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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/387/2025

JTAPI/151/2025 du 07.02.2025 ( LVD ) , REJETE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/387/2025 LVD

JTAPI/151/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 7 février 2025

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Pierre-Bernard PETITAT, avocat, avec élection de domicile

 

contre

Madame B______ et son fils mineur C______, représentés par Mes Claudia GOMES PINTO et Cyril AELLEN

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 31 janvier 2025, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de Monsieur A______, connu également sous l'identité E______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de son épouse, Madame B______, située ______[GE], et de la contacter ou de s'approcher d'elle ainsi que de leur enfant mineur C______, né le ______ 2014.

2.             Selon cette décision, A______ a, le 24 janvier 2025, avait frappé à deux reprises son fils au visage. Une fois en lui donnant une gifle et une autre, en lui donnant un coup avec la main ouverte ou fermée. Il avait également fouetté, avec une couverture, le pied de sa femme, ce qui l'avait blessée légèrement au gros orteil du pied droit. En 2021, A______ avait poussé une chaise contre le pied de son épouse, ce qui lui avait cassé l'ongle du gros orteil du pied droit. Dans la description des violences de ladite décision, les noms des époux ont été inversés.

3.             Il ressort du rapport de renseignement du 31 janvier 2025, que Mme B______ s'était présentée le même jour au poste de police afin de déposer plainte pénale contre son époux.

4.             Entendue dans la foulée, cette dernière a déclaré qu'en 2021, son époux avait frappé C______ et avait poussé une chaise contre son pied, ce qui avait cassé son ongle. Ensuite de cela, elle avait été vivre en foyer avec l'une de ses filles et entamé une procédure de séparation. C______ vivait dans un autre foyer et ses deux autres filles étaient restées avec leur père. La famille s'était ensuite réunie et avait vécu paisiblement jusqu'au 24 janvier 2025, vers 21h00. Ce soir-là, lors d'une dispute, son époux avait giflé C______ sur le côté gauche de son visage, lui provoquant une blessure, avant de lui donner un coup sur le côté droit, lui occasionnant une griffure. Son époux s'était ensuite saisi d'une couverture qu'elle portait sur le dos et l'avait enroulée pour la fouetter, atteignant son orteil droit, ce qui avait provoqué un gonflement et des douleurs. La situation entre ses enfants et son époux était tendue. Suite aux événements du 24 janvier 2025, ils avaient peur de leur père.

5.             C______ a été auditionné le même jour, selon le protocole EVIG. Il n'a toutefois pas fait d'allégation relative à des faits de violences.

6.             Egalement interrogé le même jour, A______ a expliqué que son épouse était rentrée au domicile familial à la fin de l'année 2022 et C______ en août 2024. Il ne se souvenait pas de faits de violences le 24 janvier 2025. Son fils n'avait pas été au football ce jour-là car il s'était blessé à la tête, durant la récréation, en jouant au football. Il avait deux bosses. C'est le directeur de l'école qui le lui avait dit. Il n'avait jamais frappé ses enfants ni son épouse. Cette dernière avait menti.

7.             Des photographies annexées au rapport de police démontrent des blessures sur le front droit et gauche de l'enfant C______.

8.             A______ a fait opposition, sous la plume de son conseil, à cette décision par acte reçu par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 5 février 2025.

Il niait les faits reprochés et avoir eu un comportement violent. Il s'agissait d'accusations sans preuve de son épouse, procédé qu'elle avait déjà usé dans le passé, avec succès. Il avait souhaité déposer plainte à son encontre pour fausses déclarations mais la police avait refusé d'enregistrer sa plainte. Il logeait chez une connaissance et avait pris contact avec VIRES en vue d'un entretien la semaine suivante.

9.             Lors de l'audience du 7 février 2025 devant le tribunal, Mme B______ a déposé une demande de prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours.

Elle craignait d'autres violences de la part de son époux, lequel avait un passé de violences domestiques et avait été condamné pénalement le 18 juin 2024. Depuis lors, les violences et menaces n'avaient pas cessées. Elle craignait des représailles et subissait des tentatives de pression et de la violence depuis plusieurs années.

Elle a par ailleurs déclaré qu'en 2021, son époux avait frappé C______, à plusieurs occasions, sur la tête avec sa main. A la même époque, il l'avait frappée avec une chaise sur le pied, ce qui avait cassé l’ongle de son orteil. Le 24 janvier 2025, son époux avait à nouveau frappé C______ sur la tête, avec sa main ouverte, ce qui lui avait provoqué des marques sur le tympan et des griffures au niveau de la joue gauche. Par la suite, il avait pris une couverture et l'avait frappée avec, lui provoquant des douleurs au pied. Depuis le prononcé de la mesure d'éloignement, il l'avait appelée à quatre reprises au téléphone mais elle ne lui avait pas répondu. C______ avait essayé d'appeler son père mais elle le lui avait interdit. Son époux avait également téléphoné à l'une de ses amies pour obtenir des informations à son sujet et savoir comment elle avait pu porter plainte contre lui. Elle souhaitait se séparer de son époux car elle avait peur pour elle et ses enfants. Il avait déjà frappé D______, âgée de huit ans, à deux reprises. Parfois, les enfants jouaient et il saisissait le bras d'D______ fortement alors qu'elle était très fragile. Son mari ne considérait pas qu'elle était une femme. Par exemple, lorsqu'elle essayait d'éduquer les enfants et il la contredisait. S'ils devaient se retrouver à nouveau sous le même toit elle craignait qu'il la frappe à nouveau ainsi que les enfants. Il l'insultait devant les enfants en lui disant qu'elle n'était pas éduquée car elle n'avait pas fait d'études poussées. Elle n'avait pas pu car chaque année elle tombait enceinte. Il ne voulait pas qu'elle s'inscrive à l'école. Le vendredi 24 janvier 2025, le directeur de l'école l'avait appelée pour l'informer que C______ avait reçu un ballon de football sur le front ce qui lui avait provoqué une bosse. Il s'agissait de la bosse que l'on voyait sur la photographie présentée par la Présidente. Elle ne savait pas si le directeur avait eu son époux au téléphone à ce sujet. Ses quatre enfants avaient peur de son époux. Si C______ n'avait rien dit lorsqu'il avait été auditionné à la police c'est qu'il avait peur d'être frappé encore plus par son père.

Elle a déposé un chargé de pièces dont des photographies de trois appels manqués de son époux, les 24 janvier et 1er février 2025.

Quant à lui, A______ a déclaré qu'il n'y avait jamais eu de problèmes en 2021 à la maison. C'est son épouse qui créait des problèmes. Il ne l'avait jamais frappée ni son fils d'ailleurs. Le 24 janvier 2025, il s'était rendu à l'école pour chercher son fils et il avait constaté que ce dernier avait une bosse sur le front. Il avait donc pris une photographie. Le directeur lui avait expliqué qu'un enfant avait frappé son fils. Il l'avait ensuite soigné avec des gels et des crèmes. S'il était vrai qu'il avait été condamné pénalement, c'était à cause de son épouse car elle avait porté plainte contre lui, mais ce n'était pas à cause de ses propres actions. Il avait été condamné à tort. Il n'avait jamais rien fait. Ce n'était pas lui qui avait provoqué les blessures sur son fils que l'on voyait sur les photographies. Il s'agissait d'anciennes blessures. Son épouse disait que les enfants avaient peur de lui mais ce n'était pas vrai. Il s'occupait d'eux depuis dix ans alors qu'elle non. Il avait de bonnes relations avec eux. C'est lui qui les soignait, se rendait au football avec eux, alors qu'elle ne faisait rien.

Il s'opposait à la mesure d'éloignement ainsi qu'à sa prolongation. Il vivait chez un ancien collègue aux ______ [GE] et avait téléphoné à VIRES pour fixer un entretien le lundi 10 février 2025 à 13h30. Il avait effectivement fait des appels vidéos à son épouse depuis le prononcé de la mesure d'éloignement car il voulait voir ses enfants. Il avait bien compris ses obligations, à savoir qu'il n'avait pas le droit de contacter ni son épouse ni son fils soit directement soit au travers de tiers. Sa femme mentait. Elle avait des problèmes. Elle était tout le temps en train de déposer plainte à la police pour créer des problèmes. Elle était très dangereuse car elle faisait des photographies et les apportait ensuite à la police. Il souhaitait se séparer d'elle car elle était trop dangereuse. C'était lui qui payait tout à la maison et qui gérait tout, factures, courrier, etc. C'était donc à lui de rester à la maison. Quand il s'absentait, c'était catastrophique. Elle ne faisait rien d'un point de vue administratif. S'il rentrait à la maison, il n'y aurait aucun souci. Chacun resterait dans sa chambre et les enfants ne seraient même pas au courant qu'ils avaient des soucis. C'était très important pour lui que ses enfants restent calmes. Il comptait demander la garde des enfants et l'attribution du logement familial.

Me PETITAT a plaidé et conclut à la levée de la mesure d'éloignement et au rejet de la prolongation de celle-ci.

Le représentant du commissaire de police a indiqué que les parties avaient été inversées par négligence dans la partie "EN FAIT" de la décision attaquée et a conclu au rejet de l'opposition de la mesure d'éloignement et s'en est rapporté à justice s'agissant de la prolongation de celle-ci.

Me GOMES PINTO a conclu au rejet de l'opposition de la mesure d'éloignement et à la prolongation de celle-ci pour une durée de trente jours.

10.         A______ a été condamné définitivement le 18 juin 2024, par la Chambre pénale d'appel et de révision, pour lésions corporelles simples (art. 123 ch. 2 al. 3 et 4 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0)), voies de fait (art. 126 al. 1 et 2 let. a et b CP), contrainte (art. 181 CP) (ch. 1.3. a) et b)), injure (art. 177 al. 1 CP) et violation du devoir d'assistance et d'éducation (art. 219 al. 1 CP), à une peine privative de liberté de 11 mois et à une peine pécuniaire de 30 jours-amende, à CHF 30.-, avec sursis, délai d'épreuve 3 ans.

En substance, il lui était reproché d'avoir commis des actes de violences sur son épouse et son enfant, notamment par des coups avec un câble USB sur la tête de C______, en situation de vulnérabilité en raison d'un handicap, ainsi que de la contrainte et des insultes à l'égard de son épouse, entre 2018 et 2021.

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.

3.             La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             En l'espèce, les déclarations circonstanciées, constantes et mesurées de Mme B______ sont crédibles et corroborées par les photographies des blessures de l'enfant C______. De son côté, la version de A______ qui nie toute violence à l'égard de son fils et de son épouse, prétendant qu'il s'agit de mensonges de la part de cette dernière n'emporte pas conviction. Par ailleurs, ce dernier ne s'est pas conformé à l'interdiction qui lui a été faite de ne pas contacter son épouse Enfin, malgré sa condamnation à une peine privative de liberté sévère, A______ persiste à dire qu'il n'a commis aucune violence et a été condamné à tort. Il n'a aucun retour sur lui-même, ce qui suffit déjà à admettre un risque élevé de réitération s'il devait retourner au domicile familial. Au vu de ces éléments, il existe des éléments concrets que Mme B______ et C______ subissent des violences de la part de A______. Dans ces circonstances, vu en particulier le caractère récent des événements et de la tension qui entache les rapports des parties, la perspective qu'ils se retrouvent immédiatement sous le même toit apparaît inopportune, quand bien même il est évident qu'une mesure d'éloignement administrative ne permettra pas, à elle seule, de régler la situation.

6.             Par conséquent, l'opposition sera rejetée et la mesure d'éloignement confirmée dans son principe et sa durée.

7.             La demande de prolongation sera admise et la mesure d'éloignement prolongée pour une durée de 30 jours, soit jusqu'au 13 mars 2025 à 17h00.

8.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

9.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 4 février 2025 par Monsieur A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 31 janvier 2025 pour une durée de dix jours ;

2.             la rejette ;

3.             déclare recevable la demande formée par Madame B______ le 7 février 2025 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 31 janvier 2025 à l’encontre de Monsieur A______ ;

4.             l'admet ;

5.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours, soit jusqu'au 13 mars 2025 à 17h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

6.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA) ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

8.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties et pour information au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant.

Genève, le

 

La greffière