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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/23188/2018

AARP/30/2024 du 09.01.2024 sur JTDP/795/2023 ( PENAL ) , REJETE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/23188/2018 AARP/30/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 9 janvier 2024

 

Entre

A______, partie plaignante, comparant par Me Alexandre DE SENARCLENS, avocat, REISER AVOCATS, route de Florissant 10, case postale 186, 1211 Genève 12,

appelante,

contre le jugement JTDP/795/2023 rendu le 16 juin 2023 par le Tribunal de police,

et

B______, domicilié ______, République C______, comparant par Mes D______ et E______, avocats,

F______, domiciliée ______, République C______, comparant par Mes D______ et E______, avocats,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 16 juin 2023, par lequel le Tribunal de police (TP) a acquitté B______ et F______ des chefs d'enregistrement non autorisé de conversations et de violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d'un appareil de prise de vues (art. 179ter al. 1 et 2 et 179quater al. 1 et 3 du code pénal suisse [CP]), a débouté A______ de ses conclusions civiles, l'a condamnée aux frais de la procédure en CHF 2'745.- et a alloué CHF 32'000.- à B______ et F______ à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de leurs droits de procédure.

A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à ce que B______ et F______ soient déclarés coupables des chefs d'enregistrement non autorisé de conversations et de violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d'un appareil de prise de vues, condamnés solidairement à lui verser CHF 5'000.-, avec intérêts à 5% l'an dès le 16 octobre 2018, à titre de réparation du tort moral, et CHF 42'000.25, avec intérêts à 5% l'an dès le 1er mars 2023, pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure, ainsi qu'à l'ensemble des frais de la procédure.

b. Selon l'ordonnance pénale du 29 juin 2021 du Ministère public (MP), il est reproché ce qui suit à F______ et B______ :

Le 16 octobre 2018, de concert, ils ont enregistré et filmé à l'aide d'une caméra cachée, intégrée dans les lunettes de vue du précité, une conversation privée avec A______ et son fils G______, à l'insu de ces derniers, et transmis à des tiers cette vidéo, laquelle a fait l'objet de plusieurs articles de presse, notamment le ______ 2018 dans [les journaux] H______, ainsi que I______ et a été diffusée le ______ 2018 dans un reportage sur le site internet de la chaîne de télévision C______ "J______".

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.a. Par courrier du 22 novembre 2018, G______, né en 1982, et A______, respectivement fils et ex-épouse de K______, président du gouvernement C______ de ______ à ______, ont déposé plainte pénale contre F______ et B______. Ils se sont constitués parties plaignantes.

Dans la soirée du 16 octobre 2018, F______ et B______, journalistes C______ de la chaîne de télévision J______, étaient venus frapper à la porte de leur domicile, sis à la rue 1______ [quartier de L______], sans s'annoncer. A______ avait ouvert sa porte et compris, au fil de la conversation, qu'ils étaient journalistes. Prise au dépourvu, elle avait machinalement répondu à quelques questions, en étant très mal à l'aise. Son fils, G______, qui faisait l'objet d'un suivi psychiatrique et d'un traitement médicamenteux, les avait rejoints. Les journalistes leur avaient posé des questions sur le père de G______ et ex-époux de A______, K______, qui était Premier ministre en République C______ et un politicien controversé, visé par une procédure pénale très médiatisée. Ils avaient accepté de leur répondre, avant de demander aux journalistes de partir, ce que ces derniers avaient fait. Le ______ 2018, ils avaient découvert une vidéo de leur conversation sur internet et avaient compris qu'ils avaient été filmés en cachette. F______ et B______ étaient revenus plusieurs fois à leur domicile, mais ils avaient refusé de leur ouvrir.

a.b. À l'appui de leur plainte, ils ont produit deux messages manuscrits, datés du ______ 2018, que des journalistes, qui souhaitaient s'entretenir avec eux, avaient laissé dans leur boîte aux lettres.

b.a. Le reportage litigieux a donné lieu à des nombreux articles parus dans des médias [à rayonnement international] tels que M______, N______, O______, P______, Q______, R______, S______, T______, U______, et en particulier un article [des journaux] H______ et I______ du ______ 2018, intitulé : "______". Il en ressort que K______, milliardaire à la tête du vaste groupe ______ V______, rejetait énergiquement ces accusations, indiquant que son fils, qui avait disparu durant deux ans sans laisser de traces, souffrait de troubles mentaux. L'affaire, dite du "W______", concernait une importante réalisation immobilière, qui avait obtenu CHF 2.5 millions (EUR 2 millions = 50 millions X______ [monnaie C______]) de financement prévu pour les petites et moyennes entreprises, mais qui appartiendrait en réalité au groupe V______. Deux ans auparavant, lorsque la police C______ avait voulu interroger G______, soupçonné d'être également impliqué dans cette affaire de détournement de subventions, il avait été considéré comme n'étant pas en état d'être entendu. Selon les déclarations de ce dernier, il avait ensuite été emmené dans une clinique psychiatrique en Y______ [Ukraine] par une personne ayant des liens avec son père. L'opposition avait ainsi fait savoir qu'elle allait déposer une motion de censure contre le chef du gouvernement et le Ministère public [de] Z______ [C______] qu'il allait ouvrir une instruction pour enlèvement présumé, lequel avait désormais une dimension internationale.

Toujours selon cet article, après ______ 1989, K______ était retourné à Z______ où il avait fondé la holding V______, en recourant aux services d'une société de boîte aux lettres domiciliée à AA______ [ZG]. Le véritable propriétaire de celle-ci n'avait jamais été dévoilé. En 2012, il avait fondé le parti populiste de droite AB______. Deux ans plus tard, il avait acquis une [société] possédant deux des plus importants journaux C______. En ______, il était devenu ministre ______, puis Premier ministre après les élections de ______.

b.b. Depuis 2016, cette affaire était régulièrement et massivement commentée par les médias du monde entier. Selon divers articles, dans la mesure où le groupe V______, en sa qualité de grande entreprise, ne pouvait pas bénéficier de subventions, celles-ci auraient été obtenues par l'intermédiaire d'une petite société, W______ a.s. ("W______"), qui aurait été officiellement séparée dudit groupe et transférée à un tiers. Dans le cadre des poursuites pénales engagées contre le Premier ministre en 2017, une procédure pénale avait ainsi également été initiée contre G______, formellement enregistré comme l'un des propriétaires de cette petite structure. Il avait toutefois immédiatement quitté le territoire de C______ et rompu tout contact avec les autorités en charge de la procédure. En janvier 2018, il avait adressé un courriel aux autorités C______, dans lequel il affirmait avoir été enlevé et être détenu contre sa volonté en Y______, où des soins psychiatriques lui étaient prodigués. Il y avait été conduit par un certain AC______, époux de la Dresse AD______, psychiatre et membre du parti AB______, en raison de l'affaire du "W______", dès lors que son père ne souhaitait pas qu'il soit entendu.

Jusqu'à l'automne 2018, date à laquelle G______ avait été retrouvé à Genève, personne ne savait où il se trouvait. La police, qui avait ouvert une enquête sur cette affaire et conclu qu'il n'y avait pas eu d'enlèvement, a repris ses investigations après la diffusion du reportage litigieux. La Dresse AD______A a démissionné en ______ 2018 de son mandat d'élue à Z______. À la même période, plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Z______ pour demander la démission du Premier ministre. La motion de censure déposée le ______ 2018, a échoué. K______ a été écarté du pouvoir fin ______ par une coalition d'opposition menée par celui qui a pris la présidence du gouvernement. Il a été inculpé en ______ et son procès s'est tenu en ______. Il a été acquitté le ______ mais le parquet a indiqué faire appel du jugement. Le ______, il a été battu au second tour des élections présidentielles C______ par AE______. Le ______, la Cour d'appel a annulé le jugement et l'a renvoyé à l'autorité de première instance pour réexamen (https://AF______.com/______/news/court-annuls-verdict-in-W______-trial-of-former-pm-G______- ______/).

b.c. Selon l'expertise psychiatrique du 8 juin 2018 du Centre universitaire romand de médecine légale (CURML), G______, qui présentait un trouble schizophrénique, a expliqué, en lien avec son départ, qu'il s'était "senti en danger" et "forcé par le système" ; une personne lui avait dit : "moi et ton père on fera tout pour que tu sois enfermé". G______ avait alors appelé la police avant de s'enfuir en prenant un bus depuis AG______ [ville en AH______, pays voisin de C______] pour Genève en février 2018.

b.d. Le scandale du "W______" a également fait l'objet d'une enquête de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF), laquelle avait conclu, en ______ 2017, qu'il y avait eu des irrégularités et que les subventions n'auraient pas dû être accordées.

b.e. En 2016, la République C______ avait obtenu un score de 55 sur 100 (0 = fortement corrompu et 100 = faiblement corrompu) est se trouvait en ______ème position sur 176 pays, selon l'indice de perception de la corruption (IPC) publié par Transparency International (https://www.transparency.org/ en/cpi/2016/index/C______). En 2022, elle a obtenu un score de 56 sur 100 est se trouve en ______ème position sur 180 pays (https://www.transparency.org/ en/cpi/2022/index/C______).

c.a. Le reportage litigieux d'une durée totale de 34 minutes, montre B______ et F______ quitter Z______ [en C______], avant d'atterrir à Genève. Le 16 octobre 2018, à la nuit tombée, on les voit effectuer des repérages dans le quartier de L______, puis devant l'immeuble, aisément reconnaissables, où vivent G______ et sa mère. Ils pénètrent ensuite dans l'immeuble et frappent à leur porte, sans appareil d'enregistrement apparent. Après que A______ leur ouvre la porte (10:10), ils demandent à parler à G______. Celle-ci, dont le visage est flouté mais la voix non modifiée, leur répond : "certainement pas maintenant. Sans préparation et si soudainement". F______ et B______ l'informent qu'ils sont journalistes (10:46) et elle leur répond qu'il sera difficile pour son fils de témoigner en raison de son état de santé, regrettant qu'ils ne les aient pas informés à l'avance. Elle refuse de sortir prendre un café avec eux et leur dit au revoir lorsque son fils, dont le visage n'est pas flouté, apparaît derrière elle (11:50). Les journalistes se présentent à nouveau comme tels (11:58), précisant qu'ils ont mis six mois pour le retrouver. G______ leur répond que sa mère et lui ne souhaitaient vraiment pas être retrouvés et qu'ils sont désolés de ne pas pouvoir revenir sur le sujet, ne voulant pas créer de scandale pour K______. Les journalistes lui parlent alors d'un courriel qu'il a envoyé à la police pour demander de l'aide et il répond à leurs questions, avant que ces derniers ne prennent congé (19:15). B______ et F______ regagnent ensuite la République C______, où ils continuent leurs investigations.

c.b. Il ressort notamment de la retranscription en français de la discussion filmée, les échanges suivants :

A______ : "Mais que voulez-vous? Qui êtes-vous?"

F______ : "Nous sommes des journalistes […]"

F______ : "Nous ne sommes pas ici à cause d'un scandale, nous sommes ici parce que vous avez envoyé un e-mail de l'Ukraine"

G______ : "Comment les médias ont-ils appris que j'avais envoyé un e-mail?"

F______ : "Nous l'avons compris, cela se savait, cela se savait à Z______"

G______ : "Je voudrais que ceux qui le savent continuent de le savoir. Et que plus de gens ne le savent pas"

F______ : "Cette information a déjà été publiée. Oui en juin. Avec l'information que la police enquêtait et qu'elle avait reporté l'enquête parce qu'elle n'a trouvé aucune preuve d'un délit"

G______ : "Je ne veux pas faire... J'ai passé le coup de téléphone à cause d'une personne"

F______ : "Monsieur AC______?"

G______ : "Oui, cette personne travaille toujours pour mon père. Je, un peu cet homme"

A______ : "Tu l'évites..."

G______ : "J'ai peur. Je ne veux pas de problèmes"

F______ : "II vous a en fait transporté d'Ukraine à AG______, n'est-ce pas?"

G______ : "II... Mon père. Je ne pense pas que ce soit l'idée de mon père de m'emmener en Y______ [Ukraine]. C'était son idée"

F______ : "Et pourquoi vous-a-t-il emmené là-bas?"

G______ : "Il a abusé, il l'a abusé, que mon père, que je disparaisse"

F______ : "Et pourquoi voulait-il que vous disparaissiez?"

B______ : "En raison de la poursuite du W______?"

G______ : "En raison de la poursuite du W______. […] Il a abusé du fait qu'il était mon soignant"

B______ : "Mr AC______?"

G______ : "Mr. AC______"

A______ : "Peut-être qu'il voulait bien faire"

G______ : "Ce n'était pas après tout… […] à moi... à moi, la femme de ce AC______, AD______ [prénom], elle m'a dit : "choisis. Soit nous allons t'enfermer à l'institut national de santé mentale; soit tu es ici, soit tu pars en "vacances"""

F______ : "Il est donc clair que vous avez choisi les vacances"

G______ : "J'ai choisi les vacances, je les ai prises comme ça"

B______ : "Mais pas en Y______?"

G______ : "Je l'ai appelé enlèvement aussi dans l'e-mail à la police. Maintenant je prends des médicaments"

F______ : "C'était un malentendu"

G______ : "J'ai un nouveau médecin ici. Et ils traitent les gens différemment. C'était donc un mauvais médecin et une mauvaise femme"

B______ : "Vous n'êtes donc pas d'accord avec l'avis médical écrit par Mme AD______ pour la police?"

G______ : "Elle a écrit un avis ? Qu'est-ce qu'elle a écrit, s'il vous plait?"

F______ : "Que vous ne pouvez pas participer à une procédure pénale pour des raisons de santé"

G______ : "Je ne voudrais pas participer à une procédure pénale. Mais vous voyez, médicalement je suis capable de communiquer en C______"

F______ : "Et la police vous a-t-elle contacté, par exemple?"

G______ : "J'ai contacté la police et ils m'ont juste rappelé. Mais qu'elle ait osé donner quelque chose comme ça... La police ne m'a pas du tout contacté"

F______ : "Ah, vous n'avez donc parlé à personne du tout"

G______ : "J'ai été aidé par une partie de la police. Lorsque vous écrivez un e-mail là-bas, il vient..."

F______ : "Vous l'avez envoyé à l'institut médico-légal"

G______ : "Oui mais ils l'ont transmis complétement en haut. Transféré à un numéro un, à Z______, 1. Et personne n'a plus communiqué avec moi là-bas. Alors ils ont communiqué avec moi juste un peu plus bas"

B______ : "Vous vous êtes donc réjoui. Et je suppose que vous avez probablement été choqué pour être poursuivi dans cette affaire"

G______ : "Être emmené en Y______ a été un choc pour moi. J'étais en Y______, en Ukraine"

F______ : "A la maison de santé en Ukraine? Vous ont-ils emmené là-bas?"

G______ : "Il m'a emmené là-bas pour des vacances. Et il est d'origine russe. Il est terriblement pro-russe. Juste un homme primitif. Maintenant je suis soigné par des meilleures personnes, elles prennent soin de moi, je prends des médicaments et je vais tout simplement bien"

B______ : "Et êtes-vous satisfait ici?"

G______ : "Et je suis satisfait ici"

A______ : "Cela pourrait suffire non?"

G______ : "Oui, cela pourrait suffire […]"

F______ : "Mais probablement l'article entier n'y est pas. Si vous me donnez votre e-mail, je vous enverrai le texte intégral de l'article"

G______ : "Puis je vous donner mon e-mail?"

F______ : "Certainement, ou un téléphone portable. Mais je vais vous demander si vous seriez gentil…"

G______ : "Plutôt e-mail"

F______ : "Merci beaucoup […]

B______ : "Je peux vous demander seulement une chose? Avez-vous peur de quelque chose?"

G______ : "J'ai peur de l'homme, AC______. J'ai peur de lui et sa femme. Sa femme est psychiatre. C'est arrivé qu'ils avaient une grande confiance. Ils ont abusé de cette confiance. Il m'a dit en Ukraine : "Moi et ton père ferons tout notre possible pour t'enfermer." Alors j'ai appelé la police"

F______ : "C'était clair"

G______ : "Et lui et sa femme ont menti sur mon état. Il a appelé de Y______ et a dit, désolée pour les vulgarités mais il a dit : "Vous êtes dans la merde""

F______ : "Mais il travaille pour votre père depuis longtemps non?"

G______ : "Non, en aucun cas. Il a trouvé un emploi juste parce que je suis entré dans... Par le biais du médecin, en fait, lorsque le médecin a commencé à prendre soin... Je me suis moqué des flics. Ils m'ont emmené à AI______ [ville en C______]. Et de AI______, ils m'ont mis à l'Institut national de santé mentale de AJ______ [ville en C______]"

F______ : "Et c'est là-bas que vous avez rencontré le médecin?"

G______ : "Oui et j'ai vécu... nous avons vécu quelque chose de fou ces deux dernières années"

F______ : "Donc encore une fois, nous vous prions de nous excuser de vous avoir surpris comme ça et merci beaucoup"

G______ : "Merci. Au revoir".

d. Ce reportage a été publié le ______ 2018 et diffusé le ______ suivant sur le site internet de la chaîne de télévision C______ "J______".

e. Le ______ 2018, le Comité d'éthique [du syndicat des journalistes C______] AK______, qui émet des avis spécifiques sur des cas de violation de l'éthique journalistique, a rendu un avis suite à la publication du reportage litigieux. Il en ressort que "les reporters n'ont pas procédé de manière offensante dans l'interview et qu'ils se sont présentés comme journalistes au tout début de l'interview et qu'ils n'ont pas eu la possibilité d'obtenir les informations nécessaires d'une autre manière. Ces informations [soit notamment que l'un des principaux suspects est le Premier ministre en fonction] sont importantes pour déterminer s'il existe une raison pour que M. G______ fasse l'objet d'une enquête en tant que suspect comme auparavant, ou en tant que témoin clé dans une affaire de fraude aux subventions à grande échelle. Tout aussi cruciale a été la conclusion selon laquelle M. G______ séjournait en Y______, ______. Le séjour du fils du Premier ministre C______ sur ledit territoire peut représenter un risque sécuritaire élevé dans ces circonstances."

f. Le ______ 2018, K______ est arrivé à Genève. Il a déclaré aux médias qu'il avait simplement joué aux échecs avec son fils et a nié tout départ forcé de ce dernier en Y______.

g. Le lendemain, A______ a fait une déclaration filmée et diffusée sur un site C______ dans laquelle elle condamnait "l'attaque scandaleuse contre [leur] vie privée" des deux journalistes, qui leur avaient posé des questions "suggestives".

h. Entre le 16 octobre, au soir, et le ______ 2018, F______ et G______ ont échangé plusieurs courriels.

h.a. Avant la publication du reportage, G______ a notamment écrit à la précitée, le 16 octobre 2018, se souvenir avoir signé "quelque chose en rapport avec le W______", sans savoir toutefois en quoi cela consistait. Par courriel du lendemain, il lui a précisé avoir été "gardé" à AL______ [Y______, Ukraine], puis à AM______, en Y______ [Ukraine], avant de partir en AH______ [pays voisin de C______], d'où il s'était enfui en car pour la Suisse. Le 1er novembre 2018, F______ a écrit à ce dernier : "Vous n'êtes pas un criminel qui s'enfuit devant la justice tel que c'est écrit parfois dans la presse, Nous avons préparé un reportage à ce sujet pour J______ où nous l'expliquerons de cette manière".

h.b. Après la publication de la vidéo, G______ a indiqué à F______, le ______ 2018, que son soignant lui avait précisé, en lien avec son prétendu enlèvement : "Ton père et moi feront tout pour que tu sois enfermé dans un hôpital psychiatrique". Il souhaitait entrer en contact avec les autorités C______, qui avaient rouvert l'enquête sur son enlèvement, en échange du "tour avec la caméra cachée". Il a, par la suite, expliqué que sa mère lui mettait "la pression", elle-même étant sous celle de son père, qui avait demandé à cette dernière de ne plus communiquer avec qui que ce soit.

h.c. G______ et F______ sont entrés en contact une nouvelle fois sur Twitter le 29 janvier 2021. Il lui a notamment écrit : "Merci pour ce que vous avez par hasard fait pour moi en proposant une caméra cachée – la vérité s'est avérée. La réalité. Vous avez mis en lumière des personnes qui avaient besoin d'être mis en lumière et depuis, je me sens en sécurité, non seulement grâce au territoire suisse, mais aussi grâce à vous."

Le 4 février 2021, G______ a répondu à quelques questions de F______ et accepté que ses réponses soient publiées sur Facebook et, le ______ février 2021, il a accordé une interview à B______, diffusée sur le site internet J______, dans laquelle il indiquait qu'après la diffusion du reportage, la situation était devenue plus simple pour lui, précisant que son père était venu à Genève en ______ 2018 pour "ses intérêts personnels". Il considérait les deux journalistes comme des "héros".

i. B______ et F______ ont été entendus par la police C______ dans le cadre d'une commission rogatoire, les 2, respectivement 9 septembre 2020, et par le TP.

i.a. B______, né en 1972, travaille comme journaliste pour la chaîne de télévision privée C______ "J______" et s'est spécialisé dans le journalisme d'investigation.

Il a déclaré que le reportage tourné à Genève était fondé sur des circonstances très graves qui concernaient le Premier ministre C______, K______, poursuivi pénalement dans une affaire de fraude aux subventions. Plusieurs membres de la famille de celui-ci, notamment son fils, G______, avaient été mis en examen. En ______ 2018, G______ avait envoyé une demande d'aide à la police C______, dans laquelle il déclarait avoir été enlevé et emmené en Ukraine contre sa volonté. Après plusieurs mois de recherches et d'investigations, il avait appris que G______ pouvait se trouver chez sa mère à Genève. Il était dans l'intérêt général de découvrir pourquoi il avait affirmé avoir été enlevé et quel rôle il avait joué dans cette affaire. Sachant que c'était une question d'intérêt général "extraordinaire", F______ et lui-même avaient décidé d'utiliser une caméra cachée ; c'était le seul moyen d'obtenir une preuve convaincante. Il était fort probable que G______ n'aurait pas accepté d'être filmé et ils n'avaient pas voulu prendre de risque. Il leur avait d'ailleurs précisé ne pas vouloir causer de problèmes à son père et craindre certaines personnes.

Il a admis la matérialité des faits. Sa collègue et lui-même s'étaient présentés comme journalistes C______, sans mentionner toutefois que l'entretien était filmé, et avaient expliqué le but de leur visite. G______ s'était exprimé spontanément, en mentionnant que son père l'avait fait transporter par son chauffeur en Y______ contre sa volonté. A______ leur avait confirmé que son fils s'inquiétait "à cause de certaines personnes autour de son père". Lorsque G______ et sa mère n'avaient plus voulu s'exprimer, sa collègue et lui-même les avaient remerciés et étaient partis. Tout l'entretien s'était déroulé sur le pas de la porte de l'appartement des précités, qui pouvaient fermer celle-ci à tout moment.

Le jour suivant, ils avaient envoyé les informations sollicitées par G______, lequel leur avait fourni des précisions sur son enlèvement. Ils avaient ainsi communiqué pendant plusieurs semaines et ils avaient informé le précité que leur entretien avait été enregistré et serait diffusé sur le site internet J______. Après la diffusion, K______ avait mis en doute la crédibilité de son fils, ce qui avait poussé celui-ci à demander aux journalistes de le mettre en contact avec la police C______. K______ s'était ensuite déplacé à Genève et leurs communications avec G______ avaient pris fin.

Le lendemain du jour où G______ avait sollicité leur aide, en expliquant que son père faisait pression sur sa mère, ils étaient retournés frapper à la porte du domicile du précité et de sa mère, sans succès. Ils avaient alors laissé un message avec leurs coordonnées dans leur boîte aux lettres. Ils n'avaient reçu aucune réponse.

i.b. F______, née en 1973, travaille dans sa propre entreprise de médias, AO______.cz, et collabore en tant que journaliste avec J______.

Elle a confirmé les déclarations de B______ et admis la matérialité des faits. Selon leurs informations, la police C______ n'avait pas aidé G______ lorsqu'il avait fait appel à elle après son enlèvement, s'étant contentée des déclarations des avocats de K______. Lors de l'entretien, ils s'étaient présentés en tant que journalistes à A______, puis à G______. Celle-ci n'avait pas interrompu leur conversation ni corrigé les déclarations de son fils. L'immeuble était facilement accessible, malgré un code d'entrée, car il y avait beaucoup de passage en raison de la présence d'un cabinet médical.

G______ leur avait ensuite fourni par courriel plus de détails sur le lieu où il aurait été détenu en Y______ et indiqué que ses problèmes psychiques avaient été exagérés pour qu'il puisse échapper à la procédure pénale et ne soit pas obligé de faire une déposition devant la police. G______ les avait remerciés pour la future diffusion du reportage et demandé, "en contrepartie du subterfuge avec les lunettes", de le mettre en contact avec la police ou les procureurs chargés d'enquêter sur son séjour contraint en Y______. Jusqu'à ce jour, les autorités n'avaient pas réussi à rencontrer G______ et avaient rouvert l'enquête relative à son séjour en Y______. Les poursuites pénales à son encontre avaient été arrêtées au motif qu'il avait simplement joué pour son père le rôle d'homme de paille. Cette affaire, qui constituait le plus grand scandale politique en République C______ de la décennie passée, était d'intérêt général, au vu des "très graves soupçons" existant à l'égard de K______. L'utilisation d'une caméra cachée était un "moyen de dernier recours", dès lors que les chances que G______ et sa mère parlent à des journalistes en sachant qu'ils étaient filmés auraient été nulles ; son collègue et elle-même savaient qu'ils n'avaient qu'une seule opportunité.

Le syndicat des journalistes C______ [AK______], était l'unique autorité dans le pays qui surveillait l'activité des journalistes au niveau éthique.

j. Entendue par le MP et par le premier juge, A______ a maintenu sa plainte. Les deux individus qui étaient venus le soir en question lui avaient dit qu'ils étaient journalistes [originaires de] Z______ [en C______] et qu'ils désiraient parler à son fils. Elle leur avait expliqué que cela n'était pas possible en raison de l'état fragile de celui-ci. Elle avait voulu le protéger pour ne pas le déstabiliser. Ce dernier, qui avait beaucoup souffert, était sorti de sa seconde hospitalisation deux mois auparavant et avait dû y retourner un mois après la venue des journalistes. Ceux-ci ne lui avaient jamais précisé que la conversation était filmée et enregistrée. Elle n'avait pas eu de soupçons et était confiante ; ils avaient l'air sérieux et étaient très polis. Elle avait laissé les journalistes et son fils discuter sans intervenir, n'ayant pas voulu interférer pour ne pas le perturber. L'entretien s'était bien déroulé et n'avait pas fait de "mal" à son fils.

Elle avait appris que la conversation avait été enregistrée lorsqu'une amie [de] AH______ lui avait envoyé la vidéo, qui l'avait surprise et choquée, d'autant que le floutage n'était pas vraiment bien fait et que l'on y voyait le visage de son fils, encore fragile, et ses expressions. Elle avait aperçu les journalistes le lendemain dans une cafétéria et s'était sentie "assiégée". S'ils s'étaient présentés munis d'une caméra et d'un micro et avaient agi de manière honnête, elle les aurait laissés faire, à condition de ne pas la filmer. Elle avait été dérangée par le fait qu'ils soient présentés comme des individus qui se cachaient à Genève, alors qu'elle avait fourni l'adresse de son fils à Genève aux autorités C______, dès le retour de celui-ci de Y______ à AG______, précisant qu'elle leur avait envoyé une photographie de son fils avec le journal du jour, à une date dont elle ne se souvenait toutefois pas.

Par le biais de ce reportage, son fils avait pu se venger de son père, qu'il détestait. Elle n'avait quant à elle presque pas de relation avec son ex-époux, hormis quelques SMS au sujet de leur fils. K______ était venu chez eux, le ______ 2018, et était resté une trentaine de minutes pour discuter du reportage. Le dépôt de sa plainte, le ______ 2018, était sa propre décision. Son fils n'avait pas été forcé à aller en Y______ et s'y était rendu sur demande de sa psychiatre pour des vacances. Elle avait d'ailleurs été interrogée à Genève au sujet de son enlèvement présumé dans le cadre d'une procédure d'entraide de la justice C______.

k.a. Par deux ordonnances identiques du 29 juin 2021, le MP a considéré que les infractions aux art. 179ter al. 1 et 2 CP étaient réalisées. Il a en conséquence condamné B______ et F______, chacun, à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 50.- l'unité avec sursis durant trois ans.

k.b. Le 14 juillet 2021, G______ a retiré sa plainte pénale, expliquant qu'il ne se sentait absolument pas lésé par l'enregistrement vidéo, approuvant au contraire l'action des journalistes.

k.c. Le 19 juillet 2021, B______ et F______ ont fait opposition à ces ordonnances pénales, au motif que l'enregistrement litigieux n'avait fourni aucune information sur la vie privée de la plaignante, dont le visage avait été intégralement flouté, et qu'il existait un intérêt général supérieur à informer le public dans une affaire hautement médiatisée.

k.d. Le 20 janvier 2022, deux ordonnances de classement ont été rendues. L'enregistrement litigieux ne portait pas atteinte au respect de la vie privée de A______, de sorte qu'il ne pouvait être retenu que l'intérêt de la protection de la vie privée et de la personnalité de celle-ci était supérieur à celui du droit à l'information du public sur les agissements potentiels d'un ministre en exercice. De ce fait, un fait justificatif au sens de l'art. 14 CP était établi.

k.e. Par arrêt ACPR/313/2022 du 3 mai 2022, la Chambre pénale de recours (CPR) a annulé lesdites ordonnances de classement et renvoyé la cause au MP pour qu'il procède au sens des considérants. Au regard de la balance à effectuer entre la liberté d’expression, soit l'intérêt public prépondérant à l'information, et le droit au respect de la vie privée, la procédure ne permettait pas de statuer sans ambiguïté et de prononcer un classement, au regard du principe in dubio pro duriore.

C. a.a. Devant la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR), A______ persiste dans ses conclusions.

Elle avait été très polie et patiente pendant la visite des journalistes, qui n'étaient pas partis lorsqu'elle avait refusé d'entamer le dialogue. Avoir été filmée à l'improviste, à son domicile privé, le soir et sans préparation préalable, l'avait dérangée. Elle n'aurait jamais accepté d'être filmée. Si son fils avait souhaité l'être, elle lui aurait peut-être laissé donner une interview pour ne pas le perturber. La diffusion de la vidéo sur internet l'avait choquée car "c'était très privé". Utiliser une caméra cachée allait à l'encontre de la politesse et avait atteint sa vie privée. Les intimés étaient revenus, si bien qu'elle avait demandé à être protégée. Après la diffusion du reportage, passablement de journalistes avaient laissé des messages dans sa boîte aux lettres.

a.b. Par la voix de son conseil, elle relève n'être liée ni de près ni de loin au scandale politique visant son ex-époux, dont elle était divorcée depuis 2004. Les journalistes avaient fait un "reportage à sensation" visant seulement à distraire le public et non à l'informer. Par ailleurs, les propos de G______ portaient uniquement sur son prétendu enlèvement et pas sur la fraude reprochée à son père. Il n'existait donc aucun intérêt public à la diffusion de ce reportage. Elle avait été filmée le soir, chez elle, à son insu, citée nommément et faiblement floutée. Sa voix n'avait même pas été modifiée. Non seulement elle était indentifiable mais également son lieu de vie, alors même qu'elle n'était pas un "personnage public". La diffusion du reportage litigieux portait donc une atteinte forte à sa sphère privée. Dans tous les cas, ces informations pouvaient être diffusées d'une autre manière pour ne pas porter atteinte aux droits de la plaignante, notamment en effaçant les images qui la concernaient. Elle avait beaucoup souffert de cette intrusion, se trouvant dans une période de vie difficile avec un fils fragile.

b.a. B______ et F______ concluent au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris. Ils sollicitent une indemnisation de CHF 7'730.84, ramenée à CHF 6'100.-, pour leurs frais de défense en appel, comprenant 16h09 d'activité, dont 3h00 pour l'audience d'appel, laquelle a en réalité duré 2h30, au tarif horaire de CHF 450.- pour la cheffe d'étude et 1h58 à celui de CHF 350.- pour le collaborateur.

Selon B______, ils avaient essayé de rechercher G______ en C______ et en AH______, avant d'apprendre qu'il serait à Genève, où ils s'étaient déplacés. Ils avaient tenté de lui rendre visite une première fois, sans succès. L'enregistrement de la conversation était "une preuve essentielle" de ce qui avait été dit par le précité. En le diffusant, ils avaient transmis "cette preuve" au public et empêché que les paroles de G______ ne soient dénaturées ou niées par son père. D'ailleurs, ce dernier avait essayé de contester les propos de son fils, en particulier quant aux conditions de son départ en Y______. Ils avaient conservé et diffusé les images et discussion avec l'appelante. Ils avaient réalisé des prises de vue de l'entrée de l'immeuble car il s'agissait d'un "reportage global". Ils avaient voulu "replacer le sujet dans son contexte", tout en minimisant ce qui concernait l'entourage de G______, éludant en particulier que cela se déroulait à Genève. Il n'était pas en mesure de dire si c'était leur reportage qui avait permis à certains journalistes de retrouver l'appelante ou si ces derniers avaient pu la localiser par eux-mêmes. Ils n'avaient pas été gratifiés après la diffusion de ce reportage.

F______ a indiqué avoir reçu des informations selon lesquelles l'entourage de G______ essayait de l'empêcher de témoigner, tant auprès de la police que des journalistes. Ils savaient ainsi qu'il serait très difficile, voire impossible, de le contacter personnellement. Il était indispensable de présenter la conversation telle quelle pour que l'on ne puisse pas leur reprocher une manipulation. Il était également important de montrer qu'ils ne les avaient pas forcés à témoigner. Ils avaient ainsi flouté le visage de la plaignante, mais il était "crucial" de diffuser le reportage en entier. C'était le travail des journalistes de se procurer des informations pour leur permettre de localiser l'appelante et son fils.

b.b. Par la voix de leur conseil, ils soutiennent que le scandale qui concernait K______ était encore à ce jour devant la justice et intéressait les médias. Son fils était directement impliqué dans cette affaire. Le reportage était ainsi apte à nourrir le débat public, preuve en était le retentissement médiatique et politique qu'il avait eu. Si l'appelante n'était certes pas un personnage public, elle avait été mariée à un Premier ministre qui était en exercice à l'époque et était la mère de l'enfant qu'ils avaient eu en commun. Elle devait donc s'attendre à une certaine médiatisation. D'ailleurs, le reportage ne la visait pas en personne ni exclusivement, mais ce dernier. Les intimés avaient dès le début annoncé leur profession, de sorte qu'il était probable que le contenu de leur entretien soit diffusé. Dans tous les cas, elle aurait pu y mettre un terme quand elle le souhaitait. Le procédé n'était ainsi pas intrusif et les journalistes avaient agi dans le respect des règles déontologiques. L'appelante n'avait pas été mise en cause personnellement et son fils avait pu s'expliquer sur les raisons de sa disparition, si bien que leur réputation n'avait pas été atteinte, au contraire. Malgré cela, ils avaient encore pris des mesures pour protéger la précitée (floutage, adresse non dévoilée, etc.), étant précisé que le reportage était destiné à un public C______. Immédiatement après sa diffusion, la plaignante avait seulement été sollicitée par deux autres journalistes. Il aurait été inenvisageable de demander l'accord préalable de G______, ce dernier ne souhaitant manifestement pas être retrouvé. Ils n'avaient eu qu'une "seule chance". Seul un reportage pouvait être à même de convaincre le public de la véracité des propos tenus et de l'absence de manipulation des journalistes. Une simple retranscription n'aurait pas pu traduire la véracité du discours du fils de l'appelante, d'autant moins compte tenu de ses troubles psychiques. Il était important de donner toutes les informations pour permettre au public de comprendre les étapes et le contexte du reportage, en particulier que le précité n'avait pas été forcé à témoigner. Il fallait donc retenir que l'ingérence était limitée et moins importante que l'intérêt général.

EN DROIT :

1. L'appels est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre n'examine que les points attaqués du jugement de première instance (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions, à moins qu'elle ne statue sur une action civile (art. 391 al. 1 CPP).

2. 2.1. Selon l'art. 179ter CP, quiconque, sans le consentement des autres interlocuteurs, enregistre sur un porteur de son une conversation non publique à laquelle il prend part (al. 1) ; quiconque conserve un enregistrement qu'il sait ou doit présumer avoir été réalisé au moyen d'une infraction visée à l'al. 1, en tire profit ou le rend accessible à un tiers (al. 2), est, sur plainte, puni d'une peine privative de liberté d'un an au plus ou d'une peine pécuniaire.

2.1.1. N'importe quelle conversation non publique ne bénéficie pas encore de la protection pénale au sens de cette disposition. Il faut qu'elle touche au domaine privé, soit qu’elle est "non publique" au sens des art. 179bis et 179ter CP, au regard de l'ensemble des circonstances, à savoir qu’elle ne pouvait ni ne devait être entendue par des tiers. Il importe donc de protéger l'individu contre la diffusion de ses propos en dehors du cercle des personnes avec lequel il a choisi de partager ses opinions, peu importe en quelle qualité il s'est exprimé (arrêt du Tribunal fédéral 6B_943/2019 du 7 février 2020 consid. 3.6).

2.2. L'art. 179quater CP prévoit que quiconque, sans le consentement de la personne intéressée, observe avec un appareil de prise de vues ou fixe sur un porteur d’images un fait qui relève du domaine secret de cette personne ou un fait ne pouvant être perçu sans autre par chacun et qui relève du domaine privé de celle-ci (al. 1) ; quiconque conserve une prise de vues ou la rend accessible à un tiers, alors qu’il sait ou doit présumer qu’elle a été obtenue au moyen d’une infraction visée à l’al. 1 (al. 3), est, sur plainte, puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

2.2.1. Le caractère répréhensible de l'acte réprimé par l'art. 179quater CP consiste ainsi dans l'absence de consentement de la part des personnes qui sont, dans des faits relevant du domaine secret ou du domaine privé, observées à l'aide d'un appareil de prise de vue ou dont l'image est fixée sur un support (arrêt du Tribunal fédéral 6B_630/2017 du 16 février 2018 consid. 1.2.1).

2.2.2. Ces deux infractions sont intentionnelles. Le dol éventuel suffit (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 7 ad art. 179ter et n. 15 ad art. 179quater).

2.3. L'art. 14 CP dispose que quiconque agit comme la loi l’ordonne ou l’autorise se comporte de manière licite, même si l’acte est punissable en vertu du présent code ou d’une autre loi.

2.3.1. La licéité de l'acte est, en tous les cas, subordonnée à la condition qu'il soit proportionné à son but (ATF 107 IV 84 consid. 4 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_507/2017 du 8 septembre 2017 consid. 3.4 ; 6B_271/2016 du 22 août 2016 consid. 2.2).

2.3.2. La jurisprudence admet l'existence de certains faits justificatifs extralégaux, soit qui ne sont pas réglés par le CP. Il s'agit notamment de la sauvegarde d'intérêts légitimes. Un éventuel fait justificatif extralégal doit être interprété restrictivement et soumis à des exigences particulièrement sévères dans l'appréciation de la subsidiarité et de la proportionnalité. Les conditions en sont réunies lorsque l'acte illicite ne constitue pas seulement un moyen nécessaire et approprié pour la défense d'intérêts légitimes d'une importance nettement supérieure à celle de biens protégés par la disposition violée, mais que cet acte constitue encore le seul moyen possible pour cette défense. Ces conditions sont cumulatives (ATF 146 IV 297 consid. 2.2.1 ; 134 IV 216 consid. 6.1 ; 129 IV 6 consid. 3.3 ; 127 IV 166 consid. 2b = SJ 2001 I 612 ; 127 IV 122 consid. 5c ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_200/2018 du 8 août 2018 consid. 3.2 ; 6B_960/2017 du 2 mai 2018 consid. 3.2).

2.3.3. Celui qui invoque un fait justificatif susceptible d'exclure sa culpabilité ou de l'amoindrir doit en rapporter la preuve, car il devient lui-même demandeur en opposant une exception à l'action publique. Si une preuve stricte n'est pas exigée, l'accusé doit rendre vraisemblable l'existence du fait justificatif. Il convient ainsi d'examiner si la version des faits invoquée par l'accusé pour justifier la licéité de ses actes apparaît crédible et plausible eu égard à l'ensemble des circonstances (G. PIQUEREZ / A. MACALUSO, Procédure pénale suisse, 3ème éd., Genève/Bâle/Zurich 2011, n. 555, p. 189).

2.3.4. Le juge peut ainsi tenir compte de la liberté d’opinion et d’information de l'art. 16 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.), lequel prévoit que toute personne a le droit de former, d’exprimer et de répandre librement son opinion (al. 2), ainsi que de recevoir librement des informations, de se les procurer aux sources généralement accessibles et de les diffuser (al. 3).

La mission particulière de la presse est quant à elle garantie par l'art. 17 Cst. (liberté des médias) lorsque la loi le lui permet, ce qui est le cas en présence de motifs suffisants d'intérêt public, à condition qu'ait été respecté le devoir de vérification des informations.

2.3.5. L'art. 10 § 1, 1ère phrase de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (liberté d'expression ; CEDH) dispose que toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière.

L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire (art. 10 § 2 CEDH).

2.3.6. L'interprétation des normes et des principes applicables en matière pénale doit, dans la mesure du possible, être conforme au droit constitutionnel et au droit conventionnel. La presse a, sans aucun doute, le devoir d'informer sur des thèmes d'intérêt général, tel devoir correspondant au droit du public à être informé. Toutefois, cette mission fondamentale ne dispense pas chaque journaliste du devoir de se conformer à l'ordre juridique en vigueur et notamment aux règles du droit pénal ordinaire. Le devoir d'investigation des médias (fonction de "chiens de garde") ne suffit pas à justifier la commission de quelque acte illicite que ce soit. Un tel acte doit apparaître comme l'ultima ratio, le seul moyen disponible pour obtenir des informations "réellement de première importance" pour le public et impossibles à recueillir autrement (ATF 127 IV 166 consid. 2g = SJ 2001 I 612).

2.3.7. Il ressort de l'arrêt HALDIMANN et autres c. la Suisse du 24 février 2015 (n° 21830/09) qu'à la suite des rapports annuels de l'ombudsman du canton de Zurich pour l'assurance privée et de lettres reçues de téléspectateurs par la rédaction de l’émission "AN______", qui exprimaient leur mécontentement vis-à-vis des courtiers en assurances faisant preuve d’approximations, la télévision suisse alémanique a préparé un reportage sur les pratiques dans le domaine de la vente des produits d'assurance-vie. Avec leurs supérieurs, les journalistes décidèrent d'enregistrer des entretiens entre des clients et des courtiers, en caméra cachée, pour prouver leurs insuffisances. Il y eut ainsi un entretien entre un journaliste et un courtier en assurances, le 26 février 2003, filmé par deux caméras cachées. Une fois l'entretien achevé, un tiers a pénétré dans la pièce, s’est présenté en tant que rédactrice de "AN______", et a expliqué au courtier que l'entretien avait été enregistré. Le courtier lui répondit qu'il s'y attendait mais refusa de s’exprimer sur les fautes qu’il aurait commises durant l’entretien. Les images furent diffusées après que le visage et la voix du courtier avaient été masqués de manière à ce qu’il ne soit pas reconnaissable. Son visage avait été pixélisé et seule la couleur de ses cheveux et de sa peau étaient ainsi visibles, de même que ses vêtements.

La Cour européenne des droits de l'homme a ainsi retenu que la liberté d'expression constituait l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun. Sous réserve du § 2 de l'art. 10, elle valait non seulement pour les "informations" ou "idées" accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtaient, choquaient ou inquiétaient : ainsi le voulaient le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'était pas de "société démocratique". Telle que la consacrait l'art. 10, la liberté d'expression était assortie d'exceptions qui appelaient toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre devait se trouver établi de manière convaincante (§ 44 ; voir aussi HANDYSIDE c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976 (n° 5493/72), §§ 4, 24 et 49).

La Cour a, par ailleurs, souligné à de nombreuses reprises le rôle essentiel que jouait la presse dans une société démocratique. Si la presse ne devait pas franchir certaines limites, concernant notamment la protection de la réputation et des droits d'autrui, il lui incombait néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d'intérêt général. À sa fonction qui consistait à diffuser des informations et des idées sur de telles questions s'ajoutait le droit, pour le public, d'en recevoir. S'il en allait autrement, la presse ne pourrait jouer son rôle indispensable de "chien de garde". Bien que formulés d'abord pour la presse écrite, ces principes s'appliquaient à n'en pas douter aux moyens audiovisuels (§ 45).

La Cour a d'abord examiné si le reportage en question concernait un sujet d'intérêt général, puis si le reportage en cause était susceptible de nourrir le débat public sur le sujet, tout en rappelant que l'art. 10 § 2 CEDH ne laissait guère de place pour des restrictions à la liberté d'expression dans le domaine des questions d'intérêt général (§§ 56, 57 et 59).

Parmi les autres critères à prendre en compte, la Cour a relevé l'identité de la personne concernée (personnage public ou non) (§ 60) ; le sujet concerné (§60) ; le lieu où les informations ont été obtenues (§60) ; le mode d'obtention des informations et leur véracité (les intéressés avaient de bonne foi sur la base de faits exacts et fourni des informations "fiables et précises" dans le respect de la déontologie journalistique ; § 61) ; le fait que les informations obtenues ne pouvaient pas l'être d'une autre manière (§ 61 ) ; la façon dont le reportage était publié et la manière dont la personne y est représentée (§ 63) ; l'ampleur de la diffusion du reportage (§ 63). La Cour a finalement conclu que "l'ingérence dans la vie privée du courtier, qui a renoncé à s'exprimer sur l'entretien, n'est pas d'une gravité telle [...] qu'elle doive occulter l'intérêt public à l'information des malfaçons alléguées en matière de courtage en assurances" (§ 66).

2.3.8. Dans l'arrêt AXEL SPRINGER AG c. l'Allemagne du 7 février 2012 (n° 39954/08), la Cour a établi six critères à analyser en cas de mise en balance du droit à la liberté d'expression et du droit au respect de la vie privée : la contribution à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée et l'objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le mode d'obtention des informations et leur véracité, le contenu, la forme et les répercussions de la publication et la gravité de la sanction imposée (§§ 90 à 95).

2.3.9. Dans l'arrêt BREMNER c. la Turquie du 13 octobre 2015 (n° 37428/06) la Cour a rappelé que la liberté journalistique comprenait le recours possible à une certaine dose d’exagération, voire même de provocation. Il n’appartenait pas à la Cour, ni d’ailleurs aux juridictions internes, de se substituer à la presse dans le choix du mode de compte rendu à adopter dans un cas donné (§ 68).

Par ailleurs, selon la Cour, l’usage d’une technique aussi intrusive et aussi attentatoire à la vie privée que celle de la caméra cachée devait en principe être restreint. Néanmoins, la Cour n’ignorait pas l’importance des moyens d’investigation secrets pour l’élaboration de certains types de reportage. En effet, dans certains cas, l’usage de la caméra cachée pouvait s'avérer nécessaire pour le journaliste, par exemple lorsque les informations étaient difficiles à obtenir par un autre moyen. Toutefois, cet outil de dernier ressort devait être utilisé dans le respect des règles déontologiques et en faisant preuve de retenue (§ 76).

2.3.10. De manière générale, les juges de Strasbourg considèrent qu'afin de garantir la qualité du travail de la presse en lien avec l’action des autorités nationales, une éventuelle condamnation d’un journaliste devait impérativement être proportionnée afin d’éviter un risque d’autocensure des professionnels de l'information. La Cour est ainsi particulièrement sévère lorsqu'il y a eu sanction pénale, par exemple pour un litige en lien avec la diffamation (STOLL c. Suisse du 10 décembre 2007 (n° 69698/01), § 110 ; PINTO COELHO c. Portugal du 22 mars 2016 (n° 48718/11), § 52 ; BÉDAT c. Suisse du 29 mars 2016 (n° 56925/08), §§ 79 à 81 ; DE CAROLIS et FRANCE TÉLÉVISIONS c. France du 21 janvier 2016 (n° 29313/10), §§ 63 et 64).

2.4. L'art. 1.1 (Recherche de la vérité) de la Directive du Conseil suisse de la presse prévoit que la recherche de la vérité est au fondement de l'acte d'informer. Elle suppose la prise en compte des données disponibles et accessibles, le respect de l'intégrité des documents (textes, sons et images), la vérification, la rectification (https://presserat.ch/fr/code-de-deontologie-des-journalistes/richtlinien/).

Selon l'art. 4.2 (Recherches cachées) de la même Directive, une dérogation peut être admise à cette règle dans les cas où un intérêt public prépondérant justifie la publication ou la diffusion et pour autant que les éléments ainsi obtenus ne puissent pas l'être d‘une autre manière. Elle l'est aussi lorsque l'enregistrement de sons et/ou d'images est de nature à mettre en danger les journalistes engagés ou à fausser totalement les comportements des acteurs, toujours sous réserve d'un intérêt public prépondérant ; une attention particulière sera portée, alors, à la protection de la personnalité de personnes se trouvant fortuitement sur le lieu des événements. Dans ces cas d'exception, tout/toute journaliste est cependant en droit de faire objection, pour des raisons de conscience, au recours à des méthodes déloyales.

Le ch. 3 de la Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste du Conseil suisse de la presse stipule que le/la journaliste tient notamment pour son devoir essentiel de ne publier que les informations, les documents, les images et les sons dont l’origine est connue de lui/d’elle ; ne pas supprimer des informations ou des éléments d’information essentiels ; ne dénaturer aucun texte, document, image et son, ni l’opinion d’autrui ; donner très précisément comme telles les nouvelles non confirmées ; signaler les montages photographiques et sonores (https://presserat.ch/ fr/code-de-deontologie-des-journalistes/erklaerungen/).

2.5.1. Il n'est pas contesté que les faits, tels que décrits dans l'acte d'accusation, remplissent tous les éléments constitutifs objectifs et subjectifs des art. 179ter al. 1 et 2 et 179quater al. 1 et 3 CP.

En particulier, la conversation qui s'est tenue entre l'appelante et les intimés n'était pas publique, la précitée ayant incontestablement le désir qu'elle demeurerait privée. Elle n'a pas non plus consenti à l'enregistrement de leur entretien, ni à sa diffusion.

2.5.2. Autre est la question de savoir si les deux prévenus, qui ont agi en qualité de journalistes, peuvent se prévaloir d'un fait justificatif, en particulier tiré de la liberté d'expression.

2.5.2.1. Le reportage réalisé revêtait non seulement un grand intérêt général, mais il était également à même d'apporter des éléments nouveaux et centraux sur le sujet traité.

En effet, si l'affaire examinée en première ligne n'était pas celle dite du "W______", soit une procédure pénale de détournements de subventions européennes contre un Premier ministre, alors en exercice, elle y était intimement liée, puisqu'elle concernait la mise à l'écart d'un témoin clé, voire d'un suspect, qui n'était autre que le fils du précité et qui prétendait avoir été enlevé avant d'avoir pu être entendu sur son rôle dans cette possible fraude.

De forts soupçons pesaient à l'époque sur cette personnalité politique d'une notoriété très élevée, qui a par la suite été inculpée et dont le procès s'est tenu à fin 2022, procédure toujours pendante devant l'autorité de première instance. L'OLAF, soit un organe de l'Union européenne, a en particulier diligenté une enquête, publiée en ______ 2017, qui a conclu à des irrégularités dans l'obtention des subventions européennes par le chef du gouvernement C______. Par ailleurs, que ce soit avant ou après la diffusion de l'entretien, de très nombreux médias du monde entier, sérieux et reconnus n'ont eu de cesse d'aborder ce scandale politique, voire géopolitique, alors particulièrement opaque.

Le reportage lui-même a, sans conteste, apporté un éclairage aux faits reprochés, puisqu'il a eu des répercussions dans la presse internationale, mais également sur le plan judiciaire, l'enquête sur ce prétendu enlèvement a en effet été rouverte par les autorités de police, de même que sur le plan politique, une motion de censure ayant été déposée au gouvernement C______, des manifestations ayant eu lieu contre le Premier ministre et une élue ayant démissionné après ces révélations d'enlèvement.

Rien n'indique que les journalistes aient poursuivi un autre objectif que celui de communiquer des informations sur un sujet pour lequel il existait un intérêt manifeste à informer le public. Le reportage soulevait notamment la question de l'intégrité du chef du gouvernement et de la mesure dans laquelle ce dernier tirait profit de son statut pour étouffer une affaire le concernant, allant jusqu'à (faire) expédier son fils malade en Y______, ______. Bien que les recherches et investigations des deux intimés aient été, certes, mises en scènes avec plus ou moins de subtilité dans le documentaire, ils ont néanmoins su garder un équilibre entre le fond et la forme, étant précisé qu'une certaine dose de sensationnalisme est admise dans le but compréhensible de capter l'intérêt du public.

2.5.2.2. Sous l'angle de la mise en balance de l'atteinte à la vie privée de l'appelante et de l'intérêt public (voir supra ch. 2.5.2.1), dans la mesure où la plaignante a été filmée à son insu et où l'interview s'est déroulé sur le palier de son domicile privé, l'entretien relevait incontestablement de la notion de "vie privée".

Par ailleurs, contrairement à l'arrêt HALDIMANN, le reportage était centré sur la personne du fils d'un politicien, non pas sur une catégorie professionnelle. L'appelante n'était certes pas le sujet de l'interview, mais elle s'y est trouvée impliquée, de sorte qu'elle devait bénéficier d'une protection accrue. Le fait qu'à la différence de son fils, son visage ait été flouté, ce qui suffisait à la rendre non reconnaissable pour toute personne qui ne l'avait encore jamais rencontrée, démontre que les intimés ont eu conscience de sa position particulière. Néanmoins, compte tenu de l'objet du documentaire, elle était parfaitement identifiable, en particulier du public C______, à qui le reportage était destiné en priorité, étant précisé que son identité a été révélée. Les journalistes ont malgré tout choisi de taire l'adresse de la plaignante et de son fils, même si les abords de leur domicile ont été filmés, rendant ainsi leur découverte plus compliquée pour le public C______ et les journalistes internationaux. Il sied de noter enfin que le reportage a été mis en ligne sur le site internet d'une chaîne de télévision C______, le rendant accessible à un très grand nombre d'individus, ce qui était de nature à porter plus gravement atteinte à la vie privée de l'appelante.

Pourtant, si cette dernière, filmée à son insu, n'était assurément pas un personnage public, elle a néanmoins accueilli chez elle son fils, témoin recherché par les autorités dans une affaire particulièrement médiatisée, qui concernait le Premier ministre C______, son ex-époux. Elle a ainsi consenti à jouer un certain rôle public et pouvait donc s'attendre, dans ce cadre, à une visite potentielle de journalistes à son domicile, où vivait son fils.

Quant au mode d'obtention des informations, il est naturel que l'appelante ait pu se sentir dupée par les deux prévenus lorsqu'elle s'est aperçue que leur entretien, qui avait été réalisé le soir, devant son domicile, et qui impliquait son fils malade, avait non seulement été enregistré et filmé, mais en plus diffusé sur internet. Les intimés, qui sont restés sur le pas de la porte, ont cependant immédiatement précisé tant à la plaignante, qu'à son fils, intervenir en tant que journalistes, si bien qu'il était probable que leurs propos soient relayés d'une manière ou d'une autre. Les prévenus ont d'ailleurs, rapidement informé ce dernier qu'il avait été filmé à son insu, soit avant même la diffusion du reportage.

Par ailleurs, en dépit d'une approche particulièrement intrusive et attentatoire à la vie privée, selon le Comité d'éthique [du syndicat des journalistes C______] AK______, l'on ne pouvait pas reprocher aux prévenus un comportement délibérément contraire aux règles déontologiques.

Le contenu du reportage n'était pas non plus attentatoire à la réputation, voire à l'honneur, de l'appelante, ni d'ailleurs à ceux de son fils, lesquels ont eu la possibilité d'exprimer leur point de vue, preuve en est la réaction positive de ce dernier et sa reconnaissance témoignée aux journalistes. La véracité des faits relatifs à l'affaire du "W______" n'est pas contestée. Quant à celle de l'enlèvement présumé, les doutes qui entouraient, à l'époque, ce scandale étaient légitimes, plus encore après les déclarations de la victime alléguée. Ces questions ont été traitées avec objectivité, retenue et de manière non offensante par les journalistes. D'ailleurs, lorsque l'appelante a pris la parole dans les médias immédiatement après la diffusion du reportage, elle a seulement incriminé leur mode de procéder, sans remettre en question le fond du reportage.

Enfin, les répercussions concrètes sur la vie privée de la plaignante ont été plutôt faibles puisqu'hormis deux courriers de journalistes déposés dans sa boîte aux lettres, elle n'allègue pas avoir été dérangée à son domicile, abordée en public, ou même simplement reconnue par des tiers.

La CPAR estime dès lors, au vu de ce qui précède, que l’ingérence portée dans la vie privée de l'appelante n’est pas d’une gravité telle qu’elle doive occulter l’intérêt public résidant dans l’information du public sur une possible obstruction faite par le Premier ministre à une enquête le concernant.

2.5.2.3. En ce qui concerne la nécessité de l'ingérence, la question n'est pas tant de savoir si l'usage d'une caméra cachée était, dans le cas d'espèce, le seul moyen pour obtenir les informations concernées, mais bien plutôt si la diffusion des images de l'appelante l'était.

Cette dernière a en effet admis en appel qu'elle n'aurait jamais accepté d'être filmée mais qu'elle aurait éventuellement laissé son fils l'être. Néanmoins, dans la mesure où il était introuvable depuis plusieurs mois, voire années, y compris par les autorités de son propre pays, il semblait évident qu'il ne souhaitait pas être retrouvé, de sorte qu'une demande d'autorisation préalable paraissait donner peu de garantie.

Quant à la technique utilisée, la Cour est d'avis, à l'instar du premier juge, qu'il s'agissait de la seule preuve convaincante, ou, dans tous les cas, de la moins contestable visant à établir non seulement la découverte d'une personne disparue mais encore la véracité des propos de celle-ci, compte tenu des troubles psychiatriques dont elle souffrait. Une simple retranscription n'était assurément pas à même d'avoir autant d'impact sur l'opinion publique. Ce procédé n'a, malgré tout, pas empêché K______ de remettre en cause les déclarations de son fils. C'est dire toute l'importance qui devait être accordée par les journaliste à l'authenticité dans la réalisation de leur reportage s'ils ne voulaient pas que leur crédibilité soit entachée, étant rappelé que le sujet concernait de graves accusations contre le président du gouvernement, lequel était également détenteur de plusieurs médias.

Se pose ainsi la question de la mesure dans laquelle l'enregistrement litigieux devait apparaître dans le reportage puisque les prévenus ont fait le choix de ne supprimer aucune scène au montage, en particulier celles qui concernaient l'appelante.

En lien avec ce qui a été discuté précédemment, il était tout aussi primordial, comme l'ont expliqué les intimés, de prouver au public que les images n'avaient pas été manipulées et les personnes interrogées non contraintes ou forcées, d'autant plus si l'on tient compte des reproches de corruption liés au scandale du "W______" et, plus généralement, des problèmes de corruption dont souffrirait C______ depuis plusieurs années.

Or, si certaines images avaient été dénaturées (suppression, accélération, retranscription, coupure du son, etc.), en particulier celles introductives, dans lesquelles l'appelante faisait face aux journalistes qui se présentaient comme tels, force est d'admettre que l'intégrité de la démarche des intimés et leur attitude auraient pu être mises en doute, tout comme la sincérité des propos des protagonistes. Les scènes préparatoires de repérage avaient également pour but de faire comprendre comment les journalistes étaient, eux, parvenus à remonter au fils du Premier ministre et que cette découverte n'avait pas été orchestrée de toute pièce. Enfin, il n'était pas inintéressant de connaître la position de l'appelante elle-même sur l'enlèvement présumé de son fils par son ex-époux et d'entendre ses réactions aux déclarations de son enfant.

Par conséquent, les informations obtenues par le reportage ne pouvaient l'être qu'à l'aide d'une caméra cachée et en diffusant l'intégralité des images filmées, ceci sans les dénaturer.

2.5.3. Au vu de ce qui précède, l'atteinte à la vie privée de l'appelante était non seulement un moyen nécessaire et adéquat pour la défense de l'intérêt public à l'information, mais encore il constituait la seule voie possible offerte aux prévenus pour y parvenir, étant précisé que l'intérêt public était nettement supérieur à celui privé.

Les prévenus seront ainsi mis au bénéfice d'un fait justificatif (art. 14 CP) consistant en la sauvegarde d'intérêts légitimes, de sorte que leur acquittement des chefs d'enregistrement non autorisé de conversation et de violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d'un appareil de prise de vues (art. 179ter al. 1 et 2 et 179quater al. 1 et 3 CP) sera confirmé, ce qui emporte le rejet complet des conclusions civiles déposées par l'appelante (art. 126 al. 1 CPP a contrario).

3. L'appelante, qui succombe, supportera les frais de la procédure d'appel envers l'État (art. 428 al. 1 CPP), qui comportent un émolument de décision de CHF 2'000.-.

Compte tenu de l'issue de l'appel, il n'y a pas lieu de revoir la répartition des frais de la procédure préliminaire et de première instance (art. 427 al. 2 et 428 al. 3 a contrario CPP).

4. 4.1. Dans le prolongement de ce qui précède, les conclusions en indemnisation de l'appelante seront rejetées (art. 433 al. 1 let. a CPP a contrario).

4.2. Les intimés, qui obtiennent gain de cause, peuvent prétendre à l'indemnisation de leurs frais de défense en appel par l'appelante (art. 432 al. 2 et 436 al. 1 CPP). L'activité de leurs défenseurs d'une durée de 17h37, celle de l'audience étant ramenée à 2h30, apparaît raisonnable au vu de l'objet et de la nature des débats en appel, et les tarifs horaires appliqués conforment à la jurisprudence cantonale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_725/2010 du 31 octobre 2011 ; ACPR/279/2014 du 27 mai 2014 et ACPR/282/2014 du 30 mai 2014).

Ladite activité représente, TVA incluse, des honoraires de CHF 8'326.10 ([15h39 × CHF 450.-] + [1h58 x CHF 350.-] + 7.7%), qui seront ramenés à CHF 6'100.-, conformément aux conclusions des intimés.

L'appelante sera dès lors condamnée à verser aux précités ce montant pour leurs frais de défense en appel.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/795/2023 rendu le 16 juin 2023 par le Tribunal de police dans la procédure P/23188/2018.

Le rejette.

Condamne A______ aux frais de la procédure d'appel, en CHF 2'345.-, qui comprennent un émolument de CHF 2'000.-.

Rejette les conclusions civiles de A______ (art. 126 al. 1 CPP a contrario).

Rejette les conclusions en indemnisation de A______ (art. 433 al. 1 let. a CPP a contrario).

Condamne A______ à verser à B______ et F______ CHF 6'100.-, à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de leurs droits de procédure en appel (art. 432 al. 2 et 436 al. 1 CPP).

Confirme le jugement entrepris, dont le dispositif est le suivant :

"Acquitte B______ des infractions d'enregistrement non autorisé de conversations et de violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d'un appareil de prise de vues (art. 179ter al. 1 et 2 et 179quater al. 1 et 3 CP)

Acquitte F______ des infractions d'enregistrement non autorisé de conversations et de violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d'un appareil de prise de vues (art. 179ter al. 1 et 2 et 179quater al. 1 et 3 CP)

Déboute A______ de ses conclusions civiles.

Condamne A______ aux frais de la procédure, qui s'élèvent à CHF 2745.-, y compris un émolument de jugement de CHF 1'500.- (art. 427 al.1 CPP).

Condamne l'Etat de Genève à verser à B______ et F______ CHF 32'000.-, à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 429 al. 1 let. a CPP)."


 

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police.

 

La greffière :

Lylia BERTSCHY

 

La présidente :

Delphine GONSETH

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

2'745.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

160.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

110.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

2'000.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

2'345.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

5'090.00