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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/501/2024

JTAPI/793/2024 du 19.08.2024 ( ICC ) , REJETE

Descripteurs : EFFET CONFISCATOIRE DE L'IMPÔT;GARANTIE DE LA PROPRIÉTÉ
Normes : Cst.26.al1; LIPP.60
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/501/2024 ICC

JTAPI/793/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 19 août 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par FIDUCIAIRE BEAUMONT SA, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             Le litige concerne la taxation cantonale 2022 de Madame A______, née en 2003.

2.             Depuis un problème survenu à sa naissance, l’intéressée présente une infirmité motrice cérébrale qui la rend totalement dépendante. En 2017, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a admis que la prestation que les Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) lui avaient servie, en CHF 4 millions, devait être qualifiée de versement en réparation d’un tort moral.

3.             Dans la rubrique « observations » de sa déclaration fiscale 2022, la contribuable a demandé l’application du bouclier fiscal. Elle a déclaré une fortune mobilière de CHF 1'230'220.-.

4.             Par bordereaux datés du 25 octobre 2023, l’AFC-GE a taxé la contribuable pour l’année 2022. L’ICC se montait à CHF 19'665.- et avait été calculé sur la base d’un revenu et d’une fortune imposables se chiffrant à respectivement CHF 14'929.- et CHF 3'523'755.-. Il tenait compte d’une réduction cantonale (CHF 9'705.45) et communale (CHF 2'748.95) liée au bouclier fiscal. L’IFD s’établissait à CHF 173.85.

5.             Le 6 novembre 2023, la contribuable a élevé réclamation en demandant que l’AFC-GE lui fournisse le détail du calcul de la réduction liée au bouclier fiscal.

Son imposition se révélait confiscatoire dans la mesure où elle ne parvenait pas à acquitter sa charge fiscale sans entamer sa fortune.

6.             Le 16 novembre 2023, l’AFC-GE a communiqué à la contribuable la feuille de calcul de la réduction liée au bouclier fiscal, en l’invitant à préciser si elle retirait ou maintenait sa réclamation. Dans ce dernier cas, elle était invitée à indiquer sur quels points précis sa réclamation devait être prise en compte.

7.             Le 27 novembre 2023, la précitée a répondu qu’elle maintenait sa réclamation.

À titre de revenu, elle percevait une rente AI de CHF 19'116.-, ainsi que des intérêts nets de CHF 120.-, soit au total CHF 19'236.-. De ce montant devaient être déduits ses primes d’assurance-maladie et ses frais médicaux, soit CHF 12'311.-. Il ne lui restait ainsi, pour s’habiller, aider ses parents et se nourrir, que la somme de CHF 6'925.-. Il lui était donc impossible de payer CHF 20'192.80 sans entamer sa fortune. Sa taxation se révélait ainsi confiscatoire.

8.             Par décision du 9 janvier 2024, l’AFC-GE a rejeté la réclamation, en explicitant les calculs mentionnés sur la feuille transmise à l’intéressée le 16 novembre précédent.

9.             Par acte du 10 février 2024, la contribuable, sous la plume de son conseil, a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant à l’annulation des bordereaux du 25 octobre 2023 et à ce que son imposition soit qualifiée de confiscatoire, le tout sous suite de frais et dépens.

Jusqu’à l’âge de dix-huit ans, ses parents s’étaient occupés de son bien-être, mais habitant une maison villageoise dont les chambres se trouvaient à l’étage, elle avait dû acquérir une villa de plain-pied, qu’elle avait payée au moyen de la prestation perçue des HUG.

Elle a repris les arguments exposés dans ses précédents courriers à l’AFC-GE. Elle ne disposait pas d’un revenu suffisant pour payer l’impôt de CHF 20'192.80. Se fondant sur la jurisprudence, elle devait bénéficier d’une exonération totale d’impôts.

10.         Dans sa réponse du 16 avril 2024, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours. L’imposition de la recourante n’était pas confiscatoire.

Dans le cadre de l’application des règles relatives au bouclier fiscal, il convenait de retenir, non le rendement effectif de fortune, mais le rendement net minimal de 1 %, si ce dernier était plus élevé. Tel était le cas de la situation de la contribuable.

Enfin, le recours devait être déclaré irrecevable en tant qu’il concernait l’IFD. En effet, puisque la contribuable n’avait pas réclamé à l’encontre de cette taxation, elle était entrée en force. Sa demande d’exonération total d’impôt était sans fondement.

11.         Par réplique du 25 avril 2024, la recourante a fait valoir que l’AFC-GE n’avait aucunement tenu compte de sa situation. Étant donné qu’elle avait rempli sa déclaration fiscale pour la première fois en 2022, il n’était pas possible de se prononcer sur sa situation dans la durée. Toutefois, au vu de son invalidité totale, un même état de fait perdurerait. Contrairement à ce que soutenait l’autorité intimée, elle ne devait pas être taxée.

12.         Dans sa duplique du 17 mai 2024, l’AFC-GE a persisté dans les conclusions de sa réponse.

La contribuable faisait fi du critère relatif au rendement net minimal de 1 % expressément indiqué dans la loi. Elle reconnaissait par ailleurs que son imposition n’était pas confiscatoire, puisque le critère de longue durée n’était pas rempli. Enfin, son infirmité ne constituait pas un critère objectif dans le cadre de l’imposition confiscatoire, dont les conditions étaient très restrictives.

 

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens de l'art. 49 LPFisc.

3.             Le litige porte sur la question de savoir si l'imposition 2022 de la recourante revêt un caractère confiscatoire. 

4.             L’art. 60 de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08), entré en vigueur le 1er janvier 2011, est libellé « charge maximale ». 

Pour les contribuables domiciliés en Suisse, les impôts sur la fortune et sur le revenu – centimes additionnels cantonaux et communaux compris – ne peuvent excéder au total 60 % du revenu net imposable. Toutefois, pour ce calcul, le rendement net de la fortune est fixé au moins à 1 % de la fortune nette (art. 60 al. 1 LIPP).

Selon l’art. 60 al. 2 LIPP sont considérés comme rendement net de la fortune, au sens de l’al. 1, les revenus provenant de la fortune mobilière et immobilière, sous déduction des frais mentionnés à l'art. 34 let. a, c, d et e LIPP (let. a) ; et un intérêt sur la fortune commerciale imposable, dont le montant ne peut cependant dépasser les revenus nets provenant d'une activité lucrative indépendante. Le taux de cet intérêt est le taux appliqué dans le calcul du revenu AVS provenant d'une activité lucrative indépendante (let. b).

S’il y a lieu à réduction, celle-ci est imputée sur les impôts sur la fortune, centimes additionnels cantonaux et communaux compris. L’État et les communes intéressées la supportent proportionnellement à leurs droits (art. 60 al. 4 LIPP).

5.             Selon le Tribunal fédéral (arrêt 2C_869/2017 du 7 août 2018 consid. 3.6), il faut comprendre l'art. 60 al. 1 LIPP en ce sens que, pour le calcul de la charge maximale, la fortune est présumée produire un rendement minimum de 1 %. Si le rendement net de la fortune d'un contribuable est inférieur à 1 % de sa fortune nette, c'est ce pourcentage qu'il faudra prendre en compte dans le calcul.

6.             En l’espèce, il ressort de la feuille de calcul transmise à la contribuable par l’AFC-GE le 16 novembre 2023 que l’autorité intimée a correctement appliqué l’art. 60 LIPP faisant, de ce fait, bénéficier l’intéressée d’une réduction de l’impôt sur la fortune s’élevant à CHF 12'454.40.

Cela étant, la recourante fait valoir que sa taxation se révèle confiscatoire, puisqu’en dépit de cette réduction, les montants d’impôts qui lui sont réclamés excèdent son revenu imposable.

7.             En vertu de l'art. 26 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), la propriété est garantie. De jurisprudence constante, en matière fiscale, ce droit fondamental ne va toutefois pas au-delà de l'interdiction d'une imposition confiscatoire. Ainsi, une prétention fiscale ne doit pas porter atteinte à l'essence même de la propriété privée (art. 36 al. 4 Cst.). Il incombe au législateur de conserver la substance du patrimoine du contribuable et de lui laisser la possibilité d'en former un nouveau (ATF 128 II 112 consid. 10b/bb).

8.             Dans l’ATA/712/2022 du 5 juillet 2022, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) a laissé ouverte la question de savoir si, à compter de l’entrée en vigueur de l’art. 60 LIPP, cette disposition a remplacé les règles et principes établis jusqu’alors pour veiller au respect du principe de la garantie de la propriété au sens de l’art. 26 Cst. ou si cette disposition cantonale ne relève que d’une protection complémentaire, leur application conjointe demeurant possible (consid. 9).

Statuant sur recours interjeté à l’encontre de cet arrêt, le Tribunal fédéral, dans un arrêt rendu le 24 avril 2023 (9C_638/2022) a également laissé cette question indécise, pour le motif que la chambre administrative n’avait pas arbitrairement appliqué l'art. 60 LIPP et que les recourants en cause n’avaient pas démontré une violation par celle-ci de l'art. 26 Cst.

9.             Pour juger si une imposition a un effet confiscatoire, le taux de l’impôt exprimé en pour cent n’est pas seul décisif ; il faut examiner la charge que représente l’imposition sur une assez longue période, en faisant abstraction des circonstances extraordinaires. À cet effet, il convient de prendre en considération l’ensemble des circonstances concrètes, la durée et la gravité de l’atteinte ainsi que le cumul avec d’autres taxes ou contributions et la possibilité de reporter l’impôt sur d’autres personnes. Il incombe au législateur de conserver la substance du patrimoine du contribuable et de lui laisser la possibilité d’en former un nouveau (ATF 143 I 73 consid. 5.1).

10.         Dans l’ATA/771/2011 du 20 décembre 2011, la chambre administrative a jugé confiscatoire une imposition totale sur le revenu et la fortune représentant 98.50 % du revenu imposable des recourants, dont la situation sur ce point était durable.

Dans un arrêt ultérieur (ATA/812/2012 du 4 décembre 2012), elle a retenu que l’imposition finale cantonale ne devait pas excéder 70 % et a indiqué qu’un rendement net de la fortune fixé à au moins 1 % de la fortune nette devait être intégré dans le calcul, dans l’esprit de la volonté du législateur lors de l’adoption de l’art. 60 LIPP.

11.         En l’espèce, le revenu net de la contribuable pour l’année 2022 se chiffre à CHF 14'929.-. Sa charge fiscale totale s’élève à CHF 19'838.85. Cette somme englobe l’ICC (y compris l’IIC), en CHF 19'665.- et l’IFD en CHF 173.85. En d’autres termes, son imposition représente 133 % de son revenu imposable. Il s’ensuit que l’intéressée doit nécessairement puiser dans sa fortune pour acquitter les impôts qui lui sont réclamés.

À première vue, le noyau essentiel de sa propriété privée paraît entamé. Tel n’est pourtant pas le cas en l’espèce, car la contribuable ne peut pas encore se prévaloir d’une atteinte à celui-ci dans la durée. En effet, avant l’année 2022, actuellement litigieuse, elle ne remplissait pas de déclaration fiscale, ainsi qu’elle l’a expliqué dans sa réplique et, dès lors, elle ne payait pas d’impôts. Il en résulte que le grief tiré du caractère confiscatoire de son imposition doit être écarté.

Il résulte de ce qui précède que le bordereau du 25 octobre 2023 doit être confirmé. Ainsi, la conclusion de la recourante tendant à ce qu’elle soit exonérée d’impôt doit être rejetée.

12.         Ne reposant sur aucun motif valable, le recours doit être rejeté.

13.         En application des art. 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 10 février 2024 par Madame A______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 9 janvier 2024 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de Madame A______ un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Federico ABRAR et Stéphane TANNER, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière