Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/975/2024 du 02.10.2024 ( MC ) , ADMIS
REJETE par ATA/1278/2024
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 2 octobre 2024
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dans la cause
Monsieur A______, représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate
contre
OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS
1. Monsieur A______, né en 1994, est, selon ses dires, ressortissant du Liberia.
2. Arrivé en Suisse en juin 2012, il y a déposé une demande d’asile, rejetée par décision du 17 décembre 2014. Son renvoi a été prononcé par décision du même jour.
3. Le secrétariat d’état aux migrations (ci-après : SEM) a organisé la présentation de l’intéressé à diverses délégations d’états d’Afrique de l’ouest dans le cadre d’auditions centralisées aux fins d'obtenir la délivrance d’un laissez-passer et exécuter son renvoi.
4. Il a ainsi été présenté le 3 décembre 2015 à une délégation du Liberia, le 9 février 2016 à une délégation de Sierra Leone, le 1er juin 2016 à une délégation de Gambie et le 4 décembre 2018 à une délégation de Guinée. La réponse des délégations libérienne et guinéenne a été négative ; celle des autorités sierra-léonaise et gambienne n’est pas documentée.
5. Depuis son arrivée en Suisse et jusqu’en janvier 2024, M. A______ a été condamné à seize reprises à des peines pécuniaires et des peines privatives de liberté, pour diverses infractions à la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), contraventions et délits contre la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) et rupture de ban au sens de l’art. 291 al. 1 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0). Son expulsion pénale pour une durée de cinq ans a été prononcée par jugement du Tribunal de police du 9 août 2018. Cette mesure n'a pas été reportée par les autorités administratives.
6. M. A______ n’a pas respecté les décisions d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prononcées à son encontre les 15 août 2015 et 19 janvier 2019.
7. Il n’a pas non plus respecté les décisions d’assignation territoriale aux communes de B______ et de C______, prononcées à son encontre, respectivement les 20 mars 2019 et 4 août 2022. La seconde de ces décisions, valable jusqu’au 3 août 2024, prévoyait également l’obligation de se présenter chaque semaine devant les autorités, ce qu’il n’a pas fait.
8. Interpellé le 7 juin 2024, M. A______ a été condamné le lendemain par le Ministère public de Genève, à une peine privative de liberté de six mois, pour rupture de ban (art. 291 al. 1 CP) et infraction à l’art. 119 al. 1 LEI. Selon le système informatique du pouvoir judiciaire, il a formé opposition à cette condamnation.
9. Le 8 juin 2024, le commissaire de police a ordonné la mise en détention administrative de M. A______ pour une durée de quatre mois.
La détention administrative était fondée sur l’art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI, en relation avec l’art. 75 al. 1 let. b LEI, ainsi que sur l’art. 76 al. 1 let. b ch. 3 et 4 LEI. Cette mesure était adéquate et nécessaire pour assurer la bonne exécution du renvoi de l’intéressé, qui ne disposait d’aucune ressource financière légale et ne respectait pas les ordres des autorités.
Les démarches entreprises en vue de l’identification de l’intéressé, engagées en 2015, devaient se poursuivre avec sa présentation, fixée au 17 juin 2024, à une délégation de Sierra Leone. En cas d’identification positive, il fallait ensuite obtenir un laissez-passer et réserver un vol, ce qu’une durée de détention inférieure à quatre mois ne permettait pas de faire.
10. Entendu le 11 juin 2024 par le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : le tribunal), l’intéressé a réitéré être ressortissant du Liberia mais ne posséder aucun document d’identité. Il refusait de retourner au Liberia où il avait « des problèmes non résolus » et ne possédait ni famille ni logement. Il était disposé à se rendre par ses propres moyens à la présentation prévue pour le 17 juin 2024 devant les autorités de Sierra Leone.
11. Par jugement du 11 juin 2024 (JTAPI/570/2024), le tribunal a confirmé l’ordre de mise en détention du 8 juin 2024 jusqu’au 7 octobre 2024 inclus.
12. Le 17 juin 2024, M. A______ a été auditionné par les autorités de Sierra Leone.
13. Par arrêt du 2 juillet 2024 (ATA/98/2024), la chambre administrative de la Cour de justice (ci‑après : la chambre administrative) a partiellement admis le recours de M. A______, a annulé le jugement du tribunal du 11 juin 2024 en tant qu’il confirmait l’ordre de mise en détention administrative pour une durée de quatre mois et l’a confirmé pour une durée réduite de deux mois, soit jusqu’au 7 août 2024 inclus.
L’assurance du départ effectif du recourant de Suisse répondait à un intérêt public certain, notamment au vu de ses multiples condamnations, en particulier pour infractions à la LStup.
C’était à tort que l’intéressé reprochait aux autorités de ne pas avoir fait preuve de diligence ou de célérité dans le traitement de la procédure de renvoi. Dès 2015, année de l’entrée en force de la décision de renvoi, des présentations avaient été mises sur pied dans le cadre de plusieurs auditions centralisées organisées avec des délégations d’états d’Afrique occidentale, soit le Liberia – dont le recourant était selon ses dires originaire – la Sierra Leone, la Guinée et la Gambie. Le fait qu’aucune de ces délégations, pas même celle du Liberia, n’ait pu identifier le recourant ne pouvait être imputé aux autorités suisses. Au vu des explications données par ces dernières sur la difficulté à organiser de telles auditions centralisées, il ne pouvait davantage leur être reproché d’avoir manqué de diligence dans leurs efforts en vue d’exécuter le renvoi.
Sous l’angle de l’examen de la proportionnalité de la détention, la situation était toutefois différente après que le recourant avait été auditionné (une seconde fois) par les autorités de Sierra Leone sans – selon ses allégations non contestées – pouvoir être identifié. Le résultat négatif de cette présentation avait en effet pour conséquence qu’aucun laissez-passer ne pouvait être délivré par les autorités de Sierra Leone et que le renvoi ne pouvait donc, selon toute probabilité, être exécuté avant le 7 octobre 2024.
Une détention d’une durée de quatre mois ne se justifiait donc plus. Elle était réduite à deux mois, soit jusqu’au 7 août 2024, afin de permettre aux autorités chargées de l’exécution du renvoi de déterminer la suite de la procédure, dans le respect des exigences de diligence et de célérité qui leur incombaient. Il leur appartiendrait d’examiner quelles démarches pouvaient être entreprises dans des délais raisonnables afin d’obtenir les documents nécessaires au renvoi, en particulier si, comme l’avait suggéré la représentante du commissaire de police lors de son audition par-devant le tribunal, une nouvelle présentation à une délégation du Liberia pouvait être mise sur pied dans un délai respectant le principe de la proportionnalité.
14. Le 21 juin 2024, le SEM a communiqué à l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) les résultats des auditions centralisées du 17 juin 2024. Selon la délégation sierra-léonaise, le dossier de M. A______ était considéré comme « un cas de vérification ».
15. Le 15 juillet 2024, le SEM a informé l’OCPM que le dossier de l’intéressé était en cours de vérification auprès de la Sierra Leonean Immigration Department (ci‑après : SLID).
16. Par requête motivée du 25 juillet 2024, l’OCPM a déposé une demande de prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de quatre mois, soit jusqu'au 7 décembre 2024.
17. Sur demande du tribunal, l'OCPM a requis du SEM, le 30 juillet 2024, des informations actualisées sur la situation relative aux vérifications en cours auprès du SLID. Il en résultait qu'un contact avait eu lieu le 25 juillet 2024 avec le chef du Border Management du SLID et que les autorités sierra-léonaises étaient toujours en train d'enquêter sur M. A______.
18. Par jugement du 30 juillet 2024, le tribunal a prolongé la détention administrative de M. A______ pour une durée d’un mois, soit jusqu’au 7 septembre 2024 inclus.
19. Saisie d'un recours contre ce jugement, la chambre administrative l'a rejeté par arrêt du 22 août 2024 (ATA/1002/2024).
Le SEM avait confirmé avoir inscrit M. A______ à la prochaine audition des autorités libériennes. La date de celle-ci n’était toutefois pas connue.
20. Par requête motivée du 26 août 2024, l’OCPM a déposé une demande de prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de trois mois, soit jusqu'au 7 décembre 2024.
21. Lors de l’audience du 3 septembre 2024 devant le tribunal, le représentant de l’OCPM a indiqué que d'expérience, le délai de réponse des autorités sierra‑léonaises pouvait être long. Une nouvelle audition de M. A______ par les autorités libériennes était prévue au dernier trimestre 2024 ou au début de l'année 2025. Il a produit un courriel du SEM du 26 août 2024, selon lequel il attendait toujours des indications supplémentaires en lien avec l'audition par les autorités de Sierra Leone. Il avait également demandé à Frontex de contacter les autorités dans le pays lui-même et d'exercer ainsi une pression supplémentaire. La prolongation de la détention administrative de M. A______ devait être confirmée pour une durée de trois mois. Ce dernier a quant à lui conclu à sa mise en liberté immédiate.
22. Par jugement du 3 septembre 2024 (JTAPI/871/2024), le tribunal a prolongé la détention administrative de M. A______ pour une durée d’un mois, soit jusqu’au 7 octobre 2024 inclus.
23. Le 19 septembre 2024, la chambre administrative (ATA/1103/2024) a rejeté le recours interjeté le 13 septembre 2024 par M. A______ contre ledit jugement.
24. Par requête motivée du 23 septembre 2024, l'OCPM a sollicité la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de deux mois.
Il se trouvait toujours dans l'attente des informations du SEM quant à une réponse des autorités de Sierra Leone ainsi que d'une communication du SEM concernant la prochaine audition centralisée avec le Liberia.
25. Devant le tribunal, lors de l'audience du 1er octobre 2024, M. A______ a déclaré être un ressortissant du Liberia. Il n'avait aucun lien avec la Sierra Leone et ne s'y était jamais rendu. Il refusait de téléphoner à l'ambassade du Liberia à Paris pour obtenir un laissez-passer et de retourner au Liberia car sa vie y était en danger. Il avait quitté le Liberia suite à des problèmes personnels. Sa copine était enceinte et avait subi un avortement. Elle avait perdu connaissance durant l'intervention en 2012, et était décédée. La famille de cette dernière le menaçait de mort depuis lors. Il avait quitté le Liberia pour la Suisse, trois ou quatre mois après le décès de son amie. S'il était libéré, sa seule option était de quitter la Suisse et de se rendre en Espagne où vivaient des amis. Il était célibataire, sans enfant et n'avait pas de problème de santé.
Le représentant de l'OCPM a indiqué s'être entretenu le matin-même avec le SEM. Celui-ci restait dans l'attente d'une réponse de Sierra Leone. Lorsqu'il s'agissait d'un cas de vérification, comme en l'espèce, une réponse était attendue dans les trois à six mois après la présentation devant la délégation. L'audition centralisée s'était tenue à la mi-juin. S'agissant des auditions centralisées pour le Liberia, le SEM était toujours en négociation avec l'ambassade du Liberia à Paris pour une présentation de l'intéressé, sans date fixée toutefois. Compte tenu des négociations en cours, le SEM estimait que la présentation pouvait avoir lieu lors du premier trimestre 2025, aux alentours de février-mars 2025. Selon le SEM, M. A______ pouvait téléphoner à l'ambassade du Liberia à Paris et demander l'octroi d'un laissez-passer. L'identification se faisait par téléphone pour les personnes volontaires souhaitant obtenir un laissez-passer. Une procédure identique pouvait être initiée avec les autorités de Sierra Leone. Il a plaidé et conclu à la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de deux mois.
Le conseil de M. A______ a plaidé et conclu à l'annulation de la détention administrative de M. A______ et à sa libération immédiate.
1. Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour prolonger la détention administrative en vue de renvoi ou d'expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. e de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).
2. En l'occurrence, le 23 septembre 2024, le tribunal a été valablement saisi, dans le délai légal précité, d'une requête de l'OCPM tendant à la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de deux mois.
3. Statuant ce jour, le tribunal respecte le délai fixé par l'art. 9 al. 4 LaLEtr, qui stipule qu'il lui incombe de statuer dans les huit jours ouvrables qui suivent sa saisine, étant précisé que, le cas échéant, il ordonne la mise en liberté de l’étranger.
4. La légalité de la détention administrative de M. A______ est toujours respectée, les circonstances ayant conduit la chambre administrative à confirmer ce point n'ayant subi aucun changement depuis l'arrêt rendu le 2 juillet 2024. En effet, l’intéressé se soustrait à son renvoi et refuse de collaborer et d’obtempérer aux ordres de l’autorité depuis plusieurs années. Par ailleurs, l’intérêt public à son renvoi, compte tenu notamment de ses multiples condamnations, n'est pas remis en cause.
5. Dans l’arrêt précité, la chambre administrative avait rappelé les bases légales et la jurisprudence relatives aux principes de la proportionnalité et de la célérité. Il peut y être renvoyé, étant cependant rappelé que l'exigence de diligence et de célérité est violée si les autorités compétentes n'entreprennent aucune démarche en vue de l'exécution du renvoi ou de l'expulsion pendant une durée supérieure à deux mois, à moins que cette inactivité ne résulte en première ligne du comportement des autorités étrangères ou de la personne concernée elle-même (ATF 139 I 206 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_370/2023 du 27 juillet 2023 consid. 4.1.1 ; 2C_1106/2018 du 4 janvier 2019 consid. 3.3.2).
6. En l'espèce, les autorités sont toujours dans l'attente d'une réponse de la Sierra Leone qui devrait intervenir d'ici la mi-novembre 2024. Par ailleurs, le SEM a demandé l'inscription de l'intéressé aux auditions centralisées organisées par l'ambassade du Libéria à Paris avec laquelle il est en négociation, estimant que sa présentation pourrait avoir lieu vers février-mars 2025. Dès lors, le manque d'avancées dans le dossier de M. A______ est imputable aux autorités étrangères et à lui‑même, dès lors qu'il refuse de les contacter pour obtenir un laisser-passer, étant relevé que selon le SEM, un simple entretien téléphonique suffirait.
7. M. A______ soutient par ailleurs que ses conditions de détention au sein de l'établissement FAVRA viole l'art. 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), sans en expliquer les raisons.
8. L'art. 3 CEDH prévoit que nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Pour que la détention relève spécifiquement de cette disposition, la souffrance et l'humiliation infligées doivent aller au-delà de celles qui sont indissociables de la privation de liberté en tant que telle (arrêts CourEDH Neshkov et autres c. Bulgarie du 27 janvier 2015, requête n° 36925/10 et autres, 2015, § 228; Mursic c. Croatie du 20 octobre 2016, requête n° 7334/13, § 99). L'art. 3 CEDH impose à l'Etat de protéger l'intégrité physique des personnes privées de liberté, notamment par l'administration des soins médicaux requis (arrêt CourEDH Rooman c. Belgique du 31 janvier 2019, requête n° 18052/11, §§ 147-148 et les références).
9. En l'occurrence, M. A______ n'allègue ni les souffrances et humiliations qu'il subirait du fait de sa détention ni quelles seraient leurs conséquences sur son intégrité. Au contraire, il explique se trouver en bonne santé. Partant, ce grief tombe à faux.
10. Au vu de ce qui précède, la demande de prolongation de la détention administrative de M. A______ sera admise pour une durée de deux mois, soit jusqu'au 7 décembre 2024.
11. Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et à l’OCPM. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable la demande de prolongation de la détention administrative de Monsieur A______ formée le 23 septembre 2024 par l’office cantonal de la population et des migrations ;
2. prolonge la détention administrative de Monsieur A______ pour une durée de deux mois, soit jusqu'au 7 décembre 2024 inclus ;
3. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Gwénaëlle GATTONI
Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, à l’office cantonal de la population et des migrations et au secrétariat d'État aux migrations.
Genève, le |
| Le greffier |