Skip to main content

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/959/2024

JTAPI/1156/2024 du 25.11.2024 ( ICCIFD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : DROIT D'HABITATION;REVENU DE LA FORTUNE IMMOBILIÈRE(DROIT FISCAL);USUFRUIT
Normes : lifd.21.al1.letb; LPFisc.24.al1.letb; LIPP.48; LCP.76.al5
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/959/2024 ICCIFD

JTAPI/1156/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 25 novembre 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Diane BROTO, avocate, avec élection de domicile

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur B______ est propriétaire d’un immeuble (n° 1______) de la commune de C______ (ci-après : l’immeuble).

2.             Par jugement du Tribunal de première instance (TPI) du ______ 2019, la jouissance exclusive de l’immeuble a été attribuée à Madame A______ (ci-après : la contribuable ou la recourante), à charge pour elle « d’assumer tous les frais courants y relatifs ».

3.             Dans sa déclaration fiscale 2022, la contribuable a fait valoir des frais d’entretien de l’immeuble (CHF 3'045.-), sans indiquer ses valeurs locative et fiscale.

4.             Le 2 janvier 2024, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a communiqué à la contribuable notamment le montant de la valeur locative de l’immeuble qu’elle devait déclarer pour l’année fiscale 2023, précisant qu’elle pouvait la contester, par la voie de réclamation, dans le cadre de sa taxation pour cette année.

5.             Le 12 janvier 2024, la contribuable a objecté que l’immeuble appartenait à son époux, précisant que celui-ci n’occupait pas son bien. Elle ne comprenait pas pourquoi elle était destinatrice de la communication de l'AFC-GE du 2 janvier 2024.

6.             Le 16 janvier 2024, l'AFC-GE a expliqué à la contribuable que le jugement du TPI du ______ 2019 lui ayant attribué la jouissance exclusive de l’immeuble, elle en était devenue responsable fiscalement et que, dès lors, elle devait le mentionner dans sa déclaration fiscale.

7.             Par bordereaux d’impôt 2022 du 10 janvier 2024, l'AFC-GE a imposé l’immeuble auprès de la contribuable, tant au niveau de la fortune qu’au niveau du revenu et de l’impôt immobilier complémentaire (ci-après : IIC). Elle a par ailleurs admis les frais d’entretien y relatif à concurrence de CHF 3'428.- en ICC et de CHF 5'713.- en IFD.

8.             Par réclamation du 4 février 2024, la contribuable a fait valoir que dans la mesure où elle ne bénéficiait que de la jouissance de l’immeuble, à l’exclusion « d’un droit d’habitation » ou « d’un usufruit », elle n’était pas imposable sur ce bien.

9.             Par décisions du ______ 2024, l'AFC-GE a rejeté cette réclamation, au motif que la contribuable devait déclarer l’immeuble dans son intégralité dès lors qu’elle en avait la jouissance, qui lui avait été formellement attribuée par le jugement du ______ 2019 et l’ordonnance du TPI du 17 mars 2022.

10.         Par courrier du 24 février 2024, la contribuable a demandé à l'AFC-GE de reconsidérer sa taxation 2022, lui remettant l’avis de taxation ICC 2022 de son époux et soulignant qu'ils avaient été imposés tous les deux sur la valeur locative de l’immeuble.

11.         Le 7 mars 2024, l'AFC-GE a invité la contribuable à confirmer que ce courrier devait être considéré comme un recours. Le 19 mars suivant, la contribuable a informé l'AFC-GE avoir déjà déposé un recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal).

12.         Par acte du 18 mars 2024, sous la plume de son conseil, la contribuable a recouru auprès du tribunal contre les décisions sur réclamation, concluant principalement à leur annulation, sous suite de frais et dépens. Préalablement, elle a conclu a ce que l'AFC-GE produise l’ensemble de son dossier, « y compris les éléments ayant guidé le choix de la double taxation » de l’immeuble, « tant pour [elle] que pour Monsieur B______ ».

Ces décisions devaient être annulées, l'AFC-GE ayant imposé l’immeuble également auprès de son propriétaire, ce qui constituait une double imposition.

13.         Le 21 juin 2024, l'AFC-GE a indiqué au tribunal que le présent dossier était
« en voie de retrait » et qu’elle inviterait la recourante à retirer son recours, après avoir émis « le bordereau rectificatif ».

14.         Le 27 juin 2024, cette dernière a fait savoir au tribunal qu’elle maintenait son recours et persistait dans ses conclusions.

15.         Dans sa réponse du 24 juillet 2024, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Elle veillerait à l'application des dispositions légales et de la jurisprudence afin d'éviter toute double imposition de l'immeuble litigieux. Conformément à la jurisprudence, le droit de jouissance de la recourante constituait un droit d'habitation. En conséquence, il incombait à cette dernière de s’acquitter des impôts relatifs à l’immeuble.

Elle a notamment produit une copie du courrier que la recourante lui avait adressé le 24 février 2024, avec celle de l’avis de taxation ICC 2022 de M. B______.

16.         Dans sa réplique du 8 août 2024, la recourante, sous la plume de son conseil, a exposé « prendre bonne note » de la réponse de l'AFC-GE, mais s’étonner que celle-ci n’y abordait pas la question de la double taxation de l’immeuble. Elle ne remettait pas en cause les principes jurisprudentiels cités par l'AFC-GE, mais demandait qu’elle « apporte des éclaircissements quant à la possible double taxation du même bien immobilier par deux contribuables différents » (sic), soit elle-même et M. B______.

17.         Par duplique du 30 août 2024, l'AFC-GE a campé sur sa position, relevant notamment que compte tenu du secret fiscal, elle ne pouvait pas communiquer
« des informations concernant le traitement de dossier d’un autre contribuable ». Néanmoins, elle « veillera à l'application des dispositions légales et de la jurisprudence pertinente, afin d'éviter toute double imposition de l'immeuble litigieux ».

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l'AFC-GE (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable, sous cet angle, au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             En premier lieu, il convient de constater que la conclusion préalable de la recourante, tendant à ce que l'AFC-GE verse au présent dossier « les éléments ayant guidé le choix de la double taxation » de l’immeuble, est vague et confuse. Si par cette formulation elle entendait solliciter la production par l'AFC-GE de la taxation 2022 de M. B______, cette conclusion serait alors dénuée d’objet, puisque cette dernière a effectivement versé au présent dossier une copie de cette taxation, à savoir celle que la recourante lui a elle-même remise. Il n’y donc pas lieu d’ordonner à l'AFC-GE de produire d’autres pièces que celles qu’elle a déjà versées au dossier.

4.             Le litige porte sur le point de savoir si c’est à juste titre que l'AFC-GE a retenu qu’il incombait à la recourante de s'acquitter de l'impôt sur la fortune, de l’impôt sur le revenu et de l'IIC en lien avec l'immeuble pour lequel elle est au bénéfice d'un droit d'habitation que lui a attribué le TPI par son jugement du ______ 2019 et son ordonnance du 17 mars 2022.

5.             Selon les art. 13 al. 2 de de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14) et 48 de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08), la fortune grevée d'usufruit est imposable auprès de l'usufruitier.

6.             Aux termes des art. 21 al. 1 let. b LIFD et 24 al. 1 let. b LIPP, est imposable à titre de revenu la valeur locative des immeubles ou de parties d'immeubles dont le contribuable se réserve l'usage en raison de son droit de propriété ou d'un droit de jouissance obtenu à titre gratuit.

7.             L'art. 76 al. 5 de la loi sur les contributions publiques du 9 novembre 1887
(LCP - D 3 05) prévoit que l'IIC est dû par la personne inscrite comme propriétaire ou usufruitier à l'office du registre foncier à la date du 31 décembre de la période fiscale.

8.             Dans un arrêt récent (2C_305/2023 du 10 octobre 2024 destiné à la publication), le Tribunal fédéral a précisé la portée des dispositions susmentionnées, en ce sens que seule la valeur locative d’un immeuble est imposable auprès du bénéficiaire du droit d’habitation (art. 21 al. 1 let. b LIFD et 24 al. 1 let. b LIPP), à l’exclusion de l’impôt sur la fortune et de l’IIC, qui doivent être prélevés auprès du propriétaire, voire auprès de l’usufruitier (art. 48 LIPP et 76 al. 5 LCP). Il a en effet considéré que le droit d’habitation n’équivaut pas à l’usufruit, au sens des art. 48 LIPP et
76 al. 5 LCP, et que, par conséquent, le contribuable qui ne dispose que du droit d’habiter l’immeuble n’est pas responsable de l’impôt sur la fortune et de l’IIC y relatifs, mais uniquement de l’impôt sur la valeur locative, comme le prévoient expressément les art. 21 al. 1 let. b LIFD et 24 al. 1 let. b LIPP.

9.             En l’espèce, la recourante n’est pas l’usufruitière de l’immeuble, mais uniquement titulaire du droit de jouissance de ce dernier. En conséquence, en application de la jurisprudence précitée, seule la valeur locative de ce bien est imposable auprès d’elle, l’impôt sur la fortune et l’IIC y relatifs devant être réclamés à son propriétaire, M. B______.

Il en découle que le bordereau ICC 2022 de la recourante doit être annulé en tant qu'il lui attribue fiscalement l'immeuble aux fins de l'impôt sur la fortune et de l’IIC. Il est confirmé pour le surplus. Le bordereau IFD 2022 doit en revanche être entièrement confirmé dès lors qu’il ne retient ni l’impôt sur la fortune ni l’IIC.

10.         Au vu de ce qui précède, le recours sera admis partiellement, en tant qu’il concerne l'impôt sur la fortune et l’IIC, et rejeté pour le surplus. Le dossier sera en conséquence renvoyé à l'AFC-GE pour qu’elle établisse un nouveau bordereau ICC 2022 conforme aux considérants.

11.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe dans une large mesure, est condamnée au paiement d’un émolument réduit s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance versée à la suite du dépôt du recours.

12.         Vu l’issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 500.- lui sera allouée à titre de dépens (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 18 mars 2024 par Madame A______ contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du ______ 2024 ;

2.             l’admet partiellement ;

3.             renvoie le dossier à l'administration fiscale cantonale pour nouvelle taxation ICC 2022, dans le sens des considérants ;

4.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

5.             condamne l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, à verser à la recourante une indemnité de procédure de CHF 500.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Marielle TONOSSI, présidente, Laurence DEMATRAZ et Yuri KUDRYAVTSEV, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier