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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/25243/2018

AARP/354/2022 du 16.11.2022 sur JTDP/285/2022 ( PENAL ) , REJETE

Descripteurs : VOIES DE FAIT;LÉSION CORPORELLE SIMPLE;CONTRAINTE(DROIT PÉNAL);ACQUITTEMENT
Normes : CP.123; CP.126; CP.181
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/25243/2018 AARP/354/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 16 novembre 2022

 

Entre

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/285/2022 rendu le 16 mars 2022 par le Tribunal de police,

 

et

 

A______, domicilié ______ [GE], comparant par Me Robert ASSAEL, avocat, c/o MENTHA Avocats, rue de l'Athénée 4, case postale 330, 1211 Genève 12,

intimé.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, le Ministère public (MP) appelle du jugement du 16 mars 2022, par lequel le Tribunal de police (TP) a acquitté A______ des chefs d'infractions de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 al. 1 du Code pénal [CP]) et de contrainte (art. 181 CP), laissant les frais de la procédure à la charge de l'État.

Le MP entreprend intégralement ce jugement, concluant à ce que A______ soit reconnu coupable des infractions précitées et condamné à une peine pécuniaire de 30 jours-amende, à CHF 300.- l'unité, avec sursis durant trois ans, ainsi qu'aux frais de la procédure.

b. Selon l'ordonnance pénale du 10 décembre 2019, il est reproché ce qui suit à A______ :

-  le 11 ou le 12 juillet 2018, il a saisi son épouse, B______, par le bras et exercé une pression telle sur celui-ci que des marques de doigts bleues et violacées sont immédiatement apparues ;

- entre fin juillet et début août 2018, il a modifié le code de l'alarme de l'appartement conjugal sans en informer son épouse, l'empêchant ainsi d'y pénétrer et d'avoir librement accès à ses effets personnels.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.a. B______, née le ______ 1942, et A______, né le ______ 1939, se sont mariés en 1979.

Le 13 juillet 2018, à la suite d'un conflit survenu la veille entre les époux en présence de leurs deux petits-enfants, B______ a quitté le domicile conjugal et est allée résider chez ses enfants à F______ [France], puis chez une amie.

B______ n'est revenue au domicile conjugal qu'à la fin du mois de juillet 2018, accompagnée de son amie C______, afin d'y récupérer des effets personnels, A______ étant à l'étranger. L'alarme de l'appartement s'est alors déclenchée, car ce dernier en avait changé le code dans l'intervalle, sans l'en informer.

a.b. Dans un courriel adressé le vendredi 27 juillet 2018 à 16h10, A______ indiquait à son épouse avoir appris qu'elle comptait se rendre au domicile conjugal pour le week-end. Craignant qu'elle emporte des affaires lui appartenant en vue de son installation à F______, il souhaitait qu'elle attende son retour pour venir à l'appartement.

Par courriel adressé le même jour à 19h13, B______ lui a répondu qu'elle avait besoin de venir chercher des effets personnels au domicile conjugal et qu'il était normal qu'elle puisse s'y rendre en son absence.

b.a. Le 28 novembre 2018, B______ s'est rendue à la police pour y dénoncer les violences conjugales que lui faisait subir A______ depuis au moins vingt ans.

Le 12 juillet 2018, en particulier, alors qu'ils rentraient d'un voyage et devaient repartir en vacances avec leurs deux petits-enfants, A______ avait "pété les plombs" au domicile conjugal. Il lui avait alors "saisi les bras" et avait commencé à la "secouer violement". Elle avait quitté le logement avec ses petits-fils. Elle n'avait jamais fait constater ses blessures par un médecin, hormis une fracture en 2017. Elle a renoncé à solliciter une mesure d'éloignement du domicile conjugal à l'encontre de son époux, dès lors qu'elle ne vivait plus sous le même toit que lui.

b.b. Le 20 décembre 2018, B______ a déposé plainte pénale contre A______ auprès du MP pour lésions corporelles, précisant que, le 13 juillet 2018, dans leur appartement à Genève, son époux avait commencé à la pousser et à la traiter de tous les noms devant leurs deux petits-fils, D______ et E______. Craignant pour sa vie, elle vivait séparée de son époux depuis lors. Elle dénonçait globalement le fait que son époux l'avait violentée physiquement durant près de quarante ans.

b.c. Le 15 janvier 2019, B______ a déposé une plainte pénale complémentaire contre son époux auprès du MP pour contrainte.

Depuis qu'elle avait quitté le domicile conjugal le 13 juillet 2018, son époux avait modifié le code de l'alarme de leur appartement et refusait de lui donner le nouveau. Ainsi, dès qu'elle ouvrait la porte, l'alarme se déclenchait automatiquement, sans qu'elle ne puisse l'arrêter, ce qui conduisait le service de surveillance à intervenir. Cela était arrivé à la fin de l'été 2018, ce dont C______ avait été témoin. A______ l'empêchait de la sorte de réintégrer le domicile conjugal, alors qu'aucune décision judiciaire n'avait été rendue en ce sens. Elle craignait notamment de se voir reprocher une violation de domicile.

b.d. Devant le MP, B______ a confirmé ses plaintes pénales, en relevant qu'elle n'avait pas pu revenir au domicile conjugal depuis le 13 juillet 2018, alors qu'elle avait voulu essayer de retourner y vivre, n'ayant pas d'autre endroit où aller.

c. D'après une inscription au journal de la police judiciaire du 30 juillet 2018, la veille, aux alentours de 19h10, lorsque B______ était entrée dans l'appartement conjugal pour y prendre des affaires personnelles, accompagnée de C______, l'alarme s'était déclenchée. Deux agents de sécurité étaient intervenus pour l'identifier et l'avaient informée du fait que le code de l'alarme, ainsi que le mot de passe, avaient changé.

d. Durant l'instruction, A______ a d'abord indiqué que B______ avait quitté le domicile conjugal le 13 juillet 2018 pour aller chez sa fille à F______, puis qu'elle était subitement partie sans raison. Il a en particulier nié s'être montré verbalement violent envers elle devant leurs deux petits-enfants.

B______ ayant souhaité revenir à l'appartement sans que personne ne soit présent, il avait, sur conseil de son avocat de l'époque, changé le code de l'alarme. Le service de sécurité avait toutefois ouvert la porte à son épouse en juillet 2018 puisqu'elle s'appelait "Mme B______ [nom de famille de A______]".

e. Le MP a procédé à l'audition des témoins suivants :

e.a. D______, alors âgé de 23 ans, avait rapidement constaté que la situation était tendue entre sa grand-mère et A______, lors de leur trajet de retour à Genève le 12 juillet, durant lequel son petit frère était également présent.

Le lendemain, dans l'appartement de Genève, il avait été alerté par des cris et avait trouvé sa grand-mère assise sur son lit, se tenant le bras, en larmes. Elle avait des traces sur les bras, des bleus et était terrifiée. Il y avait plus précisément des traces de doigts sur son bras gauche. Ce n'était pas la première fois qu'il voyait des bleus sur ses bras. Lorsqu'il avait demandé à A______ ce qu'il s'était passé, celui-ci lui avait répondu que sa grand-mère et lui avaient eu une petite altercation et lui avait mimé lui avoir attrapé le bras. D______ avait voulu prendre une photo du bras de sa grand-mère, mais elle avait refusé par respect pour son mari. Vu l'état de choc dans lequel elle se trouvait, il lui semblait aberrant de partir en vacances avec A______ le lendemain. Il était donc reparti avec sa grand-mère et son frère à F______.

e.b. E______, alors âgé de 16 ans, a également relaté que le trajet de retour à Genève avait été empreint de tensions entre sa grand-mère et A______. Le 11 juillet 2018, dans l'appartement à Genève, il avait vu à un certain moment A______ saisir sa grand-mère par les bras et la secouer, non violemment, mais en exerçant de la force avec ses doigts, de manière impressionnante. L'épisode n'avait pas duré longtemps, mais avait été marquant. Son frère se trouvait, à ce moment-là, à côté de lui. Il avait ensuite vu des marques de doigts sur le bras de B______ et que sa peau était violacée.

e.c. C______ avait accompagné B______ chercher des affaires chez elle durant l'été 2018. Son amie était de passage à Genève et logeait quelques jours à son domicile, lui ayant confié avoir des difficultés avec son mari. B______ avait la clé de son appartement, mais lorsqu'elle avait fait le code de l'alarme, la sirène s'était mise en fonction et elle n'avait pas réussi à la désamorcer. Elle lui avait préalablement parlé de ce code, imaginant qu'il ait pu être changé, raison pour laquelle elle souhaitait que C______ l'accompagne. Suite à un téléphone, le personnel de sécurité avait éteint l'alarme à distance et s'était rendu sur place pour vérifier l'identité de B______, avant de repartir. Elles étaient restées entre 15 et 30 minutes à l'appartement et son amie avait pu emporter des affaires.

f. Par ordonnance du 10 décembre 2019, le MP a ordonné le classement partiel de la procédure à l'égard de A______ s'agissant des violences conjugales survenues entre 1999 et le 13 juillet 2018, sans réserver d'exception à l'égard des faits du 12 juillet 2018.

g. Par courriers de son conseil des 20 et 25 janvier 2022, B______ a indiqué retirer ses plaintes pénales. Elle maintenait que les faits dénoncés s'étaient réellement produits. Toutefois, elle avait, depuis lors, retrouvé des relations cordiales avec son époux, dont l'état de santé s'était par ailleurs dégradé. Elle ne se sentait elle-même plus la force de poursuivre la procédure.

h. En première instance, par l'intermédiaire de son conseil, A______ a sollicité son acquittement et renoncé à toute indemnisation.

C. a. Le MP persiste dans les conclusions de sa déclaration d'appel.

Contrairement à ce qu'avait considéré le TP, ce n'était pas parce que la plaignante n'avait pas expressément fait état de ses lésions lors de ses dépositions, ayant fortement résumé les faits dénoncés au vu de leur complexité, que celles-ci ne s'étaient pas produites. Une telle imprécision prêtait d'autant moins à conséquence que l'infraction était poursuivie d'office. Certes, il existait des divergences entre les témoignages des petits-fils, mais celles-ci ne portaient que sur des éléments périphériques, tels que la date exacte des faits et le lieu précis de leur déroulement dans l'appartement. Il convenait de tenir compte du jeune âge du témoin E______. Les témoignages étaient concordants sur les éléments essentiels, soit sur le fait que l'intimé avait saisi la plaignante par le bras et avait fortement serré celui-ci, de sorte que la trace de ses doigts était discernable. Les deux témoins avaient, en outre, déclaré avoir vu apparaître des hématomes sur le bras de la victime suite à cela, en se montrant formels sur ce point.

Dans la mesure où la plaignante avait tout de même pu entrer dans l'appartement, il convenait de retenir, à tout le moins, une tentative de contrainte. L'intention de l'intimé avait été de contraindre son épouse à ne revenir au domicile conjugal que lorsqu'il y était lui-même présent, tel que cela ressortait notamment du courriel qu'il lui avait adressé le 27 juillet 2018. La contrainte résultait du caractère impressionnant de l'alarme, de l'intervention de la sécurité et de la menace pour la plaignante de se voir reprocher une violation de domicile. L'intimé avait atteint son objectif dès lors que celle-ci avait effectivement eu peur de venir chercher ses affaires au domicile conjugal en son absence. Le moyen de contrainte utilisé avait ainsi fonctionné, alors qu'en réalité, la plaignante était en droit de venir récupérer ses affaires à tout moment.

b. Par la voix de son conseil, l'intimé conclut au rejet de l'appel, tout en réitérant renoncer à toute prétention en indemnisation.

Il convenait de noter que toute une partie des accusations initiales de lésions corporelles avait été balayée par le MP. Il était étonnant que la plainte pénale eut été déposée quatre mois et demi après les faits et que B______ n'y eut pas détaillé les conséquences des agissements de son mari. Il n'y avait aucune photo des hématomes, l'explication selon laquelle B______ aurait refusé d'en prendre une par respect pour son mari étant absurde. Les petits-fils n'avaient pas tous deux confirmé qu'ils s'étaient interposés ni que leur grand-mère avait été secouée. Le MP concédait lui-même que leurs déclarations contenaient plusieurs divergences. Il était notoire que des bleus apparaissent quelques heures après des violences, mais non immédiatement.

L'analyse du TP au sujet de la contrainte reprochée était correcte. Il était acquis que B______ avait officiellement quitté le domicile conjugal le 13 juillet 2018. Contrairement à ce que prétendait le MP, elle avait pu prendre ses affaires fin juillet 2018. Quand bien même le déclenchement d'une alarme constituerait un moyen de contrainte, il ne serait pas propre à impressionner une personne de sensibilité moyenne et à l'entraver d'une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d'action.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]). La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. 2.1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; ATF 127 I 28 consid. 2a).

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3 ;
138 V 74 consid. 7 p. 82).

Le juge du fait dispose d'un large pouvoir dans l'appréciation des preuves. L'appréciation des preuves doit être examinée dans son ensemble et l'état de fait déduit du rapprochement de divers éléments ou indices. Un ou plusieurs arguments corroboratifs peuvent demeurer fragiles si la solution retenue peut être justifiée de façon soutenable par un ou plusieurs arguments de nature à emporter la conviction. Rien ne s'oppose à ce que le juge ne retienne qu'une partie des déclarations d'un témoin globalement crédible (ATF 120 Ia 31 consid. 3 et 4b p. 39-40 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_623/2012 du 6 février 2013 consid. 2.1).

2.2.1. L'art. 123 ch. 1 CP réprime, sur plainte, les lésions intentionnelles du corps humain ou de la santé qui ne peuvent être qualifiées de graves au sens de l'art. 122 CP.

Les voies de fait, sanctionnées par l'art. 126 al. 1 CP, sur plainte, se définissent comme des atteintes physiques qui excèdent ce qui est socialement toléré et qui ne causent ni lésions corporelles, ni dommage à la santé. Une telle atteinte peut exister même si elle n'a causé aucune douleur physique (ATF 119 IV 25 consid. 2a p. 26 ; ATF 117 IV 14 consid. 2a p. 15 ss).

La distinction entre lésions corporelles et voies de fait peut s'avérer délicate, notamment lorsque l'atteinte s'est limitée à des meurtrissures, des écorchures, des griffures ou des contusions. Dans les cas limites, il faut tenir compte de l'importance de la douleur provoquée. Les contusions, meurtrissures, écorchures ou griffures constituent des lésions corporelles simples si le trouble qu'elles apportent, même passager, équivaut à un état maladif, notamment si viennent s'ajouter au trouble du bien-être de la victime un choc nerveux, des douleurs importantes, des difficultés respiratoires ou une perte de connaissance. Par contre, si elles ne portent qu'une atteinte inoffensive et passagère au bien-être du lésé, les coups, pressions ou heurts dont elles résultent ne constituent que des voies de fait (ATF 119 IV 25 consid. 2a p. 26 ; 107 IV 40 consid. 5c p. 42 ; 103 IV 65 consid. II 2c p. 70).

2.2.2. Le droit de porter plainte se prescrit par trois mois. Le délai court du jour où l'ayant droit a connu l'auteur de l'infraction (art. 31 CP).

2.2.3. La poursuite des lésions corporelles simples a lieu d'office si l'auteur est le conjoint de la victime et que l'atteinte a été commise durant le mariage ou dans l'année qui a suivi le divorce (art. 123 ch. 2 al. 3 CP).

La poursuite des voies de fait a lieu d'office si l'auteur a agi à réitérées reprises contre son conjoint durant le mariage ou dans l'année qui a suivi le divorce (art. 126 al. 2 let. b CP).

2.2.4. Les voies de fait étant une contravention, l'action pénale et la peine se prescrivent par trois ans (art. 109 CP).

2.2.5. En l'espèce, en dépit des dénégations de l'intimé, il est établi par la plainte et les déclarations cohérentes de B______, ainsi que par les témoignages de ses deux petits-enfants les corroborant, qu'une altercation a eu lieu entre les époux A______/B______ mi-juillet 2018, vraisemblablement le 12 juillet 2018. L'intimé n'apparaît, quant à lui, pas crédible lorsqu'il soutient que son épouse aurait subitement quitté le domicile conjugal sans raison, alors qu'il ressort du dossier qu'ils s'apprêtaient à partir en vacances avec leurs petits-fils.

Différents indices permettent de retenir qu'à cette occasion, l'intimé a infligé, à tout le moins, des voies de fait à son épouse. En effet, les témoins D______ et E______ ont, tous deux, affirmé avoir vu des marques de doigts sur le bras de leur grand-mère à la suite de cette altercation et ont fait état de l'apparition de traces violacées ou de bleus sur sa peau. Outre qu'elles sont à cet égard concordantes, ces constatations sont suffisamment singulières pour être crédibles, alors qu'aucun élément ne commande de les remettre sérieusement en cause. Les quelques divergences pouvant être relevées entre les témoignages des petits-fils ne sont en particulier pas propres à remettre en cause leur crédibilité sur ces éléments essentiels. Quand bien même l'intimé n'aurait pas saisi son épouse au bras de manière particulièrement violente, il est plausible que, dans le contexte conflictuel décrit, il a exercé une pression telle qu'il y a laissé des traces immédiatement visibles, comme l'a expliqué de manière nuancée et convaincante le témoin E______. L'évènement devait être, du reste, suffisamment marquant pour que B______ et ses petits-fils quittent peu de temps après le domicile conjugal, en annulant leur départ en vacances. À supposer que des hématomes ne puissent pas apparaître immédiatement, les témoins ont, en tout état, constaté des traces bleutées ou violacées. Or, l'expérience générale de la vie enseigne qu'il est possible de voir apparaître immédiatement sur la peau de telles marques sous l'effet d'une certaine pression ou suite à un choc, ce d'autant plus s'agissant d'une personne âgée, dont la peau est plus fragile et ainsi susceptible de marquer davantage. Dans la mesure où il ne ressort toutefois pas du dossier que les lésions survenues auraient perduré ou nécessité des soins médicaux, il sied de considérer qu'elles ont, tout au plus, causé une atteinte légère et passagère au bien-être de B______ et qu'elles ont ainsi été constitutives de voies de fait, non de lésions corporelles simples. Cela expliquerait, par ailleurs, que la plaignante n'en a pas fait plus précisément état dans sa plainte.

Cela étant, dans la mesure où on ne saurait retenir que l'intimé a agi à réitérées reprises en la matière contre son épouse, étant rappelé le classement partiel ordonné s'agissant des violences conjugales dénoncées entre 1999 et le 13 juillet 2018, la poursuite des voies de fait survenues le 12 juillet 2018 ne peut avoir lieu d'office et est ainsi conditionnée à l'existence d'une plainte valable.

Contrairement à ce qu'a considéré le TP, il sied d'observer à cet égard que B______ avait valablement déposé plainte pénale pour ces faits, en dénonçant globalement avoir été violentée physiquement par son époux durant leur vie commune et en évoquant la survenance de blessures, quand bien même elle n'a pas détaillé les circonstances et les conséquences de chaque épisode. Toutefois, depuis lors, B______ a retiré sa plainte pénale au sujet des faits du 12 juillet 2018, dont l'ordonnance du 10 décembre 2019 ne réservait d'ailleurs pas la continuation de la poursuite. Déposée au plus tôt devant la police le 28 novembre 2018, soit plus de trois mois après les faits, cette plainte était quoi qu'il en soit tardive. Un délai de trois ans s'étant par ailleurs écoulé depuis les faits sans qu'une condamnation n'intervienne en première instance, l'action pénale serait de plus prescrite.

Pour tous ces motifs, une condamnation pour les voies de fait survenues le 12 juillet 2018 ne peut plus être prononcée à l'encontre de l'intimé, son acquittement du chef de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 al. 1 CP) devant, en tout état de cause, être confirmé.

2.3.1. Se rend coupable de contrainte, selon l'art. 181 CP, celui qui, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d’un dommage sérieux, ou en l’entravant de quelque autre manière dans sa liberté d’action, l’aura obligée à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte.

Alors que la violence consiste dans l'emploi d'une force physique d'une certaine intensité à l'encontre de la victime (ATF 101 IV 42 consid. 3a), la menace est un moyen de pression psychologique consistant à annoncer un dommage futur dont la réalisation est présentée comme dépendante de la volonté de l'auteur, sans toutefois qu'il soit nécessaire que cette dépendance soit effective (ATF 117 IV 445 consid. 2b ; 106 IV 125 consid. 2a) ni que l'auteur ait réellement la volonté de réaliser sa menace (ATF 105 IV 120 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_160/2017 du 13 décembre 2017 consid. 7.1). Il peut également y avoir contrainte lorsque l'auteur entrave sa victime "de quelque autre manière" dans sa liberté d'action. Cette formule générale doit être interprétée de manière restrictive. N'importe quelle pression de peu d'importance ne suffit pas. Il faut que le moyen de contrainte utilisé soit, comme pour la violence ou la menace d'un dommage sérieux, propre à impressionner une personne de sensibilité moyenne et à l'entraver d'une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d'action. Il s'agit donc de moyens de contrainte qui, par leur intensité et leur effet, sont analogues à ceux qui sont cités expressément par la loi (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1 ; ATF 137 IV 326 consid. 3.3.1 ; ATF 134 IV 216 consid. 4.2). 

Sur le plan subjectif, il faut que l'auteur ait agi intentionnellement, c'est-à-dire qu'il ait voulu contraindre la victime à adopter le comportement visé en étant conscient de l'illicéité de son comportement. Le dol éventuel suffit (ATF 120 IV 17 consid. 2c p. 22).

Pour que l'infraction soit consommée, il faut que la victime, sous l'effet de moyens de contrainte illicites, commence à modifier son comportement, subissant ainsi l'influence voulue par l'auteur (arrêt du Tribunal fédéral 6B_719/2015 du 4 mai 2016 consid. 2.1).

2.3.2. En l'occurrence, il est constant que B______ a quitté le logement conjugal le 13 juillet 2018, en raison de la dispute survenue la veille avec son époux et des violences que celui-ci lui avait fait subir dans ce cadre.

Quand bien même elle s'est montrée ambivalente sur ce point, les éléments du dossier démontrent que B______ n'a souhaité revenir au domicile conjugal que pour y récupérer des effets personnels, fin juillet-début août 2018, et non pour y demeurer. Du reste, l'acte d'accusation reproche à l'intimé d'avoir empêché son épouse de pénétrer dans l'appartement dans le but d'accéder à ses effets personnels et non d'y séjourner.

L'intimé ne conteste pas avoir, à la suite du départ de son épouse, changé le code de l'alarme du domicile conjugal sans le lui communiquer. Il est, du reste, établi que lorsque celle-ci s'est rendue à l'appartement pour y prendre des affaires, l'alarme s'est déclenchée sans qu'elle ne puisse l'arrêter et qu'une intervention du personnel de sécurité a été nécessaire.

Malgré cela, il ressort du dossier, en particulier du témoignage de C______, que B______ n'a pas été empêchée de pénétrer dans l'appartement au moyen de la clé dont elle disposait et d'y récupérer des affaires, après inactivation de l'alarme. Aussi, contrairement à ce qu'expose l'acte d'accusation, le comportement incriminé ne pourrait, tout au plus, être reproché à l'intimé que sous l'angle de la tentative de contrainte, ainsi que le MP l'admet désormais.

Cela étant, l'élément constitutif de l'usage d'un moyen de contrainte suffisant n'est pas réalisé. Il ressort en effet des explications du témoin C______ que B______ craignait qu'une problématique se pose en lien avec l'alarme de l'appartement avant de s'y rendre, mais que cela ne l'en a pas dissuadée. Cela se comprend dès lors qu'elle savait qu'il lui suffisait de s'identifier auprès de l'entreprise mandatée pour gérer le système d'alarme. C'est ce qui est arrivé et elle est demeurée un moment dans l'appartement après le départ du personnel de sécurité. Dans ces conditions, tel que l'a retenu le premier juge, le moyen de contrainte employé par l'intimé n'était pas propre à impressionner B______, ni à l'entraver de manière substantielle dans sa liberté de décision et d'action, même s'il a pu constituer une gêne. Il n'était pas davantage propre à effrayer une personne de sensibilité moyenne.

Partant, les conditions de l'infraction de contrainte au sens de l'art. 181 CP n'étant pas réunies, c'est à juste titre que l'intimé en a été acquitté.

3. En définitive, l'appel du MP doit être entièrement rejeté, de sorte que les frais de la procédure seront laissés à la charge de l'État (art. 428 CPP). Il n'y a, au surplus, pas lieu d'octroyer à l'intimé une indemnité au sens de l'art. 429 CPP, celui-ci y ayant renoncé.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Reçoit l'appel formé par le Ministère public contre le jugement JTDP/285/2022 rendu le 16 mars 2022 par le Tribunal de police dans la procédure P/25243/2018.

Le rejette.

Laisse l'ensemble des frais de la procédure à la charge de l'État.

Confirme le jugement entrepris, dont le dispositif est le suivant :

"Acquitte A______ des chefs d'infractions de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 al. 1 CP) et de contrainte (art. 181 CP).

Laisse les frais de la procédure à la charge de l'Etat (art. 423 al. 1 CPP)."

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police.

 

La greffière :

Andreia GRAÇA BOUÇA

 

La présidente :

Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.

 

Dans la mesure où il a trait à l'indemnité de l'avocat désigné d'office ou du conseil juridique gratuit pour la procédure d'appel, et conformément aux art. 135 al. 3 let. b CPP et 37 al. 1 de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération (LOAP), le présent arrêt peut être porté dans les dix jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 39 al. 1 LOAP, art. 396 al. 1 CPP) par-devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (6501 Bellinzone).