Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/586/2025 du 30.05.2025 ( LVD ) , ADMIS
En droit
Par ces motifs
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 30 mai 2025
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dans la cause
Madame A______, représentée par Me Catarina MONTEIRO SANTOS, avocate, avec élection de domicile
contre
Monsieur B______
1. Par décision du 23 mai 2025, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de onze jours à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Madame A______, située avenue du C______ 1______, D______, ainsi que du E______ (E______) situé avenue de F______ 2______, G______, et de contacter ou de s'approcher de celle-ci ainsi que du fils mineur de Mme A______, soit Monsieur H______.
2. Cette décision, prononcée sous la menace de la sanction prévue par l'art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et indiquant notamment que M. B______ devait, dans un délai de trois jours ouvrables, prendre contact avec l'association VIRES, dont les coordonnées étaient mentionnées, afin de convenir d'un entretien socio-thérapeutique et juridique (cf. art. 10 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 ; LVD - F 1 30), était motivée comme suit :
« Description des dernières violences :
Avoir jeté une clé sur le ventre de Mme A______
Descriptions des violences précédentes
L'avoir poussée avec une valise et l'avoir fait tombée ».
3. M. B______ n’a pas fait opposition à cette mesure.
4. Il résulte du rapport de renseignements établi par la police le 23 mai 2025 que, le 22 mai 2025, une patrouille de police, dont l’intervention avait été sollicitée par le I______, avait été mise en présence de Mme A______, en bas de son immeuble, laquelle était accompagnée d'un appui éducatif mandaté par le service de protections des mineurs (ci‑après : SPMi). Elle leur avait indiqué avoir été poussée le 21 mai 2025 et menacée verbalement le 22 mai 2025 par M. B______, son ex-petit ami, lequel lui aurait jeté une clef sur le ventre. Pour ces faits, elle avait souhaité déposer plainte.
De leurs recherches sur les 36 derniers mois, ils étaient intervenus à une seule reprise au domicile des précités car M. B______ était coincé à l'extérieur de l'appartement.
5. Il ressort de l’audition des intéressés le 22 mai 2025 les éléments suivants :
Mme A______ a expliqué s’être engagée dans une relation avec M. B______ dans le but d’apprendre à se connaître en vue d'un éventuel mariage. Ils avaient fait connaissance en décembre 2023 par le biais de l'application Facebook et s’étaient rencontrés en personne en novembre 2024. Depuis quatre mois, M. B______ se montrait verbalement violent. Lorsqu'une chose n'était pas faite selon sa volonté, il devenait agressif et élevait la voix contre elle. Il souhaitait des relations sexuelles avec elle alors qu’elle lui avait indiqué qu’elle n’en souhaitait pas avant le mariage, ce qu’il n’acceptait pas. Le 21 mai 2025, il s’était présenté au domicile avec l'intention d'y entrer. Comme elle ne souhaitait plus qu’il revienne dans le logement, elle lui avait préparé ses affaires à l’avance. Face à son refus, il s'était montré violent : il avait forcé l'entrée en poussant la porte et était entré dans l'appartement sans son consentement. Une fois à l’intérieur, il l’avait violemment poussée avec la valise qu’elle lui avait préparée, ce qu’il l’avait fait chuter sur le canapé. À la suite de cet incident, elle avait ressenti des douleurs à la tête. Elle s’était alors rendue à l'hôpital où elle avait été examinée par un médecin. C’était la première fois depuis le début de leur relation qu’elle était victime de violences physiques. Jusqu’alors, il s’agissait uniquement de pressions psychologiques, en lien notamment avec sa situation administrative. Par ailleurs, il cherchait à l'isoler, s’opposant notamment à ce qu’elle voit ses amis. Elle souhaitait que M. B______ soit tenu à l’écart d’elle-même et ses enfants. C'était une personne violente et elle craignait pour leur sécurité. Son souhait le plus profond était de l'éloigner définitivement afin de préserver leur bien-être physique et psychologique. A une reprise, elle avait donné une légère tape sur l'épaule de M. B______. Ce n’était pas dans le contexte de dispute et elle s’était immédiatement excusée. Elle souhaitait qu'il soit éloigné de son domicile ainsi que de l'établissement scolaire fréquenté par son fils. Pour ces faits, elle déposait plainte pénale.
M. B______ a expliqué qu’il ne s’était rien passé le 22 mai 2025. Il était arrivé de France le mardi (20 mai) et, comme elle ne lui avait pas ouvert la porte, il avait dû appeler la police. Mme A______ lui avait finalement ouvert la porte le mercredi matin vers 05h00. Ensuite, il s’était couché et il ne lui avait plus adressé la parole. Ils avaient commencé à sortir ensemble le 9 novembre 2024. Venant du Portugal, il s’était tout de suite installé avec elle. Son fils de 20 ans était une personne problématique. Il se droguait et buvait beaucoup. Lorsqu’il venait à la maison il mettait tout en désordre. Mme A______ avait deux autres enfants, soit un fils de 18 ans et une fille de 1 an, qui vivaient au domicile. Ils avaient envisagé de se marier mais cela ne s’était pas encore fait car Mme A______ était encore mariée en Suisse et ils attendaient le divorce. Il avait accepté qu’ils n’aient pas de relations physiques et/ou sexuelles avant leur mariage. Pour lui leur relation était finie. Il ne voulait plus rien à voir avec elle et pensait retourner en France. Il n’y avait jamais eu de coups entre eux. Il ne voulait pas qu’elle lui porte préjudice et inversement. Il leur était arrivé de se disputer, surtout à cause du fils de 20 ans de Mme A______. Il n’y avait eu ni menaces ni injures échangées entre eux. Aux alentours de Pâques, ils avaient eu un différend alors qu’il faisait des travaux sur le balcon mais il ne l’avait pas insultée. Il n’y avait pas eu de conflit le 21 mai 2025. D’ailleurs, Mme A______ n’avait même pas dormi à la maison. Elle était arrivée le matin du 22. Il contestait l’avoir poussée avec une valise et fait tomber, respectivement lui avoir jeté une clef sur le ventre, ce jour-là. C’était des mensonges. Il jurait sur tout ce qu’il avait de plus sacré, qu’il ne l’avait pas touchée et qu’il n’avait jamais levé la main sur elle. Il n’avait même pas la clef de la maison car elle la lui avait reprise il y avait une semaine. Il contestait l’avoir menacée, lui faire des complications administratives et/ou exercer des pressions psychologiques sur elle pour l’empêcher de sortir. Au contraire, ils allaient se marier pour qu'elle puisse obtenir les documents. Par ailleurs, Mme A______ avait une obligation du SPMi de coucher sa petite fille à des heures précises, ce qu’elle ne respectait pas. Il souhaitait sortir de la vie de Mme A______ et s’éloigner d’elle. Il n’avait plus envie de lui parler. Il devrait juste chercher ses affaires (notamment des meubles et outils) à la maison puis il partirait chez ses frères en France ou chez des amis. Il travaillait en Interim et avait jusqu’alors donné tout son argent à Mme A______. Il avait deux enfants au Portugal, de 6 et 20 ans, qu’il pouvait voir tous les 15 jours. Concernant Mme A______, il voulait juste récupérer son argent, ses affaires et il partirait.
6. Par acte du 28 mai 2025, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 30 suivant, Mme A______, sous la plume d’un conseil, a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de 30 jours, en expliquant qu'elle redoutait le fait que M. B______ puisse revenir au domicile dès lundi prochain, raison pour laquelle, au vu de l'art. 11 LVD, elle sollicitait une prolongation de la mesure d'éloignement.
7. M. B______, bien que dûment convoqué, ne s’est pas présenté à l’audience du 30 mai 2025 devant le tribunal.
Mme A______ a maintenu sa demande de prolongation de la mesure d’éloignement pour une durée de trente jours. Elle a expliqué vivre dans l’appartement avec ses deux enfants, dont un bébé d’un an, et que tout le monde avait été perturbé par le mauvais comportement de M. B______. Le bail de l’appartement était à son nom. Elle y habitait depuis 2023. Sa relation avec M. B______ était terminée. Très rapidement après qu’il ait emménagé chez elle, elle lui avait dit que cela ne jouait pas qu’il vive avec eux, notamment à cause des enfants. Elle lui avait demandé à plusieurs reprises de quitter le domicile. Il lui disait qu’il allait faire le nécessaire mais n’était jamais parti. Ils n’avaient jamais décidé ensemble qu’il s’installe chez elle. M. B______ s’était installé sans lui demander son avis. Il avait respecté la mesure d’éloignement et n’avait pas cherché à les contacter. Il ne disposait pas des clés de l’appartement. En revanche, il avait une clé de la cave et de l’ascenseur. M. B______ n’avait plus d’affaires personnelles dans l’appartement. Elle avait descendu tous ses vêtements, outils, etc. dans la cave en informant la police qu’il pouvait venir les y récupérer. Il n’avait pas de meubles lui appartenant dans l’appartement. Il lui avait uniquement ramené une table et un petit meuble de cuisine que quelqu’un donnait sur Facebook et qu’elle avait accepté de prendre chez elle. M. B______ n’avait jamais participé au loyer de l’appartement et il ne lui donnait pas d’argent pour le ménage. Il lui arrivait d’acheter de la nourriture et des choses pour l’appartement. Il lui avait donné un airfryer en arrivant du Portugal. S’il souhaitait le récupérer, elle le lui rendrait volontiers, de même que la table et le petit meuble.
Le conseil de Mme A______ a conclu à la prolongation de la mesure d’éloignement pour une durée de trente jours. M. B______ ayant indiqué à la police vouloir se rendre « temporairement » en France, sa cliente craignait qu’il revienne au domicile au bout des onze jours si la mesure n’était pas prolongée. Il avait déjà montré par le passé qu’il n’entendait pas quitter le logement malgré ses engagements.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).
2. Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.
3. La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).
Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).
Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).
Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.
Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de
a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;
b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.
La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de 30 jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).
Elle peut être prolongée pour 30 jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).
En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».
Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).
Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.
4. En l'espèce, les faits dont Mme A______ se plaint d'avoir été victime correspondent à la notion de violences domestiques au sens défini par la loi. M. B______ conteste toute forme de violence et indique, en substance, ne plus vouloir avoir à faire avec Mme A______, souhaitant uniquement pouvoir récupérer ses affaires (notamment des meubles et outils) dans l’appartement.
Cela étant, lors de l’audience, Mme A______ a expliqué craindre qu’il revienne au domicile, quand bien même ils étaient séparés, dès lors qu’elle lui avait déjà à plusieurs reprises, par le passé, demandé de quitter le domicile, ce qu’il n’avait jamais fait, malgré ses engagements.
Dans ces conditions, il apparait nécessaire de s’assurer que l’intéressé ne retourne pas au domicile dès le 2 juin prochain, en lui en interdisant l’accès pour une durée supplémentaire de 30 jours, ceci quand bien même la mesure d'éloignement, a fortiori sa prolongation, n'a pas pour objectif de donner du temps aux personnes concernées pour qu'elles organisent leur vie séparée.
Le tribunal prolongera dès lors la mesure d'éloignement en cause jusqu'au 2 juillet janvier 2025 à 12h00. Partant, pendant cette nouvelle période de 30 jours, il sera toujours interdit à M. B______ de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Mme A______, située avenue du C______ 1______, D______, ainsi que du E______ (E______) situé avenue de F______ 2______, G______, et de contacter ou de s'approcher de celle-ci ainsi que du fils mineur de cette dernière, soit M. H______.
5. Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).
6. Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 28 mai 2025 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 23 mai 2025 à l’encontre de Monsieur B______ ;
2. l'admet ;
3. prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de trente jours, soit jusqu'au 2 juillet 2025 à 12h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;
4. dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;
5. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;
6. dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Marielle TONOSSI
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police pour information.
| Genève, le |
| La greffière |