉLECTRONIQUE DES ÉCRITS;DÉLAI;ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE
Normes : CPP.94; CPP.91.al3; CPP.310; CPP.396.al1; OCEl-PCPP.8a; CPP.110.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/8268/2023 ACPR/411/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 5 juin 2024

 

Entre

A______, représenté par Me Duy-Lam NGUYEN, avocat, Artes Juris, rue de Candolle 34, 1205 Genève,

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière partielle et l'ordonnance pénale rendues le 28 août 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


Vu :

- l'altercation intervenue le 16 janvier 2023 entre, d'un côté, A______ et, de l'autre, B______ et son fils, C______, ayant donné lieu à l'ouverture de la présente procédure pénale par suite des plaintes déposées de part et d'autre;

- l'ordonnance pénale OPMP/7419/2023 rendue par le Ministère public le 28 août 2023 contre A______ pour menaces (art. 180 al. 1 CP), en lien avec les faits susmentionnés;

- l'ordonnance pénale OPMP/7428/2023 rendue par le Ministère public le 28 août 2023 [communiquée par pli simple et reçue le 31 août 2023 selon le recourant] contre B______ pour lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 al. 1 CP) au préjudice de A______, qui avait été blessé;

- l'opposition formée par A______ contre ces deux ordonnances;

- l'ordonnance de non-entrée en matière partielle ONMMP/3398/2023 rendue par le Ministère public le 28 août 2023 [communiquée par pli simple et reçue le 31 août 2023 selon le recourant] s'agissant de la plainte de A______ contre B______ pour injure et dommages à la propriété, le premier n'ayant "pas précisé les termes attentatoires à l'honneur qu'aurait prononcés B______ à son égard et […] pas fourni de preuves des dégâts matériels qui auraient été causés sur son véhicule automobile";

- l'ordonnance de non-entrée en matière ONMMP/3399/2023 rendue par le Ministère public le 28 août 2023 s'agissant de la plainte de A______ contre C______, qui lui aurait asséné, lors des faits du 16 janvier 2023, un coup à l'arrière de la tête à l'aide d'un objet métallique;

- le (premier) recours formé, par messagerie sécurisée, le 10 septembre 2023 à 19h46, par A______ contre l'ordonnance de non-entrée en matière ONMMP/3399/2023 précitée [en faveur de C______];

- l'arrêt ACPR/942/2023 du 5 décembre 2023 – auquel il peut être renvoyé s'agissant de l'état de fait –, ayant admis le recours, annulé l'ordonnance de non-entrée en matière rendue en faveur de C______ et renvoyé la cause au Ministère public pour qu'il mène les actes d'enquête utiles à l'égard du prévenu précité, notamment la confrontation des parties et du/des témoin(s);

- le dépôt, par le conseil de A______, sur la plateforme IncaMail de La Poste, le 10 septembre 2023, d'un (second) recours, et d'un chargé de pièces – dûment décrites –, contre l'ordonnance de non-entrée en matière partielle [ONMMP/3398/2023] rendue en faveur de B______ et l'ordonnance pénale [OPMP/7428/2023] rendue contre ce dernier, recours que la Chambre de céans n'a pas reçu;

- la délivrance par IncaMail, le 10 septembre 2023 à 19h50, d'un "reçu de remise" [permettant de prouver la remise du message – un recours, un bordereau et cinq pièces – sur la plateforme, document émis dès que le message est arrivé sur ladite plateforme], mais pas de délivrance de "quittance de reçu" [permettant de prouver que le destinataire a reçu le message et l'a accepté automatiquement];

- les lettres du conseil de A______, les 18 décembre 2023 et 15 janvier 2024, à la Chambre de céans, demandant qu'il soit statué sur son second recours;

- la réponse du 17 janvier 2024, l'informant que la Chambre de céans n'était pas saisie d'un second recours dans la présente procédure;

- l'envoi par le conseil de A______ – au Ministère public, qui l'a transmis à la Chambre de céans –, le 17 janvier 2024, d'un recours et chargé de pièces portant la date du 10 septembre 2023, dans lequel le précité conclut à l'annulation de l'ordonnance de non-entrée en matière partielle rendue en faveur de B______ ainsi qu'à l'annulation de "l'ordonnance pénale" [comprendre : la non-entrée en matière implicite contenue dans celle-ci] contre ce dernier, et au renvoi de la cause au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction;

- les recherches effectuées par la Direction de la procédure, auprès du Service IncaMail de La Poste, pour comprendre les raisons pour lesquelles elle n'avait pas reçu l'envoi recommandé par messagerie électronique du 10 septembre 2023 à 19h50;

- la réponse reçue le 22 février 2024 d'IncaMail Business Support;

- la détermination de A______, le 11 mars 2024, qui conclut à la recevabilité de son recours, subsidiairement à la restitution du délai pour recourir;

- les observations du Ministère public, du 18 mars 2024.

Attendu, en fait, que :

- dans sa réponse à la demande de recherches de la Direction de la procédure, le service IncaMail de La Poste a exposé ce qui suit : "après avoir examiné l'envoi, nous avons constaté que la taille du message était d'environ 25Mo et qu'il ne pouvait pas vous être transmis en raison de sa taille [;] parallèlement à la tentative d'envoi du message, l'expéditeur a reçu un e-mail l'informant de la non-livraison du recommandé en raison de sa taille";

- A______ fait valoir que selon l'art. 8b de l'Ordonnance sur la communication électronique dans le cadre de procédures civiles et pénales et de procédures en matière de poursuite pour dettes et la faillite (OCEI-PCPP – RS 272.1), le moment déterminant pour l'observation d'un délai était celui où la plateforme de messagerie délivrait la quittance établissant qu'elle avait reçu l'écrit à l'attention de l'autorité (quittance de dépôt). Aucune base légale n'indiquait une limitation quant à la taille des fichiers à télécharger ni que l'envoi valablement téléchargé doive atteindre le destinataire. Seule comptait la quittance de dépôt. À l'instar d'un recommandé postal ordinaire, la preuve du dépôt du recours auprès de La Poste était requise, non la réception effective par l'autorité. En l'occurrence, le recours avait été entièrement téléchargé sur la plateforme, démontrant que celle-ci et le destinataire étaient en mesure de recevoir les fichiers. Aucun courriel n'avait été reçu indiquant que le recommandé n'avait pas été délivré. Partant, le recours avait valablement été déposé, dans le délai légal;

- à l'appui, il produit copie du document intitulé "Communication électronique dans le cadre des procédures pénales et civiles", publié sur le site Internet du Pouvoir judiciaire genevois [https://justice.ge.ch/media/2021-03/PJ-communication-electronique.pdf], dont la page 4 contient les recommandations suivantes : "Conservez les courriels de quittancement que la plateforme vous remet après l’envoi eGov. Deux quittances sont remises : une à l'envoi, l'autre lorsque le destinataire accepte ou refuse la réception du message. Ces quittances ont force probatoire dans le cadre de la procédure. La quittance d’expédition, délivrée par la plateforme sécurisée IncaMail, fait foi pour l’observation des délais. Ainsi, les délais sont réputés respectés si la date d’expédition figurant sur cette quittance est antérieure au dernier jour du délai, minuit.";

- le Ministère public conclut à l'irrecevabilité du recours, faute pour cet acte d'avoir été distribué à la Cour de justice. Selon les informations reçues d'IncaMail, le conseil du recourant avait non seulement reçu un message l'avertissant qu'en raison de sa taille, le message ne serait pas accepté par tous les destinataires, mais également un e-mail l'informant expressément de la non-délivrance du recommandé. Il lui appartenait de s'assurer de la distribution du recommandé en temps utile autrement, ce qu'il n'avait pas fait. Les conditions pour la restitution du délai n'étaient pas non plus réalisées;

- le recourant n'a pas répliqué.


 

Considérant, en droit, que :

-          le recours est formé contre deux décisions [ordonnance de non-entrée en matière partielle et non-entrée en matière implicite] sujettes à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation des décisions querellées (art. 382 al. 1 CPP);

-          reste à déterminer si le recours, transmis par voie électronique, a été formé selon la forme et dans les délais légaux (art. 385 et 396 al. 1 CPP);

-          en l'occurrence, les ordonnances querellées – communiquées sans respecter le réquisit de l'art. 85 al. 2 CPP – étant parvenues au recourant, selon lui, le 31 août 2023, le délai pour recourir venait à échéance le 10 septembre 2023;

-          il n'est pas contesté que la voie – électronique – choisie par le recourant est légale et que son conseil disposait de la signature électronique qualifiée, au sens de l'art. 110 al. 2 CPP;

-          l'art. 91 al. 3 CPP (dans sa nouvelle teneur depuis le 1er janvier 2017) prévoit qu'en cas de transmission électronique, le moment déterminant pour l'observation d'un délai est celui où est établi l'accusé de réception qui confirme que la partie a accompli toutes les étapes nécessaires à la transmission;

-          dans l'ATF 139 IV 257, le Tribunal fédéral, examinant l'art. 91 al. 3 aCPP, a retenu que, lors d'une transmission par voie électronique, n'étaient pas déterminantes la date et l'heure de l'envoi, mais la date et l'heure de confirmation de la réception de l'envoi par le système informatique de l'autorité pénale (cf. aussi l'arrêt 6B_691/2012 du 21 février 2013). Le système informatique envoie la confirmation d'une réception correcte dès qu'il reçoit une communication qui lui est lisible ; le moment déterminant [pour vérifier si le délai est respecté] est l'expédition de cette confirmation. Il s'agit en effet pour l'expéditeur du mémoire de recours de savoir rapidement si le document communiqué électroniquement a permis d'observer le délai. La quittance sert de preuve à l'expéditeur s'agissant de la date d'arrivée de l'acte sur la plateforme (consid. 3.1);

-          l'art. 8a OCEI-PCPP précise que le moment déterminant pour l’observation d’un délai est celui où la plateforme de messagerie utilisée par les parties à la procédure délivre la quittance qui établit qu’elle a reçu l’écrit à l’attention de l’autorité ("quittance de dépôt");

-          en l'espèce, lors du dépôt de l'acte de recours sur la plateforme IncaMail le 10 septembre 2023, un "reçu de remise" a été délivré par ladite plateforme, à 19h50; en revanche, aucune "quittance de reçu" n'a été délivrée;

-          partant, le recourant a établi, avec la production du "reçu de remise", qu'il avait, au sens de l'art. 91 al. 3 CPP, accompli toutes les étapes nécessaires à la transmission de l'acte sur la plateforme;

-          l'absence de "quittance de reçu" attirait certes l'attention de l'expéditeur sur le fait que le destinataire, soit la Chambre de céans, n'avait pas reçu le pli posté électroniquement, lequel n'avait donc pas été accepté automatiquement par celle-ci. Cela aurait dû alerter le conseil du recourant, qui aurait dû s'enquérir, dans les jours suivants, auprès de l'autorité pour savoir si son acte lui était parvenu et, dans la négative, le lui faire parvenir. Cela étant, au vu des principes sus-exposés, cette omission n'entache pas la validité du dépôt de l'acte, le 10 septembre 2023 à 19h50;

-          en outre, le descriptif des documents (recours et pièces) déposés sur IncaMail le 10 septembre 2023 à 19h50 correspond, selon le reçu de remise, à ce que le conseil du recourant a transmis ultérieurement, le 17 janvier 2024, au Ministère public;

-          partant, formé en temps utile, le recours est recevable;

-          en tant que le recourant reproche au Ministère public de ne pas avoir, dans l'ordonnance de non-entrée en matière partielle, poursuivi B______ du chef de l'infraction visée à l'art. 159 CP, il ne démontre pas avoir un intérêt juridiquement protégé à recourir (art. 382 al. 1 CPP), faute d'être directement lésé par cette éventuelle infraction [son nom ne figure pas dans la liste des créanciers produite au dossier], de sorte que cette conclusion est irrecevable;

-          le recourant ne peut pas non plus critiquer, devant l'autorité de recours, les ordonnances querellées en tant qu'elles ne mentionneraient pas l'usure (art. 157 CP), faute pour lui d'avoir déposé plainte pour les faits qu'il estimait relever de cette disposition, qui n'a donc pas été traitée par l'autorité précédente et ne saurait faire l'objet d'un recours. Cette conclusion est donc également irrecevable;

-          par ailleurs, le recourant reproche au Ministère public d'avoir établi les faits de manière incomplète, mais, à bien le comprendre, il critique en réalité l'appréciation des faits retenue par la précédente autorité. Quoi qu'il en soit, la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP) (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 p. 197; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1.) et elle a établi les faits dans son précédent arrêt, auquel il peut être renvoyé. Ce grief peut donc être rejeté.

-          au fond, le recourant déplore que le Ministère public n'ait pas retenu, dans l'ordonnance pénale rendue contre B______, que ce dernier avait tenté de l'étrangler, avec son genou posé sur son cou, l'empêchant ainsi de respirer, ni tenu compte de certaines blessures qu'il avait présentées et des séquelles, faits relevant selon lui de lésions corporelles graves (art. 122 CP) ou de mise en danger de mort (art. 129 CP), et non des lésions corporelles simples retenues par le Ministère public;

-          ce faisant, le recourant souhaite une nouvelle qualification juridique pour les faits découlant du même complexe que celui pour lequel le prévenu a fait l'objet de l'ordonnance pénale. Dans la mesure où le recourant a formé opposition à ladite ordonnance, ils pourront être instruits par le Ministère public. Le recours est donc irrecevable sur ce point également (cf. ACPR/354/2024 du 10 mai 2024);

-          le recourant reproche encore au Ministère public de ne pas avoir, dans l'ordonnance de non-entrée en matière partielle, retenu que B______ l'avait traité de "fils de pute". Toutefois, ce fait – contesté par le précité – serait intervenu entre les seuls protagonistes – voire à portée d'ouïe du fils du précité, dont les déclarations seraient toutefois à prendre avec précaution –, de sorte qu'aucun acte d'instruction n'est apte à le confirmer ou l'infirmer ; l'ordonnance de non-entrée en matière est ainsi exempte de critique sur ce point;

-          s'agissant, en revanche, des menaces dont le recourant allègue avoir été l'objet de la part de B______, à l'aide d'un cutter, ainsi que des traces de coupures apparues après les faits sur son véhicule (dont les photographies sont produites devant la Chambre de céans), le recours est fondé et il appartiendra au Ministère public d'instruire ces faits en même temps que ceux qui sont désormais pendants devant lui par suite du renvoi de la cause par le précédent arrêt ACPR/942/2023;

-          partant, le recours contre l'ordonnance de non-entrée en matière partielle sera partiellement admis, dans la mesure de sa recevabilité, en tant qu'il vise les faits de menaces et de dommages à la propriété, et rejeté pour le surplus;

-          l'admission partielle du recours ne donnera pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

-          il n'y a pas lieu de fixer, à ce stade, l'indemnité due au conseil juridique gratuit (art. 135 al. 2 cum 138 al. 1 CPP), la procédure n'étant pas terminée.

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet partiellement le recours, dans la mesure de sa recevabilité.

Annule, en conséquence, l'ordonnance de non-entrée en matière partielle rendue le 28 août 2023 en faveur de B______ (ONMMP/3398/2023) en tant qu'elle vise les infractions de menaces (art. 180 CP) et dommages à la propriété (art. 144 CP).

Renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède au sens des considérants.

Rejette le recours pour le surplus.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et
Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).