Skip to main content

Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

1 resultats
P/7073/2019

AARP/216/2023 du 15.06.2023 sur JTDP/1243/2022 ( PENAL ) , ADMIS

Recours TF déposé le 30.08.2023, 6B_1015/2023
Descripteurs : ACCIDENT DE LA CIRCULATION;LÉSION CORPORELLE GRAVE;NÉGLIGENCE
Normes : CP.125; LCR

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/7073/2019 AARP/216/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 15 juin 2023

 

Entre

A______, domiciliée ______ [GE], comparant par Me B______, avocat,

appelante,

 

contre le jugement JTDP/1243/2022 rendu le 10 octobre 2022 par le Tribunal de police,

 

et

C______, domicilié ______ [NE], comparant par Me Yvan JEANNERET, avocat, Keppeler Avocats, rue Ferdinand-Hodler 15, case postale 6090, 1211 Genève 6,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 10 octobre 2022, par lequel le Tribunal de police (TP) a acquitté C______ du chef de lésions corporelles graves par négligence (art. 125 al. 1 et 2 CP), a indemnisé ce dernier pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 429 al. 1 let. a CPP) et laissé les frais de la procédure à la charge de l'Etat.

A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à un verdict de culpabilité du chef de lésions corporelles graves par négligence à l'encontre de C______ et à la réserve de ses conclusions civiles.

b. Selon l'acte d'accusation du 11 janvier 2022, il est reproché ce qui suit à C______ :

Le 15 février 2019, aux alentours de 13h30, sur le chemin du Vieux-Vésenaz, avant l'intersection avec le chemin Neuf-de-Vésenaz, sur la commune de Collonge‑Bellerive, au volant du poids-lourd immatriculé BE 2______, inattentif, il a omis d'accorder la priorité à A______, piétonne, qui empruntait le passage pour piétons, de sorte que son camion l'a heurtée. Elle a été happée sur plusieurs mètres, avant que la roue avant gauche dudit camion ne roule sur sa jambe gauche, la sectionnant immédiatement. A______ a notamment subi une amputation à la jambe gauche et porte désormais une prothèse.

Le Ministère public (MP) a proposé une accusation alternative le 5 septembre 2022, selon laquelle il était reproché à C______ ce qui suit :

Dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, alors qu'il était arrêté au STOP situé sur le chemin du Vieux-Vésenaz et que son poids lourd empiétait sur le passage piéton précédant ledit marquage, inattentif, il a omis de procéder à tous les contrôles nécessaires avant de s'engager sur l'intersection, violant son devoir de prudence, de sorte qu'il n'a pas perçu A______ qui, cheminant sur la droite de son camion, s'était engagée devant celui-ci pour traverser la chaussée et l'a heurtée ce faisant. Elle a été traînée sur plusieurs mètres avant que la roue avant gauche du véhicule ne roule sur sa jambe gauche, la sectionnant immédiatement.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.a. Un accident de la circulation est survenu le vendredi 15 février 2019 à 13h32 entre le camion poids-lourd conduit par C______ et la piétonne A______ à l'intersection entre le chemin Neuf-de-Vésenaz et le chemin du Vieux-Vésenaz.

Selon le rapport de renseignements du 17 avril 2019, à l'arrivée de la police, A______, grièvement blessée, était prise en charge par les ambulanciers. Le camion se trouvait à son point d'arrêt après le heurt. Aucune trace de freinage ou de ripage n'était visible sur la chaussée.

a.b. À teneur des constats, clichés et croquis des lieux effectués par la police, le camion, qui circulait sur le chemin du Vieux-Vésenaz, a obliqué à gauche, à l'intersection avec le chemin Neuf-de-Vésenaz. Avant ce croisement se trouve un STOP, dont le marquage au sol est précédé, à 6 mètres environ, d'un passage pour piétons. Le long du chemin du Vieux-Vésenaz se trouvent, sur la droite dans le sens de la marche du camion, une place piétonne avec plusieurs commerces qui est au même niveau que la chaussée et, sur la gauche, une bande longitudinale pour piétons avec marquage au sol.

Un premier point de choc entre l'avant du camion et A______ a été marqué au niveau de la ligne de STOP, puis un second point de choc quelques mètres plus loin. Ce deuxième choc a fait chuter A______ sur la gauche du véhicule, lequel lui a roulé sur la jambe. Au niveau du STOP, la visibilité depuis la cabine du conducteur du camion est bonne sur le trottoir qui borde la chaussée, à droite. L'engin conduit par C______ était équipé d'un antéviseur (dispositif situé à l'avant de la cabine pour voir les premiers mètres devant le véhicule qui sont cachés par la hauteur du camion). Selon les clichés pris par la police et les déclarations du conducteur, cet antéviseur permet une bonne visibilité sur l'avant-droit du camion mais présente un angle mort vers l'avant-gauche.

b.a. Le 29 mars 2019, A______ a déposé plainte pénale contre C______ pour lésions corporelles graves par négligence.

Elle a exposé qu'elle venait de la banque se trouvant sur la place piétonne et qu'elle traversait le passage piéton situé sur le chemin du Vieux-Vésenaz avant l'intersection avec le chemin Neuf-de-Vésenaz, pour se rendre au centre commercial. Le conducteur du poids lourd venant sur sa gauche ne l'avait pas vue et l'avait dès lors happée sur plusieurs mètres avant de tourner à gauche sur le chemin Neuf‑de‑Vésenaz. Elle n'était pas parvenue à se dégager de l'avant du camion, constatant que le conducteur ne la voyait pas. Le camion avait ralenti pour tourner à gauche au niveau du STOP, sans toutefois s'arrêter. Elle s'était décollée du camion et était tombée à la renverse, en contrebas, de sorte qu'elle s'était retrouvée allongée sur la route, presque au milieu du carrefour, la tête à gauche, vers le bas. À ce moment-là, le poids lourd avait roulé sur sa jambe, son pied ayant été sectionné immédiatement. Une personne s'était approchée d'elle affolée en s'exclamant que le chauffeur ne s'était pas arrêté au STOP, tandis qu'une autre personne faisait signe au conducteur du poids lourd de s'arrêter.

b.b. A______, entendue par le MP et le premier juge, a confirmé sa plainte et sa version des faits.

En sortant de la banque, elle avait traversé le passage piéton, sans voir de camion à ce moment-là. Elle n'avait constaté la présence du véhicule qu'alors qu'elle était déjà au milieu du passage piéton, pensant ainsi qu'il allait s'arrêter. Comme il arrivait à une vitesse de 20 ou 30 km/h, il y avait eu un premier choc alors qu'elle était presque au bout du passage piéton et sa veste s'était accrochée à l'avant du véhicule, côté chauffeur. Elle avait voulu se dégager en tirant sur le vêtement et s'était retrouvée face au poids lourd. Elle voyait que le conducteur regardait à gauche et à droite tandis qu'elle était obligée de reculer, le véhicule avançant. Elle avait tapé contre la cabine. Au STOP, elle était tombée en arrière, la route étant légèrement en pente, et elle avait "roulé" presque jusqu'à l'autre bout de la rue, avant que le véhicule roule sur sa jambe. Confrontée aux déclarations des témoins, elle a persisté à affirmer qu'elle avait traversé sur le passage piéton, expliquant que ceux-ci n'avaient que vu le deuxième choc qui avait effectivement eu lieu à la hauteur du STOP, juste avant sa chute. Elle a encore précisé qu'elle mesurait 1m57.

Elle vivait très mal les conséquences de cet accident. Elle éprouvait des difficultés à marcher et la prothèse la rendait instable, si bien qu'elle tombait si on la bousculait. Elle se voyait privée de ses passions, la voile et la vie du cirque, ne pouvant pratiquement plus faire de sport.

b.c. À teneur des documents médicaux produits, A______, née le ______ 1943, a été transférée aux Hôpitaux Universitaires de Genève, alors que son pied gauche avait été sectionné au-dessus de la cheville et un garrot posé. Elle a subi une opération consistant à l'amputation à la hauteur de la mi-jambe le 15 février 2019, ainsi qu'un complément d'amputation le 19 février 2019. Elle a été transférée à [l'hôpital] D______ le 26 février 2019 en vue de sa rééducation et de la pose d'un appareillage et a pu regagner son domicile le 5 avril 2019 avec une prothèse.

Selon certificat médical du Dr E______ du 13 décembre 2019, elle subissait des restrictions dans sa vie quotidienne, son périmètre de marche étant limité tout comme la station debout. Elle souffrait de douleurs fantômes ressenties dans le pied gauche.

c. Les trois témoins entendus par la police et le MP ont rapporté une version similaire des faits.

c.a. F______ conduisait en direction de l'intersection depuis le chemin Neuf-de-Vésenaz. Elle avait vu le camion de C______ arrêté longuement au STOP du chemin du Vieux-Vésenaz, sur sa droite. Malgré sa priorité, elle s'était arrêtée avant le passage piéton précédant l'intersection afin de laisser suffisamment de place à l'imposant camion pour sa manœuvre. Ce dernier avait alors commencé à tourner tout doucement, roulant à une vitesse de 1 à 2 km/h. Durant sa manœuvre, le chauffeur prenait son temps et regardait dans son rétroviseur latéral gauche et devant lui, ainsi que sur sa droite à un certain moment. Quand celui-ci avait démarré, A______ avait surgi "de nulle part" devant le camion, côté droit. Elle avait eu l'air d'hésiter, avant de s'engager à la hauteur de la ligne de STOP, marchant très proche du véhicule, au ras du pare-chocs. La témoin s'était demandée ce qu'il lui prenait car elle ne pouvait de toute évidence pas ignorer le camion.

Le conducteur du camion n'avait rien changé à sa manœuvre puisque, selon elle, il ne pouvait pas voir la piétonne. Cette dernière avait tapé sur l'avant du camion au niveau de la grille d'aération et elle-même s'était mise à klaxonner. A______ avait tapé une deuxième fois sur l'avant du camion et avait pressé le pas. Le passager d'une camionnette qui se garait à proximité avait crié à A______ de reculer, tandis que son propre passager faisait des signes de la main. Le conducteur était concentré sur sa manœuvre et ne semblait pas comprendre pourquoi tout le monde s'agitait. S'étant assuré de ce que l'arrière du camion sortait de la ruelle, il avait accéléré légèrement pour prendre son virage. À ce moment-là, le pied gauche de la piétonne avait été happé par la roue avant-gauche du camion, la faisant chuter. Le camion s'était alors arrêté net.

c.b. G______, passager de F______, avait vu un camion arriver depuis le chemin du Vieux-Vésenaz, et s'être dit que le véhicule était particulièrement gros par rapport au chemin duquel il arrivait. F______ s'était arrêtée environ 2 mètres avant le passage piéton pour le laisser passer. Le conducteur du camion s'était immobilisé au STOP durant environ 5 secondes et avait regardé dans ses rétroviseurs avant de démarrer très lentement, restant à une faible vitesse de 1 ou 2 km/h. Le témoin avait aperçu A______ traverser la route, en dehors du passage piéton, et s'engager devant le véhicule déjà en marche, jusqu'à environ un tiers du camion de la droite vers la gauche. Elle se trouvait à seulement 10 centimètres du camion et avait commencé à taper sur la cabine, comme si elle était dans son bon droit. Le véhicule ne s'arrêtant pas, elle avait accéléré le pas. F______ avait klaxonné durant 5 à 10 secondes et ils avaient tous les deux crié. Le conducteur était comme absent, ne réagissant pas aux coups de klaxon. Durant toute sa manœuvre, C______ regardait dans son rétroviseur gauche et était toujours fixé dans la même position. La piétonne était finalement tombée lorsqu'elle se trouvait au coin avant-gauche du camion, la route étant en pente. Après l'impact, le conducteur avait encore roulé un peu plus d'un mètre avant de s'arrêter. G______ s'était dit que le conducteur, qui était assez haut dans sa cabine, ne pouvait simplement pas voir la précitée, laquelle n'était pas très grande, ajoutant "c'était comme si elle s'était jetée sous ses roues".

Il n'avait vu aucun piéton autour du camion lorsque celui-ci était arrêté au STOP. Il n'avait aperçu A______ qu'alors que le poids lourd avait déjà démarré, celle-ci s'étant engagée pour traverser tandis que le véhicule était déjà en mouvement.

c.c. H______ était le passager d'une voiture qui se stationnait devant la banque au moment des faits. Il avait vu le camion à l'arrêt, au STOP, à environ 4 mètres en face de lui. Il ne voyait toutefois pas le conducteur à l'intérieur de la cabine. A______ était alors arrivée à la droite du camion et s'était engagée sur la chaussée sans marquer d'arrêt, juste devant la cabine du poids lourd sur la bande du STOP. Elle marchait "au nez du camion", en regardant devant elle, sans chercher le regard du conducteur. En la voyant, il s'était dit à voix haute qu'elle n'allait pas y aller. À son avis, vu la position de A______ par rapport à la cabine, le conducteur ne pouvait pas la voir. Une fois la piétonne arrivée aux deux tiers de l'avant de la cabine, le camion avait démarré à une vitesse de moins de 5 km/h et avait renversé la piétonne avec sa partie avant gauche. Il était alors sorti de son véhicule pour taper sur la porte passager du camion, afin d'avertir le conducteur de la situation. Il n'avait ni vu ni entendu le moindre signe de la part de la piétonne tendant à avertir le chauffeur de sa présence. Il y avait eu des cris et des coups de klaxon de la part d'autres témoins, au moment où le camion avait démarré et emporté A______.

d. Lors de ses auditions, C______ a contesté sa responsabilité dans l'accident, dans la mesure où il n'avait pas pu voir A______ bien qu'il eut pris toutes les précautions pouvant être exigées de sa part.

Il conduisait des poids-lourd depuis une vingtaine d'années. Son véhicule le jour des faits était un camion de 16 tonnes et de 12 mètres de longueur dont il avait l'habitude. Depuis sa cabine, il se trouvait à plus de 2 mètres du sol et disposait de deux rétroviseurs et d'un antéviseur permettant de voir l'extérieur de la cabine jute devant le camion. Il a précisé qu'il pouvait voir en entier l'angle du côté droit, mais qu'il n'y avait pas une grande visibilité dans ce miroir-là. Il estimait qu'il aurait pu voir la piétonne si elle avait traversé le passage pour piéton comme elle l'indiquait, puisque sa visibilité à droite était bonne.

Alors qu'il circulait sur le chemin du Vieux-Vésenaz en direction de la route d'Hermance, il ne s'était pas arrêté au passage piéton, situé quelques mètres avant le STOP, dans la mesure où il n'y avait personne, pas même sur le trottoir. Arrivé à l'intersection avec le chemin Neuf-de-Vésenaz, il s'était arrêté au STOP une dizaine de secondes, précisant qu'il était obligé de tourner à gauche car la route devant lui était fermée. Sur sa gauche, une voiture arrivant dans sa direction était à l'arrêt. Il avait regardé à droite et à gauche, dans les rétroviseurs et l'antéviseur. La voie étant libre, il avait démarré lentement car l'intersection était très étroite. Il avait dû braquer immédiatement sur la gauche pour pouvoir franchir le carrefour et avait porté une attention particulière à son arrière droit afin de ne pas heurter le mobilier urbain, le porte-à-faux de son camion étant important. Après quelques mètres, il avait entendu un "crac". Il n'avait pas tout de suite compris de quoi il s'agissait. Il s'était arrêté immédiatement, avant de descendre de son camion pour vérifier que tout allait bien. C'est alors qu'il avait vu une femme au sol, le pied gauche écrasé.

Au STOP, il avait bien regardé l'antéviseur et la place piétonne située à sa droite, mais n'avait vu personne. A______, qui était petite et se tenait très proche du camion, devait se trouver dans son angle mort. Lorsqu'il avait démarré, elle était probablement déjà passée devant la cabine et il l'avait percutée au moment où il avait tourné. Sur question, il a précisé que, lors d'une telle manœuvre, il lui était impossible de se lever de son siège pour vérifier l'angle mort, le volant l'en empêchant, il ne pouvait pas "jongler" entre l'accélérateur et le frein. Afin de pallier l'angle mort dans ce genre de situation, s'il voyait quelqu'un, il ouvrait la fenêtre pour regarder à l'extérieur.

Avant le "crac", il n'avait entendu aucun bruit, ni de coups sur le pare-chocs, ni de cris, et n'avait vu personne lui faire de signe. Sa fenêtre était entrouverte et il écoutait la radio à volume normal, mais le moteur du camion faisait du bruit, surtout au démarrage. Il avait entendu un coup de klaxon, soit un petit "tut", mais il ne s'était pas demandé quelle en était la cause, précisant que cela pouvait être pour saluer quelqu'un.

Il s'est dit sincèrement navré de ce qui s'était passé et des conséquences dramatiques de cet accident. Il n'avait toutefois rien pu faire de plus, n'ayant pas vu la piétonne.

C. a.a. Aux débats d'appel, A______ a maintenu ses déclarations. Elle avait traversé sur le passage piéton et avait été emportée par le camion car sa veste s'était coincée, elle avait réussi à reculer avec le camion sur plus de 6 mètres et ignorait encore comment elle avait réussi à faire cela. Elle avait entendu plusieurs coups de klaxon au moment où elle était contre la cabine du camion. Le camion lui avait roulé dessus et elle avait tout de suite compris ce qui lui arrivait, voyant son pied gauche détaché de sa jambe. Son état de santé était resté stable. Elle s'habituait à la prothèse mais la situation restait difficile. Elle vivait seule, ses petites-filles venant l'aider si nécessaire.

a.b. C______ a confirmé ses précédentes déclarations. Il tenait à rappeler qu'il lui était impossible de se lever dans son camion pour regarder dans l'angle mort, sans devoir monter le volant. Il n'avait ainsi pas vu A______ et ne pouvait pas la voir. Il était désolé pour elle. Lors de son arrêt au STOP, il avait bien regardé mais n'avait vu personne sur la place piétonne à sa droite. Il avait entendu un coup de klaxon et identifié que celui-ci provenait de la voiture conduite par F______, imaginant que c'était pour le laisser passer. Il n'avait pas pour réflexe de s'arrêter à un coup de klaxon, puisque cela pouvait simplement être quelqu'un qui disait bonjour. Dans tous les cas, vu le poids de son véhicule, il ne pouvait pas s'arrêter instantanément.

b.a. Par la voix de son conseil, A______ persiste dans ses conclusions.

Même à retenir la thèse, contraire à ses propres déclarations, selon laquelle elle avait traversé hors du passage piéton, l'intimé aurait dû la voir. Elle s'était engagée pour traverser et avait marché tranquillement, jusqu'à atteindre l'avant gauche du camion, de sorte qu'elle ne s'était pas "jetée sous ses roues" mais avait été visible durant plusieurs secondes. L'angle mort d'un véhicule n'était pas une excuse, puisqu'il revenait au conducteur d'y pallier. Ici, l'intimé avait non seulement mal regardé, il avait, en outre, totalement ignoré les coups de klaxon des témoins qui avaient duré plusieurs secondes. C______ ne pouvait être suivi lorsqu'il indiquait qu'il pouvait s'agir d'une simple salutation, le klaxon étant un signal de danger. Il écoutait la radio mais avait admis qu'il avait entendu ces avertissements et ne s'était, malgré tout, pas arrêté, alors qu'il aurait pu ainsi éviter de l'accident et ses conséquences gravissimes.

b.b. Par la voix de son conseil, C______ conclut à la confirmation du jugement entrepris et à son indemnisation pour les dépenses occasionnées par la procédure d'appel à hauteur de CHF 1'114.-, hors débats d'appel.

Aucune faute ne pouvait lui être reprochée Selon tous les témoins, l'appelante était arrivée "de nulle part", alors qu'il s'était, pour sa part, arrêté plusieurs secondes au STOP, avait regardé dans ses rétroviseurs et dans l'antéviseur pour s'assurer qu'il n'y avait personne autour de lui, avant de démarrer au pas. Une fois sa manœuvre en cours, difficile vu la taille de son camion, il devait porter son attention plus loin devant lui, conformément au principe de l'attention primaire retenu par la jurisprudence. Il n'avait aucune raison de s'attendre à ce qu'une piétonne se trouve juste en dessous de sa cabine alors qu'il s'engageait dans le carrefour, l'appelante ayant agi de manière très négligente et imprévisible. Il ne pouvait être exigé de lui qu'il se levât de son siège pour s'assurer qu'il n'y avait personne devant la cabine, vu la configuration de son camion et la présence de l'antéviseur qui avait justement cette fonction et qu'il avait bien vérifié. Enfin, le simple fait d'entendre un coup de klaxon ne commandait pas de s'arrêter immédiatement, ce d'autant que le poids lourd qu'il conduisait mettait du temps pour s'immobiliser.

c. Le MP s'en remet à l'appréciation de la Chambre de céans.

D. C______, ressortissant suisse, est né le ______ 1961 à I______ [NE]. Il est marié et n'a pas d'enfant à charge. Il exerce en qualité de chauffeur poids lourd pour un salaire mensuel net de CHF 4'480.75 et perçoit en outre une rente de la SUVA de CHF 1'162.65 par mois. Son épouse exerce une activité lucrative. Il déclare payer un loyer de CHF 1'000.- pour son logement et sa prime d'assurance-maladie se monte à CHF 535.20.

Selon l'extrait de son casier judiciaire suisse, il n'a pas d'antécédent.

E. Me B______, conseil juridique gratuit de A______, dépose un état de frais pour la procédure d'appel, facturant, sous des libellés divers, 5 heures et 20 minutes d'activité de chef d'étude (dont 25 minutes d'étude du jugement de première instance et 3 heures et 10 minutes de préparation de l'audience) et 1 heure d'activité de stagiaire (dont 15 minutes pour l'annonce d'appel), hors débats d'appel, lesquels ont duré 1 heure et 5 minutes. En première instance, il avait été indemnisé pour 17 heures et 15 minutes d'activité.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; 127 I 28 consid. 2a).

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. Comme règle d'appréciation des preuves, elle signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 146 IV 88 consid. 1.3.1 ; 145 IV 154 consid. 1.1).

3. 3.1.1. Aux termes de l'art. 125 CP, celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé sera, sur plainte, puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire (al. 1). Si la lésion est grave, le délinquant sera poursuivi d'office (al. 2).

La réalisation de cette infraction suppose la réunion de trois éléments constitutifs, à savoir une négligence imputable à l'auteur, des lésions corporelles subies par la victime, ainsi qu'un lien de causalité naturelle et adéquate entre la négligence et les lésions (cf. ATF 122 IV 145 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_33/2021 du 12 juillet 2021 consid. 3.1).

Conformément à l'art. 12 al. 3 CP, il y a négligence si, par une imprévoyance coupable, l'auteur a agi sans se rendre compte ou sans tenir compte des conséquences de son acte. Il faut que l'auteur ait, d'une part, violé les règles de prudence que les circonstances lui imposaient pour ne pas excéder les limites du risque admissible et que, d'autre part, il n'ait pas déployé l'attention et les efforts que l'on pouvait attendre de lui pour se conformer à son devoir (ATF 135 IV 56 consid. 2.1). Pour déterminer plus précisément les devoirs imposés par la prudence, on peut se référer à des normes édictées par l'ordre juridique pour assurer la sécurité et éviter des accidents (ATF 143 IV 138 consid. 2.1). S'agissant d'un accident de la route, il convient de se référer aux règles de la circulation routière (ATF 122 IV 133 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_33/2021 du 12 juillet 2021 consid. 3.1).

Une des conditions essentielles pour l'existence d'une violation d'un devoir de prudence et, partant, d'une responsabilité pénale fondée sur la négligence, est la prévisibilité du résultat. Pour l'auteur, le déroulement des événements jusqu'au résultat doit être prévisible, au moins dans ses grandes lignes. C'est pourquoi, il faut commencer par se demander si l'auteur aurait pu et dû prévoir ou reconnaître une mise en danger des biens juridiques de la victime. Pour répondre à cette question, on applique la règle de la causalité adéquate. Le comportement incriminé doit être propre, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience générale de la vie, à produire ou à favoriser un résultat du type de celui qui est survenu. La causalité adéquate ne doit être niée que lorsque d'autres causes concomitantes, comme par exemple la faute d'un tiers, un défaut de matériel ou un vice de construction, constituent des circonstances si exceptionnelles qu'on ne pouvait s'y attendre, de telle sorte qu'elles apparaissent comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amender et notamment le comportement de l'auteur (ATF 143 III 242 consid. 3.7 ; 134 IV 255 consid. 4.4.2 ; 133 IV 158 consid. 6.1 ; 131 IV 145 consid. 5.2 ; cf. en matière de circulation routière : 127 IV 34 consid. 2a).

3.1.2. L'art. 26 al. 1 de la loi sur la circulation routière (LCR) prescrit que chacun doit se comporter, dans la circulation, de manière à ne pas gêner ni mettre en danger ceux qui utilisent la route conformément aux règles établies. Conformément au principe de la confiance découlant de la règle générale de l'art. 26 al. 1 LCR, tout usager de la route qui se comporte conformément aux règles établies, doit pouvoir, dans la mesure où aucune circonstance particulière ne s'y oppose, admettre que les autres participants à la circulation routière se conduiront également de façon conforme aux règles, c'est-à-dire qu'ils ne le gêneront pas et ne le mettront pas en danger (ATF 143 IV 138 consid. 2.1).

L'art. 31 al. 1 LCR dispose que le conducteur devra rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer aux devoirs de la prudence.

L'art. 3 al. 1 de l'ordonnance sur la circulation routière (OCR) précise que le conducteur vouera son attention à la route et à la circulation. Le degré de l'attention requise par l'art. 3 al. 1 OCR s'apprécie au regard des circonstances d'espèce, telles que la densité du trafic, la configuration des lieux, l'heure, la visibilité et les sources de danger prévisibles (ATF 137 IV 290 consid. 3.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_69/2017 du 28 novembre 2017 consid. 2.2.1). Lorsqu'un conducteur doit prêter son attention visuelle principalement dans une direction déterminée, on peut admettre que son attention soit moindre dans les autres (ATF 122 IV 225 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_69/2017 du 28 novembre 2017 consid. 2.2.1). Le conducteur doit avant tout porter son attention, outre sur sa propre voie de circulation (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_783/2008 du 4 décembre 2008 consid. 3.3), sur les dangers auxquels on doit s'attendre et peut ne prêter qu'une attention secondaire à d'éventuels comportements inhabituels ou aberrants (ATF 122 IV 225 consid. 2c ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_69/2017 précité consid. 2.2.1 ; 6B_1157/2016 du 28 mars 2017 consid. 4.3).

Les piétons s'engageront avec circonspection sur la chaussée, notamment s'ils se trouvent près d'une voiture à l'arrêt, et traverseront la route sans s'attarder. Ils utiliseront les passages pour piétons ainsi que les passages aménagés au-dessus ou au-dessous de la chaussée qui se trouvent à une distance de moins de 50 m (art. 49 al. 2 LCR et 47 al. 1 OCR). Hors des passages pour piétons, les piétons accorderont la priorité aux véhicules (art. 47 al. 5 OCR).

Avant les passages pour piétons, le conducteur circulera avec une prudence particulière et, au besoin, s'arrêtera pour laisser la priorité aux piétons qui se trouvent déjà sur le passage ou s'y engagent (art. 33 al. 2 LCR). Cette prudence particulière s'étend également aux abords du passage de sécurité (arrêts du Tribunal fédéral 6B_929/2017du 19 mars 2018 consid. 1.2.1 ; 6S.96/2006 du 3 avril 2006 consid. 2.2).

L'angle mort est un facteur inhérent au mode de construction d'un véhicule et il appartient, en principe, au conducteur d'en tenir compte. Il n'est ainsi pas possible d'attribuer au hasard le fait qu'un usager de la route reste caché et de rejeter sur les autres le risque lié à l'angle mort. Au contraire, le conducteur doit se préoccuper d'éliminer tous les risques d'un tel facteur (ATF 127 IV 34 consid. 3b et les références citées). Si la vue à l'avant est limitée, qu'aucun miroir ne permet au conducteur d'observer l'angle mort et que, en raison des circonstances, le conducteur a fort à craindre que des piétons passent immédiatement devant son véhicule dans l'angle mort, il doit alors se soulever un instant de son siège et se pencher pour se procurer une visibilité suffisante. Une telle précaution peut être imposée lorsqu'il y a fort à craindre que des piétons ne passent immédiatement devant son véhicule (ATF 107 IV 55 consid. 2c, concernant le cas d'un chauffeur de trolley-bus, lequel avait démarré après avoir déchargé des voyageurs sans vérifier si des piétons se trouvaient devant son véhicule dans l'angle mort). Une violation du devoir de prudence ne peut pas être imputée au chauffeur lorsqu'il n'aurait absolument pas pu constater la présence d'autres usagers de la route dans l'angle mort de son véhicule, même en faisant preuve de toute la prudence requise et que, au vu des circonstances, il ne devait pas compter sur une telle présence (ATF 127 IV 34 précité).

À teneur de l'art. 40 LCR réglementant les signaux avertisseurs, ceux-ci doivent être utilisés par le conducteur seulement si la sécurité de la circulation l’exige, afin d'avertir les autres usagers de la route. Les signaux avertisseurs inutiles ou excessifs seront évités, l'emploi du signal avertisseur en guise d'appel étant en particulier interdit.

3.1.3. Le résultat typique de l'art. 125 CP se définit en référence aux art. 122 et 123 CP.

Des lésions corporelles sont graves si l'auteur a blessé une personne de façon à mettre sa vie en danger (art. 122 al. 1 CP), a mutilé le corps d'une personne, un de ses membres ou un de ses organes importants ou causé à une personne une incapacité de travail, une infirmité ou une maladie mentale permanentes, ou a défiguré une personne d'une façon grave et permanente (art. 122 al. 2 CP) ou encore a fait subir à une personne toute autre atteinte grave à l'intégrité corporelle ou à la santé physique ou mentale (art. 122 al. 3 CP).

3.2.1. En l'espèce, l'appelante a maintenu depuis le début de la procédure avoir traversé la chaussée sur le passage piéton situé environ 6 mètres en amont de la ligne de STOP, son manteau s'étant alors coincé dans le véhicule.

Cette version ne saurait être suivie. Tout d'abord, elle l'avait vu arriver sur sa gauche avant de commencer à traverser et il est peu probable qu'elle eut pu reculer pour précéder la course du camion sur plusieurs mètres alors que celui-ci arrivait, selon elle, à une vitesse d'environ 20 km/h. Cette version est en tout état contredite par les déclarations concordantes des trois témoins, qui ont tous vu l'appelante arriver devant la cabine du camion depuis la droite, alors que ce dernier était arrêté au STOP. Les témoins F______ et G______ ont indiqué que l'appelante était arrivée de "nulle part" et avait traversé devant le camion sur la ligne de STOP, alors que le témoin H______, qui voyait la place piétonne d'où arrivait l'appelante, indique l'avoir vue prête à s'engager devant le camion et s'être dit à voix haute qu'elle ne devait pas y aller. Les trois témoins, qui disposaient d'une bonne visibilité des lieux, en particulier le témoin H______ qui se trouvait juste en face du poids-lourd, ne connaissaient pas les versions des deux parties au moment de leurs témoignages et n'avaient aucune raison de privilégier l'une par rapport à l'autre. Il n'est ainsi pas possible que la veste de la plaignante fut accrochée à la gauche du camion déjà avant la ligne de STOP comme elle le soutient, ou du moins se souvient. De surcroît, tant l'intimé que les témoins ont décrit un arrêt relativement long du camion au STOP, ce qui n'est pas compatible avec la version de l'appelante, qui décrit avoir chuté à cet endroit mais n'est passée sous les roues du véhicule que quelques mètres plus loin.

Il faut donc privilégier les faits tels que décrits dans l'accusation alternative du 5 septembre 2022, et non ceux de l'acte d'accusation du 11 janvier 2022, soit que l'appelante, alors qu'elle venait de la place piétonne, a traversé la chaussée en dehors du passage piéton, juste devant le véhicule qui se trouvait à l'arrêt sur la ligne de STOP.

Ce faisant, l'appelante a commis une faute, violant les art. 49 al. 2 LCR et 47 al. 1 OCR, et s'exposant à un risque considérable.

3.2.2. Ce constat n'est toutefois pas suffisant pour exclure une violation de ses devoirs de prudence par l'intimé.

La configuration des lieux est particulière, puisque le chemin du Vieux-Vésenaz est relativement étroit avant l'intersection et longe une place piétonne qui n'est pas surélevée par rapport à la chaussée, ainsi qu'une bande piétonne marquée au sol. Le témoin G______ s'est d'ailleurs dit impressionné par la taille du véhicule sortant de cette voie serrée. À 13h30, un jour de semaine, la présence de piétons souhaitant traverser le chemin était plus que probable, même en dehors du passage piéton, lequel se trouvait à seulement 6 mètres en amont, ce d'autant plus que le camion entravait la voie lorsqu'il s'était arrêté au STOP. Il n'était dès lors pas complétement imprévisible qu'un piéton soit tenté de traverser le chemin à la hauteur du carrefour. On rappellera à ce sujet que, non seulement les passages pour piétons, mais également leurs abords appellent un devoir de prudence accrue de la part des usagers de la route.

Dans ces circonstances, contrairement à ce qu'a retenu le TP, le conducteur d'un poids lourd empruntant un tel chemin se doit de porter une attention accrue à la présence éventuelle de piétons et faire preuve de précautions.

Or, l'intimé admet que, étant à l'arrêt pendant plusieurs secondes au STOP, il a voué son attention au carrefour et aux autres véhicules en circulation et non aux piétons se trouvant potentiellement autour de son véhicule. Sa visibilité sur la droite du véhicule était pourtant bonne, selon ses propres déclarations qui sont confirmées par les clichés pris par la police depuis la cabine du camion. En effet, ceux-ci montrent que le conducteur voyait bien la place piétonne, ainsi que la banque d'où venait l'appelante, de sorte que s'il y avait prêté attention, il aurait pu la voir alors qu'elle s'approchait de la chaussée puis s'engageait devant son véhicule. En effet, l'appelante a certes pu se trouver dans un angle mort inhérent au camion au moment du choc, cela n'empêche pas qu'elle était en mouvement et qu'elle ne peut y être restée durant les nombreuses secondes qu'ont duré l'approche puis l'attente de l'intimé à la ligne de STOP. Il ressort effectivement du dossier que l'appelante a marché "tranquillement" depuis la banque jusqu'au carrefour et s'est engagée devant le camion, de sorte qu'il ne saurait être retenu que l'intimé ne pouvait absolument pas la voir, ni alors qu'il approchait le carrefour, ni lors de son arrêt au STOP, ni au moment de démarrer. Ainsi, lorsque l'intimé indique n'avoir vu personne, cela sous-tend qu'il a été inattentif à la présence de piétons, laquelle était pourtant très probable comme retenu supra.

Il est ensuite établi que, avant de démarrer, au pas, pour entamer sa manœuvre et tourner à gauche, l'intimé a regardé la circulation au carrefour, puis ses rétroviseurs et son antéviseur mais n'a pas vu l'appelante, qui se trouvait, au moment où il a démarré, devant le coin avant-gauche de la cabine du camion. À ce moment-là, les témoins F______ et G______ ont fait des gestes et actionné l'avertisseur pour prévenir l'intéressé de la présence de la piétonne. Contrairement à ce qu'a retenu le TP, il ressort des déclarations que les avertissements ont commencé dès que les témoins ont vu le camion démarrer, et non uniquement lors du heurt qui a fait tomber l'appelante. En effet, selon le croquis des lieux et les dires des témoins, après un premier choc, l'appelante a réussi à suivre la trajectoire du camion sur quelques mètres avant de chuter lors d'un second choc. Si les témoins ne s'accordent pas sur la durée, que le ou les coups de klaxon aient duré 40 ou 10 secondes importe peu, le fait étant que ce signal ne s'apparentait pas à un simple petit "tut", comme l'a prétendu l'intimé. Il y a lieu de retenir que les avertissements (klaxons et gestes) des témoins ont duré, à tout le moins, quelques secondes qui ont séparé le premier choc du second. Or, l'intimé indique qu'il ne s'est pas interrogé sur la cause de ce signal alors que, dans les circonstances du cas d'espèce, de longs klaxons devaient manifestement attirer l'attention du conducteur sur un danger. Il sera à cet égard rappelé qu'un tel signal sonore ne doit, conformément aux règles de la circulation routière, être utilisé qu'en cas de danger et l'intimé ne pouvait ainsi partir du principe qu'il s'agissait de saluer quelqu'un ou le laisser passer. Il a pourtant continué à rouler sur plusieurs mètres, ignorant les avertissements et les bruits, comme "absent" selon le témoin G______ et ne s'est finalement arrêté qu'après avoir senti un "crac", soit lorsqu'il a roulé sur la jambe de l'appelante. Il roulait alors à une vitesse très réduite, de 1 à 2 km/h, ce qui permet de retenir que, s'il avait freiné au moment d'entendre les klaxons, le camion aurait pu s'arrêter, si ce n'est instantanément, en tous les cas avant le second choc, de sorte que l'accident aurait pu être évité.

Ainsi, il appartenait à l'intimé de tenir compte des signaux d'alerte que représentaient les coups de klaxons et de s'arrêter aussitôt. Ne l'ayant pas fait, l'intimé n'a pas fait preuve de toute l'attention requise et a ainsi violé son devoir de prudence.

3.2.3. Le comportement de l'intimé est en causalité naturelle et adéquate avec la survenance de l'accident. S'il avait été plus attentif à ce qui se passait aux abords du passage pour piéton ou s'il n'avait pas fait fi des klaxons actionnés par les témoins, il aurait pu s'arrêter en temps utile et éviter le choc, une telle inattention dans les circonstances décrites ci-avant où la présence de piétons était très vraisemblable, étant par ailleurs propre à mener à un tel accident.

À ce propos, l'intimé ne peut tirer argument des considérations des témoins qui avancent que l'appelante se serait "jetée sous ses roues". S'il est vrai que le comportement de l'appelante revêt le caractère d'une faute concomitante, puisqu'elle s'est engagée pour traverser la chaussée hors du passage piéton et que cette faute a concouru à la survenance dudit accident, cela n'exclut pas que l'intimé se devait de prêter une attention particulière à la présence de piétons, même une fois le passage piéton dépassé, et aux avertissements des autres usagers de la route, le devoir de prudence devant être considéré comme accru dans la configuration du cas d'espèce. La faute de l'appelante ne relègue ainsi pas à l'arrière-plan la faute de l'intimé, de telle manière que le lien de causalité serait rompu, ce d'autant qu'il n'existe pas de compensation des fautes en droit pénal (ATF 122 IV 17 consid. 2c/bb).

3.2.4. Il n'est ni contesté ni contestable que les lésions occasionnées à l'appelante, établies par les rapports médicaux, doivent être qualifiées de graves au sens de l'art. 122 al. 2 CP. Celle-ci a été amputée de son pied gauche et d'une partie de sa jambe, jusqu'en dessous du genou. En sus du traumatisme qu'un tel évènement peut causer, l'appelante doit désormais porter une prothèse et sa vie quotidienne s'en voit particulièrement entravée.

3.2.5. Par conséquent, l'intimé sera reconnu coupable de lésions corporelles graves par négligence au sens de l'art. 125 al. 2 CP. Le jugement querellé sera réformé en ce sens.

4. 4.1.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution (objektive Tatkomponente). Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur (subjektive Tatkomponente). À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même (Täterkomponente), à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1 ; 141 IV 61 consid. 6.1.1). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 144 IV 313 consid. 1.2).

4.1.2. Conformément à l'art. 34 CP, la peine pécuniaire est de trois jours-amende au moins et ne peut excéder 180 jours-amende, le juge fixant leur nombre en fonction de la culpabilité de l'auteur (al. 1). Un jour-amende est de CHF 30.- au moins et de CHF 3'000.- au plus. Le juge en arrête le montant selon la situation personnelle et économique de l'auteur au moment du jugement, notamment en tenant compte de son revenu et de sa fortune, de son mode de vie, de ses obligations d'assistance, en particulier familiales, et du minimum vital (al. 2).

4.1.3. Aux termes de l'art. 42 al. 1 CP, le juge suspend en règle générale l'exécution d'une peine pécuniaire ou d'une peine privative de liberté de deux ans au plus lorsqu'une peine ferme ne paraît pas nécessaire pour détourner l'auteur d'autres crimes ou délits.

4.2. En l'espèce, la faute commise par l'intimé relève d'une infraction par négligence, mais son inattention, coupable, est grave.

Alors qu'il circulait au volant d'un véhicule lourd et de grande taille, il lui appartenait d'être particulièrement attentif aux autres usagers. Les conséquences ont été importantes pour la victime qui a dû être amputée d'une partie de sa jambe. Il a agi au mépris des règles de la circulation routière, en négligeant ses devoirs élémentaires de prudence. Il a agi par légèreté et inadvertance, alors que sa situation de chauffeur professionnel ne fait qu'augmenter les exigences de précaution s'imposant à lui.

Le prévenu persiste en outre à nier toute culpabilité et tente de rejeter la responsabilité de l'accident sur l'appelante. Sa prise de conscience est dès lors relative, même s'il a exprimé ses regrets quant aux blessures que cette dernière a subies.

Il n'a aucun antécédent judiciaire, ce qui a un effet neutre sur la peine.

Au vu de la situation personnelle de l'intimé et de son absence d'antécédents, seule une peine pécuniaire entre en ligne de compte. Sa quotité sera arrêtée à 120 jours-amende. Le montant du jour-amende sera fixé en adéquation avec sa situation financière à CHF 100.-.

Il sera mis au bénéfice du sursis, dont les conditions d'octroi sont réalisées, et le délai d'épreuve fixé à trois ans.

5. L'appelante, qui s'était constituée demanderesse au civil lors du dépôt de plainte (art. 118 al. 1 CPP), a demandé la réserve de ses droits avant la clôture de débats de première instance. La voie civile lui étant ainsi ouverte, il sera fait droit à sa requête (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 40 ad art. 122).

6. Dans la mesure où un verdict de culpabilité est prononcé en appel, il y a lieu de revoir la répartition des frais de la procédure préliminaire et de première instance, lesquels seront mis en totalité à la charge de l'intimé (art. 426 al. 1 et 428 al. 3 CPP).

L'appel ayant été admis et l'intimé condamné, ce dernier supportera également les frais de la procédure d'appel, comprenant un émolument de jugement de CHF 1'500.- (art. 428 CPP et art. 14 al. 1 let. e du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale).

7. 7.1. Selon l'art. 135 al. 1 CPP, le défenseur d'office ou le conseil juridique gratuit (cf. art. 138 al. 1 CPP) est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. S'agissant d'une affaire soumise à la juridiction cantonale genevoise, l'art. 16 du règlement sur l'assistance juridique (RAJ) s'applique. Celui-ci prévoit en son alinéa 2 que seules les heures nécessaires sont retenues et qu'elles sont appréciées en fonction notamment de la nature, de l'importance et des difficultés de la cause, de la valeur litigieuse, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu.

L'activité consacrée aux conférences, audiences et autres actes de la procédure est majorée de 20% jusqu'à 30 heures de travail, décomptées depuis l'ouverture de la procédure, pour couvrir les démarches diverses, telles la rédaction de courriers ou notes, les entretiens téléphoniques et la lecture de communications, pièces et décisions (arrêt du Tribunal fédéral 6B_838/2015 du 25 juillet 2016 consid. 3.5.2 ; voir aussi les décisions de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral BB.2016.34 du 21 octobre 2016 consid. 4.1 et 4.2 et BB.2015.85 du 12 avril 2016 consid. 3.5.2 et 3.5.3). Des exceptions demeurent possibles, charge à l'avocat de justifier l'ampleur d'opérations dont la couverture ne serait pas assurée par le forfait.

7.2. À l'aune de ces principes, il y a lieu de retrancher de l'état de frais produit par Me B______, conseil juridique gratuit de A______, le poste d'étude du jugement de première instance et de rédaction de l'annonce d'appel, cette activité étant couverte par le forfait. Le temps d'audience sera en revanche ajouté.

Sa rémunération sera ainsi arrêtée à CHF 1'765.20 correspondant à 6 heures d'activité au tarif de CHF 200.-/heure et 45 minutes d'activité au tarif de CHF 110.-/heure, plus la majoration forfaitaire de 20%, un déplacement à CHF 100.- et l'équivalent de la TVA au taux de 7.7% en CHF 126.-.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/1243/2022 rendu le 10 octobre 2022 par le Tribunal de police dans la procédure P/7073/2019.

L'admet.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Déclare C______ coupable de lésions corporelles graves par négligence (art. 125 al. 2 CP).

Condamne C______ à une peine pécuniaire de 120 jours-amende.

Fixe le montant du jour-amende à CHF 100.-.

Met C______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à trois ans (art. 42 et 44 CP).

Avertit C______ que s'il devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Rejette les conclusions en indemnisation de C______ (art. 429 al. 1 CPP).

Donne acte à A______ de la réserve de ses conclusions civiles.

Condamne C______ aux frais de la procédure préliminaire et de première instance, qui s'élèvent à CHF 1'094.-, y compris un émolument de jugement de CHF 300.- (art. 426 al. 1 CPP).

Condamne C______ aux frais de la procédure d'appel, en CHF 1'745.- qui comprennent un émolument de jugement de CHF 1'500.-.

Prend acte de ce que l'indemnité de procédure due à Me B______, conseil juridique gratuit de A______, a été arrêtée à CHF 4'359.75 pour la procédure préliminaire et de première instance.

Arrête à CHF 1'765.20, TVA comprise, le montant des frais et honoraires de Me B______ pour la procédure d'appel.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police et à l'Office cantonal des véhicules.

 

La greffière :

Aurélie MELIN ABDOU

 

La présidente :

Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.

 

Dans la mesure où il a trait à l'indemnité de l'avocat désigné d'office ou du conseil juridique gratuit pour la procédure d'appel, et conformément aux art. 135 al. 3 let. b CPP et 37 al. 1 de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération (LOAP), le présent arrêt peut être porté dans les dix jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 39 al. 1 LOAP, art. 396 al. 1 CPP) par-devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (6501 Bellinzone).


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

1'094.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

0.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

100.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

70.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'500.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'745.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

2'839.00