Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/396/2023 du 24.05.2023 sur AAMP/95/2023 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/21865/2017 ACPR/396/2023 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mercredi 24 mai 2023 |
Entre
A______, B______, C______ et D______, comparant par respectivement Mes Robert ASSAEL, Marc OEDERLIN et Yaël HAYAT, ainsi que Romain JORDAN, avocats, et faisant élection de domicile chez ce dernier, Étude MERKT [&] associés, rue Général-Dufour 15, case postale 5556, 1211 Genève 11,
recourants,
contre l'ordonnance rendue le 13 février 2023 par le Ministère public et contre l'acte d'accusation au Tribunal correctionnel du 14 février 2023,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 24 février 2023, A______, B______, C______ et D______ (ci-après, ensemble : les consorts A______/B______/C______/D______) recourent contre l'ordonnance de refus d'administration de preuves du Ministère public du 13 février 2023, notifiée le lendemain à D______ et communiquée parallèlement aux autres consorts A______/B______/C______/D______.
Les consorts A______/B______/C______/D______, dans le même acte, recourent contre l'acte d'accusation au Tribunal correctionnel du 14 février 2023, qui leur a été notifié le lendemain.
Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à ce que la Cour annule l'ordonnance entreprise et l'acte d'accusation, renvoie la cause au Ministère public et ordonne le retrait du dossier de toutes les indications relatives à l'existence d'une procédure simplifiée, ainsi que de tous les procès-verbaux des auditions recueillies, selon eux, en violation de l'art. 147 CPP, soit notamment les pièces numérotées A-10'000 et suivantes, A-11'000 et suivantes, A-12'000 et suivantes, A-13'000 et suivantes, D-40'114 et suivantes, D-40'125 et suivantes et D-40'135 et suivantes.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Des membres de la famille [de] B______, composée de B______ (père), A______ (mère), C______ (fils) et D______ (épouse de ce dernier) sont l'objet d'une procédure pénale pour traite d'êtres humains (art. 182 CP), usure par métier (art. 157 ch. 1 et 2 CP) et infractions aux lois fédérales sur les étrangers et l'intégration (art. 116 al. 1 et 3 et 117 al. 1 et 2 LEI) et sur l'assurance vieillesse et survivants (art. 87 LAVS). Il leur est, notamment, reproché d'avoir exploité leur personnel de maison.
b. Au cours de la procédure, la mise en œuvre d'une procédure simplifiée (art. 358 et suivants CPP) est entrée en considération, mais il y a été renoncé.
c. Par ordonnance motivée du 13 avril 2021, le Ministère public a statué sur la question, soulevée par les prévenus, de l'audition ou de la réaudition des parties plaignantes, soit des anciens employés de la famille [de] B______. Il a été détaillé les raisons pour lesquelles, en leurs qualités de victimes, les parties plaignantes pouvaient faire l'objet de mesures de protection au sens des art. 149 et suivants CPP, soit notamment leur audition en l'absence des prévenus, mais en présence des avocats de ces derniers. Le Ministère public a donc refusé d'ordonné de nouvelles auditions.
Cette ordonnance a été confirmée par arrêt ACPR/778/2021 du 12 novembre 2021 de la Chambre de céans, puis par le Tribunal fédéral (arrêt 1B_682/2021 du 30 juin 2022).
d. Par avis de prochaine clôture de l'instruction du 9 août 2022, le Ministère public a considéré l'instruction achevée et informé les consorts A______/B______/C______/D______ de son intention de rédiger un acte d'accusation au Tribunal correctionnel. Un délai a été imparti aux consorts A______/B______/C______/D______ pour présenter leurs éventuelles réquisitions de preuves complémentaires.
e. Dans le délai imparti et par courrier du 22 septembre 2022, les consorts A______/B______/C______/D______ ont notamment conclu au retrait ("caviardage") du dossier de la procédure de toutes les indications relatives à la procédure simplifiée, ainsi qu'à ce que toutes les déclarations recueillies, selon eux, en violation de l'art. 147 CPP soient retirées du dossier. Cela concernait "toutes les parties plaignantes et plusieurs témoins". Ils ont listé les procès-verbaux concernés par leur demande de retrait, soit les auditions de E______, F______, G______, H______, tous parties plaignantes et / ou lésés, ainsi que de I______, J______ et K______, témoins.
C. a. Dans l'ordonnance de refus d'administration de preuves querellée, le Ministère public, se référant expressément à l'art. 318 al. 2 CPP, a, s'agissant des points présentement litigieux, rejeté la requête de retrait de toutes les mentions de la procédure simplifiée, estimant s'être conformé à la loi en ayant extrait toutes les déclarations des parties y relatives, qui avaient été placées dans un classeur à part. Il a aussi rejeté la requête de retrait des déclarations "des parties plaignantes" recueillies selon les consorts A______/B______/C______/D______ en violation de l'art. 147 CPP, cette question ayant déjà été tranchée précédemment dans l'ordonnance du 13 avril 2021. Il est mentionné que cette ordonnance n'est pas sujette à recours (art. 318 al. 3 CPP).
b. L'acte d'accusation détaille les faits reprochés aux consorts A______/B______/C______/D______, qui sont constitutifs, selon le Ministère public, de traites d'êtres humains (art. 182 CP), d'usure par métier (art. 157 ch. 1 et 2 CP) et infractions aux lois fédérales sur les étrangers et l'intégration (art. 116 al. 1 et 3 et 117 al. 1 et 2 LEI) et sur l'assurance vieillesse et survivants (art. 87 LAVS).
D. a. À l'appui de leur recours, les consorts A______/B______/C______/D______, au titre de la recevabilité, distinguent le refus d'une réquisition de preuve après l'avis de prochaine clôture (qui n'était pas sujet à recours) du refus de retrancher des pièces du dossier à cette occasion (qui serait sujet à un recours immédiat). Ils reprochent en outre au Ministère public de n'avoir pas espacé dans le temps le prononcé de l'ordonnance de preuves entreprise et la mise en accusation. Comme ces deux décisions étaient intervenues presque simultanément, l'on se trouvait dans le cas, exceptionnel, où un recours contre l'acte d'accusation était ouvert. Sur le fond, les recourants font grief au Ministère public d'avoir violé leur droit d'être entendus en statuant concomitamment sur leurs réquisitions de preuves et sur la mise en accusation, de sorte que celle-ci était entachée d'un vice résultant de l'absence de possibilité de recourir immédiatement contre celle-là. La décision de refus de retirer certaines pièces du dossier ne mentionnait pas les procès-verbaux d'audition de témoins et renvoyait à une ordonnance qui ne discutait pas la question du retrait des procès-verbaux des auditions des parties plaignantes, de sorte qu'elle était lacunaire dans sa motivation. Ils se plaignent, enfin, de violation des art. 362 al. 4 et 147 CPP, dispositions sur lesquelles ils fondent leur droit à ce que certaines pièces et mentions du dossier soient retirées de celui-ci.
b. Le Ministère public conteste que l'ordonnance entreprise, suffisamment motivée, et l'acte d'accusation soient sujets à recours. Il persiste à se référer à son ordonnance du 13 avril 2021 concernant les auditions des plaignants et le maintien des procès-verbaux correspondants dans le dossier. Aucune violation de l'art. 362 al. 4 ne pouvait être constatée. Enfin, s'agissant des griefs relatifs à l'art. 147 CPP, le Ministère public, listant expressément les procès-verbaux auxquels les recourants s'étaient référés dans leur courrier du 22 septembre 2022 - donc y compris ceux des témoins -, expose que ces déclarations avaient été verbalisées antérieurement à l'ouverture de l'instruction, à l'interpellation des prévenus et à la première audition de ceux-ci par le Ministère public, de sorte que l'art. 147 CPP n'était pas encore applicable. Par la suite, les parties plaignantes avaient été entendues contradictoirement.
c. En réplique, les recourants persistent dans leurs conclusions et leurs griefs. Aucune motivation en lien avec l'art. 147 CPP n'avait été fournie dans les observations résumées à l'attendu précédent. Cela étant, ils reconnaissent plus loin que le Ministère public a considéré que cette disposition n'était pas applicable au procès-verbaux visés et répondent à son argumentation sur plusieurs paragraphes.
EN DROIT :
1. Le recours est dirigé contre deux décisions distinctes : l'ordonnance de refus d'administration de preuves et l'acte d'accusation dressé contre les recourants. L'examen de la recevabilité du recours suivra donc cette distinction.![endif]>![if>
2. 2.1.1. Selon l'art. 380 CPP, les décisions qualifiées de définitives ou de non sujettes à recours par le présent code ne peuvent pas être attaquées par l’un des moyens de recours prévus par le présent code.![endif]>![if>
L'art. 393 al. 1 let. a CPP précise que le recours est recevable contre les décisions et les actes de procédure de la police, du ministère public et des autorités pénales compétentes en matière de contraventions (ATF 143 IV 475 consid. 2.5; arrêt du Tribunal fédéral 1B_615/2022 du 23 février 2023 consid. 2.1).
Il découle ainsi de la systématique légale que, sauf exceptions prévues expressément par la loi, toutes les décisions de procédure, qu'elles émanent du ministère public, de la police ou des autorités compétentes en matière de contraventions, sont susceptibles de recours (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_255/2022 du 4 novembre 2022 consid. 2.2).
Le recours est cependant irrecevable lorsque le ministère public ou l'autorité pénale compétente en matière de contraventions rejette une réquisition de preuves qui peut être réitérée sans préjudice juridique devant le tribunal de première instance (art. 394 let. b CPP).
2.1.2. À teneur de l'art. 318 al. 1 CPP, lorsqu'il estime que l'instruction est complète, le ministère public rend une ordonnance pénale ou informe par écrit les parties dont le domicile est connu de la clôture prochaine de l'instruction et leur indique s'il entend rendre une ordonnance de mise en accusation ou une ordonnance de classement. En même temps, il fixe aux parties un délai pour présenter leurs réquisitions de preuves.
À cette occasion, les parties peuvent aussi critiquer l'administration de la preuve et présenter leurs observations au sujet de la suite à donner à la procédure. Dans certains cas, les parties peuvent en effet avoir intérêt à faire part de leur position de manière circonstanciée, afin de tenter d'influencer le ministère public pour la décision qu'il doit prendre sur la suite de la procédure (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 14 ad art. 318 CPP).
Le ministère public ne peut écarter une réquisition de preuves que si celle-ci exige l'administration de preuves sur des faits non pertinents, notoires, connus de l'autorité pénale ou déjà suffisamment prouvés en droit. Il rend sa décision par écrit et la motive brièvement. Les réquisitions de preuves écartées peuvent être réitérées dans le cadre des débats (art. 318 al. 2 CPP).
Les informations visées à l'art. 318 al. 1 CPP et les décisions rendues en vertu de l'al. 2 ne sont pas sujettes à recours (art. 318 al. 3 CPP).
L'exclusion du recours prévue par l'art. 318 al. 3 CPP est justifiée dans le Message relatif au CPP par les motifs suivants : "Malgré l'importance que revêtent les requêtes en complément de preuves avant la clôture de l'instruction, la décision négative du ministère public n'est pas sujette à recours (al. 3). D'une part, la recevabilité de recours à ce stade de la procédure pourrait entraîner d'importants retards dans le déroulement de celle-ci. D'autre part, il se justifie également de ne pas admettre des recours puisque les propositions de preuves écartées peuvent [ ] être réitérées dans le cadre des débats [cf. art. 331 al. 1 CPP]. Enfin, on voit mal comment une autorité qui ne connaît pas le dossier peut, dans un délai utile, se faire une idée suffisante pour juger de la justesse de l'appréciation anticipée des preuves portée par le ministère public. Force est donc de prévoir que, dans la majorité des cas, l'autorité de recours confirmerait la décision du ministère public de rejeter la requête en complément de preuves de sorte que la partie recourante n'y gagnerait rien d'autre qu'un allongement de la procédure" (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 p. 1057 et suivantes, p. 1254).
La jurisprudence et la doctrine considèrent, se référant à l'art. 394 let. b CPP a contrario, que l'exception au recours de l'art. 318 al. 3 CPP ne s'applique pas lorsque la preuve requise porte sur un moyen qui ne pourrait pas être administré sans préjudice dans la suite de la procédure, par exemple lorsqu'il y a lieu d'entendre un témoin gravement malade ou sur le point de quitter la Suisse (voir arrêt du Tribunal fédéral 1B_17/2013 du 12 février 2013 consid. 1.1 ; déjà et parmi d'autres : J. PITTELOUD, Code de procédure pénale suisse - Commentaire à l'usage des praticiens, Zurich/St-Gall 2012, n. 802).
La Chambre de céans admet en outre que le recours par-devant elle est ouvert lorsque le prévenu se plaint d'une violation par le Ministère public de l'obligation de motiver un refus, au sens de l'art. 318 al. 2 CPP (ACPR/85/2013 du 8 mars 2013 consid. 3.2.1 ; plus récemment, ACPR/287/2023 du 24 avril 2023 consid. 1).
Aucune autre exception à la règle de l'art. 318 al. 3 n'est envisagée par la doctrine (voir notamment et parmi d'autres : J. PITTELOUD, op. cit., n. 802 ; A. DONATSCH / T. HANSJAKOB / V. LIEBER (éds), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung (StPO), 2ème éd., Zurich 2014, n. 11 et suivantes ad art. 318 CPP ; A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 19 ad art. 318 CPP ; L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire CPP, 2ème éd., Bâle 2016, n. 14 ad art. 318).
2.1.3. S'agissant de la requête du prévenu tendant au retrait de preuves et formée dans le cours de l'instruction, le Tribunal fédéral a jugé, en procédant à un examen fondé sur l'intérêt au recours de l'art. 393 CPP, que l'autorité de dernière instance cantonale qui n'entrait pas en matière sur un recours contre le refus par le ministère public de retirer un moyen de preuve prétendument inexploitable, faute de préjudice irréparable ou d'intérêt juridiquement protégé, contrevenait au droit fédéral (cf. ATF 143 IV 475 consid. 2). Les ordonnances du ministère public de refus de retirer du dossier des moyens de preuves prétendument inexploitables ne font pas partie des exceptions souhaitées par le législateur à l'art. 393 CPP. Or le prévenu avait un intérêt juridiquement protégé général au retrait des moyens de preuves prétendument inexploitables du dossier. Il avait également un intérêt au retrait rapide de ces preuves : celui-ci pouvait en effet avoir des conséquences décisives sur les décisions que peut prendre la direction de la procédure et qui doivent être fondées sur des soupçons suffisants, notamment en matière de mesures de contrainte ou encore de mise en accusation (arrêt du Tribunal fédéral 1B_485/2021 du 26 novembre 2021 consid. 2.4).
2.1.4. L'art. 141 CPP règle l'exploitation des moyens de preuves obtenus illégalement, alors que l'art. 147 CPP règle le droit de participer à l'administration des preuves. Ils sont tous deux, dans la systématique du CPP, rangés sous le titre 4 "Moyens de preuves".
S'agissant de l'art. 362 CPP, la loi ne règle pas la question du sort des déclarations faites dans le cadre de la procédure simplifiée lorsque celle-ci échoue à un stade antérieur à la décision du tribunal de première instance. La jurisprudence, suivant en cela la doctrine majoritaire, a admis que l'art. 362 al. 4 CPP doit s'appliquer par analogie, notamment lorsque la procédure simplifiée est engagée mais n'aboutit pas à un stade antérieur à l'examen par le tribunal. L'art. 141 al. 5 CPP doit être appliqué par analogie aux preuves visées par l'art. 362 al. 4 CPP (ATF 144 IV 189 consid. 5.2.2).
2.2. En l'espèce, au titre de la recevabilité de leur recours contre l'ordonnance entreprise, les recourants, se référant préalablement à l'art. 318 al. 3 CPP, exposent ne pas critiquer le refus de réquisitions de preuves, mais le refus de retrancher certaines pièces au dossier (au titre d'une violation de l'art. 147 CPP, ainsi que de l'art. 362 CPP). Ce refus serait sujet à un recours immédiat. En outre, leur droit d'être entendus avait été violé, sous deux angles, premièrement la notification immédiate de l'acte d'accusation les avait privés de ce droit de recours immédiat et deuxièment la décision était insuffisamment motivée.
Par leur argumentation, les recourants ne contestent donc pas que l'ordonnance entreprise est en principe un acte non soumis au recours des art. 393 et suivants CPP, ce en vertu des art. 380 cum 318 al. 3 CPP.
On peut s'interroger par contre, comme le sous-entendent les recourants, si l'ordonnance entreprise, bien que rendue en application de l'art. 318 CPP, doit en réalité être considérée comme une ordonnance sui generis pour les aspects relatifs au retrait de certains éléments du dossier et si, par conséquence, elle ne pourrait pas alors être attaquable par un recours immédiat, non soumis aux limitations de l'art. 318 al. 3 CPP.
Tel n'est pas le cas, pour les raisons qui suivent.
Il n'est pas contesté que les requêtes tendant à retirer certains documents ou passage de documents ont été formulées par les recourants dans le cadre du délai octroyé par le Ministère public en application de l'art. 318 al. 1 CPP. Leur rejet est ensuite intervenu dans une ordonnance faisant expressément référence à l'art. 318 al. 2 CPP et qui mentionne qu'elle n'est pas sujette à recours conformément à l'art. 318 al. 3 CPP.
De surcroît, les requêtes des recourants ici litigieuses, bien que ne tendant pas à l'administration proprement dite de certaines preuves, n'en ont pas moins trait au traitement de moyens de preuves ("administrées"), soit leur intégration ou leur retrait du dossier. D'ailleurs, les dispositions sur lesquelles se fondent les recourants pour fonder leur prétention sont systématiquement rangées sous ce chapitre dans le CPP.
Les motifs invoqués par le Message du Conseil fédéral pour justifier l'introduction de l'art. 318 al. 3 CPP, supprimant le recours contre les décisions rendues en application de l'art. 318 CPP, trouvent donc pleinement à s'appliquer en l'occurrence. En effet, il est constant que d'offrir la possibilité aux parties de recourir contre le refus du Ministère public de retirer certaines pièces du dossier aurait pour conséquence de retarder la procédure, voire pourrait être utilisé à des fins dilatoires, alors qu'elles ont déjà eu tout le loisir de soulever cette question durant l'instruction. Il est en outre possible pour les intéressés de réitérer leur demande devant le juge du fond, ce sans dommage quant à leur situation factuelle ou juridique. Enfin, l'autorité de recours est dans la même position que s'agissant des autres réquisitions de preuve, contre lesquelles le recours n'est pas admis par application de l'art. 318 al. 3 CPP.
Le cas d'espèce n'est en aucune façon assimilable à celui où un moyen de preuve est menacé de disparaître et commande une décision rapide de l'autorité de recours. Par nature, des pièces figurant au dossier ne sont pas soumises à une quelconque urgence dans leur examen, ni exposées à une quelconque déperdition, de sorte que l'application par analogie de l'art. 394 let. b CPP n'est d'aucun secours ici.
Enfin, il découle de ce qui précède que la jurisprudence résultant de l'arrêt du Tribunal fédéral 1B_485/2021 précité n'est pas transposable au cas d'espèce. Le recours n'étant de par la loi pas ouvert (art. 318 al. 3 CPP), ce n'est pas l'examen d'un intérêt à recourir immédiatement au sens de l'art. 393 CPP qui fait ici débat comme ce fut le cas dans cette cause, mais l'application, en amont, de l'exclusion fondée sur l'art. 380 CPP.
Par conséquent, mis à part le grief lié au droit d'être entendu qui est recevable conformément à la pratique de la Chambre de céans et qui sera examiné ci-après, le recours est irrecevable en tant qu'il vise l'ordonnance sur réquisition de preuves rendue par le Ministère public conformément à l'art. 318 al. 3 CPP.
3. 3.1. L'acte d'accusation n'est pas sujet à recours (art. 324 al. 2 CPP).![endif]>![if>
Selon une jurisprudence isolée, ancienne et non publiée et se référant uniquement à Cornu, mais citée par les recourants, si le procureur n'a pas respecté les formes prévues à l'art. 318 al. 1 CPP pour la clôture, la décision qu'il rend ensuite (classement, renvoi) est annulable. En l'espèce, il s'agissait d'un classement rendu après le prononcé d'une ordonnance pénale sans que le ministère public ait interpellé les parties, ni administré de preuves supplémentaires. Il y avait donc violation du droit d'être entendu (arrêt du Tribunal fédéral 1B_59/2012 du 31 mai 2012 consid. 2).
Tant le Tribunal fédéral que l'auteur précité ont nuancé leur opinion depuis. Dans un arrêt ultérieur, le Tribunal fédéral a, faisant expressément référence à l'arrêt précité, relevé que celui-ci n'avait pas trait à l'examen du bien-fondé d'un acte d'accusation par l'autorité de recours, mais concernait une ordonnance de classement. Il était dès lors "plus que douteux" de retenir, comme l'avait en l'occurrence fait la cour cantonale et comme le préconisait le recourant, que l'acte d'accusation fût un acte annulable par le dépôt d'un recours au sens des art. 393 et suivants CPP. Cette question n'a pas été tranchée, car le recours au Tribunal fédéral était de toute manière tardif (arrêt du Tribunal fédéral 1B_63/2020 du 9 mars 2020 consid. 2.2 et 2.4). En outre, Cornu a souligné, dans l'édition postérieure de son ouvrage, que l'acte d'accusation ne pouvait être sujet au renvoi par le tribunal de première instance au ministère public pour la seule raison que les formalités de l'art. 318 al. 1 CPP avaient été violées. Cet auteur n'invoque donc plus la possibilité d'un recours contre l'acte d'accusation dans ce cas (CORNU, in JEANNERET/KUHN/PERRIER DEPEURSINGE, Commentaire romand, Code de procédure pénale, 2ème éd. 2019, n. 23 ad art. 318 CPP).
3.2. En l'espèce, selon les recourants, le fait de notifier l'acte d'accusation sans délai après le prononcé de l'ordonnance prévue à l'art. 318 al. 2 CPP viderait de son sens le recours contre cette ordonnance. Il faudrait donc ouvrir une voie de recours contre l'acte d'accusation.
Il vient d'être statué (cf. consid. 2.) que le recours contre l'ordonnance rendue en application de l'art. 318 al. 2 CPP était irrecevable, excepté sous l'angle du droit d'être entendu (ce grief étant par ailleurs rejeté cf. consid. 4. ci-après). La prémisse de l'hypothèse envisagée par les recourants n'est donc pas donnée, puisqu'un recours n'étant de toute manière pas ouvert, le moment de la notification de l'acte d'accusation à l'autorité de jugement n'a pas d'influence sur leur possibilité de recourir.
En tout état, conformément à la jurisprudence et la doctrine plus récentes, il est douteux, pour ne pas dire exclu, que, même en cas de violation des formes prévues à l'art. 318 al. 1 CPP, le recours contre l'acte d'accusation puisse être ouvert. En l'espèce, le Ministère public a quoi qu'il en soit respecté les formes de l'art. 318 al. 1 CPP, en octroyant un délai aux parties pour présenter leurs réquisitions de preuve avant que l'acte d'accusation ne soit dressé. Ainsi, la condition posée par l'ancienne jurisprudence et la doctrine d'alors n'est pas même réalisée, de sorte qu'une exception à l'art. 324 al. 2 CPP n'entre pas en considération.
Par conséquent, le recours formé contre l'acte d'accusation du 14 février 2023 est irrecevable.
4. Seuls doivent donc être examinés les griefs des recourants fondés sur le droit d'être entendu.![endif]>![if>
4.1. L'autorité qui ne traite pas un grief relevant de sa compétence, motivé de façon suffisante, et pertinent pour l'issue du litige, commet un déni de justice formel proscrit par l'art. 29 al. 1 Cst féd. De même, la jurisprudence a déduit du droit d'être entendu, ancré à l'alinéa 2 de cette dernière norme, l'obligation pour les juridictions de motiver leurs décisions, afin que le justiciable puisse se rendre compte de la portée de celles-ci et exercer son droit de recours à bon escient (arrêt du Tribunal fédéral 1B_539/2019 du 19 mars 2020 consid. 3.1 et les références citées).
Une violation de ces droits peut toutefois être réparée. En effet, le Tribunal fédéral admet la guérison – devant l'autorité supérieure qui dispose d'un plein pouvoir d'examen – de l'absence de motivation, pour autant que l'autorité intimée ait justifié et expliqué sa décision dans un mémoire de réponse et que le recourant ait eu la possibilité de s'exprimer sur ces points dans une écriture complémentaire; il ne doit toutefois en résulter aucun préjudice pour ce dernier (ATF 125 I 209 consid. 9a et 107 Ia 1 consid. 1; arrêt du Tribunal pénal fédéral R.R.2019.70 du 3 septembre 2019, consid. 3.1 in fine). Une réparation peut également intervenir en présence d'un vice grave, lorsqu'un renvoi à l'instance inférieure constituerait une vaine formalité, respectivement aboutirait à un allongement inutile de la procédure, incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 145 I 167 consid. 4.4; arrêt du Tribunal fédéral 1B_539/2019 précité).
4.2. En l'espèce, les recourants reprochent au Ministère public d'avoir violé leur droit d'être entendus en statuant de manière trop rapprochée entre son refus des réquisitions de preuve et la mise en accusation, ce qui les privait d'un recours immédiat et effectif.
Ce grief ne résiste pas à l'examen, dès lors que, comme il vient d'être vu, le recours contre l'ordonnance rendue en application de l'art. 318 CPP est irrecevable, car exclu conformément à l'art. 380 CPP. Le moment de la notification de l'acte d'accusation ne joue donc pas de rôle sur la possibilité de recourir effectivement contre cette ordonnance.
Ainsi, ce grief sera écarté.
4.3. Les recourants reprochent encore au Ministère public d'avoir motivé son ordonnance de manière lacunaire, sous l'angle du retrait de la procédure de certains procès-verbaux d'auditions de parties plaignantes et de témoins.
Or, contrairement à ce qu'ils soutiennent, la question du retrait des procès-verbaux d'audition des parties plaignantes et de la validité de ceux-ci a été expressément mentionnée dans l'ordonnance entreprise, puis à nouveau dans les observations du Ministère public sur recours. Ce point avait par ailleurs déjà été discuté, certes sans mention exprès de l'art. 147 CPP, dans l'ordonnance précédente d'avril 2021 à laquelle le Ministère public a renvoyé.
Certes, le Ministère public n'a pas expressément évoqué dans l'ordonnance querellée les procès-verbaux d'audition de témoins visés par les recourants dans leur courrier du 22 septembre 2022, mais il les a mentionnés dans ses observations sur recours et a explicité son refus d'ordonner leur retrait, en se référant à l'art. 147 CPP. D'ailleurs, les recourants eux-mêmes ont discuté de cette argumentation dans leur réplique.
Il apparaît donc que, contrairement à ce que soutiennent les recourants, la motivation du Ministère public est complète et suffisante, toute éventuelle lacune ayant été réparée au stade des observations sur recours sur lesquelles les recourants ont pu se prononcer. En effet, la violation du devoir de motiver était, pour peu qu'elle existât, d'une faible gravité. L'explicitation de ces raisons par l'ordonnance entreprise, complétée par les observations sur recours, est donc suffisante pour assurer la protection du droit d'être entendus des recourants.
Ce grief sera donc lui aussi écarté.
5. Le recours est donc rejeté dans la mesure de sa recevabilité.![endif]>![if>
6. Les recourants, qui succombent intégralement, assumeront, solidairement (art. 418 al. 2 CPP), les frais de la procédure, qui comprendront un émolument de CHF 2'000.- (art. 13 al. 1 let. b. du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).![endif]>![if>
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours, dans la mesure de sa recevabilité.
Condamne solidairement A______, B______, C______ et D______ aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 2'000.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants, soit pour eux leur conseil, et au Ministère public.
Le communique, pour information, au Tribunal correctionnel.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/21865/2017 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 2'000.0 |
- demande sur récusation (let. b) | CHF | |
Total | CHF | 2'085.00 |