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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/12300/2022

AARP/345/2024 du 30.09.2024 sur JTDP/1674/2023 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : DROIT DES ÉTRANGERS;DISPOSITIONS PÉNALES DE LA LEI;AUTORISATION DE TRAVAIL;NÉGLIGENCE;EXEMPTION DE PEINE
Normes : LEI.117.al1; LEI.91; CP.12; CP.47; CP.52

 

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/12300/2022 AARP/345/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 30 septembre 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, et B______, domiciliée ______, comparant par
Me Karin ETTER, avocate, ETTER & BUSER, boulevard Saint-Georges 72, 1205 Genève,

appelants,

 

contre le jugement JTDP/1674/2023 rendu le 21 décembre 2023 par le Tribunal de police,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ et B______ appellent du jugement JTDP/1674/2023 du 21 décembre 2023, par lequel le Tribunal de police (TP) les a reconnus coupables d'infraction à l'art. 117 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (LEI) et les a condamnés à une peine pécuniaire de 30 jours-amende chacun, à CHF 50.- l'unité pour A______ et CHF 70.- pour B______, avec sursis (délai d'épreuve : trois ans). Les frais de la procédure, arrêtés à CHF 2'680.-, y compris un émolument complémentaire de CHF 1'000.-, ont été mis à leur charge.

A______ et B______ entreprennent partiellement ce jugement, concluant principalement au classement de la procédure, à ce que l'émolument complémentaire de jugement soit supprimé, voire laissé à la charge de l'État, frais de la procédure d'appel à la charge de ce dernier, sous suite de dépens, devant encore être chiffrés. Subsidiairement, ils concluent à être exemptés de peine (art. 52 du code pénal [CP]), le reste de leurs conclusions demeurant inchangé.

b. Selon les ordonnances pénales du 28 novembre 2022, il est reproché à A______ et son épouse B______ d'avoir, à Genève, agissant de concert, employé sans autorisation, en qualité de garde d'enfants, entre novembre 2018 et novembre 2019, C______, née le ______ 1983, ressortissante du Paraguay, laquelle n'était pas au bénéfice des autorisations nécessaires lui permettant d'exercer une activité lucrative en Suisse.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Le 18 décembre 2019, C______, ressortissante du Paraguay, s'est plainte auprès de l'Office cantonal de l'inspection et des relations du travail (OCIRT) d'avoir été employée comme garde d'enfants et femme de ménage par les époux A______/B______, de novembre 2017 à novembre 2019, à raison de plus de 65 heures par semaine, du lundi au vendredi, pour une rémunération nette de CHF 1'000.- par mois, auxquels s'ajoutait un salaire en nature. Elle effectuait également du babysitting deux fois par semaine, jusqu'à minuit, sans être rémunérée.

Réentendue par l'OCIRT en juin 2020, C______ a réitéré ses accusations. Elle avait travaillé pour des ménages privés en Suisse dès 2005 et avait été engagée par les époux A______/B______ après avoir publié une annonce dans la presse. Les horaires convenus couraient du lundi au vendredi, de 7h30 à 20h00, sans pause, à l'exception du mercredi (7h30 à 14h00), et elle assumait en sus deux ou trois fois des heures de babysitting, jusqu'à minuit. Elle prenait son petit-déjeuner chez elle et amenait son propre déjeuner. Même si A______ rentrait à midi et son épouse vers 17h00, elle devait néanmoins préparer ou chauffer les repas de midi et du soir, faire du repassage, doucher les enfants et les mettre en pyjama. Elle n'avait pas de témoins, car B______ lui interdisait de parler à d'autres personnes que ses amis du quartier. Depuis lors, elle avait entamé des démarches en vue de régulariser sa situation, dans le cadre de l'opération "Papyrus".

b. Il ressort des déclarations des époux A______/B______ à l'OCIRT – et que ce service a tenues pour conformes à la vérité, sur la base des documents les étayant et des témoignages recueillis – que C______ a, en réalité, été engagée par les époux en novembre 2018, après le départ soudain de la cousine de B______, qui s'occupait de leurs deux fillettes jusqu'alors. L'intéressée travaillait uniquement comme garde d'enfants et à raison de 26.5 heures par semaine, du lundi au jeudi, la garde du vendredi étant assurée par le frère de A______. B______ lui laissait de la nourriture pour le petit-déjeuner et préparait à l'avance le dîner pour toute la famille, y compris C______, qui pouvait néanmoins quitter sa place de travail durant la pause de midi. Le salaire convenu était de CHF 1'000.- par mois en espèces, versé y compris durant les périodes de maladie et de vacances, complété par quatre petits-déjeuners et trois repas de midi. Des heures de babysitting n'avaient été sollicitées qu'à deux reprises et avaient été rémunérées en sus. Ils n'avaient pas établi de fiches de salaire et ne s'étaient pas acquittés des cotisations sociales, étant précisé que C______ ne souhaitait pas être déclarée tout de suite, ce que, vu l'urgence, ils avaient accepté. L'employée qui lui avait succédé pratiquait les mêmes horaires. Ils avaient désormais trouvé une maman de jour, qui gardait une autre petite fille et qui leur réclamait une rémunération horaire de CHF 7.-, montant que l'inspectrice du travail leur a dit être conforme aux usages pour une maman de jour agréée gardant d'autres enfants.

c. Le 2 juin 2022, l'OCIRT a dénoncé les époux A______/B______ au Ministère public (MP).

c.a. Dans le cadre de la procédure pénale, les époux A______/B______ ont expliqué que lors de son engagement, ils savaient que C______ vivait depuis plusieurs années en Suisse, où elle avait travaillé pour divers employeurs, et qu'elle était suivie à l'Hôpital cantonal. Elle leur avait fourni une copie de sa carte AVS, une carte du compte postal ouvert à son nom et leur avait expliqué que son permis de séjour était en cours de renouvellement. Elle avait précisé qu'elle était soutenue par l'Hospice général et aidée par une assistante sociale dans ses démarches pour trouver un logement plus grand pour elle et sa fille, scolarisée à Genève. Elle avait également indiqué voyager régulièrement en France et en Espagne, ainsi qu'être rentrée plusieurs fois au Paraguay en avion. Au vu de ces éléments, il leur avait paru évident que C______ était autorisée à vivre et travailler en Suisse. Ils avaient ainsi été induits en erreur et n'avaient pas l'intention de commettre une infraction à la loi sur les étrangers. Ils avaient par ailleurs collaboré à l'établissement des faits aussitôt informés de la procédure ouverte par l'OCIRT et avaient accepté sans discuter les rattrapages de salaires et de cotisations sociales, ainsi que l'amende qui avait été prononcée.

c.b. B______ a admis devant le TP qu'elle avait fait une erreur, mais celle-ci était involontaire. Elle s'était retrouvée dans une situation d'urgence lorsque sa cousine était repartie en Hollande, et sa priorité était de trouver une solution de garde. Elle s'était informée auprès de la mairie des possibilités de place en crèche, mais un délai d'attente de six mois lui avait été annoncé. Elle avait également cherché une maman de jour officielle dans les environs de son domicile et de son travail, mais elles étaient peu nombreuses et gardaient déjà cinq ou six enfants. Elle avait posé de nombreuses questions à C______ sur sa vie et ses attaches à Genève lorsque celle-ci s'était présentée, mais n'avait pas vérifié la véracité de ses dires. Elle avait été convaincue par le fait que C______ lui avait montré sa carte AVS, sa carte bancaire, son passeport et lui avait dit où elle habitait. Dans le cadre de son travail, elle-même avait procédé à des demandes de renouvellement de titres de séjour et avait pu constater que l'OCPM avait énormément de retard. Elle avait néanmoins contacté cet office pour savoir si un employeur pouvait obtenir des renseignements sur le titre de séjour d'une personne et son interlocuteur lui avait "ri au nez". Que C______ ait accepté de travailler pour un salaire de CHF 1'000.- ne l'avait pas interpellée, car l'intéressée lui avait dit qu'elle était aidée par l'Hospice général et s'occupait également de personnes âgées. Elle aurait préféré verser la rémunération sur le compte bancaire, mais C______ ne le voulait pas. Elle savait que les mamans de jour s'acquittaient elles-mêmes des cotisations sociales et n'avait appris que postérieurement aux faits que, même en matière de garde d'enfants, elle-même était considérée comme un employeur, de sorte qu'elle devait prélever des cotisations sur le salaire qu'elle versait, qui aurait dû, en réalité, être bien plus élevé. Si elle l'avait su, elle aurait procédé à davantage de recherches ou pris une année sabbatique pour s'occuper elle-même de sa fille. Les démarches étaient compliquées pour un novice.

Elle avait obtenu un échelonnement de paiement des sommes dues et s'était déjà acquittée de l'amende infligée par l'OCIRT (CHF 3'639.-), des arriérés de cotisations sociales (CHF 5'000.- environ à l'OCAS et CHF 2'250.- pour le deuxième pilier) et d'une partie des arriérés de salaire (CHF 5'800.-), un solde de quelques CHF 4'000.- restant à payer.

Hormis cette erreur, elle avait toujours respecté la loi et une condamnation inscrite au casier judiciaire lui ferait perdre son travail.

c.c. A______ a précisé s'être fié à son épouse, qui avait engagé C______ dans l'urgence, et au fait que cette dernière possédait une carte bancaire et une carte AVS, ce qui signifiait pour lui que "tout était en ordre". C'était également son épouse qui avait géré le versement du salaire de la main à la main, et non pas sur le compte bancaire, et tous les aspects relatifs à celui-ci, notamment les cotisations aux assurances sociales.

d. Une collègue et amie de B______, entendue comme témoin, l'a décrite comme dotée du sens des responsabilités et foncièrement honnête et "carrée", tant dans le cadre professionnel que privé. Elle se souvenait d'une discussion à laquelle elle avait assisté en 2019, lors de laquelle B______ avait demandé à son employée où en était son permis de séjour et où l'intéressée lui avait répondu que la procédure était toujours en cours et qu'il ne fallait pas s'inquiéter. Elle-même avait appelé une fois l'OCPM, pour aider son amie, afin de savoir s'il était possible d'obtenir des informations sur un permis de séjour. Il lui avait été répondu par la négative, car elle n'était pas la personne concernée. Dans le cadre de son travail, il lui arrivait aussi de contacter l'OCPM pour compléter des dossiers, et une réponse identique lui était fournie. B______ se sentait très mal par rapport à cette procédure, elle pleurait parfois et lui avait confié que cela avait causé la fin de son couple.

e. À la suite de la requête qu'elle a formée le 14 mai 2020, la situation administrative de C______ en Suisse a été régularisée le 20 septembre 2022. Elle est, depuis le ______ 2023, inscrite au registre du commerce, en tant qu'entreprise individuelle active dans "la sous-traitance, ménage, installation et vidéoconférence".

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite, avec l'accord des parties.

b. Aux termes de leur mémoire d'appel et de leurs écritures subséquentes, A______ et B______ persistent dans leurs conclusions.

Dans le cadre de l'examen de la diligence requise en matière de vérification de l'autorisation de l'employé d'exercer une activité lucrative en Suisse, il fallait tenir compte de la situation particulière de Genève, où les structures d'accueil de la petite enfance étaient saturées et où il était notoire que le traitement des dossiers par l'OCPM souffrait d'importants retards, qui se chiffraient en années et non en mois. Le TP n'expliquait à cet égard pas quelles démarches un employeur non professionnel devait entreprendre pour obtenir effectivement une réponse dans un délai raisonnable.

Le premier juge, pour retenir le caractère intentionnel de l'infraction, s'était fondé sur les déclarations de C______, tout en reconnaissant qu'elle avait menti à l'appelante sur son statut légal et avait fait des déclarations contraires à la réalité sur plusieurs points durant la procédure. L'appelante s'était vu présenter divers documents accréditant une présence légale en Suisse, des témoins ayant attesté qu'elle ne se désintéressait pas de cet aspect. Il était pour le surplus évident que, même par écrit, l'OCPM aurait refusé de lui communiquer des renseignements sur le permis de séjour d'une tierce personne. Le premier juge avait par ailleurs, à tort, retenu que l'appelante n'était pas crédible quand elle affirmait avoir ignoré devoir s'acquitter des charges sociales, ne se considérant pas comme un employeur suomis à une telle obligation. L'on ne pouvait dès lors retenir qu'elle aurait eu l'intention d'employer une personne sans autorisation de travail, ce d'autant moins que, si C______ avait effectivement entrepris des démarches de régularisation en 2018, elle aurait obtenu un permis – ce qui avait été le cas en 2022 – et aurait été autorisée à travailler durant l'examen de sa requête, conformément à la pratique des autorités administratives genevoises à l'époque.

L'infraction, commise par négligence, était une contravention, prescrite lorsque le premier juge avait statué.

Subsidiairement, dans la mesure où les appelants avaient entièrement indemnisé C______ notamment – les derniers versements étant intervenus à fin juin 2024 – ils devaient être mis au bénéfice de l'art. 52 CP, voire à celui de l'art. 53 CP. L'OCIRT ne les avait dénoncés au MP que parce qu'ils n'avaient pas les moyens financiers de payer immédiatement des arriérés de salaire, pratique qui revenait à privilégier les personnes fortunées par rapport à celles ne l'étant pas. Ils avaient dû s'acquitter d'une amende administrative et de frais d'avocat, la procédure avait eu raison de leur couple et une condamnation pénale leur ferait perdre leur emploi, alors que les faits dataient de plus de quatre ans et qu'il n'existait pas de risque de réitération.

c. Le MP conclut au rejet de l'appel, en se référant à l'argumentation développée dans ses ordonnances. Le terme d'"employeur" devait être compris de manière large et il appartenait aux appelants de s'informer de leurs obligations à cet égard. La simple omission de procéder à l'examen du titre de séjour ou de se renseigner auprès des autorités compétentes constituait déjà une violation du devoir de diligence imposé par l'art. 91 LEI.

d. Le Tribunal de police (TP) se réfère à son jugement.

D. a. A______, né le ______ 1979 au Maroc, est de nationalité suisse. Il a deux filles, nées en ______ 2011 et ______ 2016, issues de son union avec B______, dont il vit séparé depuis fin 2021. Employé depuis 2006 comme responsable logistique pour une société de transport de marchandises, il a perdu son emploi en mars 2022, selon lui en raison de la procédure et, après une période de chômage, est désormais employé à 80% par une société de taxi, pour un salaire mensuel net de CHF 2'857.25. Ses charges s'élèvent à CHF 2'099.80 (loyer : CHF 1'430.- ; primes d'assurance maladie : CHF 644.80 ; impôts : CHF 25.-/an, étant précisé que les impôts du couple s'élevaient à CHF 9'779.40 par an en 2021). Il rembourse en outre, à raison de CHF 500.- par mois, une dette de CHF 7'000.- contractée pour passer son permis de chauffeur de taxi. Il ne fait pas l'objet de poursuites et n'a pas de fortune.

Il n'a pas d'antécédent.

b. B______ est née le ______ 1978 au Maroc et est de nationalité suisse. Désormais séparée de son époux, elle partage avec ce dernier la garde de leurs filles à raison d'une semaine sur deux. Elle travaille à 90% comme conseillère en entreprise pour D______, pour un revenu mensuel net de CHF 6'059.85, treizième salaire compris, auquel s'ajoutent les allocations familiales (CHF 600.-) et une allocation de logement (CHF 333.35). Ses charges s'élèvent à CHF 2'636.05 (loyer : CHF 1'900.- ; primes d'assurance maladie pour elle : CHF 562.35 et ses filles : CHF 62.55 chacune, subsides déduits ; impôts : CHF 48.60). Elle n'a ni dettes ni fortune.

Elle n'a aucun antécédent judiciaire.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre n'examine que les points attaqués du jugement de première instance (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions, à moins qu'elle ne statue sur une action civile (art. 391 al. 1 CPP).

2. 2.1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par les art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), 32 al. 1 de la Constitution fédérale (Cst.) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; 127 I 28 consid. 2a).

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. La présomption d'innocence est violée lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif que le prévenu n'a pas prouvé son innocence (ATF 127 I 38 consid. 2a) ou encore lorsque le juge condamne le prévenu au seul motif que sa culpabilité est plus vraisemblable que son innocence. En revanche, l'absence de doute à l'issue de l'appréciation des preuves exclut la violation de la présomption d'innocence en tant que règle sur le fardeau de la preuve (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

2.2. Conformément à l'art. 117 al. 1 LEI – dont la teneur est sur ce point demeurée inchangée depuis 2018 – est punissable d'une peine privative de liberté d'un an au plus ou d'une peine pécuniaire quiconque, intentionnellement, emploie un étranger qui n’est pas autorisé à exercer une activité lucrative en Suisse.

Si l’auteur agit par négligence, il est puni d’une amende de CHF 20'000.- au plus (al. 3).

2.3. L'employeur est soumis à un devoir de diligence arrêté à l'art. 91 LEI (M. S. NGUYEN / C. AMARELLE [éds], Code annoté de droit des migrations, vol. II : LEtr, Berne 2017, n. 11 ad art. 117). Selon cet article (dont la teneur est également restée inchangée depuis les faits litigieux), avant d'engager un étranger, l'employeur doit s'assurer qu'il est autorisé à exercer une activité lucrative en Suisse en examinant son titre de séjour ou en se renseignant auprès des autorités compétentes.

L'employeur ne peut s'exonérer de cette obligation de diligence en se réfugiant derrière une éventuelle tromperie de tiers. Il appartient à chaque employeur de procéder au contrôle. La simple omission de procéder à l'examen du titre de séjour ou de se renseigner auprès des autorités compétentes constitue déjà une violation du devoir de diligence (ATF 141 II 57 consid. 2.1).

2.4. Selon l'art. 12 al. 2 CP, agit intentionnellement quiconque commet un crime ou un délit avec conscience et volonté. Le dol éventuel est une forme d'intention ; les conditions en sont réalisées lorsque l'auteur tient pour possible la réalisation de l'infraction mais qu'il agit tout de même, parce qu'il accepte ce résultat pour le cas où il se produirait et s'en accommode, même s'il le juge indésirable et ne le souhaite pas (ATF 147 IV 439 consid. 7.3.1; 137 IV 1 consid. 4.2.3).

En l'absence d'aveux de la part de l'auteur, le juge ne peut, en règle générale, déduire la volonté interne de l'intéressé qu'en se fondant sur des indices extérieurs et des règles d'expérience. Font partie de ces circonstances l'importance, connue de l'auteur, de la réalisation du risque, la gravité de sa violation du devoir de diligence, ses mobiles et sa façon d'agir. Plus la probabilité de la réalisation de l'état de fait est importante et plus la violation du devoir de diligence est grave, plus l'on sera fondé à conclure que l'auteur a accepté l'éventualité de la réalisation du résultat dommageable (ATF 147 IV 439 consid. 7.3.1; 133 IV 222 consid. 5.3; arrêt du Tribunal fédéral 6B_900/2022 du 22 mai 2023 consid. 2.1). De la conscience de l'auteur, le juge peut déduire sa volonté, lorsque la probabilité de la survenance du résultat s'imposait tellement à lui que sa disposition à en accepter les conséquences ne peut raisonnablement être interprétée que comme son acceptation (ATF
147 IV 439 consid. 7.3.1; 137 IV 1 consid. 4.2.3; 133 IV 9 consid. 4.1).

Il peut également y avoir dol éventuel lorsque la survenance du résultat punissable, sans être très probable, était seulement possible. Dans ce cas, on ne peut cependant pas déduire que l'auteur s'est accommodé du résultat à partir du seul fait qu'il était conscient qu'il puisse survenir. D'autres circonstances sont au contraire nécessaires (ATF 133 IV 9 consid. 4.1; 131 IV 1 consid. 2.2; arrêt 6B_1011/2023 du 10 avril 2024 consid. 2.2.1 et l'arrêt cité). La distinction entre le dol éventuel et la négligence consciente peut, selon les cas, être ardue, puisque tant celui qui agit par dol éventuel que celui qui agit par négligence consciente tiennent pour possible la réalisation de l'infraction. Ces deux formes de commission de l'infraction ne se distinguent que par l'élément volitif. Ainsi, l'auteur qui agit par négligence consciente escompte, ensuite d'une imprévoyance coupable, que le résultat dont il envisage l'avènement comme possible ne se produira pas, alors que celui qui agit par dol éventuel s'en accommode au cas où il se produirait (ATF 147 IV 439 consid. 7.3.1; 133 IV 9 consid. 4.1).

2.5. En l'espèce, il est établi et non contesté que les époux ont employé C______ de novembre 2018 à novembre 2019, alors qu'elle était dépourvue d'autorisation de travail en Suisse.

Il n'est pas non plus contesté que celle-ci leur a menti sur sa situation administrative, les assurant que son permis était en cours de renouvellement et leur fournissant force détails sur sa vie privée ainsi que divers documents destinés à accréditer ses dires et à les conforter dans leur véracité.

La responsabilité – indéniable – de leur employée s'agissant de l'erreur quant à son statut administratif ne permet toutefois pas d'exonérer les appelants de la leur, la jurisprudence leur imposant, quoi qu'il en soit, le devoir de procéder à un contrôle du titre de séjour. Or, ils ne l'ont pas fait. Certes, de nombreux éléments étaient de nature à susciter leur confiance dans les dires de C______. Ainsi, ils l'ont engagée après avoir répondu à une annonce qu'elle avait publiée, le caractère "ouvert" de cette démarche pouvant laisser penser à une présence licite en Suisse plutôt que dissimulée. Leur employée leur a par ailleurs indiqué qu'elle travaillait depuis de nombreuses années en Suisse – élément confirmé par l'obtention d'un titre de séjour dans le cadre de l'opération "Papyrus" – ce qui était de nature à renforcer son affirmation selon laquelle elle disposait d'un tel document. Elle leur a en outre fourni la preuve qu'elle disposait d'un compte bancaire – attestant d'un domicile en Suisse – et avait cotisé par le passé aux assurances sociales. Le salaire de CHF 1'000.- que les appelants lui payaient, bien qu'en-deçà des minimums légaux, était quant à lui équivalent à la rémunération d'une maman de jour – si l'on excepte le fait que celle-ci soit à même de l'augmenter en accueillant d'autres enfants chez elle en parallèle – et a été accepté par la personne qui a succédé à C______, qui disposait, elle, d'un titre de séjour ; cet élément n'était dès lors pas non plus un indice du caractère illégal de la situation de C______, pas plus que son refus que sa rémunération soit soumise à cotisations sociales ou son exigence qu'elle lui soit versée en espèces, ce qui aurait pu être motivé par la volonté, par exemple, de ne pas la déclarer.

Cela étant, l'on ne peut que retenir que les appelants, en se contentant des déclarations de C______ avant de l'engager, ont violé leur devoir de diligence au sens de l'art. 91 LEI. Cela est d'autant plus vrai que les procédures auprès de l'OCPM ne leur étaient pas totalement étrangères, l'appelante ayant admis avoir été amenée à adresser des demandes de renouvellement de titres de séjour à l'OCPM dans le cadre de son activité professionnelle. Ils ne pouvaient dès lors ignorer – ou à tout le moins devaient se douter – qu'une personne domiciliée en Suisse devait logiquement s'être vu délivrer, y compris durant la procédure de renouvellement de son titre de séjour, un document attestant de son droit de résider dans le pays, qu'elle puisse présenter en cas de contrôle ou dans le cadre de démarches de la vie quotidienne, notamment de recherches d'emploi. L'incapacité, voire le refus, de l'intéressée, de leur présenter une telle attestation aurait ainsi dû leur paraître suspecte, à plus forte raison du fait qu'elle était ressortissante d'un pays non membre de l'Union européenne (EU) ou de l'Association européenne de libre-échange (AELE), et qu'elle ne pouvait dès lors bénéficier d'une autorisation de travail en Suisse qu'à des conditions restrictives. Les appelants ont d'ailleurs manifestement nourri des soupçons puisque, malgré les propos lénifiants de leur employée, ils ont tenté, tant personnellement que par le biais d'une amie, d'obtenir des renseignements directement auprès de l'OCPM.

Il est certain que les appelants se préoccupaient du statut légal de leur employée. Il est néanmoins tout aussi indéniable qu'après le départ abrupt de la personne s'occupant jusqu'alors de leurs filles et face à l'impossibilité de trouver une autre solution de garde dans l'immédiat, ils se retrouvaient dans une situation qui ne leur laissait guère d'autre choix que d'engager une demandeuse d'emploi disponible et qui les assurait de la licéité de son séjour en Suisse, tout en prenant le risque que ses déclarations ne soient pas conformes à la vérité.

Dans ces circonstances, la CPAR tiendra pour établi que les appelants ont envisagé que leur employée puisse ne pas disposer des autorisations de travail nécessaires, ont accepté cette éventualité, même s'ils ne le voulaient pas, et s'en sont accommodés, dans un premier temps faute d'autre solution de garde puis, dans un second temps, car ils étaient satisfaits des services de C______.

Il est ainsi exclu de leur imputer une simple négligence.

Les conditions de l'art. 117 al. 1 LEI sont dès lors réalisées et le verdict de culpabilité rendu par le premier juge doit être confirmé.

3. 3.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

3.2. Si la culpabilité de l’auteur et les conséquences de son acte – conditions cumulatives – sont peu importantes, l’autorité compétente doit toutefois renoncer à lui infliger une peine (art. 52 CP). Si ces conditions ne sont réalisées qu'en instance de jugement, un verdict de culpabilité est rendu, mais dépourvu de sanction (ATF 135 IV 130 consid. 5.3.2).

L'exemption de peine suppose que l'infraction soit de peu d'importance, tant au regard de la culpabilité de l'auteur que du résultat de l'acte. L'importance de la culpabilité et celle du résultat dans le cas particulier doivent être évaluées par comparaison avec celle de la culpabilité et celle du résultat dans les cas typiques de faits punissables revêtant la même qualification ; il ne s’agit pas d’annuler, par une disposition générale, toutes les peines mineures prévues par la loi (Message concernant la modification du code pénal suisse [dispositions générales, entrée en vigueur et application du code pénal] et du code pénal militaire ainsi qu’une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs du 21 septembre 1998, FF 1999 p. 1871). Pour apprécier la culpabilité, il faut tenir compte de tous les éléments pertinents pour la fixation de la peine, notamment des circonstances personnelles de l'auteur, tels que les antécédents, la situation personnelle ou le comportement de l’auteur après l’infraction (ATF 135 IV 130 consid. 5.4).

3.3. En l'espèce, la CPAR tient les conditions de l'exemption de peine pour réalisées.

Si la faute des appelants n'est pas anodine, sa gravité doit être relativisée. La période pénale est somme toute assez brève en regard de ce qui peut l'être pour d'autres cas visant la même infraction, et leur collaboration a été bonne.

Il y a également lieu de prendre en considération la situation particulière dans laquelle les appelants se sont retrouvés, à l'automne 2018, subitement privés de solution de garde pour leurs deux enfants, alors que tous deux travaillaient.

Or, le manque chronique de solutions de garde à Genève, plus particulièrement pour les parents aux revenus modestes à moyens, est notoire. Avant de recourir aux services de C______, les appelants ont tenté de trouver une place, tant en crèche qu'auprès d'une maman de jour, sans succès. Ils ont par ailleurs longuement interrogé leur interlocutrice, qui a fourni moult détails sur sa vie en Suisse, à l'exception de la réalité de son statut administratif, et l'on peut considérer comme vraisemblable que si celle-ci leur avait révélé d'emblée ne pas disposer de permis de travail, ils ne l'auraient pas engagée. Par la suite, ils ont tenté de s'informer de l'état d'avancement de son dossier auprès de l'OCPM, preuve que la question ne leur était pas totalement indifférente. À cela s'ajoute que, malgré les affirmations contraires de C______, les appelants paraissent l'avoir traitée correctement, sous réserve d'une rémunération insuffisante mais librement acceptée par l'intéressée, que ses activités étaient limitées à la garde de la cadette des filles du couple durant la journée et aux trajets à l'école pour la plus grande, qu'elle a été rémunérée pendant ses absences (vacances ou maladie) et que les repas lui étaient offerts en sus. La rémunération, inférieure aux normes légales, témoigne enfin davantage d'une méconnaissance de l'existence d'une réglementation spécifique aux travailleurs de l'économie domestique, imposant des salaires minimaux, et d'une capacité financière réduite, que de la volonté d'exploiter la faiblesse d'autrui.

La culpabilité des appelants apparaît, dans ces conditions, peu importante.

Le résultat de leur acte est également de peu d'importance, étant relevé que l'emploi accordé à C______ a vraisemblablement contribué à permettre à celle-ci de régulariser sa situation en Suisse en invoquant la durée du travail sur le territoire, y compris au service des appelants. Ces derniers se sont, à ce jour, entièrement acquittés des arriérés de salaire et de cotisations sociales, ainsi que de l'amende administrative qui leur a été infligée. Enfin, quand bien même cela ne fait pas partie des critères de l'art. 52 CP, l'on ne saurait occulter l'impact de leurs actes et des procédures qui en sont résultées sur leur situation familiale et professionnelle.

Dans ces circonstances très particulières, au point de devoir être qualifiées d'exceptionnelles, ils seront exemptés de peine, l'appel devant être partiellement admis sur ce point.

4. Néanmoins, compte tenu de l'acte illicite commis, une mise à leur charge des frais, tant de la procédure préliminaire et de première instance, que d'appel, s'avère justifiée (art. 426 al. 2 et 428 al. 1 CPP ; ATF 144 IV 202 consid. 2.3).

Les appelants seront donc condamnés, pour moitié chacun, aux frais de la procédure d'appel, lesquels comprendront un émolument d'arrêt de CHF 1'000.-.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Reçoit l'appel formé par A______ et B______ contre le jugement JTDP/1674/2023 rendu le 21 décembre 2023 par le Tribunal de police dans la procédure P/12300/2022.

L'admet partiellement.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Déclare A______ coupable d'infraction à l'art. 117 al. 1 LEI.

Déclare B______ coupable d'infraction à l'art. 117 al. 1 LEI.

Les exempte de peine (art. 52 CP).

Prend acte de ce que le Tribunal de première instance a arrêté les frais de la procédure préliminaire et de première instance à CHF 2'680.-, y compris un émolument complémentaire de jugement de CHF 1'000.-.

Condamne A______ et B______ à payer ces frais, pour moitié chacun (art. 426 al. 1 et 2 CPP).

Arrête les frais de la procédure d'appel à CHF 1'195.-, y compris un émolument d'arrêt de CHF 1'000.-.

Met ces frais à la charge de A______ et B______ à raison de la moitié chacun.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police et à l'Office cantonal de l'inspection et des relations du travail (OCIRT).

La greffière :

Sonia LARDI DEBIEUX

 

La présidente :

Delphine GONSETH

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.

 

Dans la mesure où il a trait à l'indemnité de l'avocat désigné d'office ou du conseil juridique gratuit pour la procédure d'appel, et conformément aux art. 135 al. 3 let. b CPP et 37 al. 1 de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération (LOAP), le présent arrêt peut être porté dans les dix jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 39 al. 1 LOAP, art. 396 al. 1 CPP) par-devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (6501 Bellinzone).


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

2'680.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

0.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

120.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

0.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'000.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'195.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

3'875.00