Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/219/2025 du 27.02.2025 ( LVD ) , REJETE
En droit
Par ces motifs
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 27 février 2025
| ||||
dans la cause
Monsieur A______, représenté par Me Yann ZOSSO, avocat, avec élection de domicile
contre
Madame B______, représentée par Me Camille LA SPADA-ODIER, avocate, avec élection de domicile
COMMISSAIRE DE POLICE
1. Par décision du 21 février 2025, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement courant du 21 février 2025 à 17h00 au 3 mars 2025 à 17h00, soit d'une durée de onze jours, à l'encontre de Monsieur A______, lui interdisant de s'approcher et de contacter Madame B______ et de pénétrer à son adresse privée, située 1______ avenue de C______, D______.
Le séquestre de tous les moyens donnant accès au domicile susmentionné était également ordonné.
Cette décision, prononcée sous la menace de la sanction prévue par l'art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et indiquant notamment que M. A______ devait, dans un délai de trois jours ouvrables, prendre contact avec l'une des institutions habilitées, dont les coordonnées étaient mentionnées, afin de convenir d'un entretien socio-thérapeutique et juridique (cf. art. 10 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 ; LVD - F 1 30) était motivée comme suit :
Description des dernières violences : coup de poing à l'épaule gauche, injures de « pute » et avoir dit « je me contrôle pour ne pas te défoncer ».
M. A______ démontrait par son comportement violent qu'il était nécessaire de prononcer à son encontre une mesure d'éloignement administratif, afin d'écarter tout danger et empêcher toute réitération de tels actes.
2. M. A______, sous la plume de son conseil, a fait opposition à cette décision par acte reçu par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 24 février 2025.
La décision consacrait une violation de son droit d'être entendu. En effet, il avait été auditionné par la police hors la présence de son conseil et sans interprète alors qu'il était de langue maternelle portugaise et que sa maîtrise du français était insuffisante pour une audition par la police.
La décision ne reposait sur aucun élément objectif tel qu'une constatation médicale ou autre élément de preuve. Elle n'avait été prise que sur la base des déclarations de son épouse. La plainte de cette dernière constituait manifestement des représailles en réaction à l'annonce qu'il lui avait faite de vouloir se séparer et si possible divorcer.
Il considérait être un père et un époux exemplaire ce dont son entourage pouvait témoigner. Il entretenait une relation très étroite avec ses enfants, notamment en raison du fait qu'il travaillait de nuit et qu'il disposait ainsi de nombreuses journées de libre pour s'occuper d'eux. Il était à la recherche d'un nouveau logement, à proximité de celui des enfants. Il était ainsi prévu qu'il quitte le logement familial aussitôt qu'il aurait trouvé une solution de relogement acceptable. Le maintien de la décision portait néanmoins atteinte à ses intérêts dans la mesure où elle créait une présomption qu'il aurait eu un comportement inadmissible ce qui n'était pas le cas. La mesure portait surtout atteinte aux intérêts des enfants, auxquels son épouse lui refuserait assurément l'accès.
3. Selon le rapport de renseignements établi par la police le 21 février 2025, Mme B______ s'est présentée le même jour en larmes au poste de la E______ afin de déposer plainte contre son mari.
Lors de son audition, elle a indiqué que le couple est marié depuis 2008 et avait trois enfants : F______, 13 ans, G______, 10 ans et H______, 5 ans. Après la naissance de leur dernier enfant, son mari l'avait déjà menacée de quitter le domicile et elle insistait pour qu'il reste. Leur relation avait commencé à se détériorer depuis la naissance des enfants. Il exerçait des pressions psychologiques en lui disant « va travailler ». Elle devait s'occuper des enfants, du foyer, faire les courses et elle n'avait pas le temps de chercher du travail. Il ne l'avait d'ailleurs jamais soutenue dans ses recherches d'emploi. Selon elle, il ne souhaitait pas qu'elle trouve du travail mais il la menaçait toujours quand elle ne cherchait pas. Il ne voulait pas qu'elle travaille plus que lui car il voulait la garder sous son emprise. Pendant le Covid, elle était restée à la maison alors que son mari sortait rencontrer des amis qui avaient 20 ans de moins que lui. Elle avait commencé à comprendre qu'il menait une vie parallèle.
Lors d'un séjour au Brésil, il y avait une quinzaine d'années, son mari lui avait donné plusieurs coups de poing au visage. Elle n'avait pas déposé plainte ni consulté un médecin pour ces faits. Elle ne savait plus qui était son mari, et il l'avait menacée de quitter le domicile. Elle avait fait plusieurs dépressions. Cela faisait cinq ans qu'elle ne pouvait plus se rendre au Brésil avec ses enfants alors que lui partait tout seul. Elle était aveuglée et amoureuse. Maintenant, il ne pensait qu'à lui, il ne pensait qu'à l'insulter et il dormait toute la journée. Il était macho car il payait les factures et c'était lui qui commandait. Il n'avait jamais voulu changer de travail et il lui mettait la pression en lui disant d'aller travailler. Il ne voulait pas s'occuper des enfants. Elle demandait à ses parents de venir s'occuper des enfants mais lui ne voulait pas qu'ils viennent à la maison et elle avait peur qu'il fasse du mal à ses parents. Il n'avait jamais été violent physiquement envers ses parents mais leur avait mal parlé par le passé. Les pressions psychologiques avaient débuté cinq ans plus tôt. Sept mois plus tôt, il menaçait de quitter la maison et elle lui avait dit qu'il fallait qu'ils divorcent. C'est à ce moment qu'il avait commencé à devenir menaçant et à l'insulter devant les enfants en la traitant de « pute ». Et en lui disant « je me force à ne pas te défoncer ».
Ce jour, alors qu'elle préparait les enfants pour aller à l'école, son mari était couché sur le canapé et avait commencé à ricaner pour la provoquer. Il était venu dans la chambre de la petite H______ et elle lui avait dit « va rire de ta mère ». Il avait commencé à s'énerver à crier « ne parle pas de ma maman comme ça ». Il s'était approché d'elle et lui avait donné un coup de poing sur l'épaule gauche. H______ avait assisté au coup et les deux autres enfants avaient entendu les mots. Avant que les enfants partent, elle leur avait fait un bisou mais elle était en pleurs. Elle avait averti la maîtresse de H______ de ce qui s'était passé. Son aîné avait déjà vécu plusieurs fois ces conflits. Il l'avait appelée et elle lui avait proposé de l'accompagner à l'arrêt de bus ce qu'il avait accepté.
Durant la dispute de ce jour, il n'y avait eu qu'un seul coup à l'épaule gauche. Elle ne l'avait pas frappé. Il ne l'avait pas injuriée aujourd'hui mais il lui avait dit qu'il ne voulait plus que sa famille vienne à la maison. Il lui avait également dit qu'il ferait tout pour lui enlever les enfants. En 2024, à une date dont elle ne se souvenait pas, il avait menacé de frapper ses parents s'il les voyait avec les enfants à l'église. Deux jours plus tôt, il lui avait dit « je me contrôle pour ne pas te défoncer ». Il l'avait déjà traité de « pute ».
Son mari ne lui autorisait pas l'accès à son compte bancaire et lui versait environ CHF 1'000.- pour les besoins de ses enfants et la nourriture. Il l'avait menacée de ne plus lui verser cet argent car il disait qu'elle ne savait pas bien gérer l'argent et que cette somme suffisait pour elle et les trois enfants.
Elle a ajouté que son mari n'avait jamais été violent envers les enfants. Par ailleurs, elle avait entamé une procédure de divorce.
4. Entendu le même jour par la police, M. A______ a expliqué que le matin en question, sa femme lui avait demandé d'amener son fils au taekwondo de manière agressive. Suite à son refus, elle avait commencé à lui crier dessus. Il avait fait un bisou à ses enfants et était allé se coucher dans leur chambre.
La relation avec sa femme était finie. Il avait contacté un avocat afin de divorcer dans les meilleures conditions. Il allait demander la garde partagée.
Il ne se rappelait pas avoir porté des coups à sa femme lors d'un séjour au Brésil, il y avait 15 ans. Il était exact qu'il avait demandé à sa femme de chercher du travail. Il ne l'avait en revanche jamais injuriée. Il reconnaissait avoir dit à sa femme le 19 février 2025 « je me contrôle pour ne pas te défoncer ». Elle criait beaucoup, même sur les enfants. Elle n'arrivait plus à se contrôler et criait tout le temps. Ce jour, sa femme avait préparé les enfants pour les emmener à l'école. Elle avait commencé à crier. Il était entré dans la chambre de leur petite fille et sa femme avait commencé à insulter sa mère de 80 ans. Il avait voulu s'expliquer avec elle. Elle avait forcé le passage et il avait mis la main dans sa direction et là il l'avait touchée à l'épaule avec la paume ouverte mais il ne voulait pas la frapper.
Il avait des amis à Genève chez qui il pourrait dormir quelques jours.
5. À l'audience du 26 février 2025 devant le tribunal, M. A______ a confirmé qu’il s’opposait à la mesure d'éloignement. En effet, s'il était exact qu’ils avaient eu une dispute, sa femme et lui, le 21 février 2025 au matin, il ne l’avait en tous les cas pas frappée. Il ne l’avait pas non plus insultée.
Concernant le déroulement des faits, il a confirmé ceux déclarés à la police. En résumé, sa femme préparait les enfants pour aller à l'école. Elle lui avait demandé s’il pouvait aller déposer puis chercher F______ à son cours de taekwondo. Il avait refusé car il avait prévu de faire des petits salés avec G______. Sa femme s'était alors énervée. Elle avait dit beaucoup de choses et s'était mise à mêler sa mère à tout cela. Ils s'étaient retrouvés dans la chambre de H______ qui était une petite pièce. Sa femme était passée juste à côté de lui en criant.
Concernant l'épisode du 19 février 2025, il a exposé que sa femme criait très souvent le matin, sans raison. Ce jour-là, il lui avait demandé de se calmer et si elle ne souhaitait pas une vie meilleure. Sur quoi, elle lui avait demandé pourquoi il lui posait cette question. Il l'avait alors prié d'arrêter car il n'en pouvait plus car sinon, il allait exploser. Il contestait ainsi la transcription de ses propos par la police selon laquelle il aurait dit "qu’il se contrôlait pour ne pas la défoncer".
Mme B______ a exposé le contexte de la dispute du 21 février 2025. Elle a précisé d'entrée de cause que son mari avait expliqué aux enfants en juillet 2024 qu'il allait quitter la maison dès le 4 août suivant. Dès lors et depuis tout ce temps, elle ne considérait plus qu'ils formaient un couple. Dans ces conditions, son mari dormait soit sur le canapé du salon, soit durant la journée dans le lit conjugal. Elle précisait que son mari travaillait de nuit. Quant à elle, elle dormait dans la chambre qui était la leur et les enfants venaient fréquemment dormir avec elle. Or, le matin du 21 février 2025, son mari avait demandé aux enfants de ne plus dormir dans le lit conjugal, ce qu'il avait d'ailleurs déjà demandé par le passé. Elle a expliqué à ce sujet qu’elle trouvait normal que les enfants expriment le besoin de dormir avec elle, compte tenu de la situation particulière qu'ils avaient à traverser.
Elle a confirmé pour l'essentiel les faits tels qu'ils étaient exposés dans le procès-verbal de la police. Elle a affirmé qu’elle n’avait en tous les cas pas dit du mal de la mère de son mari. Toutefois, elle avait constaté que son mari était devenu hors de lui et qu'il lui avait dit des choses qu'on ne disait pas à la mère de ses enfants. Elle a confirmé qu'il lui avait donné un coup avec son poing même si ce coup ne lui avait pas provoqué d'hématome et qu'il ne lui avait pas fait plus mal que les agressions verbales. Elle a indiqué que les disputes avec son mari avaient commencé depuis longtemps et que ses agressions verbales avaient empiré depuis l'été dernier lorsqu'il avait annoncé aux enfants qu'il entendait quitter la maison.
Ils avaient tenté des thérapies de couple qui n'avaient rien donné compte tenu du refus de son mari à ce sujet.
L'avocate de Mme B______ a indiqué que sa cliente avait déposé une demande de mesures superprovisionnelles auprès du Tribunal de première instance, lequel avait statué par ordonnance du 25 février 2025. Il lui avait attribué provisoirement la jouissance exclusive du domicile conjugal et fait interdiction à M. A______ de se rendre au domicile conjugal jusqu'à la nouvelle décision qui serait rendue après audition des parties.
Elle a également remis au tribunal une attestation de l'association I______, aide aux victimes de violence en couple, datée du 24 février 2025.
Mme B______ a précisé que désormais elle souhaitait se séparer de son mari, si possible à l'amiable. Elle n’était absolument pas opposée à ce que celui-ci entretienne des relations personnelles avec les enfants et elle était d'accord qu'il les voie le plus vite possible, ce qu'il avait déjà fait d'ailleurs en allant manger avec ses deux fils. À ce stade, elle était d'accord que les enfants voient leur papa durant la journée mais il lui semblait toutefois prématuré qu'ils aillent dormir chez lui.
M. A______ a indiqué avoir trouvé un logement provisoire dans lequel il pouvait accueillir ses enfants. Il a persisté dans les termes de son opposition car il contestait fermement les faits qui lui étaient reprochés.
Le conseil de M. A______ a versé à la procédure un chargé de pièces lequel comprenait notamment des attestations de connaissances selon lesquelles celles-ci n'auraient jamais constaté de comportements déplacés de la part de son client, un extrait du casier judiciaire vierge ainsi que des relevés bancaires qui expliquaient pourquoi son client ne versait "que" CHF 1'000.- à son épouse, le reste de son salaire était quoi qu'il en était utilisé pour l'entretien de la famille.
M. A______ a indiqué qu’il avait pris rendez-vous avec l'association J______ qui était est prévu le 11 mars 2025.
Il a reconnu que les disputes qu’ils avaient était fortes et qu'ils leur arrivaient de crier l'un contre l'autre et qu'ils s'insultent sous l'emprise de la colère. Ces disputes venaient essentiellement du fait qu’il demandait à sa femme de travailler, ce qu'elle ne faisait pas. C'était pour lui très difficile d'entretenir seul la famille.
Mme B______ a relaté concernant les CHF 1'000.- qu'il lui donnait, qu'il s'agissait du montant des allocations familiales et que systématiquement il menaçait de ne pas lui verser cette somme prétextant qu’elle ne gérait pas bien l'argent du ménage. Elle se sentait victime de violence économique.
Elle a observé que les déclarations des connaissances de son mari, produites ce jour, émanaient de personnes qu’ils ne fréquentaient pas en famille. D'ailleurs, elle ne connaissait pas M. K______.
Le représentant du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition contre la mesure d'éloignement. Il a rappelé que seuls des indices de violences étaient nécessaires pour un tel prononcé. Concernant le reproche de M. A______ relatif à l'absence d'interprète durant son audition, il n’était pas présent à ce moment. Toutefois, selon les règles, si ce dernier avait demandé la présence d'un interprète, il y aurait été donné suite.
Le conseil de M. A______ a observé que sur l'avis d'arrestation, il était noté de manière erronée que M. A______ était de langue maternelle française.
Le conseil de Mme B______ a indiqué que selon sa cliente, son mari parlait couramment le français.
Le tribunal a relevé par ailleurs l'intense émotion exprimée par des larmes par les deux parties dès le début de l'audience.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).
2. Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.
3. La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).
4. La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).
Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).
Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).
Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.
Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de
a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;
b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.
La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).
Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).
Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.
5. Garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation doit entraîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recourant sur le fond (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 et les références). Il inclut notamment le droit, pour le justiciable, de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, de produire des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 II 218 consid. 2.3 ; 140 I 285 consid. 6.3.1).
6. Selon l'art. 9 al. 1 LVD, la police entend l’auteur présumé et les personnes directement concernées par les violences et les informe qu’une mesure d’éloignement est envisagée. Elle leur donne l’occasion de s’exprimer à ce sujet.
7. Une violation du droit d’être entendu peut toutefois être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s’exprimer devant une autorité de recours jouissant d’un plein pouvoir d’examen, pour autant que celle-ci dispose du même pouvoir d’examen que l’autorité inférieure. Si une telle réparation dépend de la gravité et de l’étendue de l’atteinte portée au droit d’être entendu et doit rester l’exception, elle peut cependant se justifier même en présence d’un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure. En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation (ATA/447/2021 du 27 avril 2021 consid. 6c et les références citées).
8. M. A______ reproche à la décision contestée d'avoir été prise en violation de son droit d'être entendu au motif qu'il n'a pas été assisté d'un interprète lors de son audition devant la police.
Il résulte toutefois du dossier transmis au tribunal, d'une part que le formulaire des droits et obligations mentionnant qu'il pouvait demander l'assistance d'un interprète lui a été notifié et d'autre part, que selon le procès-verbal d'audition du 21 février 2025 qu'il a signé, il a d'emblée indiqué à la police qu'il n'avait pas besoin d'un traducteur. De plus, lors de l'audience devant le tribunal, durant laquelle il était dûment assisté d'un interprète, il a indiqué au tribunal qu'il confirmait ses déclarations faites à la police, sous réserve de l'une d'elle qu'il a tenu à rectifier, ce qui tend à démontrer que M. A______ a non seulement saisi les questions qui lui ont été posées par la police mais également que ses propos ont été compris et globalement retranscrits correctement.
En conséquence, ce grief sera rejeté.
9. Concernant la situation du couple, selon Mme B______, les violences physiques et verbales auraient déjà fait leur apparition vers 2010 au Brésil, elles auraient repris après la naissance des enfants puis augmenté dès l'été 2024 au moment où son époux aurait annoncé qu'il souhaitait quitter le domicile conjugal. Elle entend désormais mettre un terme à la vie commune et a entamé une procédure de séparation. Quant à M. A______, s'il conteste toute violence, tant verbale que physique de sa part, il admet que de fortes disputes ont lieu fréquemment, incluant cris et insultes réciproques. Il souhaite désormais la séparation et n'entend plus réintégrer le domicile familial.
Même si les déclarations des époux sont contradictoires sur certains aspects, notamment sur les raisons des difficultés qu’ils rencontrent actuellement - tous les deux s’estimant être victime de violence de la part de l’autre, particulièrement verbale et psychologique - il ressort clairement de leurs déclarations que la situation entre eux est conflictuelle et tendue, et que la communication est particulièrement difficile. Ils font d'ailleurs chambre à part depuis près de sept mois et ont, en vain, tenté une thérapie de couple.
À ce stade, il s'agit pour le tribunal d'examiner si c'est à juste titre que le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement du domicile familial à l'encontre de M. A______ et lui a en outre fait interdiction de contacter et de s'approcher de sa femme.
En accordant du crédit à ce que déclare chacune des parties, il peut être retenu qu'il existe suffisamment d'éléments pour retenir la survenance de violences domestiques au sein du couple. Cela étant, la question n'est pas de savoir lequel des époux est plus responsable que l'autre de la situation, ce qui est bien souvent impossible à établir. L'essentiel est de séparer les conjoints en étant au moins à peu près certain que celui qui est éloigné du domicile conjugal est lui aussi l'auteur de violences.
Dans ces circonstances, vu en particulier le caractère récent des événements, de la situation visiblement conflictuelle et complexe dans laquelle les deux époux se trouvent, de la tension qui entache leurs rapports, la perspective qu'ils se retrouvent immédiatement sous le même toit, ou en présence l'un de l'autre ou encore qu'ils aient des contacts directs apparaît inopportune, quand bien même il est évident que la mesure d'éloignement administrative ne permettra pas, à elle seule, de régler la situation.
10. Par conséquent, étant rappelé, comme précisé plus haut, que les mesures d'éloignement n'impliquent pas un degré de preuve, mais une présomption suffisante des violences et de la personne de leur auteur, le tribunal confirmera, en l'espèce, la mesure d'éloignement prononcée à l'égard de M. A______. Prise pour une durée de onze jours, elle n'apparaît pas disproportionnée, l’intéressé n'étant pas empêché de voir ses enfants et ayant trouvé un logement provisoire. L'atteinte à la liberté personnelle de M. A______ résultant de la décision entreprise, qui apparaît utile, nécessaire et opportune, demeure acceptable, étant observé qu'aucune autre mesure moins incisive ne serait envisageable pour atteindre le but fixé par la LVD.
11. S'agissant des enfants du couple, lesquels ne sont pas visés par la mesure, il est pris note que Mme B______ n'a pas d'objection sur le principe que son mari entretienne des relations personnelles avec leurs enfants. Il appartiendra donc aux intéressés, par l'intermédiaire de leurs avocats ou avec l'aide de tiers, de convenir des modalités d'éventuels contacts et/ou visites, lesquelles échappent à la compétence et au pouvoir d'intervention du tribunal.
12. Enfin, il sera rappelé que M. A______ pourra venir chercher dans l'appartement conjugal, ses effets personnels, à une date préalablement convenue par les parties et accompagné de la police.
13. Par conséquent, l'opposition sera rejetée et la mesure d'éloignement confirmée dans son principe et sa durée.
14. Il ne sera pas perçu d'émolument ni alloué d’indemnité (art. 87 al. 1 LPA).
15. Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable l'opposition formée le 24 février 2025 par Monsieur A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 21 février 2025 pour une durée de onze jours ;
2. la rejette ;
3. dit qu'il n'est pas perçu d'émoluments ni alloué d'indemnité ;
4. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;
5. dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
| Genève, le |
| La greffière |