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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/4192/2023

JTAPI/791/2024 du 19.08.2024 ( ICCIFD ) , REJETE

Descripteurs : INDEMNITÉ DE DÉPART;PRESTATION EN CAPITAL;CALCUL DE L'IMPÔT
Normes : LIFD.37; LIFD.38; LIPP.43; LIPP.45
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4192/2023 ICCIFD

JTAPI/791/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 19 août 2024

 

dans la cause

 

Madame A______ et Monsieur B______, représentés par Q&S CONSULTING SA, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Le litige concerne la taxation 2020 de Madame A______ et Monsieur B______.

2.             Mme A______, née le ______ 1956, a travaillé pour la société C______ Ltd (ci-après : l’employeur) du 3 janvier 2006 jusqu’au 31 décembre 2020, date à laquelle elle a pris sa retraite.

3.             Dans leur déclaration fiscale 2020, les contribuables ont fait état d’un salaire brut total réalisée par la précitée s’élevant à CHF 368'665.-, ce montant comprenant le salaire proprement dit (CHF 144'642.-) et des prestations non périodiques, à savoir notamment une indemnité de licenciement (CHF 127'980.-), ainsi que d’autres prestations non périodiques (CHF 90'945.-). Cette dernière somme incluait une indemnité de départ (CHF 38'687.-) et un « retention bonus » (CHF 46'667.-).

Dans la rubrique « observations », ils ont demandé que l’indemnité de licenciement et que celle de départ soient imposées au taux de la rente.  

4.             Par bordereaux datés du 22 mars 2023, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a taxé les contribuables pour l’année 2020. Ce faisant, elle a imposé en plein le montant de CHF 368'665.-.

5.             Le 21 avril 2023, les contribuables ont élevé réclamation à l’encontre de ces bordereaux. L’indemnité de licenciement devait faire l’objet d’une taxation séparée à un taux réduit. L’indemnité de départ et le bonus devaient être imposés au taux de la rente. La réclamation portait également sur un autre point, qui n’est actuellement plus litigieux.

6.             Sur demande de l’AFC-GE, les contribuables ont produit une attestation de la caisse de prévoyance de Mme A______.

7.             Par décisions du 3 novembre 2023, l’AFC-GE a admis partiellement la réclamation, la rejetant en tant qu’elle concernait l’imposition de l’indemnité de licenciement, de l’indemnité de départ et du bonus. Le même jour, elle leur a notifié des bordereaux de taxation rectificatifs.

8.             Par acte du 14 décembre 2023, les contribuables, sous la plume de leur conseil, ont interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal). L’indemnité de licenciement (CHF 127'980.-) devait être imposée séparément, à un taux réduit. L’indemnité de départ (CHF 38'687.-) et le bonus (CHF 46'667.-) devaient être taxés au taux de la rente.

Lorsque D______ avait décidé de mettre fin aux activités de C______ Ltd, le 18 septembre 2017, un plan social volontaire avait été signé, qui prévoyait le terme des activités pour le 31 décembre 2019, le droit de la recourante à une indemnité de départ pour couvrir d’éventuelles lacunes de prévoyance découlant de la cessation de ses activités et le versement d’une indemnité du fait de son acceptation de maintien de son emploi.

Lors de la signature de l’accord, une lacune de prévoyance était prévisible. Le rythme de son activité avait fait qu’elle avait atteint l’âge de la retraite. Cependant, cela n’avait pas été prévu initialement. Par ailleurs, même à l’âge de la retraite, l’indemnité de départ pouvait être imposée séparément, lorsqu’elle revêtait un caractère de prévoyance. L’indemnité de départ et le bonus étaient calculés en fonction de son salaire, de sorte qu’ils constituaient des versements de capitaux remplaçant des prestations périodiques qui ne revêtaient pas un caractère de prévoyance.

9.             Dans sa réponse du 16 février 2024, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

La recourante avait reçu l’indemnité de licenciement de CHF 127'980.- à la fin de ses rapports de services au 31 décembre 2020. Elle avait été affiliée à une institution de prévoyance professionnelle jusqu’à cette date. Comme elle avait alors atteint l’âge de 64 ans, elle ne pouvait démontrer l’existence d’une lacune future de prévoyance. Cette indemnité, déterminée forfaitairement en fonction des années de services accomplies, ne pouvait être qualifiée de versement analogue à un versement de capital provenant d’une institution de prévoyance et ne pouvait donc pas être taxée de manière séparée aux cinquièmes des barèmes.

L’indemnité de licenciement et l’indemnité de départ, de CHF 38'687.- n’avaient pas été versées en tant que somme transitoire, de pont AVS, entre le moment de la résiliation du contrat et l’âge réglementaire de la retraite, puisque la contribuable avait déjà atteint l’âge ordinaire de la retraite lors de leurs versements. Ces sommes ne pouvaient être taxées au taux de la rente.

Le retention bonus constituait une indemnité de maintien volontaire, versée à la condition que la recourante remplisse toutes ses obligations vis-à-vis de son employeur jusqu’à la fin des rapports de service. Elle ne pouvait être qualifiée de versement de capital effectué en lieu et place du versement de prestations périodiques, taxée au taux de la rente.

10.         Les recourants n’ont pas produit d’écriture de réplique.

11.         Le détail des pièces et des arguments des parties sera repris, ci-après, dans la mesure utile.

 

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             La recourante demande que l’indemnité de licenciement (CHF 127'980.-) soit imposée séparément, à un taux réduit et que l’indemnité de départ (CHF 38'687.-), ainsi que le bonus (CHF 46'667.-) soient taxés au taux de la rente.

4.             À teneur de l’art. 38 al. 1 et 2 LIFD, les prestations en capital selon l’art. 22, ainsi que les sommes versées ensuite de décès, de dommages corporels permanents ou d’atteinte durable à la santé sont imposées séparément. Elles sont dans tous les cas soumises à un impôt annuel entier. L’impôt est calculé sur la base de taux représentant le cinquième des barèmes inscrits à l’art. 36 al. 1, 2 et 2bis, 1ère phr. LIFD.

À cette disposition correspond l’art. 45 al. 1 et 2 de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08).

5.             Selon la jurisprudence (ATF 145 II 2 consid. 4.1 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_237/2023 du 5 mars 2024 consid. 4.1 et 4.2), en règle générale, les indemnités de départ sont imposables au taux plein avec les autres revenus du contribuable. Selon l'art. 17 al. 2 LIFD, pour bénéficier de l'imposition privilégiée, les versements de capitaux alloués par l'employeur doivent être analogues aux versements de capitaux provenant d'une institution de prévoyance en relation avec une activité dépendante. La loi ne définit pas précisément ce que recouvre l'analogie avec les versements de capitaux provenant d'une institution de prévoyance. Il s'avère cependant qu'en établissant, à l'art. 17 al. 2 LIFD, une imposition séparée à taux réduit, le législateur a voulu casser la progressivité du taux et privilégier la prévoyance pour des raisons sociales (Message du 25 mai 1983 sur l'harmonisation fiscale, FF 1983 III 186). On peut ainsi inférer du texte et du but visé par le législateur la volonté de limiter le privilège fiscal aux indemnités versées par l'employeur qui ont un lien étroit avec la prévoyance professionnelle. Les versements de capitaux analogues mentionnés à l'art. 17 al. 2 LIFD doivent, pour bénéficier de l'imposition privilégiée, revêtir un caractère de prévoyance prépondérant. Il en va en particulier ainsi des indemnités de départ versées par l'employeur, lesquelles doivent donc, pour bénéficier de l'imposition privilégiée prévue à l'art. 38 LIFD, avoir un lien étroit avec la prévoyance professionnelle, un tel lien s'examinant à l'aune des circonstances entourant les versements concernés.

L’administration fédérale des contributions a édicté, le 3 octobre 2002, la circulaire n° 1 sur les indemnités de départ et les versements de capitaux de l'employeur (ci-après: la circulaire n° 1 in Archives 71 p. 541 ss). Selon cette circulaire, les indemnités de départ ont un caractère de prévoyance lorsqu'elles sont destinées exclusivement et irrévocablement à atténuer les conséquences financières découlant des risques liés à la vieillesse, à l'invalidité et au décès. Ainsi, pour que des versements de capitaux effectués par l'employeur puissent bénéficier de l'imposition privilégiée de l'art. 17 al. 2 LIFD, trois conditions cumulatives doivent être réunies (ch. 3.2 de la Circulaire n° 1) : le contribuable quitte l'entreprise après avoir atteint l'âge de 55 ans (let. a), son activité lucrative (principale) est définitivement abandonnée ou doit l'être (let. b) et une lacune dans sa prévoyance découle du départ de l'entreprise et de son institution de prévoyance (let. c).

La circulaire n° 1 ne constitue cependant qu'une directive administrative, sans force de loi, ne liant ni les administrés, ni les tribunaux ni même l'administration ; elle ne saurait ainsi être appliquée à la lettre et ne dispense pas les autorités de tenir compte des circonstances du cas d'espèce.

6.             En l’espèce il résulte du plan social volontaire du 12 décembre 2017, que D______ a décidé de mettre fin aux activités de C______ Ltd. Ledit plan prévoit, à certaines conditions, le versement d’une indemnité de départ (severance payment) calculée en fonction de l’ancienneté et de l’âge, ainsi que d’une prime de maintien en fonction (retention payment) que l’employeur pouvait verser aux collaborateurs, ceux-ci n’y ayant toutefois pas droit.

Selon l’addendum au contrat de travail de l’intéressée, du 13 décembre 2017 (clause II) et la lettre de licenciement du 19 décembre 2019 (p. 1), l’indemnité de départ se monte à CHF 166'667.-. Cette indemnité a aussi pour but de couvrir un éventuel déficit du fonds de pension résultant de la résiliation du contrat de travail. Elle est payable à la fin des rapports de travail.

La recourante recevrait, pour le cas où elle demeurerait employée jusqu’à une certaine date, une prime de maintien en fonction (clause I de l’addendum et lettre de licenciement, p. 1) s’élevant à CHF 66'667.-, dont CHF 20'000.- ont déjà été versés en janvier 2019.

En cas de violation de ses obligations par la recourante, l’indemnité de départ et la prime de maintien en fonction ne sont pas dues (lettre de licenciement, p. 2).

7.             Il ressort du certificat de salaire 2020 de la contribuable qu’elle a perçu une indemnité de licenciement (CHF 127'980.-), ainsi qu’une indemnité de départ (CHF 38'687.-), soit au total CHF 166'667.-. Conformément a ce qui avait été convenu avec son employeur, cette somme lui a été versée à la fin des rapports de travail, soit à la fin du mois de décembre 2020. Étant donné qu’elle est née le ______ 1956, elle était âgée de 64 ans révolus à cette date. De la sorte elle avait alors atteint l’âge de la retraite. Partant, ce montant ne peut plus servir à combler une éventuelle lacune dans sa prévoyance. Au demeurant, l’existence d’une telle lacune n’est pas démontrée. En particulier, alors que l’AFC-GE lui a demandé, le 17 octobre 2023, de produire une attestation de sa caisse de prévoyance, les attestations de F______ remises par l’intéressée ne font pas état d’une telle lacune.

Il s’ensuit que c’est à juste titre que le montant de CHF 166'667.- a été imposé en plein.

8.             Lorsque le revenu comprend des versements de capitaux remplaçant des prestations périodiques, l’impôt se calcule compte tenu des autres revenus et des déductions autorisées, au taux qui serait applicable si une prestation annuelle était servie en lieu et place de la prestation unique (art. 37 LIFD et 43 LIPP).

9.             Selon le Tribunal fédéral (ATF 145 II 2 consid. 5.1), lorsque le versement en capital remplace des prestations périodiques, sans revêtir un caractère prépondérant de prévoyance, il doit être soumis au taux particulier prévu par l'art. 37 LIFD, c'est-à-dire au taux qui serait applicable si une prestation annuelle était servie en lieu et place de la prestation unique. La loi instaure un système spécial dit « du taux de la rente » pour des versements qui sont effectués en une seule fois, mais qui sont destinés à éteindre une créance relative à des prestations périodiques, le versement devant remplacer une prestation due à l'origine sous une autre forme. S'agissant d'un versement en capital opéré en contrepartie de prestations qui auraient dues être fournies par le passé, un tel système ne s'applique que si, de par leur nature, les prestations en cause auraient normalement dû être versées périodiquement, mais qu'un tel paiement n'a pas eu lieu indépendamment de la volonté du bénéficiaire consiste en effet à éviter que la charge fiscale afférente aux indemnités en capital ne soit supérieure à celle affectant les indemnités qui n'ont pas été régulièrement versées au contribuable sans que ce dernier n'ait eu d'influence sur ces retards.

Les versements de capitaux sont des entrées uniques de capital destinées à éteindre un droit à des prestations périodiques. Les actions et options de collaborateurs, ainsi que les bonus, ne sont pas imposés selon l’art. 37 LIFD. Même si ces prestations sont versées régulièrement seulement après une année d’activité professionnelle auprès du même employeur, il leur manque le caractère de revenus remplaçant des prestations périodiques (Felix RICHNER, Walter FREI, Stefan KAUFMANN, Hans Ulrich MEUTER, Handkommentar zum DBG, 4ème édition, 2023, art. 37, § 8 et 20, p. 785 et 788 et les réf.).

10.         En l’espèce, la prime de maintien en fonction, de CHF 46'667.-, a été versée à la recourante parce qu’elle a accepté de continuer à travailler pour son employeur jusqu’en 2020. Ainsi qu’il découle de la lettre de licenciement, l’intéressée ne disposait pas d’un droit au versement de cette prime, qualifiée de bonus dans son certificat de salaire. De par sa nature, elle ne revêt aucun caractère périodique. D’ailleurs, elle y a été mentionnée dans la catégorie des prestations non périodiques du certificat de salaire de l’intéressée.

En conséquence, elle ne peut être imposée au taux de la rente. C’est à juste titre que l’autorité intimée l’a taxée en plein.

11.         Ne reposant sur aucun motif valable, le recours doit être rejeté.

12.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent, sont condamnés au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 14 décembre 2023 par Madame A______ et Monsieur B______ contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 3 novembre 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de Madame A______ et Monsieur B______, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Federico ABRAR et Stéphane TANNER, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière