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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/19107/2023

AARP/150/2025 du 02.05.2025 sur JTDP/1543/2024 ( PENAL ) , RENVOYE

Descripteurs : ORDONNANCE PÉNALE;FORME ET CONTENU
Normes : CPP.353; CPP.356; CPP.357
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19107/2023 AARP/150/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 2 mai 2025

 

Entre

A______, domicilié ______, Roumanie, comparant par Me Dina BAZARBACHI, avocate, BAZARBACHI LALHOU & ARCHINARD, rue Micheli-du-Crest 4, 1205 Genève,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/1543/2024 rendu le 20 décembre 2024 par le Tribunal de police,

 

et

LE SERVICE DES CONTRAVENTIONS, chemin de la Gravière 5, case postale 104, 1211 Genève 8,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 20 décembre 2024, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a acquitté d'infraction à l'art. 11A al. 1 let. c de la Loi pénale genevoise (LPG) en lien avec les faits du 3 novembre 2022, mais l'a reconnu coupable de cette infraction pour les faits des 15 novembre 2023 et 9 février 2024, ainsi que d'infraction à l'article 11C al. 1 let. a et c LPG et l'a condamné à une amende de CHF 100.- assortie d'une peine privative de liberté de substitution d'un jour, ainsi qu'aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 50.- (art. 426 al. 1 du Code de procédure pénale [CPP]).

A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant principalement à l'annulation des ordonnances pénales fondant l'accusation, subsidiairement à son acquittement complet, et plus subsidiairement à être mis au bénéfice d'une exemption de peine.

b. Selon les ordonnances pénales des 15 [recte - 14] mars 2023, 1er février et 21 mars 2024 du Service des contraventions (SDC), il est reproché à A______ de s'être adonné, à deux reprises, à la mendicité à Genève, en un lieu proscrit au sens de l'art. 11A al. 1 let. c LPG, soit :

-          le 15 novembre 2023 à 14h20 à la rue 1______ no. ______, aux abords immédiats d'un bureau de poste ;

-          le 9 février 2024 à 16h30 à la rue 2______ no. ______, aux abords immédiats d'un magasin.

Il lui est également reproché d'avoir, le 3 novembre 2022 à 02h45, à la rue 3______ no. ______, souillé le domaine public par le jet ou l'abandon d'ordures, immondices et autres détritus de toute sorte, notamment d'un sac à ordures, faits qualifiés de souillure au sens de l'art. 11C al. 1 let. a et c LPG cum art. 6 du Règlement sur la salubrité et la tranquillité publiques (RSTP).

Il lui était également reproché de s'être adonné à la mendicité à Genève, le 3 novembre 2022 à la rue 4______, à hauteur de l'intersection avec la rue 5______, aux abords immédiats d'un magasin ; le TP l'a néanmoins acquitté de ces faits considérant que la première contravention valait avertissement quant aux risques encourus, en termes de sanction, en cas de mendicité passive dans des lieux proscrits.


 

B. a. Les faits de mendicité ne sont pas contestés par l’appelant et correspondent aux faits décrits dans les ordonnances pénales du SDC.

b. Selon le rapport de contravention du 2 décembre 2022, lors d'un contrôle de police à la rue 3______ no. ______, le 3 novembre 2022 à 2h45, un individu, identifié par la suite à l'aide de son passeport roumain comme étant A______, dormait au milieu de détritus. Questionné oralement, celui-ci avait déclaré que les déchets autour de lui étaient de son fait. Il avait été déclaré en contravention sur-le-champ.

c. Les deux ordonnances pénales datées du 15 mars 2023, en réalité émises la veille, relatives aux faits du 3 novembre 2022 (mendicité et souillure), ont été notifiées en mains propres à A______ le 14 mars 2023 au guichet du SDC. Celles du 1er février et 21 mars 2024 lui ont été envoyées à son domicile en Roumanie par voie postale.

A______ a formé opposition à ces condamnations par l'intermédiaire de son avocate ; celle-ci n'ayant fourni aucune motivation dans le délai imparti par le SDC, elles ont été transmises au TP.

A______ n'a pas comparu aux débats de première instance. Son avocate, autorisée à le représenter, a conclu, à titre préjudiciel, à l'annulation des ordonnances pénales au motif de l'absence de signature valable.

Il est pour le surplus renvoyé au jugement de première instance (art. 82 al. 4 CPP).

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite.

b. Selon son mémoire d'appel, A______ persiste dans ses conclusions. Il souligne se trouver dans une situation de dénuement et conteste – pour la première fois dans sa déclaration d'appel – la validité des ordonnances pénales du SDC, au motif qu'elles ne comportent pas de signature manuscrite.

Il conteste en outre la validité de l'art. 11A LPG, au motif que cette disposition ne décrit pas suffisamment le comportement incriminé et porte ainsi atteinte au principe de la légalité. Il se plaint également d'une violation de ses droits fondamentaux, notamment des art. 7 (dignité humaine), 8 (égalité), 9 (protection contre l’arbitraire et protection de la bonne foi), 10 (droit à la vie et liberté personnelle), 16 (libertés d’opinion et d’information) et 36 al. 3 (proportionnalité au but visé de toute restriction d’un droit fondamental) de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.) et des art. 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), 10 (liberté d’expression) et 14 (interdiction de discrimination) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Il sollicite enfin d'être mis au bénéfice de l'art. 52 du Code pénal (CP).

Il conteste par ailleurs sa culpabilité en lien avec les faits de souillure à la rue de Candolle le 3 novembre 2022, affirmant que plusieurs personnes se trouvaient sur les lieux, que toutes s'étaient vues reprocher les mêmes faits et qu'il n'était pas responsable des ordures trouvées sur place. Il conclut à ce que la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR) instruise ce point auprès du SDC.

c. Le Ministère public (MP) et le SDC concluent au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris.

D. A______, né le ______ 1960, est de nationalité roumaine. Il est sans emploi. Le dossier ne contient aucune autre information sur sa situation personnelle ; dans son mémoire d'appel il se dit analphabète, sans formation, sans emploi ni revenu.

EN DROIT :

1. 1.1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 CPP). Lorsque des contraventions font seules l’objet du prononcé attaqué et que l’appel ne vise pas une déclaration de culpabilité pour un crime ou un délit, la direction de la procédure statue (art. 129 al. 4 de la Loi sur l'organisation judiciaire [LOJ]).

1.2. En matière contraventionnelle, l'appel ne peut être formé que pour le grief selon lequel le jugement est juridiquement erroné ou l'état de fait établi de manière manifestement inexacte ou en violation du droit. Aucune nouvelle allégation ou preuve ne peut être produite (art. 398 al. 4 CPP).

2. 2.1. L'ordonnance pénale contient la signature de la personne qui l'a établie (art. 353 al. 1 let. k CPP).

Lorsque des autorités administratives sont instituées en vue de la poursuite et du jugement des contraventions, elles ont les attributions du ministère public (art. 357 al. 1 CPP).

Les dispositions sur l'ordonnance pénale sont applicables par analogie à la procédure pénale en matière de contraventions (art. 357 al. 2 CPP).

Dans cette hypothèse, les cantons ne peuvent pas prévoir de dispositions de procédure contraires ou complémentaires (ATF 140 IV 192 consid. 1.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1051/2017 du 23 mars 2018 consid. 1.1 et 6B_845/2015 du 12 février 2016 consid. 5.1 [non publié dans l'ATF 142 IV 70]).


 

2.2. Le tribunal de première instance statue sur la validité de l'ordonnance pénale et de l'opposition (art. 356 al. 2 CPP).

Seul le tribunal de première instance est compétent pour statuer sur la validité de ces actes (ATF 142 IV 201 consid. 2 ; 140 IV 192 consid. 1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_883/2020 du 15 avril 2021 consid. 2.1.2).

Si l'ordonnance pénale n'est pas valable, le tribunal l'annule et renvoie le cas au ministère public en vue d'une nouvelle procédure préliminaire (art. 356 al. 5 CPP).

2.3. Selon l'ATF 148 IV 445 rendu le 22 juin 2022 par le Tribunal fédéral :

- la signature personnelle manuscrite constitue en matière d'ordonnances pénales une exigence de validité formelle érigée dans l'intérêt de la sécurité du droit. Elle permet de connaître l'identité de son auteur, soit la personne qui a prononcé la condamnation et fixé la peine, et de confirmer que l'acte correspond à sa volonté réelle (consid. 1.4.1) ;

- une ordonnance pénale munie d'une signature en facsimilé, et non de la signature manuscrite de son auteur, n'est pas nulle, mais annulable (consid. 1.4.2) ;

- une telle ordonnance pénale doit être annulée par le tribunal et renvoyée à l'autorité de poursuite en vue d'une nouvelle procédure préliminaire, dans la mesure où le prononcé d'une ordonnance pénale valable constitue une condition préalable pour que le tribunal puisse juger l'affaire sur le fond (consid. 1.5.1) ;

- le vice ne peut être guéri par la transmission de l'ordonnance pénale au tribunal si le non-respect des exigences de forme repose sur une pratique établie (consid. 1.5.1).

2.4. Le 4 décembre 2024, le Conseil d'État a adopté le Règlement concernant les modalités de signature des ordonnances pénales rendues par le SDC (RMSOP), lequel est entré en vigueur le 11 décembre suivant. Il prévoit que les ordonnances pénales rendues par le service précité sont munies d'une signature manuscrite ou d'une signature électronique qualifiée (art. 2 RMSOP).

2.5. En l'espèce, les ordonnances pénales rendues par le SDC ne présentent ni l'identité ni la signature de leur auteur, ce qui ne remplit pas les exigences de l'art. 353 al. 1 let. k CPP (cum art. 357 al. 2 CPP). Dès lors, elles sont viciées sur le plan formel.

L'absence de signature résultait d'une pratique établie et appliquée au plus tard jusqu'à l'entrée en vigueur du RMSOP, en décembre 2024, et non d'une inadvertance ponctuelle. Aucune réparation du vice n'est partant envisageable, pas même par le biais des ordonnances de maintien signées par un juriste du service.

Contrairement à ce que plaide la défense dans son mémoire d'appel, le vice de forme n'est pas tel qu'il annihilerait tous les effets juridiques des ordonnances pénales litigieuses. Aussi, ces décisions ne sont pas nulles, mais annulables. C'est du reste ce que l'appelant soutenait en première instance ainsi que dans sa déclaration d'appel.

On ne saurait reprocher à l'appelant d'avoir soulevé le moyen de manière tardive puisque l'opposition d'un prévenu ne nécessite pas de motivation (art. 354 al. 2 CPP) et que son avocate l'a plaidé lors des premiers débats sur question préjudicielle, étant rappelé que c'est précisément à ce stade de la procédure qu'il peut être demandé du juge qu'il tranche un grief portant sur la validité de l'acte d'accusation (art. 339 al. 2 let. a CPP), et partant, sur la validité de l'ordonnance pénale qui en tient lieu.

2.6. En conclusion, le grief formel, invoqué en temps utile, est bien fondé et l'appel doit être admis.

Vu la nature du vice, il n'est pas possible d'y remédier en appel, de sorte que le premier jugement sera annulé et la cause renvoyée au TP pour qu'il annule les ordonnances pénales litigieuses dans le sens des considérants et renvoie la cause au SDC (art. 409 al. 1 et al. 2 CPP).

2.7. Les arguments au fond de la défense ne seront par conséquent pas examinés.

3. Les frais de la procédure d'appel et ceux de la procédure de première instance seront laissés à charge de l'État (art. 428 al. 4 CPP).

4. La décision sur les frais préjuge en principe de la question de l'indemnisation (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2 ; 137 IV 352 consid. 2.4.2).

Aucune indemnité au sens de l'art. 429 al. 1 let. a CPP ne sera cependant allouée à l'appelant pour l'ensemble de la procédure, puisque, bien qu'enjoint de le faire par-devant le TP et par la Cour (cf. courrier du 12 février 2025), l'appelant n'a pas pris de conclusion en indemnisation, ce qui équivaut, selon la jurisprudence fédérale, à une renonciation tacite, faute d'avoir rempli son devoir de collaboration (ATF 146 IV 332 consid. 1.3).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/1543/2024 rendu le 20 décembre 2024 par le Tribunal de police dans la procédure P/19107/2023.

L'admet.

Annule ce jugement.

Renvoie la cause au Tribunal de police pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Laisse les frais de première instance et d'appel à la charge de l'État (art. 408 al. 4 CPP).

Notifie le présent arrêt au Tribunal de police et aux parties.

Le communique, pour information, à l'Office cantonal de la population et des migrations.

 

La greffière :

Linda TAGHARIST

 

La présidente :

Gaëlle VAN HOVE

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète
(art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.