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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/69/2018

ACPR/183/2019 du 06.03.2019 ( PSPECI ) , REJETE

Descripteurs : RÉCUSATION
Normes : CPP.56

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/69/2018 (P/21865/2017) ACPR/183/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 11 mars 2019

 

Entre

A______, B______, C______ et D______, comparant respectivement par Mes Marc OEDERLIN, Robert ASSAEL, Maurice HARARI et Romain JORDAN, avocats, et faisant élection de domicile chez Me Maurice HARARI, LHA Avocats, Rue du Rhône 100, Case postale 3403, 1211 Genève 3,

requérants

et

E______, Première procureure, p. a. MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

citée

 


EN FAIT :

A.           a. Par acte expédié au Ministère public le 17 octobre 2018, A______, B______, C______ et D______ (ci-après : les consorts A/B/C/D______, comme ils se désignent eux-mêmes) demandent à la Première procureure E______, chargée jusqu'au 31 décembre 2018 de la procédure pénale P/21865/2017 dirigée contre eux, de se récuser.

b. E______ a transmis cette requête à la Chambre de céans le 23 octobre 2018, en proposant de la rejeter.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        Au mois d'avril 2018, la Première procureure E______ a ouvert une instruction, notamment pour usure et traite d'êtres humains, contre les consorts A/B/C/D______ et a ordonné, notamment, la perquisition d'une villa, à ______ (GE).

La mesure a été exécutée le 12 avril 2018. À cette occasion, le fils de C______, F______, né le ______ 2000, a été entendu sur-le-champ, en qualité de témoin.Par note du 25 avril 2018 (C-30'011), E______ consignera que cette audition avait soulevé des "réserves" de la part des défenseurs, mais que, compte tenu de la demande d'exécution d'une procédure simplifiée, aucune contestation n'avait été formulée; la question serait reprise si cette demande échouait.

Simultanément, des ordonnances de perquisition et de séquestre, signées par un Procureur, ont été exécutées dans les locaux de la société G______ S.A.

b.        Le 13 avril 2018, E______ a entendu les consorts A/B/C/D______ en qualité de prévenus, pour avoir, à Genève, depuis 1997, fait venir d'Inde du personnel de maison non déclaré et l'avoir exploité à des conditions en tout cas non conformes aux conditions de travail et de salaire du contrat-type de travail de l'économie domestique ("Contrat-type de travail avec salaires minimaux impératifs de l'économie domestique", CTT-EDom, J 1 50.03).

En substance, les consorts A/B/C/D______ ont contesté toute infraction, mais reconnu la violation dudit contrat-type et offert de verser, à titre d'avances à chacune des quatre parties plaignantes alors constituées (d'anciens employés), CHF 25'000.- à prélever sur des fonds saisis lors des perquisitions exécutées le 12 avril 2018.

E______ a autorisé l'opération le 20 avril 2018 (I-200'049).

Il ressort du procès-verbal du 13 avril 2018 que la suite des auditions a été consacrée à l'exécution de la procédure simplifiée, sans qu'aucun détail n'en apparaisse, car il est caviardé.

c.         Le 16 avril 2018, à l'occasion d'une audience d'instruction, E______ a signalé aux parties que la fille "du" prévenu était une avocate associée à son beau-frère.

d.        Le 24 avril 2018, la magistrate a avisé les parties plaignantes qu'elle avait laissé aux prévenus jusqu'au lendemain pour verser une garantie de CHF 4'000'000.- correspondant, sous imputation des montants saisis en liquide, au total des prétentions qu'elles avaient annoncées et/ou déjà déposées (les derniers chiffrages formalisant les prétentions non déposées parviendront les 10, 13 et 19 juillet 2018). Le 26 avril 2018, elle a averti les prévenus que le délai qu'elle leur avait imparti était échu sans qu'ils ne se soient exécutés. Comme ils le lui demandaient, elle renonçait à des saisies bancaires au profit de saisies immobilières [ordonnées le même jour], sous réserve d'informations attendues du Registre foncier sur l'existence d'éventuels gages, copropriétés, charges et valeurs fiscales.

e.         Les 18 mai et 27 juillet 2018, l'instruction a été étendue aux faits reprochés par deux anciens employés supplémentaires.

f.         Dans l'intervalle, une audience s'est tenue le 13 juin 2018. Certificats médicaux à l'appui, les époux A______ (cl. 7, F-62'025 à F-62'028) et B______ (cl. 7, F-63'016 à F-63'019) avaient demandé à en être dispensés pour raisons médicales, mais E______ a refusé. À teneur de procès-verbal, ils n'ont pas comparu, non excusés, mais représentés par leurs défenseurs; les autres prévenus, dont l'un avait aussi demandé à être dispensé pour une autre raison (cl. 7, F-61'010), étaient, en revanche, présents (E-50'164).

Par ailleurs, il ressort du procès-verbal que l'exécution de la procédure simplifiée a été évoquée pendant l'audience, sans qu'aucun détail n'en apparaisse, car il est caviardé.

g.        Le 4 juillet 2018, E______ a requis de l'Administration fiscale cantonale les déclarations d'impôt des consorts A/B/C/D______ pour les années 2010 à 2018 (C2-30'201). Ceux-ci ont demandé l'apposition de scellés sur ces documents.

h.        Le 5 juillet 2018, la magistrate a :

-          ordonné à cinq banques de séquestrer, à hauteur de CHF 5'000'000.-, tout compte dont les consorts A/B/C/D______ seraient titulaires, ayants droit ou fondés de procuration auprès d'elles. Les prénommés ont interjeté recours le 19 juillet 2018. La Chambre de céans a recueilli les observations des parties concernées. Les déterminations de la magistrate, datées du 24 septembre 2018, ont été communiquées aux recourants par plis recommandés du 11 octobre 2018;

-          décerné une commission rogatoire internationale à la France, qu'elle a complétera le 28 août 2018;

-          convoqué une audience pour le 26 septembre 2018.

i.          Le 11 juillet 2018, la Première procureure H______ a demandé à l'Office des poursuites de Genève l'état des poursuites inscrites contre les consorts A/B/C/D______. Par ailleurs, il résulte de lettres de défenseurs, comportant son nom, que c'est H______ qui a porté les ordonnances de séquestre à la connaissance d'un prévenu (cl. 7, F-62'032) et été priée d'apposer des scellés sur la documentation bancaire recueillie (cl. 7, deux lettres, non paginées, des 11 et 12 juillet 2018).

j.          Le 27 juillet 2018, E______ a, notamment, spontanément informé les parties que sa soeur était actionnaire unique d'une société administrée par une fille de A______ et B______, mais qu'elle n'y voyait pas de motif de récusation.

k.        Le 19 septembre 2018, elle a étendu la procédure ouverte contre C______ à des faits concernant un ancien employé supplémentaire.

l.          Le 25 septembre 2018, H______ a décerné une commission rogatoire à I______ (France), précisant à l'autorité rogée qu'elle en souhaitait l'exécution simultanée avec la perquisition, les 8, 9 et 10 octobre 2018 (C4-40'001), d'une villa à J______ (France).

Le même jour, E______ a annulé l'audience prévue pour le lendemain.

m.      Le 26 septembre 2018, elle a rendu une décision par laquelle elle dénie à un avocat - son beau-frère - le droit de se constituer conjointement, comme il venait de le faire par lettre du 21 septembre 2018, pour la défense de B______. Elle relève que cet avocat est associé à une fille de deux des prévenus, laquelle a bénéficié de prestations liées aux "infractions commises". L'avocat et la cliente ont formé recours.

n.        Le 8 octobre 2018 dans l'après-midi, H______ a avisé les parties par télécopie que les commissions rogatoires précitées étaient en cours d'exécution depuis le matin. Les parties étaient invitées à présenter leurs questions aux personnes à interroger avant le lendemain à 10 h., "si possible". Par retour de télécopie, les consorts A/B/C/D______ ont protesté, exigeant l'interruption des opérations et leur participation aux actes requis; ils demandaient à H______ de leur confirmer qu'elle avait succédé à E______.

Le lendemain, E______ a tenu à préciser (à toutes les parties) que le Ministère public n'assistait pas à l'exécution des actes requis.

o.        Le 12 octobre 2018, elle a fait parvenir aux parties la copie d'un rapport d'exécution de police sur l'exécution des commissions rogatoires, ainsi que des pièces obtenues de la préfecture des ______ (F). Elle signalait que les questions des parties plaignantes avaient été transmises rapidement et précisait que H______ intervenait ponctuellement dans le dossier, notamment en cas d'urgence.

p.        Le 16 octobre 2018, les consorts A/B/C/D______ ont demandé à H______ de se récuser, ce que l'intéressée a refusé. La cause est pendante par-devant la Chambre de céans (PS/1______/2018).

q.        Initialement prévue pour le 9 novembre 2018, une audience a été consacrée le 16 novembre 2018 à l'extension à A______, B______ et D______ des faits reprochés le 26 septembre 2018 à C______.

C.           a. Le 17 octobre 2018, les consorts A/B/C/D______ ont demandé à E______ de se récuser, faisant valoir que ses observations, du 24 septembre 2018, en instance de recours contre les ordonnances de séquestre, et l'intervention de sa collègue, surprenante et déloyale, constituaient un motif de récusation selon l'art. 56 let. f CPP. Ces observations violaient l'obligation de confidentialité de la procédure simplifiée et leur présomption d'innocence, pour comporter le passage suivant : "les prévenus n'ont amené aucun élément probant quant à l'assurance de rembourser [aux parties plaignantes] les sommes qu'ils leur doivent".

Par ailleurs, E______ avait privé le mineur F______ et B______ d'une défense privée. Elle aurait dû se récuser non seulement à raison de la constitution de son beau-frère, mais aussi de liens entre sa soeur et l'associée du beau-frère. Elle avait manqué à l'objectivité et à l'impartialité en refusant d'excuser l'absence, pour raisons médicales, de B______ et de A______ à l'audience du 13 juin 2018; contrevenu à la courtoisie qui devait présider aux relations entre magistrats et avocats (ne pas laisser son beau-frère participer à une audience le 26 septembre 2018, convoquer ce jour-là neuf avocats pour leur remettre en mains propres son refus d'accepter la constitution y relative, fixer des audiences sans égard aux disponibilités de la défense); instruit la situation financière et le style de vie de la famille A/B/C/D______ d'une façon laissant davantage croire à la lutte des classes qu'à une procédure pénale; et refusé de leur communiquer les questions des parties plaignantes pour l'exécution des commissions rogatoires, tout en invitant les prévenus à transmettre les leurs sans avoir eu un accès complet au dossier.

b. E______ estime la requête tardive, en tant que celle-ci porte sur des événements antérieurs aux 8 et 9 octobre 2018. D'autres magistrats l'avaient suppléée ou assistée à réitérées reprises pendant l'instruction de la cause. H______ avait été sollicitée pour la dernière fois en date des commissions rogatoires, en raison de l'incertitude liée au maintien ou non de la constitution de son beau-frère, et aussi de l'urgence, car des perquisitions seraient exécutées quelques jours plus tard, mais plus tôt qu'initialement prévu.

Ses observations du 24 septembre 2018 ne servaient qu'à prendre position sur le recours interjeté contre les séquestres et à justifier ceux-ci.

En instruisant le style de vie et le détail de la situation financière de la famille A/B/C/D______, elle ne menait pas de lutte des classes.

La convocation, le 15 octobre 2018, d'une audience pour le 9 novembre suivant ne manquait pas à la courtoisie, même s'il était vrai que la date de l'une ou l'autre des prochaines audiences prévues était parfois fixée à la fin de la dernière audience tenue.

c. Les consorts A/B/C/D______ répliquent qu'un conflit familial patent faisait perdre à la citée toute distance dans la direction de la procédure.

EN DROIT :

1.             Parties à la procédure, en tant que prévenus (art. 104 al. 1 let. a CPP), les requérants ont qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP), et la Chambre de céans est compétente pour connaître de leur requête, dirigée contre un membre du ministère public (art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ). Même si la citée a quitté ses fonctions dans l'intervalle, ils conservent un intérêt juridiquement protégés à voir trancher leur demande, dès lors que, si la cause de récusation était admise, des actes accomplis par la citée pourraient être annulés ou répétés (art. 60 al. 1 CPP).

2.             La citée considère que tous ses actes mis en cause antérieurs aux 8-9 octobre 2018 sont invoqués tardivement.

2.1.       Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation. La loi ne prévoit aucun délai particulier, mais il y a lieu d'admettre que la récusation doit être demandée aussitôt, c'est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation. En effet, celui qui omet de se plaindre immédiatement de la prévention d'un magistrat et laisse la procédure se dérouler sans intervenir agit contrairement à la bonne foi et voit son droit se périmer (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3 p. 275). Dès lors, même si la loi ne prévoit aucun délai particulier, il y a lieu d'admettre que la récusation doit être demandée aussitôt, c'est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation (arrêt du Tribunal fédéral 1B_390/2017 du 31 octobre 2017 consid. 2.1 et l'arrêt cité), sous peine de forclusion (ATF 126 I 203 consid. 1b p. 205; arrêt du Tribunal fédéral 1B_227/2013 du 15 octobre 2013 consid. 2.2). Une demande déposée quatre semaines après la connaissance de la cause de récusation est tardive (arrêt du Tribunal fédéral 1B_277/2008 du 13 novembre 2008 consid. 2). Il en va de même d'une demande formée après l'écoulement de vingt jours (arrêt du Tribunal fédéral 1B_50/2014 du 5 février 2014 consid. 3.2). Solliciter la récusation d'un procureur quinze jours après le déroulement contesté d'une audience d'instruction est aussi tardif (ACPR/303/2014 du 18 juin 2014 consid. 1.3), tout comme requérir la récusation d'un expert dix jours après avoir appris sa désignation (ACPR/83/2013 du 7 mars 2013 consid. 5.2). En revanche, une requête déposée six ou sept jours après la survenance de la cause invoquée est encore formée à temps (arrêt du Tribunal fédéral 6B_882/2008 du 31 mars 2009 consid. 1.3).

Le délai pour agir à temps commence à courir à partir de la connaissance effective des circonstances relatives au motif de récusation invoqué, et non à partir du moment où les parties auraient pu en avoir connaissance. Ainsi, les parties ne sont pas tenues, au début ou au cours d'une procédure, de rechercher des éléments permettant de mettre en doute l'impartialité ou l'indépendance d'un magistrat; le motif de récusation doit être effectivement connu, respectivement reconnaissable, en prêtant l'attention requise par les circonstances (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, Bâle 2010, n. 5 ad art. 58 CPP). Il appartient à la partie requérante de démontrer que sa demande n'est pas tardive, respectivement à quel moment elle a découvert le motif de récusation (ACPR/21/2013 du 16 janvier 2013 consid. 3.1; DCPR/90/2011 du 3 mai 2011 consid. 4.1).

L'autorité qui constate qu'une demande de récusation est tardive n'entre pas en matière et la déclare irrecevable (A. DONATSCH / T. HANSJAKOB / V. LIEBER (éds), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung (StPO), Zurich 2010, n. 4 ad art. 58 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 2C_239/2010 du 30 juin 2010 consid. 2.2; ACPR/303/2014 du 18 juin 2014).

2.2.       En l'espèce, l'objection de la citée est fondée. Il suffit de se reporter à chacune des dates des faits allégués, tels qu'ils sont égrenés sous le chapitre "D. Les autres éléments justifiant [la] récusation", aux pp. 6 ss. de la requête, et repris ci-après dans leur ordre chronologique :

2.2.1.           L'intervention (perquisition) au domicile des requérants a eu lieu le 12 avril 2018.

2.2.2.           Le mineur F______ a été interrogé par la police le même jour. Cet interrogatoire a fait l'objet d'une note de la citée, au contenu non contesté, dont il ressort que les répondants légaux du témoin n'ont pas souhaité attaquer la validité de la déposition. À la date de cette note (25 avril 2018), ils n'y voyaient donc pas de cause de récusation.

2.2.3.           Si les requérants estimaient que l'association professionnelle entre la fille d'un prévenu et son beau-frère, telle que communiquée par la citée en audience du 16 avril 2018, rendait cette dernière inapte à instruire en toute impartialité, ils devaient agir en récusation dans les jours suivants. Selon le procès-verbal, ils étaient à tout le moins représentés à l'audience par leurs défenseurs, de sorte que l'information n'a pas pu leur échapper sur-le-champ.

2.2.4.           Le refus d'excuser l'absence de B______ et de A______ à l'audience du 13 juin 2018 était connu des prénommés et de leurs défenseurs dès avant l'audience elle-même, mais au plus tard ce jour-là.

2.2.5.           La lettre de la citée à l'Administration fiscale cantonale remonte au 4 juillet 2018 et était connue des requérants concernés au plus tard à la fin de ce mois-là, puisqu'ils ont recouru le 9 août 2018 contre le refus d'apposer des scellés sur la documentation transmise.

2.2.6.           Le reproche d'avoir violé le principe de la proportionnalité se réfère aux perquisitions et saisies bancaires ordonnées le 5 juillet 2018, lesquelles ont été frappées de recours - où pareil grief trouve sa place (cf. art. 197 CPP) - par acte du 19 juillet 2018, preuve que les requérants en avaient connaissance avant le 17 octobre 2018.

2.2.7.           Il en va de même d'un refus de la citée, qui violerait le secret des affaires, de "verser dans une procédure séparée" des documents relatifs aux activités du "groupe A/B/C/D______" : même décrit de façon aussi vague et imprécise, ce refus ne peut que se rapporter au résultat de perquisitions ou d'ordres de dépôt. Or, les locaux de G______S.A. ont été perquisitionnés le 12 avril 2018 (C-30'001). Par ailleurs, des ordres de dépôt sont matériellement incorporés dans les ordonnances de perquisition et de saisie du 5 juillet 2018, dont les recourants avaient en tout cas connaissance le 19 juillet 2018, en déposant leur recours précité.

2.2.8.           L'annonce par la citée, à toutes les parties, que sa soeur était actionnaire d'une société administrée par la fille d'un des prévenus remonte au 27 juillet 2018.

2.2.9.           Le refus de rendre une ordonnance pénale contre chacun des prévenus, au motif que les faits seraient "trop graves", date du 19 septembre 2018 et a été exprimé en présence d'un des requérants et de son avocat, et des défenseurs de tous les autres.

2.2.10.       La lettre de la citée mentionnant des prestations liées "aux infractions commises" a été communiquée, en mains propres, à toutes les parties le 26 septembre 2018.

2.2.11.       Le grief d'avoir contrevenu à la courtoisie est principalement soulevé en relation avec la constitution pour la défense de la requérante B______, aux côtés d'un confrère, du beau-frère, avocat, de la citée. Celle-ci a réagi à cette constitution le 26 septembre 2018 et en a immédiatement tenu toutes les parties informées (consid. 2.2.10. supra), en particulier les requérants, puisqu'ils se plaignent que leurs avocats ont été mandés le jour même au Ministère public pour s'y faire remettre sa décision en mains propres. Les requérants ont laissé s'écouler trois semaines avant d'interpréter la décision de la citée comme une marque de partialité. Pour le surplus, le refus de laisser postuler l'avocat considéré est attaqué par deux recours.

2.3.       Les griefs en lien avec la commission rogatoire à I______ (France) , présentés dix jours après avoir eu connaissance de celle-ci, paraissent tardifs (cf. ACPR/83/2013), car soulevés hors du délai de six ou sept jours admis par le Tribunal fédéral. Comme on le verra ci-après (consid. 3.4.), ils sont, quoi qu'il en soit, à l'évidence infondés, de sorte qu'il n'y a pas à trancher la question de leur irrecevabilité.

2.4.       En revanche, en tant qu'ils voient les causes d'une récusation dans le contenu des observations de la citée du 24 septembre 2018, dans le refus allégué de leur communiquer les questions des parties plaignantes en vue des commissions rogatoires, ainsi que dans la fixation de l'audience du 9 novembre 2018, les requérants ont agi à temps, en déposant leur demande le 18 octobre 2018. Le premier objet a été porté à leur connaissance par plis du greffe de la Chambre de céans du 11 octobre 2018; le grief sur l'accès aux questions des parties plaignantes est en relation avec le fax de la citée du 12 octobre 2018; et le troisième reproche est dirigé contre les convocations datées du 15 octobre 2018.

3.             Sur ces volets, les requérants estiment réalisée la cause de récusation énoncée à l'art. 56 let. f CPP.

3.1.       Un magistrat est récusable pour l'un des motifs prévus aux art. 56 let. a à e CPP. Il l'est également, selon l'art. 56 let. f CPP, lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil, sont de nature à le rendre suspect de prévention. Cette disposition a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes. Elle correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 Cst. et 6 CEDH. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles de l'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.1 p. 179; 139 I 121 consid. 5.1 p. 125). L'impartialité subjective d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire (ATF 136 III 605 consid. 3.2.1 p. 609; arrêt du Tribunal fédéral 6B_621/2011 du 19 décembre 2011; arrêt de la CourEDH LINDON, § 76; N. SCHMID / D. JOSITSCH, Schweizerische Strafprozessordnung : Praxiskommentar, 3e éd., Zurich 2017, n. 14 ad art. 56).

3.2.       Selon l'art. 61 CPP, le ministère public est l'autorité investie de la direction de la procédure jusqu'à la mise en accusation. À ce titre, il doit veiller au bon déroulement et à la légalité de la procédure (art. 62 al. 1 CPP). Durant l'instruction il doit établir, d'office et avec un soin égal, les faits à charge et à décharge (art. 6 CPP); il doit statuer sur les réquisitions de preuve et peut prendre des décisions quant à la suite de la procédure (classement ou mise en accusation), voire rendre une ordonnance pénale pour laquelle il assume une fonction juridictionnelle. Dans ce cadre, le ministère public est tenu à une certaine impartialité même s'il peut être amené, provisoirement du moins, à adopter une attitude plus orientée à l'égard du prévenu ou à faire état de ses convictions à un moment donné de l'enquête. Tout en disposant, dans le cadre de ses investigations, d'une certaine liberté, le magistrat reste tenu à un devoir de réserve. Il doit s'abstenir de tout procédé déloyal, instruire tant à charge qu'à décharge et ne point avantager une partie au détriment d'une autre (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2 p. 179; 138 IV 142 consid. 2.2.1 p. 145). De manière générale, ses déclarations - notamment celles figurant au procès-verbal des auditions - doivent ainsi être interprétées de manière objective, en tenant compte de leur contexte, de leurs modalités et du but apparemment recherché par leur auteur (arrêt du Tribunal fédéral 1B_150/2016 du 19 mai 2016 consid. 2.3 et l'arrêt citée). Ces garanties sont en particulier primordiales lorsque la personne est susceptible d'être confrontée dans la suite de la procédure au procureur en charge de la cause (arrêt du Tribunal fédéral 1B_180/2017 du 21 juin 2017 consid. 1.2.3). Des actes de procédure menés en violation des droits d'une partie pourraient être considérés comme une forme de préjugé à son encontre (ACPR/292/2011 du 14 octobre 2011 consid. 2.1.). Un seul comportement litigieux peut suffire pour démontrer une apparence de prévention, ce qu'il faut apprécier en fonction des circonstances (arrêt du Tribunal fédéral 1B_384/2017 du 10 janvier 2018 consid. 4.3). Si des erreurs graves et répétées d'un magistrat au cours de la procédure peuvent, dans certaines circonstances - par exemple lorsqu'elles dénotent une intention de nuire (ATF 125 I 119 consid. 3e p. 124; 116 Ia 35 consid. 3a p. 138) -, fonder une apparence de prévention, la procédure de récusation ne doit, dans la règle, pas constituer un biais procédural permettant au requérant d'obtenir un contrôle d'erreurs de procédure alléguées qui doivent être invoquées dans les voies de droit idoines (ATF 115 Ia 400 consid. 3b p. 404; 114 Ia 153 consid. 3b/bb p. 158 s.). La conduite de l'instruction et les décisions prises à l'issue de celle-ci doivent être contestées par les voies de recours ordinaires (arrêt du Tribunal fédéral 1B_292/2012 du 13 août 2012 consid. 3.2). Des décisions ou des actes de procédure qui se révèlent par la suite erronés ne fondent pas en soi une apparence objective de prévention (ATF 138 IV 142 consid. 2.3. p. 146).

3.3.       Les requérants critiquent des passages tirés des observations présentées par la citée à la suite de leurs recours contre les ordonnances de perquisition et saisie du 5 juillet 2018 (let. B.h. supra). À cet égard, ils ne mettent cependant en évidence (c'est-à-dire surligné et en gras) qu'un seul passage, qui se lit comme suit : "les prévenus n'ont amené aucun élément probant quant à l'assurance de rembourser [aux parties plaignantes] les sommes qu'ils leur doivent".

La Chambre de céans s'en tiendra à l'examen de cette assertion, car elle n'a pas à rechercher elle-même, parmi les citations énoncées dans l'acte de recours, quel autre contenu ou terme non mis en évidence - et non repris d'une autre façon ni développé dans la motivation du grief - accréditerait une violation de la confidentialité de la procédure simplifiée et de la présomption d'innocence des requérants.

La volonté d'exécuter une procédure simplifiée ressort sans autre du dossier (cf. not. let. B.b. et B.f. supra). Cette forme de règlement de l'affaire présuppose que les prétentions civiles des parties plaignantes sont admises au moins dans leur principe (art. 358 al. 1 CPP). Dès leur mise en prévention, les requérants ont admis, pour n'avoir pas payé les salaires prévus par la CTT-EDom, être redevables de compléments salariaux aux parties plaignantes, qu'ils ont chiffrés (let. B.b. supra). Ils ont cherché à fournir des garanties sous une forme leur évitant des saisies bancaires (let. B.d. supra). Il n'était donc pas abusif pour la citée de se montrer affirmative sur l'existence de sommes dues par les prévenus. Pour être mise en oeuvre, la procédure simplifiée présuppose aussi que le prévenu reconnaisse les faits déterminants et leur appréciation juridique (art. 358 al. 1 CPP). L'affirmation critiquée n'aborde pas cet aspect. Une violation de la CTT-EDom n'est pas une infraction pénale. Ni la présomption d'innocence ni la réserve attendue d'un procureur ne sont par conséquent violées.

Savoir si et dans quelle mesure les sommes éventuellement dues aux parties plaignantes peuvent être garanties par une saisie pénale sera examiné dans le cadre des recours contre les ordonnances du 5 juillet 2018.

3.4.       Les requérants tiennent l'intervention de la Première procureur H______ pour surprenante et déloyale. Le dossier établit que cette magistrate avait déjà participé à des actes de procédure en juillet 2018 (let. B.i. supra). Savoir si sa demande de fournir d'éventuelles questions sous un préavis de quelques heures dénoterait une volonté d'empêcher d'exercer des droits ne concerne pas la citée. En ce qui la concerne, les requérants perdent de vue que l'art. 33 al. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire (LOJ; E 2 05) permet aux membres du Ministère public se suppléer entre eux. N'est pas en soi le signe d'une prévention le fait que la citée ait, par cette voie, évité que la constitution récente de son beau-frère à la défense d'une des requérantes ne compromette l'exécution imminente d'autres commissions rogatoires, d'autant moins qu'elle-même les avait décernées (à la France) bien avant l'apparition de cet avocat (let. B.h. supra). Ce choix de la citée ne peut pas être compris comme l'expression de sa conviction personnelle que l'issue de la procédure ne resterait pas ouverte pour les requérants, prévenus, ou que les preuves à recueillir à I______ (France) ne pourront pas être utilisées à leur décharge. Rien ne permet non plus de croire que la citée aurait placé H______, magistrat indépendant (art. 2 al. 1 LOJ), sous sa sujétion pour nuire aux requérants et poursuivre des fins étrangères au seul service de la loi (art. 2 al. 2 LOJ), et les requérants ne s'aventurent pas à soutenir le contraire.

3.5.       Les requérants allèguent que la citée aurait refusé de leur communiquer les questions des parties plaignantes en vue de l'exécution des commissions rogatoires. Ce refus, qui n'est ni étayé par les requérants ni établi par le dossier remis à la Chambre de céans, eût pu être attaqué sous l'angle des art. 101 et 148 CPP, tout comme le refus allégué de leur laisser un accès complet au dossier avant de formuler leurs propres questions.

3.6.       La citée se voit reprocher d'avoir convoqué une audience pour le 9 novembre 2018 sans égard aux disponibilités de la défense des requérants. Dans une cause comportant cinq prévenus et sept victimes présumées, ayant - tous - constitué avocat, il est inévitable que la Direction de la procédure, tenue qui plus est par une obligation de célérité (art. 5 al. 1 CPP), ne puisse pas se plier aux desiderata et aux disponibilités des uns et des autres. C'est compter sans la nécessité pour tout magistrat du Ministère public d'organiser l'exercice de sa charge en fonction du nombre de procédures qu'il a à traiter, avec le même impératif légal que ci-dessus. Presque à chacune des audiences précédant le 9 novembre 2018, un défenseur attitré - au moins - des requérants s'était substitué un collaborateur (E-50'000, E-50'016, E-50'033, E-50'068, E-50'113, E-50'124, E-50'133, E-50'152, E-50'164, E-50'169). Il n'est pas prétendu que l'audience prévue pour le 9 novembre 2018 revêtait une importance décisive. Quoi qu'il en soit, elle a été reportée. Le grief, qui ne tient qu'à la courtoisie avec laquelle les requérants ou leurs avocats estiment devoir être traités, mais non à des manquements à des devoirs professionnels fixés par la loi, est dépourvu de consistance. De façon significative à cet égard, les requérants ne reprochent pas à la citée d'avoir systématiquement convoqué des audiences à la seule convenance de son agenda.

3.7.       Enfin, le grief d'avoir manqué à l'objectivité et à l'impartialité dans la conduite des audiences d'instruction, en tant qu'il ne serait pas englobé dans les moyens traités aux considérants qui précèdent, n'est pas étayé. La Chambre de céans n'a pas à éplucher tous les procès-verbaux d'audition pour vérifier la façon dont la citée s'est acquittée de sa tâche.

Certes, les requérants prétendent, sous le reproche virulent d'une "lutte des classes", que la magistrate s'intéresserait à leur situation financière et à leur style de vie pour des raisons étrangères aux infractions dont ils sont prévenus. À tort. Les requérants méconnaissent que, parmi ces infractions, l'instruction a été ouverte des chefs d'usure (art. 157 CP) et de traite d'êtres humains (art. 182 CP). Ils ne sauraient donc être surpris que, pour des actes passibles de peines pécuniaires - voire, pour la seconde infraction, d'une peine pécuniaire "dans tous les cas" (art. 182 al. 3 CP; M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 29 ad art. 182) -, l'autorité d'instruction s'intéresse à leur situation financière, d'autant plus que la voie de l'ordonnance pénale et de la procédure simplifiée apparaissent fermées (cf. art. 161 CPP). Le montant du jour-amende doit, en effet, être fixé selon la situation personnelle et économique de l'auteur au moment du jugement, notamment en tenant compte de son revenu, de sa fortune et de son mode de vie (art. 34 al. 2 CP). La jurisprudence n'exige même pas que, au moment d'une perquisition bancaire, la perspective d'une peine pécuniaire soit certaine pour que le Ministère public puisse valablement chercher à établir la situation patrimoniale d'un prévenu (arrêt du Tribunal fédéral 1B_273/2015 du 21 janvier 2016 consid. 5.1.).

6.             Il résulte de ce qui précède que la requête doit être écartée sous tous ses aspects.

7.             Vu l'issue de la cause, les frais de la procédure, qui comprendront un émolument de CHF 2'500.- (art. 13 al. 1 let. b. du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), seront mis à la charge des requérants (art. 59 al. 4, 2e phrase, CPP), solidairement (art. 418 al. 2 CPP, applicable en instance de récusation, cf. arrêt du Tribunal fédéral 1B_227/2013 du 15 octobre 2013 consid. 6.2.).

******


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette la requête dans la mesure de sa recevabilité.

Condamne A______, B______, C______ et D______, solidairement, aux frais de la procédure, l'émolument étant fixé à CHF 2'500.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à A______, B______, C______ et D______ (soit pour eux leurs défenseurs), au Ministère public et à E______.

Le communique, pour information, aux parties plaignantes (par leurs conseils).

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Madame Sandrine JOURNET EL MANTIH, greffière.

 

La greffière :

Sandrine JOURNET EL MANTIH

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/69/2018

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

40.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

     

- délivrance de copies (let. b)

CHF

     

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

2'500.00

-

CHF

     

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

2'615.00