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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/13685/2022

AARP/87/2024 du 06.03.2024 sur JTDP/1136/2023 ( PENAL ) , REJETE

Recours TF déposé le 16.04.2024, 6B_344/2024
Descripteurs : VIOLATION D'UNE OBLIGATION D'ENTRETIEN;COMPÉTENCE RATIONE LOCI
Normes : CP.217; CL.5.ch2; CP.3
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13685/2022 AARP/87/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 6 mars 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, FRANCE, comparant en personne,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/1136/2023 rendu le 4 septembre 2023 par le Tribunal de police,

 

et

Service cantonal d'avance et de recouvrement des pensions alimentaires, partie plaignante,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 4 septembre 2023 par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnu coupable de violation d'une obligation d'entretien (art. 217 al. 1 du Code pénal suisse [CP]) et condamné à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à CHF 30.- l'unité, avec sursis et délai d'épreuve de trois ans, ainsi qu'aux frais de la procédure, et a rejeté ses conclusions en indemnisation.

A______ conclut à l'annulation de ce jugement, à l'octroi d'une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure de CHF 6'694.-, sous réserve des frais induits par la procédure d'appel, et à la condamnation du Service cantonal d'avance et de recouvrement des pensions alimentaires (SCARPA) aux frais de la procédure, ainsi qu'au versement en sa faveur d'une indemnité pour tort moral de CHF 10'000.-.

Le Ministère public (MP) conclut au rejet de l'appel.

b. Selon l'ordonnance pénale du 15 novembre 2022, il est reproché ce qui suit à A______ :

À Genève, entre le 1er janvier 2022 et le 30 septembre 2022, il a omis de verser en mains du SCARPA la contribution d'entretien due en faveur de ses filles, B______, née le ______ 2015, et C______, née le ______ 2016, alors qu'il en avait les moyens ou aurait pu les avoir. Le montant total de l'impayé s'élève, sur la période pénale concernée, à CHF 15'830.-.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.a. D______ et A______ se sont mariés le ______ 2013 à E______ [VD]. Trois enfants sont issus de cette union, F______, née le ______ 2014 et décédée le ______ 2014, B______ née le ______ 2015 et C______ née le ______ 2016. Les époux se sont séparés le ______ novembre 2018.

a.b. Titulaire d'un diplôme en comptabilité et gestion obtenu en France, A______ a travaillé auprès de G______ en qualité de conseiller fiscal d'avril à juin 2010, pour H______ de juin à août 2010, pour I______ en qualité de comptable d'août 2010 à décembre 2012, au sein du J______, en tant que "Budget controller" de 2013 à 2014, auprès de K______ comme contrôleur financier de juillet 2014 à mai 2015, puis auprès de L______ du 1er septembre 2015 au 31 mai 2016. Il a ensuite été au chômage jusqu'au 19 septembre 2017, période durant laquelle il a appris l'allemand (niveau B2 validé selon l'attestation de l'école M______ de E______) et effectué de nombreuses postulations pour des postes de contrôleur de gestion ou financier, de comptable, d'analyste financier, d'économiste d'entreprise ou encore des postes de cadre, qui n'ont pas abouti. Après sa période de chômage, il a débuté une formation à la N______ du canton de Vaud (N______), à laquelle il a volontairement mis un terme, cette formation ne lui correspondant pas. Dès le 1er juin 2018, il a commencé à travailler à distance pour la start-up française O______, sise à P______ [France], en qualité d'assistant administratif finance, pour un salaire mensuel net de EUR 860.-. À la fin de l'année 2019, il a quitté la Suisse pour s'installer à P______. Durant la période pénale, son salaire mensuel net s'élevait à EUR 1'504.17, selon la dernière fiche de salaire produite. Il percevait en sus EUR 40.- à EUR 50.- de la Caisse d'allocations familiales (CAF). Son loyer s'élevait à EUR 291.78 et il remboursait mensuellement l'assistance judiciaire dont il avait bénéficié durant la procédure de divorce.

b. Par arrêt du 14 septembre 2021, réformant partiellement une ordonnance sur mesures provisionnelles rendue le 31 décembre 2020 par le Tribunal civil de E______ (laquelle prévoyait le versement par A______ d'une pension mensuelle, payable d'avance le premier jour de chaque mois, en mains de D______, d'un montant de CHF 150.- dès et y compris le 1er octobre 2020 afin de contribuer à l'entretien des enfants B______ et C______), la Cour d'appel civile a notamment condamné A______ à contribuer à l'entretien de ses filles, payable d'avance le premier jour de chaque mois, en mains de D______ :

- Pour B______, CHF 75.-, allocations familiales en sus, entre le 1er octobre 2020 et le 30 novembre 2021 inclus, puis CHF 920.-, allocations familiales en sus, dès et y compris le 1er décembre 2021 ;

- Pour C______, CHF 75.-, allocations familiales en sus, entre le 1er octobre 2020 et le 30 novembre 2021 inclus, puis CHF 1'000.-, allocations familiales en sus, dès et y compris le 1er décembre 2021.

La Cour d'appel civile a considéré qu'il se justifiait d'imputer un revenu hypothétique de CHF 6'910.- brut à A______ ; il était jeune, en bonne santé et disposait d'une expérience professionnelle d'une dizaine d'années dans le domaine de la comptabilité et de la finance. Aucun élément au dossier ne permettait de tenir pour impraticable son retour en Suisse pour qu'il y déploie une activité professionnelle, celui-ci n'ayant pas refait sa vie – de famille – en France, où il vivait depuis moins de deux ans.

c.a. Le divorce des époux a été prononcé par le jugement du Tribunal civil de l'arrondissement de E______ rendu le 10 août 2022.

c.b. Sur appel de D______, la Cour d'appel civile a, par arrêt du 18 avril 2023, confirmé le jugement précité, par lequel A______ a été condamné à contribuer à l'entretien de B______ et C______ par le versement, pour chacune d'elles, d'une pension alimentaire de CHF 269.-, éventuelles allocations familiales en sus, dès le 1er juillet 2022, payable d'avance le premier jour de chaque mois sur le compte de D______.

Le Tribunal civil a considéré qu'il se justifiait d'imputer à A______ un revenu hypothétique de CHF 4'000.-, montant correspondant à la rémunération d'un travail non qualifié ; son départ en France avait clairement péjoré sa situation financière, les salaires y étant notoirement plus bas qu'en Suisse. Le revenu hypothétique avait par conséquent été calculé sur la base d'un revenu suisse, avec des charges suisses.

d.a. Le 21 juin 2022, le SCARPA a déposé plainte pénale à l'encontre de A______ du chef de violation d'une obligation d'entretien pour la période de janvier 2022 à juin 2022, se fondant sur la convention de cession des droits conclue le 24 février 2022, avec effet dès le 1er janvier 2022, avec D______. L'arriéré pour la période pénale considérée s'élevait à CHF 10'620.-. Durant cette période, l'intéressé avait versé uniquement CHF 150.- par mois à D______, laquelle avait informé mensuellement le SCARPA de ce paiement afin que celui-ci puisse en tenir compte dans sa comptabilité. Interpellé, A______ estimait en substance que la décision judiciaire du 14 septembre 2021 n'était pas valable en France, soit son lieu de résidence actuelle, car elle ne lui avait pas été notifiée dans les formes. Il précisait que ses revenus actuels étaient inférieurs à la pension alimentaire réclamée.

d.b. Ultérieurement, le SCARPA a étendu sa plainte pénale au 30 septembre 2022. A______ avait versé à D______ CHF 200.- en août 2022 et en septembre 2022. Le montant total des contributions d'entretien dû de janvier 2022 à septembre 2022 était de CHF 15'830.-.

d.c. Le SCARPA a indiqué devant le premier juge que A______ avait continué de verser des sommes à D______, ne reconnaissant pas sa compétence. Un relevé de compte était produit pour la période pénale, lequel tenait compte des montants reçus directement par D______, ainsi que de la diminution de la créance à partir du 1er juillet 2022 à hauteur de CHF 538.- au lieu de CHF  1'920.-.

e.a. En réponse au questionnaire du MP, A______ a contesté être débiteur des montants visés par la plainte. Il était parti en France durant la vie commune avec l'accord de D______, pour travailler auprès de la société O______, après des recherches d'emploi vaines en Suisse et l’épuisement de son droit au chômage. Son salaire actuel ne lui permettait pas d'honorer les pensions prévues sur mesures provisionnelles. Cela étant, son poste semblait lui offrir de bonnes perspectives professionnelles et il souhaitait trouver un accord amiable avec son épouse visant à la mise en œuvre d'une contribution d'entretien progressive correspondant à la réalité de ses revenus. Il remboursait actuellement l'assistance judiciaire civile.

e.b. Durant la procédure préliminaire et en première instance, A______ a contesté les faits reprochés. Il reconnaissait qu'il devait de l'argent pour la contribution d'entretien de ses filles mais il avait versé directement à D______ ce qui était possible en proportion de son salaire, soit CHF 150.- mensuels, puis CHF 200.- mensuels. Même si ses filles avaient profité de son augmentation salariale, il savait que les montants versés étaient bas. Il n'avait pas effectué de recherches d'emploi en Suisse après la fin du droit au chômage, ses recherches ayant été vaines durant cette période. Il ne comptait pas quitter son emploi actuel – lequel lui proposait de bonnes perspectives salariales d'évolution – pour trouver un emploi en Suisse compte tenu de son expérience passée. Il n'avait par ailleurs aucun logement en Suisse.

Il contestait le jugement de la Cour d'appel civile du 14 septembre 2021, mais n'avait pas formé de recours, car il n'avait pas eu envie de dépenser son argent pour des procédures judiciaires. Il ne reconnaissait pas l'autorité des juges suisses, ni l'institution d'un revenu hypothétique. Il était dans l'incapacité de s'acquitter des contributions d'entretien à hauteur des montants décidés par le juge suisse.

La plainte du SCARPA était infondée. Un revenu hypothétique ne pouvait selon lui fonder une plainte pénale. Il n'avait jamais refusé de payer une pension à ses filles à hauteur de ses revenus. Une fois la contribution d'entretien payée, il utilisait le reliquat de son salaire pour payer l'électricité, ainsi que ses besoins courants, de sorte qu'il ne lui restait plus rien à la fin du mois. Il n'avait pas d'épargne.

Il estimait que l'on ne pouvait pas le contraindre à chercher un autre travail. Il n'avait pas organisé son insolvabilité. Il n'y avait aucune volonté de sa part de nuire. Il avait récemment demandé une augmentation de salaire à EUR 1'900.- mensuels. Le cas échéant, il serait d'accord de payer plus que CHF 269.- par mois et par enfant.

Enfin, il souhaitait trouver un accord avec son ex-épouse, mais pas avec le SCARPA. Malgré les explications au sujet de la différence entre la reconnaissance et l'exécution forcée d'un jugement sur le sol français, il suivait la ligne de son avocat français spécialiste en droit international, qui lui avait toujours conseillé de ne rien payer au SCARPA avant une quelconque requête en exequatur du jugement de divorce.

e.c. Durant la procédure, A______ a produit diverses pièces, soit notamment :

- un bulletin de salaire de O______ pour le mois de février 2022 en EUR 2'132 brut, respectivement EUR 1'504.17 net ;

- deux notes d'honoraires de Me Q______ s'élevant à EUR 6'000.- et EUR 540.-, pour, selon A______, l'"étude du dossier et rédaction d'un argumentaire sur la base du droit civil et pénal selon les conventions internationales concernant les divorces transnationaux".

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite avec l'accord des parties.

b. Selon son mémoire d'appel, A______ persiste dans ses conclusions et déclarations. Il ne pouvait lui être fait obligation de quitter son travail actuel et d'abandonner la formation universitaire suivie pour un autre travail plus rémunérateur, mais moins qualifié. Cette exigence pouvait être assimilée à du "travail forcé" tel que défini à l'art. 2 al. 2 de la convention (N 29) sur le travail forcé. Selon le Tribunal fédéral, la prise en compte d'un revenu hypothétique ne pouvait se justifier qu'en cas de manœuvre frauduleuse de la part du débiteur de la contribution alimentaire – de telles manœuvres de sa part n'avaient pas été démontrées - et le revenu devait être déterminé sur la base de statistiques établies dans le pays requis, et non sur la base des salaires pratiqués en Suisse, bien plus élevés que dans le reste de l'Europe. Les conventions de New-York de 1964, de Lugano I et II et de La Haye, dont la Suisse était signataire et qui faisaient partie intégrante de son droit interne, prévoyaient que le recouvrement des créances alimentaires dans un contentieux international était exclusivement régi par le droit du pays requis et qu'une décision exécutoire dans un État lié ne pouvait être mise à exécution dans un autre État lié qu'après avoir été déclarée exécutoire sur requête de toute partie intéressée. Les Conventions précitées prévoyaient en outre qu'une fois le jugement rendu dans le pays du requérant et en cas de désaccord du débirentier, une négociation devait être initiée puis, en cas d'échec de celle-ci, une procédure d'exequatur devait être engagée. Dès lors, la créance alimentaire n'existait pas, que ce soit en Suisse ou en France, en l'absence d'une telle demande. La procédure pénale engagée par le SCARPA ne reposait ainsi sur aucun élément de droit. De plus, le SCARPA n'était pas compétent, agissant sur le territoire français sans mandat de droit tout en se basant sur le montant de la contribution d'entretien fixée par l'arrêt de la Cour d'appel civile alors qu'il avait été invalidé par le Tribunal civil de l'arrondissement de E______. En outre, il n'avait pas accepté l'arrêt de la Cour d'appel civile du 18 avril 2023 qu'il avait contesté devant le Tribunal fédéral, lequel n'était pas entré en matière pour de "curieuses" raisons de droit. Une infraction à l'art. 217 CP ne pouvait au surplus pas être retenue, l'élément subjectif de l'intention faisant défaut ; il avait toujours versé une contribution d'entretien à ses enfants, évoluant en fonction de ses revenus perçus. Les notes d'honoraires de Me Q______ avaient été réglées par son père, qu'il devait à présent rembourser.

c. Le SCARPA persiste dans ses conclusions, adaptant le montant total de la contribution d'entretien due par A______ – CHF 11'684.- – suite à la réception de l'arrêt du Tribunal fédéral 5A_390/2023 du 5 juillet 2023, le jugement du Tribunal du canton de Vaud du 10 août 2022 étant alors devenu définitif et exécutoire.

Les décisions suisses, définitives et exécutoires, n'étaient pas exécutées en France, dès lors que celles-ci n'avaient pas à faire l'objet d'une procédure d'exequatur. D______ avait mandaté le SCARPA en vue du recouvrement de la pension alimentaire de ses enfants, dont elle était la représentante légale, de manière conforme à la loi. Le SCARPA était ainsi, depuis janvier 2022, subrogé dans les droits de la créancière d'aliment et apte à déposer plainte pénale. Malgré le caractère prioritaire de la dette alimentaire, A______ s'était acquitté d'autres dettes. En outre, il n'avait effectué aucune recherche d'emploi pour tenter de trouver une activité lucrative plus rémunératrice dans le but d'améliorer sa situation financière et de pouvoir payer la contribution d'entretien, alors même qu'il bénéficiait d'une formation solide et d'une expérience professionnelle variée.

d. Le MP persiste dans ses conclusions.

Les autorités pénales suisses étaient compétentes en vertu des art. 3 et 8 CP, compte tenu du domicile genevois de la bénéficiaire de l'entretien. En outre, il ne s'agissait pas d'exécuter un jugement suisse à l'étranger, de sorte que les considérations de l'appel au sujet des conventions internationales civiles applicables en matière de recouvrement de créances n'étaient pas pertinentes.

D. a. A______ est né le ______ 1984 à R______, en France. Il est de nationalités française et suisse. Il est divorcé de D______, avec laquelle il a eu trois enfants.

Il travaille pour la société O______ en qualité d'assistant administratif finance depuis le 1er juin 2018. Son salaire mensuel actuel est d'environ EUR 1'500.-. Il perçoit un subside de EUR 68.84 (RSA) pour son logement. Il vient d'obtenir une licence "Chef d'Entreprise développeur de PME" délivrée par l'Université de P______ et prévoit de suivre un module complémentaire en vue de l'obtention d'un master. Dans ce contexte, une augmentation de salaire serait à prévoir en raison de l'élargissement de ses responsabilités au sein de la société. Il envisage ainsi d'augmenter la contribution d'entretien versée à environ CHF  400.- par mois. Son loyer s'élève à EUR 291.78. Il paie EUR 37.60 mensuels d'impôts. Il n'a pas de prime d'assurance maladie. Il n'a pas de dette, ni de fortune.

b. A______ n'a pas d'antécédent inscrit à son casier judiciaire suisse.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre n'examine que les points attaqués du jugement de première instance (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions (art. 391 al. 1 CPP).

2. 2.1.1. En présence de situations de droit privé à caractère international, le droit international privé (DIP) est applicable et permet de connaitre le tribunal compétent, le droit national applicable et les conditions permettant la reconnaissance et l'exécution d'une décision rendue par un État dans un autre État.

2.1.2. L’exequatur est une procédure qui permet de rendre exécutoire sur le territoire suisse une décision judiciaire rendue à l’étranger, et inversement.

2.2.1. La compétence internationale en matière d'entretien des enfants est déterminée par la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 (CL), dont la France et la Suisse sont signataires.

En matière d'obligations alimentaires, l'art. 5 ch. 2 let. a CL permet d'attraire le débiteur d'une telle obligation devant le tribunal du lieu où le créancier d'aliments a son domicile ou sa résidence habituelle.

L'art. 5 de la Convention de la Haye du 19 octobre 1996 sur la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale (CLaH 96), applicable par renvoi de l'art. 85 al. 2 de la loi fédérale sur le droit international privé (LDIP), fixe également ladite compétence.

2.2.2. Aux termes de l'art. 3 al. 1 CP, le CP est applicable à quiconque commet un crime ou un délit en Suisse. Un crime ou un délit est réputé commis tant au lieu où l'auteur a agi ou aurait dû agir qu'au lieu où le résultat s'est produit (art. 8 al. 1 CP).

2.3. L'art. 217 al. 1 CP punit, sur plainte, celui qui n'aura pas fourni les aliments ou les subsides qu'il doit en vertu du droit de la famille, quoi qu'il en eût les moyens ou pût les avoir.

2.3.1. L'obligation d'entretien est violée, d'un point de vue objectif, lorsque le débiteur ne fournit pas, intégralement, à temps et à disposition de la personne habilitée à la recevoir, la prestation d'entretien qu'il doit en vertu du droit de la famille (ATF 121 IV 272 consid. 3c ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1017/2016 du 10 juillet 2017 consid. 2.2). Dès lors, l’auteur est punissable lorsqu’il n’a pas fourni les aliments, de même que s’il ne les a fournis que partiellement ou en retard.

Une constatation judiciaire préalable n'est cependant pas nécessaire dans la mesure où l'obligation d'entretien découle directement de la loi (ATF 128 IV 86 consid. 2b).

Le juge pénal est lié par la contribution d'entretien fixée par le juge civil
(ATF 106 IV 36). Toutefois, la question de savoir quelles sont les ressources qu'aurait pu avoir le débiteur d'entretien doit être tranchée par le juge pénal s'agissant d'une condition objective de punissabilité au regard de l'art. 217 CP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1017/2016 précité).

Le juge pénal doit concrètement établir la situation financière du débiteur qui aurait pu être la sienne en faisant les efforts pouvant raisonnablement être exigés de lui (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1017/2016 précité consid. 2.1 ; 6B_496/2016 du 5 janvier 2017 consid 1.2.). Il n'est pas nécessaire que le débiteur ait eu les moyens de fournir entièrement sa prestation, il suffit qu'il ait pu fournir plus qu'il ne l'a fait et qu'il ait, dans cette mesure, violé son obligation d'entretien (ATF 114 IV 124 consid. 3b ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1017/2016 précité consid. 2.4). Par-là, on entend celui qui, d'une part, ne dispose certes pas de moyens suffisants pour s'acquitter de son obligation, mais qui, d'autre part, ne saisit pas les occasions de gain qui lui sont offertes et qu'il pourrait accepter (ATF 126 IV 131 consid. 3a ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_787/2017 du 12 avril 2018 consid. 6.1 ; 6B_1017/2016 précité consid. 2.2). Le cas échéant, il doit changer d'emploi ou de profession, pour autant qu'on puisse l'exiger de lui (ATF 126 IV 131 consid. 3a/aa = JT 2001 IV 55).

La capacité économique de l'accusé de verser la contribution d'entretien se détermine par analogie avec le droit des poursuites relatif au minimum vital (art. 93 LP ; ATF 121 IV 272 consid. 3c).

2.3.2. Sur le plan subjectif, l'infraction doit être commise intentionnellement. Le dol éventuel suffit (ATF 70 IV 166). L'intention de ne pas payer le montant dû sera en règle générale donnée si l'obligation a été fixée dans un jugement ou une convention car elle sera alors connue du débiteur (ATF 128 IV 86 consid. 2b).

2.4. Le droit de porter plainte appartient aussi aux autorités et aux services désignés par les cantons. Il est exercé compte tenu des intérêts de la famille (art. 217 al. 2 CP). Dans le canton de Genève, le SCARPA est l'autorité chargée notamment d'aider les créanciers d'entretien à obtenir l'exécution de leur créance (art. 1 et 2 de la loi sur l'avance et le recouvrement des pensions alimentaires [LARPA]). Le SCARPA a ainsi qualité pour porter plainte en matière de violation d'obligations d'entretien (art. 2 al. 2 de l'Ordonnance sur l'aide au recouvrement [OAiR] et art. 4 LARPA).

3. 3.1.1. Il sied dans un premier temps de mentionner que, dans le cas d'espèce, une procédure d'exequatur n'a pas lieu d'être. Une telle procédure, telle que réclamée par l'appelant, permettrait de rendre exécutoire le jugement de divorce suisse sur le territoire français. Ainsi, l'appelant se méprend lorsqu'il indique que la créance alimentaire n'existe pas, que ce soit en Suisse ou en France, en l'absence d'une telle demande. La créance alimentaire, figurant dans un jugement suisse, existe bel et bien. Ce n'est qu'en cas de demande d'exécution forcée de la décision sur le sol français, notamment afin d'obtenir le paiement de la contribution d'entretien par la voie de la poursuite, que la décision suisse devrait être reconnue par les autorités françaises.

Or, l'infraction à l'art. 217 CP vise à punir celui qui a intentionnellement violé son devoir d'entretien et le dépôt d'une plainte pénale visant cette infraction n'est pas conditionnée à l'existence d'un jugement civil, et encore moins à ce que ce jugement soit exécutoire sur le territoire étranger. Il s'agit d'une procédure pénale, distincte de la procédure civile.

En l'espèce, la compétence des tribunaux suisses est donnée dans la mesure où les enfants de l'appelant, créanciers d'aliments, ont leur domicile à Genève et que c'est bien sur le territoire suisse que le résultat d'une éventuelle infraction à l'art. 217 CP se produit.

3.1.2. Contrairement à ce que plaide l'appelant, la compétence du SCARPA ressort clairement de la loi. Cet organisme ayant agi par cession de créance de D______, représentante légale des créanciers d'aliments, celui-ci dispose effectivement de la qualité pour porter plainte à l'encontre de l'appelant pour violation de l'art. 217 CP.

3.2. Prises dans leur globalité, les contributions dues par l'appelant à l'entretien de ses enfants s'élevaient durant la période pénale, selon l'arrêt du 14 septembre 2021 de la Cour d'appel civile, puis l'arrêt du 10 août 2022 du Tribunal civil de E______, à :

- CHF 1'920.- par mois (CHF 1'000.- + CHF 920.-), soit CHF 11'520.- (6 × CHF  1'920.-), du 1er janvier 2022 au 30 juin 2022 ;

- CHF 538.- par mois (2 × CHF 269.-), soit CHF 1'614.- (3 × CHF 538.-), du 1er juillet 2022 au 30 septembre 2022.

Ces contributions représentent un total de CHF 13'134.-.

Or, l'appelant n'a versé que partiellement ce montant, ce qui n'est pas contesté, de sorte qu'objectivement, il n'a pas respecté son devoir d'entretien. Concrètement, sur la base du décompte détaillé du SCARPA, ses versements durant la période pénale totalisent CHF 1'450.- (CHF 1'050.- [7×150.-] + CHF 400.- [2×200.-]).

L'appelant, qui travaille à l'étranger, supportait les charges suivantes : le montant de base de EUR 598.54 pour une personne vivant seule en France (minimum vital correspondant au montant du Revenu de solidarité active [RSA], à sa valeur la plus élevée, soit dès le 1er juillet 2022 – www.service-public.fr) et le loyer de EUR 292.-.

Les charges de l'appelant s'élevaient ainsi au minimum à EUR 868.- par mois.

Il ressort du dossier que l'appelant percevait concrètement des revenus mensuels nets d'environ EUR 1'504.15, ainsi qu'un complément de la CAF entre EUR 40.- et EUR 50.- par mois, soit un revenu global d'au moins EUR 1'544.15.

Il présentait dès lors un disponible de EUR 676.15, soit de CHF 669.39 (au taux moyen en 2022 de EUR 1 = CHF 0.99). Au vu de ce montant, l'appelant n'était pas en mesure payer la contribution d'entretien à hauteur de CHF 1'920.- par mois jusqu'au 30 juin 2022, sans entamer son minimum vital. Il aurait toutefois pu, au vu de son disponible, faire un effort en payant un montant supérieur aux CHF 150.-, puis CHF 200.- versés. Il lui était en outre possible de payer la contribution fixée dès le 1er juillet 2022 à CHF 538.-, sans entamer son minimum vital.

Il est de plus relevé que l'appelant s'est acquitté de sa dette envers l'assistance judiciaire, alors même que la dette alimentaire est une créance privilégiée qui doit être payée par le débiteur de manière prioritaire. Il n'a également pas hésité à solliciter des conseils en matière de droit international privé, pour contester la légalité de la présente procédure, engendrant des honoraires à hauteur d'EUR 6'540.-, étant précisé que ses allégations selon lesquels son père avait réglé lesdits honoraires ne sont pas documentées.

Au surplus, l'appelant ne saurait être suivi lorsqu'il soutient ne pas avoir été en mesure de s'acquitter de ses obligations alimentaires durant les mois visés sans faute de sa part. Il a fait le choix, d'un commun accord avec son ex-épouse selon ses dires, de travailler en France, ne parvenant pas à trouver un emploi en Suisse, et ayant épuisé son droit au chômage. Il ressort du dossier qu'il a effectué de nombreuses postulations et entrepris d'apprendre la langue allemande, afin d'étendre ses recherches à la Suisse alémanique. Ces dernières étant restées vaines, il a accepté un emploi dans une start-up française pour un salaire d'un peu plus de EUR 800.-. Il est vrai que ce revenu, bien que faible, a évité à l'appelant de rester en Suisse sans emploi, et de percevoir l'aide sociale. Toutefois, il ne ressort pas du dossier qu'il ait effectué de nombreuses recherches en France pour trouver un emploi plus qualifié, ni qu'il ait poursuivi ses recherches, en France ou en Suisse, une fois en poste. Au vu de sa formation et de ses nombreuses années d'expérience dans le domaine financier, il apparait plus que probable qu'il eût été en mesure de percevoir un salaire plus élevé, même en France. En outre, ses recherches en Suisse se sont limitées à des offres d'emploi similaires. Certes, il eût été difficile pour l'appelant d'accepter un travail ne correspondant pas à sa formation, ni à ses attentes ; il devait néanmoins entreprendre toutes les démarches nécessaires pour obtenir un salaire plus élevé, lui permettant de subvenir à l'entretien de ses enfants. Il ressort de plus du dossier qu'il a interrompu par convenance personnelle une formation à la N______, débutée après la fin de son droit au chômage, qui aurait pu lui ouvrir de nouvelles perspectives sur le marché de l'emploi suisse. L'appelant n'a ainsi pas tout mis en œuvre pour obtenir un salaire plus élevé et ne s'est pas donné tous les moyens de respecter son obligation d'entretien.

L'appelant, qui avait connaissance des montants des contributions d'entretien fixées dans les différentes décisions, a volontairement versé à son ex-épouse des sommes moins élevées.

Partant, les éléments constitutifs objectifs et subjectifs de la violation d'une obligation d'entretien étant réalisés, le verdict de culpabilité rendu à l'encontre de l'appelant du chef d'infraction à l'art. 217 al. 1 CP, pour les faits reprochés dans l'acte d'accusation, doit être confirmé.

4.   Cette infraction est passible d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

4.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

4.2. La faute de l'appelant n'est pas négligeable. Il n'a pas versé intégralement les contributions dues pour l'entretien de ses filles, durant neuf mois, alors qu'il avait les moyens de le faire dans une plus grande mesure, voire aurait pu les honorer entièrement dès le 1er juillet 2022, en fournissant les efforts nécessaires pour améliorer ses revenus. Il pouvait anticiper ses difficultés à s'acquitter de son obligation alimentaire en cherchant un nouvel emploi mieux rémunéré et en évitant de rembourser une dette non prioritaire et d'effectuer des dépenses auprès d'un avocat spécialisé en droit international, étant relevé qu'il n'a pas davantage entrepris de démarches pour modifier la contribution d'entretien due, ce qu'il aurait pu faire s'il s'y estimait fondé.

L'appelant a agi sans considération pour la loi, au mépris de décisions judiciaires et pour des mobiles égoïstes, sans tenir compte dans leur intégralité des intérêts de ses propres enfants, alors qu'il lui appartenait pourtant de tout mettre en œuvre pour s'acquitter de ses obligations. Le fait que l'appelant a tout de même versé en mains de son ex-épouse des montants d'une certaine quotité en faveur de ses filles durant la période pénale sera pris en compte.

Sa collaboration à la procédure, de même que sa prise de conscience, ne peuvent être jugées bonnes. Même s'il n'a pas contesté ne pas verser l'intégralité des pensions alimentaires, il n'a jamais admis ses manquements, soutenant ne pas être en mesure de gagner plus, et a persisté à nier, jusqu'en appel, la compétence des autorités suisses, en particulier du SCARPA.

Sa situation personnelle modeste explique partiellement ses agissements, mais ne les justifie aucunement, dans la mesure où l'appelant n'a pas cherché à l'améliorer, alors qu'il en avait l'obligation et la possibilité.

Il n'a aucun antécédent judiciaire, ce qui constitue un élément neutre dans la fixation de la peine.

Le prononcé d’une peine pécuniaire et le bénéfice du sursis sont acquis à l’appelant (art. 391 al. 2 CPP). La quotité de la peine fixée par le premier juge (30 unités pénales), tout comme le montant du jour-amende, établi à CHF 30.-, et le délai d’épreuve fixé à trois ans, apparaissent adéquats, voire cléments ; ils seront donc confirmés et l’appel rejeté.

5.  L'appelant, qui succombe entièrement, supportera les frais de la procédure envers l'État, y compris un émolument d'arrêt de CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP).

Il n'y a pas lieu de revoir la répartition des frais de première instance (art.  426 al. 1 CPP).

6.  Vu l'issue de son appel, les conclusions en indemnisation de l'appelant seront rejetées (art. 429 al. 1 let. a CPP).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement rendu le 4 septembre 2023 par le Tribunal de police dans la procédure P/13685/2022.

Le rejette.

Condamne A______ aux frais de la procédure d'appel, en CHF 1'675.-, qui comprennent un émolument de CHF 1'500.-.

Confirme le jugement entrepris, dont le dispositif est le suivant :

" Déclare A______ coupable de violation d'une obligation d'entretien (art. 217 al. 1 CP).

Condamne A______ à une peine pécuniaire de 30 jours-amende (art. 34 CP).

Fixe le montant du jour-amende à CHF 30.-.

Met A______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à 3 ans (art. 42 et 44 CP).

Avertit A______ que s'il devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Rejette les conclusions en indemnisation de A______ (art. 429 CPP).

Condamne A______ aux frais de la procédure, qui s'élèvent à CHF 1'051.- (art. 426 al. 1 CPP).

(…)

Fixe l'émolument complémentaire de jugement à CHF 600.-.

Met cet émolument complémentaire à la charge de A______."

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police.

 

La greffière :

Linda TAGHARIST

 

La présidente :

Gaëlle VAN HOVE

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.

 


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

1651.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

100.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

00.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1500.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'675.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

3'326.00