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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/5002/2023

AARP/280/2024 du 08.08.2024 sur OTDP/781/2024 ( REV )

Normes : cpp.410.al1.leta; cpp.354.al3; cpp.85
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/5002/2023 AARP/280/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 8 août 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, France, comparant en personne,

demandeur en révision,

 

contre l'ordonnance pénale OPMP/4373/2023 rendue le 17 mai 2023 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

défendeur en révision.


EN FAIT :

A. a. Par courrier adressé le 28 mai 2024 au Tribunal de police (TP), transmis le 11 juillet suivant par le Ministère public (MP) à la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR) comme demande de révision et relevant de sa compétence, A______ fait part de ce qu'il avait "le 9 avril, ( … ) reçu votre courrier" et que, malgré ses relances, il n'avait toujours pas obtenu "le formulaire de requete en exoneration", alors que "ce n'étais pas [lui] au volant", il avait "prêter [s]on vehicule a ce jour de l'affraction à Mr B______ domicilié [à] C______". Il indiquait joindre à son envoi une copie de la carte d'identité du précité "pour que vous puissiez faire le changement d'identité", sans toutefois la joindre à sa missive.

b. Le précité a été condamné le 17 mai 2023 par le MP pour violation grave des règles de la circulation routière (art. 90 al. 2 de la loi sur la circulation routière [LCR]) à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à CHF 50.-, avec sursis pendant trois ans, ainsi qu'à une amende de CHF 500.-, outre les frais judiciaires par CHF 260.-.

En l'absence d'opposition, l'ordonnance pénale, valant jugement, est entrée en force le 24 juillet 2023. Le pli recommandé de notification a été retourné au MP le 21 juin 2023 muni de la mention "Pli avisé et non réclamé", l'ordonnance pénale étant réputée notifiée. Celle-ci avait été adressée à A______ à son adresse déterminée par la police, soit la rue 1______ no. ______ à C______ (France).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Selon rapport de renseignements de la police du 30 janvier 2023, le véhicule immatriculé 2______ en France, dont le détenteur est A______, avait dépassé la limite de vitesse autorisée de 25 km/h (marge de sécurité déduite) en ville de Genève, à la rue 3______ en direction de Châtelaine, le jeudi 28 juillet 2022 à 12h26, là où la vitesse est limitée à 50 km/h. Le dépassement avait été constaté par radar, la photographie ne permettant d'identifier à première vue le conducteur.

Un avis au détenteur, avec formulaire de reconnaissance d'infraction, a été adressé à A______ à la rue 1______ no. ______ à C______ le 27 septembre 2022. Il n'est pas revenu en retour à la police et est resté sans suite de la part du précité. La police sollicitait ainsi du MP qu'il procède à l'audition formelle de A______ par la voie de l'entraide judiciaire.

b. Par courrier recommandé du 6 mars 2023, le MP a avisé A______ de l'ouverture d'une procédure pénale à son encontre du chef d'infraction à l'art. 90 al. 2 LCR, lui impartissant un délai d'un mois pour faire valoir toutes observations au sujet des faits reprochés, et, dans l'hypothèse où il n'était pas le conducteur au moment des faits, pour indiquer l'identité de celui-ci.

Ce courrier, adressé à la rue 1______ no. ______ à C______, a été distribué le 14 mars 2023. Il n'a pas suscité de réaction de la part de A______.

c. À l'appui d'un courrier non daté mais posté en recommandé le 22 janvier 2024 à l'attention du MP, reçu par celui-ci le 26 du même mois, A______ faisait savoir qu'il contestait les sommes pour le paiement desquelles il avait été mis en demeure par le Service des contraventions (SDC). Il ne comprenait pas pourquoi il devait "payer un montant de 780 euros prévenant de Suisse alors que sa fai[sai]t prêt de 4 ou 5 ans qu['il n'était] pas rentré en Suisse". Il voulait savoir à quoi se rapportait l'infraction et la date de sa commission.

A______ a joint à son envoi l'original d'un courrier que lui avait adressé le SDC le 4 janvier 2024 à son adresse de la rue 4______ no. ______ à C______, ce dernier l'invitant, à la suite de son courrier du 21 décembre 2023, à contacter le MP pour obtenir toutes explications en lien avec la sommation avant exécution n° 5______.

d.a. Sur requête du MP du 29 janvier 2024, le Centre de coopération policière et douanière franco-suisse renseignait que A______ était domicilié à la rue 1______ no. ______ à C______ au 4 septembre 2022, date la plus récente retrouvée dans les fichiers des véhicules et permis de conduire. Le fichier des étrangers comportait la même adresse, avec la précision "chez MME D______".

d.b. Le MP a fait parvenir à A______ copie de son ordonnance pénale. Au dossier se trouvent deux plis, l'un du 29 janvier 2024 à la rue 1______ no. ______, l'autre du 30 janvier 2024 à la rue 4______ no. ______ à C______, tous deux comportant la mention "ne vaut pas nouvelle notification".

e. Après avoir reçu copie de l'ordonnance pénale, A______ a fait observer au MP, à l'appui d'un courrier recommandé du 5 février 2024, reçu par l'autorité le 13 février suivant, qu'il ne se trouvait pas au volant de son véhicule le 28 juillet 2022, l'ayant prêté à B______, domicilié à la rue 4______ no. ______ à C______. Il demandait que l'amende soit "envoyée ( … ) a son nom ou de [lui] envoyer la feuille de contestation pour lui faire passer".

f. le MP a estimé que la contestation de A______, valant opposition à l'ordonnance pénale rendue, était tardive, ce que le TP a confirmé par ordonnance du 9 avril 2024, l'ordonnance pénale étant assimilée à un jugement entré en force.

 

EN DROIT :

1. 1.1. L'art. 410 al. 1 let. a du Code de procédure pénale (CPP) permet à toute personne lésée par un jugement entré en force d'en demander la révision s'il existe des faits ou des moyens de preuve qui étaient inconnus de l'autorité inférieure et qui sont de nature à motiver l'acquittement ou une condamnation sensiblement moins sévère du condamné.

1.2. La révision présuppose que le jugement concerné soit entré en force. Le jugement doit être définitif et exécutoire ; il doit porter sur un état de fait déterminé et concerner une personne déterminée. Les ordonnances pénales sont assimilées à des jugements entrés en force lorsqu'aucune opposition n'a été formée à leur encontre (art. 354 al. 3 CPP).

1.3. Selon l'art. 437 al. 1 CPP, un prononcé pénal entre en force lorsqu'aucun moyen de recours ordinaire n'est recevable pour le remettre en cause.

Pour qu'un délai de recours commence à courir, il va de soi que le prononcé a dû être notifié valablement aux parties selon les art. 84 et suivants CPP.

2. 2.1. Sauf disposition contraire du CPP, les communications des autorités pénales sont notifiées en la forme écrite (art. 85 al. 1 CPP) ; c'est notamment le cas des ordonnances pénales (art. 353 al. 3 CPP).

Conformément à un principe général du droit administratif, applicable au droit pénal, la notification irrégulière d'une décision ne doit entraîner aucun préjudice pour les parties. Toutefois, la jurisprudence n'attache pas nécessairement la nullité à l'existence de vices dans la notification ; la protection des parties est suffisamment réalisée lorsque la notification irrégulière atteint son but malgré cette irrégularité (ATF 122 I 97 consid. 3 a. aa. p. 99). Selon la jurisprudence, le fardeau de la preuve de la notification et de la date à laquelle celle-ci a été effectuée incombe à l'autorité (ibidem consid. b p. 100 ; ACPR/102/2013 du 14 mars 2013). Le délai de recours ne commence à courir qu'au moment où la partie a connaissance de la décision. Elle ne peut cependant retarder ce moment selon son bon plaisir ; en vertu du principe de la bonne foi, elle est tenue de se renseigner sur l'existence et le contenu de la décision dès qu'elle peut en soupçonner l'existence, à défaut de quoi elle risque de se faire opposer l'irrecevabilité de son recours pour cause de tardiveté (SJ 2000 p. 118 consid. 4 et les références citées).

2.2. Selon les art. 85 al. 2 et 87 CPP, les autorités pénales notifient leurs prononcés écrits, au domicile du destinataire, par lettre signature ou par tout autre mode de communication impliquant un accusé de réception.

Le prononcé est réputé notifié lorsqu'il a été remis au destinataire (art. 85 al. 3 CPP). En cas d'échec de distribution d'une lettre signature, cette dernière doit être retirée dans un office de poste, le destinataire étant invité, par le dépôt d'un avis, à venir chercher l'envoi (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 29 ad art. 85). L'intéressé dispose, pour effectuer ce retrait, d'un délai de sept jours. Si le pli n'est pas retiré dans ce laps de temps et si le destinataire devait s'attendre à une telle remise, le prononcé est réputé notifié (art. 85 al. 4 let. a CPP).

La personne concernée ne doit s'attendre à la remise d'un prononcé que lorsqu'il y a une procédure en cours qui impose aux parties de se comporter conformément aux règles de la bonne foi, à savoir de faire en sorte, entre autres, que les décisions relatives à la procédure puissent leur être notifiées. Le devoir procédural d'avoir à s'attendre avec une certaine vraisemblance à recevoir la notification d'un acte officiel naît avec l'ouverture de la procédure et vaut pendant toute sa durée. Il est admis que la personne concernée doit s'attendre à la remise d'un prononcé lorsqu'elle est au courant qu'elle fait l'objet d'une instruction pénale au sens de l'art. 309 CPP. Un prévenu informé par la police d'une procédure préliminaire le concernant, de sa qualité de prévenu et des infractions reprochées, doit se rendre compte qu'il est partie à une procédure pénale et donc s'attendre à recevoir, dans ce cadre-là, des communications de la part des autorités, y compris un prononcé.

La sécurité du droit et le principe d'économie de procédure imposent à la personne qui se sait partie à une procédure de prendre les mesures pour être atteignable et d'en supporter, le cas échéant, les conséquences (ATF 138 III 225 consid. 3.1 p. 227 ; 130 III 396 consid. 1.2.3 p. 399 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1015/2011 du 12 octobre 2012 consid. 3.3.1 ; ACPR/399/2014 du 8 septembre 2014).

En matière de circulation routière, un courrier officiel visant à identifier le conducteur responsable, tout en indiquant que ce dernier serait déféré à l'autorité compétente, n'est pas suffisant, en l'absence de toute audition, y compris par la police, pour retenir l'existence d'un rapport juridique de procédure pénale suffisamment clair pour que le destinataire doive s'attendre à se voir directement notifier une ordonnance pénale. La fiction de notification prévue à l'art. 85 al. 4 CPP ne s'applique pas (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1154/2021 du 10 octobre 2022 consid. 1.3).

2.3. Dans la mesure où le délai d'opposition à l'ordonnance pénale commence à courir le jour qui suit sa notification (art. 90 al. 1 CPP), l'examen de la régularité de cette dernière doit intervenir préalablement à celui des conditions de restitution du délai d'opposition (art. 94 CPP).

Parmi les recherches que l'on peut raisonnablement exiger avant de procéder à une notification par voie de publication dans la Feuille officielle au sens de l'art. 88 al. 1 let. a CPP, comptent, en particulier, la prise de renseignements auprès des autorités de contrôle des habitants, des autorités militaires et de l'office postal du dernier domicile connu. Le cas échéant, une seconde tentative de notification, par l'entremise de la police, peut être exigée (arrêts du Tribunal fédéral 6B_876/2013 du 6 mars 2014 consid. 2.3.2 et 6B_652/2013 du 26 novembre 2013 consid. 1.4.3 et les références citées).

2.4. En l'espèce, il ne peut être raisonnablement soutenu que A______ a eu valablement connaissance de l'ouverture d'une procédure pénale à son encontre et a pu être en mesure de faire valoir ses droits de prévenu.

À l'aune de la jurisprudence du Tribunal fédéral rappelée ci-avant, l'envoi d'un courrier tel que celui qui lui a été adressé le 6 mars 2023 par le MP, sans audition formelle, ne suffit pas pour retenir que l'intéressé devait s'attendre à se voir notifier une ordonnance pénale. Dès lors, la fiction de notification prévue à l'art. 85 al. 4 CPP ne s'applique pas et il faut retenir que l'ordonnance pénale du 17 mai 2023 n'a pas été valablement notifiée, ce que le TP aurait dû constater d'office, en renvoyant la procédure au MP pour nouvelle notification.

Peu importe que ce courrier avait été distribué, en l'absence de toute réaction de A______. En effet, on ne peut déduire des pièces au dossier que le précité avait bel et bien été personnellement atteint – même si l'avis au détenteur et le courrier du MP susvisé ne sont pas revenus à leurs émetteurs – dans la mesure où la vérification de domiciliation à laquelle le MP a ultérieurement procédé a permis de démontrer que l'adresse à la rue 1______ no. ______ n'était d'actualité que jusqu'au 4 septembre 2022. Dès lors, partant de l'hypothèse que les explications fournies par A______ seraient sincères, rien ne permettrait, à ce stade et en l'absence d'audition de l'intéressé, de douter d'emblée de sa version. En effet, il ne peut être exclu que A______ ait déménagé en septembre 2022 à la rue 4______ no. ______ et que l'avis au détenteur ainsi que le courrier du MP aient été reçus par sa logeuse, Mme D______, sans que celle-ci ne les lui communique, ce qui expliquerait sa surprise à réception d'une mise en demeure du Service des contraventions à fin décembre 2023.

Peu importe également qu'un avis postal, s'agissant de l'acheminement de l'ordonnance pénale, ait été laissé à son attention dans la boîte aux lettres de la rue 1______ no. ______, vu ce qui précède.

Peu importe enfin, à ce stade, qu'il n'a pas produit la pièce d'identité de B______, le MP pouvant être amené à investiguer ce point, puisqu'il devra accueillir comme opposition à l'ordonnance rendue le courrier que lui faisait parvenir A______ le 5 février 2024, soit en temps utile à la suite de la communication par l'autorité d'une copie de ladite ordonnance pénale (cf. AARP/132/2024 du 29 avril 2024 consid. 2.5).

Le MP n'ayant pas donné suite à cette opposition, il faut considérer que l'ordonnance pénale n'est pas en force. Par voie de conséquence, le SDC sera invité à suspendre, jusqu'à nouvel ordre, toutes démarches en vue du recouvrement auprès de A______ de l'amende et des frais de justice découlant de l'OPMP/4373/2023.

2.5. Il s'ensuit que la demande de révision de A______, si tant est que son courrier posté le 28 mai 2024 à destination du TP devait être interprété comme telle, est irrecevable, en l'absence de décision sujette à révision.

3. Compte tenu de ce qui précède, les frais de la procédure de révision seront laissés à la charge de l'État.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Déclare irrecevable la demande en révision formée par A______ contre l'ordonnance pénale OPMP/4373/2023 rendue le 24 juillet 2023 par le Ministère public dans la procédure P/5002/2023.

Cela dit :

Constate que l'ordonnance pénale OPMP/4373/2023 rendue le 24 juillet 2023 par le Ministère public dans la procédure P/5002/2023 n'est pas entrée en force.

Renvoie la procédure au Ministère public pour qu'il donne suite à l'opposition valablement formée par A______ à l'ordonnance pénale OPMP/4373/2023 du 24 juillet 2023.

Invite le Service des contraventions à suspendre toutes démarches en rapport avec la sommation avant exécution n° 5______ dans le cadre de la procédure P/5002/2023.

Laisse les frais de la procédure de révision à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt aux parties et au Service des contraventions.

Le communique pour information au Tribunal de police.

 

La greffière :

Aurélie MELIN ABDOU

 

Le président :

Vincent FOURNIER

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière pénale.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.