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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/1536/2016

ACPR/671/2022 du 29.09.2022 sur OCL/412/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : DISJONCTION DE CAUSES;CONNEXITÉ;ADMINISTRATION DES PREUVES
Normes : CPP.29; CPP.30

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/1536/2016 ACPR/671/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 29 septembre 2022

Entre

A______ LTD, ayant son siège ______, îles Vierges britanniques, comparant par
Me Alain GROS, avocat, MLL Froriep SA, rue du Rhône 65, case postale 3199, 1211 Genève 3,

B______, domicilié ______ [ZH], comparant par Me C______, avocat,

D______, domicilié ______ [VS], comparant par Me E______, avocate,

recourants,

contre l'ordonnance de disjonction rendue le 3 mai 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par actes séparés, expédiés le 16 mai 2022, A______ LTD, B______ et D______ recourent contre l’ordonnance rendue le 3 précédent, communiquée par pli simple, à teneur de laquelle le Ministère public a disjoint, à l'égard du dernier nommé, la procédure P/1536/2016 et l'a référencée sous le numéro P/1______/2022.

Tous trois concluent, préalablement, à l'octroi de l'effet suspensif à leurs recours et, principalement, à l'annulation de cette décision.

B______ et D______ réclament l’octroi de dépens (non chiffrés pour le premier et arrêtés à CHF 1'938.60 pour le second).

b. Le 20 mai 2022, la Direction de la procédure a rejeté les demandes d'effet suspensif (OCPR/28/2022, OCPR/29/2022 et OCPR/30/2022).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. En octobre 2015, A______ LTD, société offshore incorporée aux îles Vierges britanniques, disposait d’un compte dans les livres de la banque F______. Elle était l’une des principales clientes de cet établissement, dont B______ était le directeur financier et D______, le responsable du secteur private banking. Ses avoirs, composés majoritairement de dépôts fiduciaires et de titres, étaient gérés par le dernier nommé.

Le 21 du même mois, A______ LTD a instruit la banque de transférer lesdits dépôts (d'une valeur de l'ordre d'USD 89 millions) au plus vite sur un compte ouvert auprès d’une autre institution.

Cet ordre a fait l’objet de discussions entre les dirigeants de la banque, parmi lesquels B______ et D______, celle-là connaissant alors des difficultés de trésorerie, respectivement se trouvant dans une phase d'assainissement ordonnée par la FINMA.

Le vendredi 23 octobre 2015 – jour où la banque F______ espérait finaliser un projet de fusion avec un établissement bancaire –, il a été décidé que le remboursement des fonds de A______ LTD serait bloqué jusqu'au lundi 26 suivant.

Ce même lundi, la FINMA a ordonné la faillite de la banque précitée. Le transfert litigieux n’a donc pas pu avoir lieu et les USD 89 millions sont tombés dans la masse en faillite.

a.b. Le 25 janvier 2016, A______ LTD a déposé plainte pénale pour ces faits.

b.a. À cette suite, le Ministère public a ouvert la procédure P/1536/2016 des chefs, notamment, de gestion déloyale (art. 158 ch. 1 al. 3 CP) et abus de confiance (art. 138 ch. 2 CP) qualifiés, dans un premier temps, contre inconnus, puis contre B______ et D______ (courant 2020).

b.b. Le 22 novembre 2021, le Procureur a annoncé qu'une décision de classement allait être prochainement rendue en faveur de D______ et que B______ serait renvoyé en jugement.

b.c. A______ LTD a interjeté recours contre ce classement, ordonné le 6 avril 2022.

C. Dans sa décision déférée, le Ministère public a considéré que comme D______ avait bénéficié d’un classement, décision actuellement pendante devant la Chambre de céans, et que B______ était sur le point d'être renvoyé en jugement, il se justifiait que "deux procédures distinctes suivent leur cours".

D. a. À l'appui de leurs trois recours, A______ LTD, B______ et D______ affirment avoir reçu le 5 mai 2022 l'ordonnance précitée.

Ils dénoncent, essentiellement, une violation des art. 29 et 30 CPP. Rien n’imposait de disjoindre la cause à l’égard du dernier nommé; en effet, la prescription des actes incriminés était loin d'être acquise, aucun des prévenus n’était détenu et la durée de la prolongation de la procédure induite par le recours contre le classement ne devrait pas être excessive. De plus, si ce même recours était admis et D______ également renvoyé en jugement, des décisions contradictoires risquaient d'être rendues, les faits litigieux étant étroitement liés et les prévenus "a priori [des] coauteurs". En outre, rendre deux jugements séparés reviendrait à violer aussi bien le principe de l'économie de procédure que les droits procéduraux des parties, singulièrement celui de participer à l'administration des preuves.

b. Les recourants ont été invités à se déterminer sur leurs actes respectifs. A______ LTD appuie celui des prévenus. Ces derniers appuient, pour leur part, le recours interjeté par chacun d’eux.

c. Le Ministère public conclut au rejet des recours, précisant avoir "retenu" l'acte d'accusation contre B______, qu'il s'apprêtait à envoyer au Tribunal pénal. La disjonction se justifiait, eu égard au principe de célérité. Au surplus, rien ne permettait de retenir que les causes P/1536/2016 et P/1______/2022 dépendraient nécessairement l'une de l'autre.

d. A______ LTD réplique et persiste dans ses conclusions.

E. Par arrêt ACPR/670/2022 rendu le 29 septembre 2022, la Chambre de céans a annulé le classement prononcé en faveur de D______ et invité le Procureur à renvoyer ce prévenu en jugement.

EN DROIT :

1. Les trois recours étant dirigés contre la même ordonnance et soulevant des griefs similaires, ils seront joints et traités par un seul arrêt.

2. Ces actes sont recevables pour avoir été déposés dans le délai – les réquisits de l'art. 85 al. 2 CPP n'ayant pas été observés – et selon la forme utiles (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 4 in fine ad art. 30) et émaner de la plaignante, respectivement des prévenus – D______ revêtant, compte tenu de l'annulation de l'ordonnance de classement du 6 avril 2022, toujours ce statut –, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. a et b CPP) qui ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à ce qu'il soit statué sur la violation alléguée de certaines de leurs garanties procédurales (art. 382 al. 1 CPP; ATF 147 IV 188 consid. 1.3.4 et 1.3.5; arrêt du Tribunal fédéral 1B_580/2021 du 10 mars 2022 consid. 1.3).

3. 3.1. Les infractions sont poursuivies et jugées conjointement lorsqu'il y a plusieurs coauteurs (art. 29 al. 1 let. b CPP) ou participation (art. 24 et 25 CP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_580/2021 précité, consid. 2.1). Ce principe, dit de l'unité, tend à éviter les jugements contradictoires – que ce soit au niveau de la constatation de l'état de faits, de l'appréciation juridique ou de la fixation de la peine –, garantit le respect de l'égalité de traitement et sert l'économie de la procédure (ATF 138 IV 214 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_580/2021 précité, consid. 2.1).

3.2. Selon l'art. 30 CPP, la disjonction peut être ordonnée si des raisons objectives le justifient. Elle doit rester l'exception. Le Tribunal fédéral a, en effet, relevé le caractère problématique, du point de vue du droit à un procès équitable (art. 29 al. 1 Cst féd. et 6 § 1 CEDH), de la conduite de procédures séparées ou de la disjonction de causes en cas d'infractions commises par plusieurs auteurs ou participants, eu égard au risque de voir l'un des intéressés rejeter la faute sur les autres (ATF 134 IV 328 consid. 3.3 et arrêt du Tribunal fédéral 1B_580/2021 précité). La disjonction doit avant tout servir à garantir la rapidité de la procédure et à éviter un retard inutile. Ainsi en va-t-il quand : la prescription de certaines infractions est imminente (ATF 138 IV 214 et arrêt du Tribunal fédéral 1B_580/2021 précités); l’un des prévenus est placé en détention (arrêt du Tribunal fédéral 1B_684/2011 du 21 décembre 2011 consid. 3.2 in fine); le principe de célérité est violé (ibidem).

3.3. En l’espèce, les actes imputés aux prévenus – i.e. avoir ordonné/accepté, le 23 octobre 2015, le blocage du transfert des fonds de la plaignante jusqu'au 26 suivant, jour où la faillite de la banque F______ a été prononcée –, s’inscrivent dans le même contexte de faits et sont potentiellement corrélés.

Pour cette raison, le Procureur a ouvert une unique procédure et poursuivi conjointement les deux intéressés.

Ce n'est que lorsqu'il a appris qu'un recours avait été interjeté contre le classement de la cause en faveur de D______ qu'il a décidé de disjoindre ce pan du dossier, pour permettre le renvoi en jugement de B______.

Or, les motifs présidant à cette décision ne sont plus d’actualité. En effet, la Chambre de céans a admis le recours sus-évoqué, invitant le Ministère public à renvoyer D______ en jugement, et le Tribunal pénal n'a pas encore été saisi d'un acte d'accusation contre B______.

Rien ne justifie, en l’état – la prescription des infractions litigieuses échéant en octobre 2030 (art. 97 al. 1 let. b CP) –, de faire une exception au principe de l'unité de la procédure. Au contraire, tenir un seul procès permettra aussi bien à un même tribunal d'apprécier les faits et aspects juridiques communs du dossier, qu'aux recourants de participer égalitairement à l'administration des preuves.

Il s'ensuit que les conditions d'application de l'art. 30 CPP ne sont pas réunies.

Fondés, les recours doivent donc être admis et la décision querellée, annulée.

4. En conséquence, les frais de la procédure seront laissés à la charge de l’État (art. 428 al. 4 CPP).

5. Les prévenus requièrent l'octroi de dépens, D______ chiffrant à CHF 1'938.60 ses prétentions, correspondant à 4 heures d'activité d'avocat, facturées au tarif horaire de CHF 450.-.

5.1. Conformément à l'art. 436 al. 2 CPP, le prévenu qui obtient gain de cause a droit à une juste indemnité pour les honoraires de son conseil de choix. La Cour de justice – qui statue, le cas échéant, d'office sur cette prétention (art. 429 al. 2 cum 436 CPP) – applique un tarif horaire de CHF 450.- aux tâches accomplies par un avocat associé (ACPR/214/2022 du 29 mars 2022).

5.2. En l'occurrence, les prévenus se verront indemnisés à raison de deux heures d'activité de chef d’étude, temps qui paraît raisonnable pour rédiger un acte de recours circonscrit aux développements exposés au considérant 3. supra.

Une somme de CHF 969.30 (TVA à 7.7% incluse) sera donc allouée à chacun d'eux.

6. Représentée par un avocat, la partie plaignante n’a ni chiffré ni justifié de prétentions en indemnité (art. 433 al. 2 cum 436 CPP), de sorte qu'il ne lui en sera point alloué (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1345/2016 du 30 novembre 2017 consid. 7.2).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,

LA COUR :

 

Joint les trois recours.

Les admet et annule, en conséquence, la décision de disjonction attaquée.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 969.30 (TVA à 7.7% incluse), pour ses frais de défense en instance de recours.

Alloue à D______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 969.30 (TVA à 7.7% incluse), pour ses frais de défense en instance de recours.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à A______ LTD, B______ et D______, soit pour eux leurs conseils respectifs, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et
Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.

 

Le greffier :

Sandro COLUNI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).