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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/4153/2024

JTAPI/1259/2024 du 19.12.2024 ( LVD ) , ADMIS

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4153/2024 LVD

JTAPI/1259/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 19 décembre 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Mélanie MATHYS DONZE, avocate, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur B______

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 9 décembre 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Madame A______, située, ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de celle-ci.

2.             Selon cette décision, M. B______ était présumé avoir contraint et injurié Mme A______ et, précédemment, lui avoir donné un coup de tête au visage.

3.             Entendue par la police le 9 décembre 2024, avant que cette décision ne soit prise, Mme A______ a expliqué en substance avoir rencontré son mari en 2018 lors d'un séjour à Genève, puis être retournée au Pérou. Il y avait eu d'autres aller-retours en 2019 et 2020, avant qu'elle ne revienne à Genève en 2021 avec son fils d'une première union. Elle s'était mariée avec M. B______ en novembre 2021. A partir de 2022, elle avait commencé à s'apercevoir qu'il avait moins de patience avec son fils, puis en mai 2022, ils avaient eu un conflit à l'issue d'une soirée arrosée et son mari avait crié sur elle et était devenu très menaçant verbalement, au point de vouloir la taper. Des passants étaient intervenus, puis la police. Il s'était à nouveau montré menaçant avec elle en décembre 2022, lors d'une nouvelle dispute. Il avait notamment commencé à taper contre les murs de l'ascenseur dans lequel ils se trouvaient et n'arrêtait pas de lui crier dessus. Elle avait alors décidé de retourner au Pérou. Son mari l'y avait rejointe en mai 2023 en lui demandant de revenir, ce qu'elle avait accepté en juin de la même année. Fin juin 2023, il avait perdu son travail. A la fin de juillet 2023, dans le cadre d'une fête où son mari avait bu, celui-ci s'était fâché lorsqu'elle lui avait demandé d'arrêter de boire et il lui avait donné un coup de tête au visage, devant tout le monde. Le lendemain, elle avait le nez tout bleu. Elle était tombée enceinte de son mari en juillet 2023. Durant sa grossesse, il n'avait jamais levé la main sur elle, mais il lui tenait des propos blessants qui la faisaient pleurer. Il se montrait également très distant avec elle. Elle avait accouché de leur enfant en avril 2024. En octobre 2024, suite à une opération qu'elle avait subie, son mari avait demandé à sa mère de venir à la maison pour s'occuper de l'enfant. Lors d'une dispute avec son mari, la mère de ce dernier s'en était mêlée, reprochant à sa belle-fille de se servir de son mari. Au départ de la mère de M. B______, celui-ci s'était excusé pour son comportement, mais des disputes étaient survenues plus régulièrement durant le mois de novembre. Son mari lui tenait alors des propos humiliants. Deux jours auparavant, il lui avait dit qu'il avait honte d'être avec elle et qu'il ne l'aimait pas et ils avaient rompu. Ensuite, le 9 décembre 2024, il était revenu vers elle en lui disant que ce qu'il lui avait dit n'était plus valable et qu'il souhaitait poursuivre leur relation, ce qu'elle avait refusé. Elle avait alors vu son visage changer et il avait essayé de lui cracher dessus, mais elle était partie et s'était rendue à la police.

4.             Egalement entendu par la police le 9 décembre 2024, M. B______ a en substance admis avoir eu avec son épouse des disputes lors desquelles il lui avait crié contre, alors qu'il était ivre. Il était vrai également que, lors d'une fête où il était alcoolisé, il avait malencontreusement donné un coup de tête sur le nez de son épouse. La période de la grossesse avait été compliquée et avait engendré des disputes.

5.             Par acte du 13 décembre 2024, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 16 décembre 2024, Madame A______ a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de 30 jours, en expliquant en substance qu'elle était sur le point de déposer une requête en mesures protectrices de l'union conjugale avec mesures superprovisionnelles, mais qu'elle avait besoin de protection jusque-là.

6.             Lors de l’audience du 18 décembre 2024, Mme A______ a repris en substance les explications qu'elle avait données à la police, tout en précisant le contexte et les circonstances de certains épisodes de violence. Elle a notamment expliqué que lorsque sa belle-mère avait temporairement logé chez eux, celle-ci l'avait violemment dénigrée et que son mari avait repris ces critiques à son compte. Elle avait été durement blessée par ce comportement.

M. B______ a déclaré en substance avoir pris conscience de la nécessité d'un changement de sa part et qu'il était prêt à tout mettre en œuvre pour sauver son mariage, puisque son épouse était disposée à lui donner une dernière chance. Il comprenait qu'elle ne pourrait éventuellement retrouver confiance en lui qu'au terme d'un travail thérapeutique dans lequel il était prêt à s'investir. En attendant, il ne s'opposait pas à la demande de prolongation de la mesure d'éloignement, étant précisé qu'il était actuellement hébergé chez son père. Il souhaitait simplement pouvoir avoir des contacts avec sa fille, ainsi qu'avec son beau-fils auquel il se sentait très attaché.

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de 30 jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour 30 jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l'espèce, les violences psychologiques dont Mme A______ a été victime de par l'agressivité verbale et gestuelle de son mari, que ce soit par la rage qu'il a pu exprimer, ou par des propos humiliants, ne font pas de doute. Non seulement Mme A______ les a décrites de manière détaillée en étant très claires sur les circonstances de ces différentes violences, mais en outre, elles n'ont pas été formellement contestées par M. B______, voire il les a admises à demi-mot. A ces violences psychologiques, apparues en 2022 et qui sont allées crescendo durant la grossesse de Mme A______ avant de connaître une intensification particulière durant l'automne 2024, s'est ajoutée à une reprise un acte de violence physique, lors du coup de tête infligé par M. B______ à son épouse en juillet 2023. Les explications données par ce dernier sur le caractère involontaire de ce coup de tête, soi-disant donné alors qu'il hochait simplement la tête, ne font que traduire sa propre difficulté à admettre la violence dont il a fait preuve à cette occasion.

5.             Si le tribunal ne peut que saluer l'attitude de Mme A______ consistant à vouloir offrir à son mari une dernière chance de sauver leur mariage, et donner acte à M. B______ de son engagement à entreprendre toute démarche dans ce sens, il n'empêche qu'un retour de ce dernier au domicile conjugal paraît en l'état prématuré et inopportun. M. B______ doit en effet d'abord prendre conscience de la gravité et de la toxicité du comportement qu'il a eu à l'égard de son épouse, ce qu'il n'a pas encore pu commencer à faire concrètement à l'aide d'un tiers. A défaut, s'il devait revenir dès le 19 décembre 2024 au domicile conjugal, il est à craindre fortement qu'il sous-estime ses responsabilités et que de nouvelles violences ne surviennent à brève échéance.

6.             Dans cette mesure, la poursuite de l'éloignement de M. B______ paraît s'imposer. Cela n'aura cependant pas d'incidence sur son droit à entretenir des contacts avec sa fille, dans une mesure et selon des modalités qui devront être convenues entre les parents, voire avec l'appui du SPMi.

7.             Par conséquent, la demande de prolongation sera admise et la mesure d'éloignement prolongée pour une durée de 30 jours, cette durée arrivant à échéance le samedi 18 janvier 2025 à 17h00.

8.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

9.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 16 décembre 2024 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 9 décembre 2024 à l’encontre de Monsieur B______ ;

2.             l'admet ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours, soit jusqu'au 18 janvier 2025 à 17h, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police pour information.

Genève, le

 

La greffière