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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/5297/2024

AARP/253/2025 du 08.07.2025 sur JTDP/1545/2024 ( PENAL ) , ADMIS

Descripteurs : MENDICITÉ;FRAIS(EN GÉNÉRAL)
Normes : LPG.11a.al1.letc.ch2; CPP.428.al1
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/5297/2024 AARP/253/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 8 juillet 2025

 

Entre

A______, domiciliée c/o B______, ______, Roumanie, comparant par Me Dina BAZARBACHI, avocate, BAZARBACHI LAHLOU & ARCHINARD, rue Micheli-du-Crest 4, 1205 Genève,

appelante,

 

contre le jugement JTDP/1545/2024 rendu le 20 décembre 2024 par le Tribunal de police,

 

et

LE SERVICE DES CONTRAVENTIONS, chemin de la Gravière 5, case postale 104, 1211 Genève 8,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.

 

 


Vu le jugement JTDP/1545/2024 du 20 décembre 2024 par lequel le Tribunal de police (TP) a reconnu A______ coupable de mendicité (art. 11A al. 1 let. c de la loi pénale genevoise [LPG]) et l'a condamnée à une amende de CHF 260.- (peine privative de liberté de substitution : deux jours), ainsi qu'aux frais de la procédure ;

Vu l'appel formé en temps utile par A______, attaquant le jugement dans son ensemble et concluant à son acquittement ;

Attendu, EN FAIT, que, selon les ordonnances pénales du Service des contraventions (OPSDC) des 5 février 2024 (n° 1______ ; n° 2______ ; n° 3______), 21 mars 2024 (n° 4______) et 22 mars 2024 (n° 5______ ; n° 6______), valant actes d'accusation, il est reproché à A______ d'avoir mendié, les 1er, 4 et 5 décembre 2023, puis les 6, 12 et 22 février 2024 à Genève, "en un lieu proscrit", soit aux abords immédiats d'un magasin, faits qualifiés d'infraction à l'art. 11A al. 1 let. c LPG ;

Que le Service des contraventions (SDC) a, pour chaque occurrence, infligé à A______ une amende de CHF 100.-, majorée de CHF 60.- d'émolument, et a prononcé, pour le cas où, de manière fautive, la contrevenante ne paierait pas l'amende, une peine privative de liberté de substitution (PPLS) d'un jour ;

Que, selon les rapports de contravention des 1er, 5 et 7 décembre 2023, puis les 22 et 23 février 2024, la police a constaté que A______ s'était adonnée à la mendicité en tendant la main aux passants devant l'entrée de l'établissement C______ à D______ [GE]; à chaque reprise, la police l'avait déclarée en contravention sur-le-champ ;

Que les rapports de police ne font pas état de la distance exacte à laquelle se trouvait A______ lors des faits, se contenant des mentions "devant l'entrée de l'établissement C______", "à l'entrée du commerce C______ de D______", "devant le centre commercial C______", "à la sortie de l'établissement C______" et "devant le centre commercial de C______" ;

Que lesdits rapports ne précisent pas si A______ avait fait l'objet d'un avertissement administratif préalable ou si d'autres mesures administratives avaient été mises en œuvre avant le prononcé des sanctions pénales ;

Qu'en application de l'art. 406 al. 1 let. c du Code de procédure pénale [CPP], la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR) a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite ;

Que, dans le cadre de son appel, A______ conclut, principalement, à l'annulation du jugement entrepris, à la constatation de la nullité des ordonnances pénales querellées et à son acquittement, subsidiairement, à une exemption de toute peine. Elle n'a pris aucune conclusion en indemnisation de ses frais d'avocat, après y avoir été invitée ;

Que le Ministère public conclut au rejet de l'appel, développant son argumentation au fond et considérant, entre autres, que le grief de nullité de l'ordonnance avait été soulevé tardivement, et, partant, était irrecevable ;

Que le SDC conclut à l'irrecevabilité du grief de nullité (cf. art. 80 al. 2 et art. 353 al. 1 let. k CPP) et au rejet de l'appel, se référant au jugement attaqué ;

Que le TP se réfère intégralement à son jugement ;

Qu'il ressort du dossier que A______ avait déjà été amendée pour avoir mendié en un lieu proscrit par plusieurs OPSDC des 7, 9, 11, 14, 15 et 24 août 2023 (cf. AARP/364/2024 du 7 octobre 2024) ;

Considérant, EN DROIT, que l'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 CPP) ;

Que la magistrate exerçant la direction de la procédure de la juridiction d'appel est compétente pour statuer lorsque seules des contraventions font l'objet de l'appel (art. 129 al. 4 de la loi sur l'organisation judiciaire [LOJ]) ;

Que l'art. 11A al. 1 let. c ch. 2 LPG punit quiconque aura mendié aux abords immédiats des entrées et sorties de tout établissement à vocation commerciale, notamment les magasins, hôtels, cafés, restaurants, bars et discothèques ;

Que cette disposition vise la mendicité passive, soit précisément le comportement reproché à l'appelante ;

Que le Tribunal fédéral a été amené à se prononcer récemment sur la conformité de la législation en cause dans toute une série d'arrêts visant cette forme de mendicité poursuivie dans le canton ; notre Haute autorité a pris une position univoque retenant la problématique au regard du principe de la légalité des délits et des peines, la norme n'étant pas suffisamment précise pour envisager une répression égalitaire des cas d'espèce (cf. par exemple arrêt du Tribunal fédéral 6B_923/2024 du 19 mars 2025 consid. 7.4 à 7.6). Se posait également la question de la violation du principe de proportionnalité ; une sanction pénale, soit une amende pouvant se substituer en une peine privative de liberté d'un jour au moins, ne pouvait entrer en considération que comme ultima ratio après l'échec d'autres mesures, de nature administrative et plus adéquates, à l'instar de l'éloignement par la police (officiellement documentée) hors de la zone d'interdiction lors de la première infraction et l'avertissement administratif sous commination d'une amende en cas de récidive avant le prononcé d'une amende à la troisième occurrence, toutes mesures nécessitant, elles aussi, la mise en place d'un dispositif réglementaire (cf. arrêt du Tribunal fédéral, ibidem, consid. 8.5 et ss) ; le principe de proportionnalité n'était pas respecté lorsque le contrevenant n'avait pas été averti, avant d'être sanctionné (cf. arrêt du Tribunal fédéral, ibidem, consid. 8.5 et ss), ce qui devait conduire à l'annulation de la condamnation ne respectant pas les droits fondamentaux, le vice n'étant pas susceptible d'être guéri, et à l'acquittement (voir aussi ATF 149 I 248 consid. 5.4.6 et ss) ;

Qu'en l'espèce, l'absence de tout élément objectif permettant de les concrétiser, des constatations de faits telles que "devant l'entrée de l'établissement", "à la sortie de l'établissement C______" ou "devant le centre commercial de C______" figurant dans les différents rapports de police, qui constituent une pure appréciation, empêche le contrôle de l'application de la norme pénale cantonale. Ces termes ne permettent pas d'apprécier le respect de l'exigence d'immédiateté des abords posée par la loi, à tout le moins ils n'autorisent pas à dire que l'appelante se trouvait à moins d'un ou deux mètres de l'entrée de l'établissement ;

Que, pour ce motif, l'appel sera admis et l'acquittement de A______ prononcé ;

Qu'en conclusion, l'appel doit être admis ;

Que l'entier des frais de la cause sera laissé à la charge de l'État (art. 428 al. 1 CPP a contrario) ;

Qu'il n'y a pas matière à indemnisation puisque, bien qu'enjointe de le faire par la CPAR, l'appelante n'a pas pris de conclusion en indemnisation, ce qui équivaut, selon la jurisprudence fédérale, à une renonciation tacite (cf. ATF 146 IV 332 consid. 1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_851/2022 du 1er novembre 2022 consid. 1.4).

 

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/1545/2024 rendu le 20 décembre 2024 par le Tribunal de police dans la procédure P/5297/2024.

L'admet.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Acquitte A______ d'infraction à l'art. 11A al. 1 let. c ch. 2 de la loi pénale genevoise (LPG).

Laisse l'entier des frais de la procédure à la charge de l'État (art. 428 CPP).

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police ainsi qu'à l'Office cantonal de la population et des migrations.

 

La greffière :

Linda TAGHARIST

 

La présidente :

Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.