Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/1249/2024 du 18.12.2024 ( OCPM ) , REJETE
REJETE par ATA/272/2025
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 18 décembre 2024
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dans la cause
Monsieur A______, représenté par Me Guy ZWAHLEN, avocat, avec élection de domicile
contre
OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS
1. Monsieur A______, né le ______ 1976, est ressortissant du Kosovo.
2. Par décision du 2 février 2023, l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a refusé de prolonger son autorisation de séjour et prononcé son renvoi de Suisse en lui impartissant un délai au 2 avril 2023 pour quitter le territoire helvétique.
3. Cette décision a été confirmée tant par le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : le tribunal) (JTAPI/1092/2023) que par la Chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) (ATA/17/2024).
4. Le 22 avril 2024, M. A______, sous la plume de son conseil, a adressé une demande de reconsidération de cette décision, à l'OCPM.
Il était à Genève depuis 1997, soit depuis 27 ans. Il en voulait pour preuve le résumé des cotisations AVS payées en 1998, 1999, 2001, 2002, 2004 à 2007 et de 2012 à 2022 ainsi que le paiement d'impôts dans le canton pour 2008, 2009 et de 2015 à 2022 ainsi que des attestations quittances démontrant un paiement pour 2001, 2002, 2004 et 2005. Sa sœur et ses deux frères, tous deux titulaires d'un permis de séjour, vivaient à Genève. 26 autres membres de sa famille proche, en particulier nièces, neveux, oncle et tantes, vivaient en Suisse. Vu les pièces nouvellement produites et les arguments nouvellement évoqués, les conditions pour une révision au sens de l'art. 80 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10) étaient établies.
5. Par décision du 5 juin 2024, exécutoire nonobstant recours, l’OCPM a refusé d’accéder à sa demande de reconsidération.
Sa requête était motivée par le fait que la durée de son séjour en Suisse n'avait pas été pris en compte correctement tout comme sa bonne intégration. Or, tous les éléments invoqués l'avaient déjà été par le passé et avaient été pris en compte dans la procédure précédente y compris par le tribunal et la chambre administrative. Par ailleurs, rien n’expliquait pourquoi les justificatifs présentés à l’appui de la demande de reconsidération n’auraient pas pu l’être plus tôt. Ils n’étaient en tout état, pas de nature à modifier l’état de fait des décisions précédentes. Les conditions de l'art. 48 al. 1 LPA n'étaient ainsi par remplies.
6. Par acte du 5 juillet 2024, M. A______, sous la plume de son conseil, a recouru contre cette décision auprès du tribunal, concluant à son annulation et à la prolongation de son permis de séjour, sous suite de frais et dépens. Préalablement, il a demandé la restitution de l’effet suspensif au recours.
La chambre administrative n’avait pas analysé la question de la présence en Suisse de la grande majorité de sa famille. En effet, ses deux frères et sa sœur, titulaires d’un permis de séjour, vivaient à Genève. Par ailleurs, 26 membres de sa famille, titulaires de permis de séjour vivaient en Suisse. L'un d'entre eux avait même la nationalité suisse et un autre participait au développement de l'activité économique genevoise en ayant créé une entreprise de peinture. L'OCPM aurait dû reconsidérer son cas sous l'angle de l'art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101).
7. Dans ses observations du 18 juillet 2024, l’OCPM s’est opposé à la restitution de l’effet suspensif et a conclu au rejet du recours. Au fond, les éléments allégués par le recourant dans sa demande de reconsidération avaient déjà été examinés dans le cadre de procédures antérieures. Il ne s'agissait dès lors pas de faits nouveaux.
8. Par décision du 15 août 2024 (DITAI/437/2024), le tribunal a rejeté la demande d'effet suspensif et de mesures provisionnelles au recours formée par M. A______.
9. Dans sa réplique du 2 septembre 2024, le recourant a souligné que la question des nombreux membres de sa famille vivant en Suisse n'avait pas été analysée sous l'angle de l'intégration ni sous celle de la protection accordée par l'art. 8 CEDH. Dès lors, les motifs de révision étaient acquis. Le défaut d'analyse par l'autorité sous l'angle de l'art. 8 CEDH constituait une violation de la loi. La jurisprudence du Tribunal fédéral imposait à l'autorité d'examiner les liens sociaux et personnel qu'avait noué l'étranger en Suisse et sa situation familiale (2C_157/2023 consid. 6.2), ce qui n'avait pas été fait en l'espèce. Il fallait également tenir compte qu'il vivait en Suisse depuis 27 ans, qu'il avait bénéficié d'un titre de séjour et qu'il était particulièrement bien intégré. Il était gravement contraire à la protection de la vie privée de le renvoyer après autant de temps passé en Suisse dans un pays où il n'avait pas d'attaches, pas de logement, pas de travail et de le couper de la majorité des membres de sa famille qui vivent en Suisse. Vu son excellente intégration, il devait bénéficier de la protection de l'art. 8 CEDH.
10. Dans sa duplique du 1er octobre 2024, l'OCPM a persisté dans ses conclusions.
11. Le détail des écritures et des pièces produites sera repris dans la partie « En droit » en tant que de besoin.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).
2. Le recours a été interjeté en temps utile, dans les formes prescrites et devant la juridiction compétente au sens des art. 60 et 62 à 65 LPA. Sous cet angle, il doit être déclaré recevable.
3. Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.
4. Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).
5. Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b).
6. Selon l'art. 48 al. 1 LPA, les demandes en reconsidération de décisions prises par les autorités administratives sont recevables lorsqu'un motif de révision au sens de l'art. 80 let. a et b LPA existe (let. a) ou, alternativement, lorsque les circonstances se sont modifiées dans une mesure notable depuis la première décision (let. b). À teneur de l'al. 2, les demandes n'entraînent ni interruption de délai ni effet suspensif.
7. En l’occurrence, par décision du 2 février 2023, l’OCPM a refusé de prolonger l'autorisation de séjour du recourant et prononcé son renvoi de Suisse. Cette décision est entrée en force, consécutivement à l’arrêt de la chambre administrative du 9 janvier 2024 (ATA/17/2024).
8. En conséquence, l’objet du litige devant le tribunal se limite à la question de savoir si les circonstances alléguées par le recourant devaient contraindre l’OCPM à réexaminer sa situation.
9. L'autorité administrative qui a pris une décision entrée en force n'est obligée de la reconsidérer que si sont réalisées les conditions de l'art. 48 al. 1 LPA.
10. Une telle obligation existe lorsque la décision dont la reconsidération est demandée a été prise sous l'influence d'un crime ou d'un délit (art. 80 let. a LPA) ou que des faits ou des moyens de preuve nouveaux et importants existent, que le recourant ne pouvait connaître ou invoquer dans la procédure précédente (art. 80 let. b LPA ; faits nouveaux « anciens » ; ATA/539/2020 du 29 mai 2020 consid. 5b).
11. Elle existe également lorsque la situation du destinataire de la décision s'est notablement modifiée depuis la première décision (art. 48 al. 1 let. b LPA). Il faut entendre par là des faits nouveaux « nouveaux », c'est-à-dire survenus après la prise de la décision litigieuse, qui modifient de manière importante l'état de fait ou les bases juridiques sur lesquels l'autorité a fondé sa décision, justifiant par là sa remise en cause (ATA/347/2021 du 23 mars 2021 consid. 2). Pour qu'une telle condition soit réalisée, il faut que survienne une modification importante de l'état de fait ou des bases juridiques, ayant pour conséquence, malgré l'autorité de la chose jugée rattachée à la décision en force, que cette dernière doit être remise en question (ATA/539/2020 précité consid. 4b).
12. Bien que l'écoulement du temps et la poursuite d'une intégration socio-professionnelle constituent des modifications des circonstances, ces éléments ne peuvent pas être qualifiés de notables au sens de l'art. 48 let. b LPA lorsqu'ils résultent uniquement du fait que l'étranger ne s'est pas conformé à une décision initiale malgré son entrée en force (ATA/1239/2020 du 8 décembre 2020).
13. Une demande en reconsidération n'est pas un moyen de droit destiné à remettre indéfiniment en question les décisions administratives, ni à éluder les dispositions légales sur les délais de recours, de sorte qu'il y a lieu d'exclure le réexamen d'une décision de première instance entrée en force lorsqu'il tend à obtenir une nouvelle appréciation de faits déjà connus en procédure ordinaire ou lorsque le requérant le sollicite en se fondant sur des faits ou des moyens de preuve qui auraient pu et dû être invoqués dans la procédure ordinaire (ATF 136 II 177 consid. 2.1).
14. L'autorité doit seulement procéder à un nouvel examen si la loi le lui impose. Au-delà de cela, l'auteur de la demande de réexamen n'a aucun droit à obtenir une nouvelle décision, ni à exiger de l'autorité qu'elle procède à un nouvel examen (ATA/539/2020 du 29 mai 2020 consid. 5c).
15. La jurisprudence a déduit de l'art. 29 al. 1 et 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101), l'obligation pour l'autorité administrative d'entrer en matière sur une demande en reconsidération, notamment lorsque, en cas de décision déployant des effets durables, les circonstances se sont modifiées dans une mesure notable depuis le prononcé de la décision matérielle mettant fin à la procédure ordinaire (« vrais nova » ; en droit genevois : art. 48 al. 1 let. b LPA), mais aussi si la situation juridique a changé de manière telle que l'on peut sérieusement s'attendre à ce qu'un résultat différent puisse se réaliser, étant précisé que l'état de fait déterminant doit essentiellement s'être modifié après le changement législatif (ATF 136 II 177 consid. 2.1 et 2.2.1).
16. Saisie d'une demande de réexamen, l'autorité doit procéder en deux étapes : elle examine d'abord la pertinence du fait nouveau invoqué, sans ouvrir d'instruction sur le fond du litige, et décide ou non d'entrer en matière. Un recours contre cette décision est ouvert, le contentieux étant limité uniquement à la question de savoir si le fait nouveau allégué doit contraindre l'autorité à réexaminer la situation (ATF 136 II 177 consid. 2.1). Si la juridiction de recours retient la survenance d'une modification des circonstances, elle doit renvoyer le dossier à l'intimé afin que celui-ci le reconsidère (Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, n. 2148), ce qui n'impliquera pas nécessairement que la décision d'origine sera modifiée (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 1429).
17. En droit des étrangers, le résultat est identique que l'on parle de demande de réexamen ou de nouvelle demande d'autorisation : l'autorité administrative, laquelle se base sur l'état de fait actuel, qui traiterait une requête comme une nouvelle demande, n'octroiera pas une autorisation de séjour dans un cas où elle l'a refusée auparavant si la situation n'a pas changé ; et si la situation a changé, les conditions posées au réexamen seront en principe remplies (arrêt du Tribunal fédéral 2C_715/2011 du 2 mai 2012 consid. 4.2).
18. En l’espèce, le recourant se prévaut de la présence en Suisse de la grande majorité de sa famille, de son long séjour sur le territoire helvétique et de sa bonne intégration, pour solliciter la reconsidération de la décision du 2 février 2023.
19. À l’appui de son argumentation, il se fonde sur une liste des membres de sa famille vivant en Suisse qu'il a rédigée lui-même, un contrat de bail du 31 août 2022, un extrait du registre du commerce de la société A______ peinture inscrite depuis le 3 octobre 2011, le résumé des cotisations AVS payées entre 1998 et 2022 et le paiement d'impôts entre 2001 et 2022.
20. La présence en Suisse de membres de la famille du recourant, la durée de son séjour et son intégration ne peuvent être qualifiées de faits nouveaux importants au sens où l’entend la jurisprudence. En effet, ces éléments étaient déjà existants bien avant que la décision du 2 février 2023 ait été rendue, tout comme tous les documents produits à l'appui du présent recours. Or, le recourant n'explique pas pour quelles raisons il ne s'en est pas prévalu lorsqu'il a contesté la décision du 2 février 2023. Par ailleurs et contrairement à ce qu'il allègue, son degré d'intégration, y compris sous l'angle de ses liens personnels à Genève, et la durée de son séjour en Suisse ont été traités tant par le tribunal que par la chambre administrative. Pour le surplus, il ne fait valoir aucune circonstance, survenue postérieurement au prononcé du 2 février 2023, pouvant être considérée comme un fait nouveau.
21. C’est dès lors à juste titre que l’OCPM a refusé d’entrer en matière sur la demande de reconsidération déposée par le recourant.
22. Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.
23. En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant qui succombe est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.
24. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
25. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable, dans la mesure de sa recevabilité, le recours interjeté le 5 juillet 2024 par Monsieur A______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 5 juin 2024 ;
2. le rejette ;
3. met à la charge du recourant un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;
4. dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
5. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Gwénaëlle GATTONI
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au SEM.
Genève, le |
| Le greffier |