Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/1298/2024 du 27.12.2024 ( LVD ) , ADMIS
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 27 décembre 2024
|
dans la cause
Madame A______
contre
COMMISSAIRE DE POLICE
Monsieur B______
1. Par décision du 23 décembre 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de Madame A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de son époux, Monsieur B______, située ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de celui-ci.
2. Selon cette décision, Mme A______ avait, courant novembre 2024, menacé de jeter de l'acide sur son époux durant son sommeil, menaces qu'elle avait déjà proférées courant 2022.
3. Selon le rapport de renseignement du 23 décembre 2024, M. B______ avait déposé plainte pénale contre son épouse le même jour.
Auditionné dans la foulée, ce dernier a déclaré que depuis que son épouse avait son permis C, son comportement avait changé. Elle lui manquait de respect. Elle lui disait que depuis qu'elle avait ses papiers et qu'elle était en Europe, elle voulait que son époux lui laisse faire sa vie. Ils se disputaient souvent au sujet des sorties car elle allait dans les fêtes et rentrer tard. La situation s'était détériorée depuis quatre ans. Lors des disputes, il n'y avait pas de violences physiques mais uniquement verbales. A une reprise, en 2016 ou 2017, elle l'avait giflé. En 2022, elle lui avait dit qu'un jour, elle lui jetterait de l'acide pendant son sommeil et sur ses vêtements, menaces qu'elle avait répétées à une reprise, après le 28 octobre 2024. Durant leurs disputes, son épouse le traitait d'imbécile. Au mois d'octobre, il avait entamé une procédure de divorce.
4. Entendue par la police le même jour, Mme A______ a nié les faits. Ils avaient des disputes mais rien d'anormal. Elle refusait d'être éloignée de ses enfants dont elle s'occupait et ne voulait pas les perturber.
5. Mme A______ a fait immédiatement opposition à la décision susmentionnée, devant le commissaire de police le 23 décembre 2024.
6. Le 27 décembre 2024, à 9h54, M. B______ sa déposé auprès du tribunal une demande de prolongation de la mesure d'éloignement, pour une durée de trente jours.
Cette demande était motivée par la persistance du comportement menaçant et perturbateur de son épouse. Il en voulait pour preuve que le 24 décembre 2024, son premier fils, alors qu'il était au téléphone avec sa mère, avait voulu empêcher que ses deux frères et sœurs se rendent au réveillon chez sa propre sœur. Il souhaitait qu'ils viennent chez sa petite-amie. La police était intervenue. En faisant cela, son épouse continuait à prendre des actions délibérées et violentes afin de lui nuire, mettant sa sécurité en péril.
A l'audience du 27 décembre 2024 devant le tribunal, M. B______ a déclaré que son épouse l'avait menacé de lui asperger de l'acide dessus. La première fois, c'était en 2022. La deuxième fois, en novembre de cette année. Il n'y avait pas d'acide au domicile conjugal. Il avait peur de son épouse. Elle l'avait giflé une fois, il y a longtemps, en 2017 peut-être. Elle le traitait d'imbécile et de vaurien lors de disputes. Il ne se souvenait pas l'avoir insultée, hormis le fait de lui avoir dit qu'elle était malade ou que ce qu'elle faisait était malade. Les enfants vivaient à la maison, depuis le prononcé de la mesure d'éloignement. Il souhaitait définitivement se séparer de son épouse et allait déposer une demande de divorce au tribunal. Depuis le prononcé de la mesure d'éloignement, son épouse ne l'avait pas contacté. Par contre, elle le manipulait par le biais de leur premier fils, comme il l'avait indiqué dans sa demande de prolongation. Elle avait instruit son fils au téléphone, le 24 décembre 2024, pour que ses deux autres enfants ne viennent pas au réveillon chez sa sœur. Alors que C______ était au téléphone avec sa mère, il avait appelé la police. Des agents étaient intervenus et finalement, les enfants étaient restés à la maison. Si son épouse revenait à la maison, il n'aurait pas de problème avec elle. Personnellement, il n'avait pas d'intentions belliqueuses. Cela dépendrait de son comportement à elle. Comme ils dormaient ensemble, il avait tout de même peur car il ne connaissait pas ses véritables intentions. Son épouse ne l'avait jamais frappé. Si elle rentrait à la maison, il n'y aurait pas de problème mais il était tout de même inquiet car elle lui faisait des piques sur les réseaux sociaux et cela pouvait l'agacer.
Mme A______ a contesté les menaces à l'égard de son époux. Si ce dernier affirmait cela, c'était pour se débarrasser d'elle. En réalité, c'est lui qui la menaçait. Comme il l'avait fait venir en Suisse, il lui disait toujours, durant les disputes, qu'il la ferait retourner au pays. Elle ne l'avait jamais giflé ni ne l'avait traité d'imbécile. C'est lui qui l'injuriait ainsi. Actuellement, elle vivait au foyer D______. Elle gagnait environ CHF 1'800.- par mois pour des ménages. S'agissant de l'histoire avec C______ le 24 décembre 2024, elle n'était pas au courant de rien. Elle n'était pas au téléphone avec lui à ce moment-là. Par contre, lorsque la police est arrivée, sa fille l'avait appelée pour lui raconter ce qu'il s'était passé. Jusqu'alors, elle n'avait pas reçu de demande de divorce. Elle commençait à avoir peur de son époux car il disait des choses fausses. Elle devait s'occuper des enfants. Ils avaient encore besoin d'elle. C'est elle qui s'en occupait. Lui voyageait, parfois six mois en Angola. Elle souhaitait se séparer de son époux. Si elle devait cohabiter avec lui de nouveau, elle dormirait avec sa fille. Ils se disputaient depuis février 2024 au sujet de terrains qu'il avait vendus sans lui en parler. Son mari l'accusait de choses fausses pour se débarrasser d'elle.
Son conseil a plaidé et conclu à la levée de la mesure d'éloignement et au rejet de la prolongation de celle-ci.
Le représentant du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition de la mesure d'éloignement et s'en est rapporté à justice s'agissant de la prolongation de la mesure d'éloignement.
M. B______ a conclu au rejet de l'opposition de la mesure d'éloignement et à sa prolongation.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police et de leurs demandes de prolongation (art. 11 al. 1 et 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).
2. Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 et 2 LVD.
3. La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).
4. La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).
Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).
Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).
Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.
Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de
a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;
b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.
La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).
Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).
Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.
5. En l'espèce, les déclarations des parties sont contradictoires sans qu'il ne soit possible d'établir ce qu'il s'est réellement passé en l'absence d'autres preuves que les déclarations des protagonistes. Par ailleurs, les derniers évènements, à suivre la version de M. B______, se seraient passés il y a plus d'un mois. La violence domestique, au sens défini plus haut, n'est pas avérée ni présumée dans le cas d'espèce. Par ailleurs, M. B______ a expliqué qu'il ne voyait pas de problèmes à cohabiter avec son épouse et que cela pourrait bien se passer. La volonté de ce dernier au maintien de la mesure d'éloignement et à sa prolongation apparait plus dictée par son désir de séparation que par la peur de subir des violences domestiques. Or, la mesure d'éloignement n'a pas pour but de permettre l'organisation de la séparation civile mais d'éviter le risque de réitération de violences.
6. Par conséquent, l'opposition sera admise et la demande de prolongation rejetée.
7. Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).
8. Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable l'opposition formée le 23 décembre 2024 par Madame A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 23 décembre 2024 pour une durée de dix jours, enregistrée sous le numéro de cause A/4256/2024 ;
2. déclare recevable la demande de prolongation de la mesure d'éloignement formée le 27 décembre 2024 par Monsieur B______, pour une durée de trente jours, enregistrée sous le numéro de cause A/4261/2024 ;
3. joint les procédures sous le numéro de cause A/4256/2024 ;
4. admet l'opposition formée le 23 décembre 2024 par Madame A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 23 décembre 2024 ;
5. lève la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 23 décembre 2024 ;
6. rejette la demande de prolongation de la mesure d'éloignement formée le 27 décembre 2024 par Monsieur B______ ;
7. dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;
8. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;
9. dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Gwénaëlle GATTONI
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
Genève, le |
| La greffière |