Décisions | Chambre de surveillance
DAS/297/2024 du 11.12.2024 sur DTAE/3687/2024 ( PAE ) , ADMIS
En droit
Par ces motifs
republique et | canton de geneve | |
POUVOIR JUDICIAIRE C/19421/2020-CS DAS/297/2024 DECISION DE LA COUR DE JUSTICE Chambre de surveillance DU MERCREDI 11 DECEMBRE 2024 |
Recours (C/19421/2020-CS) formé en date du 10 juin 2024 par Madame A______, domiciliée ______ (Genève), représentée par Me Virginie JORDAN, avocate.
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Décision communiquée par plis recommandés du greffier
du 18 décembre 2024 à :
- Madame A______
c/o Me Virginie JORDAN, avocate.
Rue de la Rôtisserie 4, CP, 1211 Genève 3.
- Monsieur B______
______, ______ [France].
- Madame C______
Madame D______
SERVICE DE PROTECTION DES MINEURS
Route des Jeunes 1E, case postale 75,1211 Genève 8.
- TRIBUNAL DE PROTECTION DE L'ADULTE
ET DE L'ENFANT.
A. a) E______, né le ______ 2017, est issu de la relation hors mariage entretenue par A______ et B______.
b) Par jugement du 10 août 2020, le Tribunal de première instance a, notamment, ordonné le maintien de l'autorité parentale conjointe sur le mineur E______, attribué sa garde à sa mère, dit que les relations personnelles avec le père s'exerceraient à raison d'une heure et demie par quinzaine, avec un temps de battement, selon la prestation "accueil" du Point rencontre, ordonné l'instauration d'une curatelle de surveillance et d'organisation du droit de visite, dit que le père devra fournir au curateur mensuellement un rapport d'analyses sanguines, avec recherche de gamma GT et de toxiques, et prononcé une interdiction d'approcher la mère et l'enfant, sous menace de la peine de l'art. 292 CP.
c) Le droit de visite du père a été suspendu par décision du 2 novembre 2021, suite à l'incarcération de celui-ci en France. Il ressort du rapport du Service de protection des mineurs (SPMi) du 1er octobre 2021 que les visites du père, qui se déroulaient bien, avaient toutes été honorées avant son incarcération.
d) Le 9 novembre 2021, le SPMi a relevé que les analyses de sang des 4 janvier 2021 et 30 juin 2021 transmises par B______ ne présentaient aucune trace d'opiacés mais révélaient une consommation modérée d'alcool. Il convenait de maintenir l'obligation de présentation de tests sanguins à une fréquence trimestrielle.
e) Les visites entre B______ et le mineur ont repris le 6 avril 2022.
f) Le 22 juin 2022, B______ n'ayant pas transmis les tests sanguins nécessaires au maintien de son droit de visite, malgré de réitérées demandes, le SPMi a sollicité la suspension des visites et conditionné leur reprise à la transmission des tests sollicités, ce qui a été autorisé par le Tribunal de protection, sur mesures superprovionnelles du 23 juin 2022, confirmées sur le fond le 22 août 2022.
g) Par ordonnance du 27 mars 2023, le Tribunal de protection a levé la suspension du droit aux relations personnelles du père sur son fils et lui a réservé un droit de visite devant s'exercer durant une heure et demie à quinzaine au sein du Point rencontre, en modalité "accueil", temps de battement compris et a suspendu provisoirement l'obligation faite au père de remettre des tests sanguins à une fréquence trimestrielle.
h) Il ressort du rapport du SPMi du 6 novembre 2023 que les visites, qui avaient repris au mois de juin 2023, se passaient bien. Le lien entre le père et l'enfant se recréait lentement. Le mineur avait cependant encore besoin d'un peu de temps avant d'envisager l'élargissement des visites sollicité par le père.
i) Dans son rapport du 18 mars 2024, le SPMi a relevé que les visites entre E______ et son père se déroulaient toujours bien. Au terme de son analyse de la situation, il a préconisé un élargissement du droit de visite, tout d'abord par une augmentation de la fréquence des rencontres en mode "accueil" au Point rencontre, puis en mode "passage", à la demie journée.
j) Le conseil de A______ a sollicité une prolongation du délai fixé par le Tribunal de protection au 22 avril 2024 pour s'exprimer sur ce rapport, laquelle a été acceptée au 10 mai 2024.
k) Par courrier du 8 mai 2024, une nouvelle prolongation du délai a été sollicitée par le conseil de A______. Ce délai a été prolongé par le Tribunal de protection au 24 mai 2024.
l) Par un nouveau courrier du 24 mai 2024, le conseil de A______ a sollicité une nouvelle prolongation de ce délai au 7 juin 2024, qui lui a été refusée par le Tribunal de protection par courrier du 28 mai 2024. Ce courrier a été transmis au conseil susmentionné par le Tribunal de protection par email du 29 mai 2024.
m) A______ a déposé, à réception de ce refus, le 29 mai 2024, des déterminations au Tribunal de protection sur le rapport du SPMi du 18 mars 2024.
B. Par décision DTAE/3687/2024 du 28 mai 2024, valant décision au fond, prise par apposition de son timbre humide sur le préavis du SPMi du 18 mars 2024, le Tribunal de protection, faisant siens les motifs contenus dans ledit préavis, a autorisé l’élargissement des visites entre B______ et son fils E______ de la manière suivante :
- au Point rencontre en modalité "accueil" : deux semaines consécutives, suivies d’une semaine de pause, dès le mercredi 17 avril 2024, selon le calendrier établi puis, de façon hebdomadaire, dès le mercredi 3 juin 2024, selon le calendrier établi,
- puis au Point rencontre en modalité "passage ", de manière hebdomadaire, à la demi-journée, jour à définir en fonction des activités extrascolaires du mineur, et conditionné à la remise de tests toxicologiques par le père, dès le 1er juillet 2024.
C. a) Par acte du 10 juin 2024, A______, représentée par son conseil, a formé recours contre cette ordonnance, qu’elle a reçue le 31 mai 2024, et a sollicité à pouvoir compléter son recours.
Sur le fond, elle a conclu, préalablement, à la comparution personnelle des parties, à la réalisation d’un rapport complémentaire sur la situation et le bien de l’enfant auprès de F______, psychologue de E______, et à ce qu’elle soit autorisée à compléter ses écritures sur le vu des mesures d’instruction à administrer.
Principalement, elle a conclu à l’annulation de l’ordonnance et, cela fait, à un élargissement du droit de visite entre le père et le fils au Point rencontre, en modalité "accueil" à raison de deux semaines consécutives, suivies d’une semaine de pause, dès septembre 2024, selon calendrier à établir, puis, de façon hebdomadaire, selon calendrier à établir, dès la date à valider "par le rythme de E______ et le retour de sa psychologue", un bilan impliquant tous les intervenants qui entourent E______, mais essentiellement sa psychologue, devant être établi avant de passer à l’étape suivante, pour s’assurer de respecter l’intérêt de l’enfant et son rythme, difficile à prévoir à l’avance.
Elle a également conclu à l’élargissement des visites entre le père et le fils au Point rencontre en modalité "passage" de manière hebdomadaire à la demie- journée, jour à définir en fonction des activités extrascolaires du mineur et conditionnées à la remise de tests toxicologiques par le père, à une date ultérieure, à déterminer selon le rapport de la psychologue du mineur, cet élargissement devant dans un premier temps être accompagné par la structure G______ [centre de consultations familiales], qui permet d’accompagner les droits de visites sur l’extérieur, puis dans un second temps, sans la structure G______ (mais toujours selon les mêmes conditions), après validation de la psychologue du mineur, à ce qu’il soit prescrit que le droit de visite devait s’exercer exclusivement sur le sol suisse et fait interdiction au père de passer la frontière et de quitter le sol suisse en compagnie du mineur, sous la menace de l’art. 292 CP et autorisé la mère à passer quelques mercredis avec le mineur afin d’honorer les rendez-vous médicaux de celui-ci sans avoir à manquer l’école.
Subsidiairement, elle a conclu au renvoi de la cause au Tribunal de protection pour instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants, le tout sous suite de frais et dépens.
Elle a produit ses déterminations du 29 mai 2024 au Tribunal de protection.
b) Le Tribunal de protection n’a pas souhaité revoir sa décision.
c) Ni le père ni le SPMi n’ont déposé d’observations.
1. 1.1.1 Les décisions du Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant sont susceptibles de recours à la Chambre de surveillance de la Cour de justice dans un délai de trente jours à compter de leur notification (art. 440 al. 3, 450b al. 1 et 450f CC; art. 153 al. 1 et 2 LaCC; art. 126 al. 3 LOJ). Le recours doit être dûment motivé et interjeté par écrit auprès du juge (art. 450 al. 3 CC).
1.1.2 Introduit dans le délai utile et selon la forme prescrite auprès de l'autorité compétente, par une personne habilitée à le déposer (art. 450 al. 2 ch. 1 CC), le recours est en l'espèce recevable.
1.2 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen, les faits étant établis et le droit appliqué d'office (art. 446 al. 1 et 4 CC, applicable par renvoi de l'art. 314 al. 1 CC).
2. La recourante se plaint d’une violation de son droit d’être entendue au motif que le Tribunal de protection ne lui a pas accordé un bref délai (un délai de grâce) pour se déterminer, alors qu'un tel délai doit être accordé lorsque le juge envisage de refuser une prolongation de délai.
2.1.1 La procédure applicable au Tribunal de protection est réglée par les art. 31 et suivants LaCC.
Comme la Cour de céans a déjà eu l'occasion de le rappeler (not.: DAS/248/2023, DAS/143/2017 et, très récemment: DAS/252/2024 et DAS/262/2024), dans les procédures concernant les mineurs, le Tribunal de protection entend personnellement les père et mère de l'enfant. S'ils ne comparaissent pas, ils peuvent être amenés par la force publique (art. 38 let. b LaCC). Cette disposition correspond à l'ancien art. 36 al. 4 aLaCC, qui prévoyait l'audition obligatoire des père et mère par le Tribunal tutélaire dans les causes concernant les enfants.
L'audition obligatoire des parents dans les procédures applicables aux enfants est également prévue par le Code de procédure civile fédérale (art. 297 al. 1 CPC).
Elle l'était également sous le régime de la LPC, l'importance que le législateur avait attachée à cette audition s'exprimait par la possibilité de mise en œuvre de la force publique à l'égard des parents récalcitrants (Bertossa/Gaillard/Guyet/ Schmidt, Commentaire de la LPC ad art. 368b n°1 et ad art. 372 n° 1 et 2).
4.1.2 Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. implique, pour l'autorité, l'obligation de motiver sa décision. Selon la jurisprudence, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la
portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. L'autorité n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; 139 IV 179 consid. 2.2; 134 I 83 consid. 4.1 arrêt du Tribunal fédéral 5D_265/2017 du 15 juin 2018 consid. l 3.1). En revanche, si dans la motivation de la décision, il manque toute discussion sur des arguments importants d'une partie, elle viole le droit d'être entendu, indépendamment du bien-fondé, au fond, de l'argumentation qui n'a pas été prise en considération (arrêt du Tribunal fédéral 5A_790/2015 du 18 mai 2016 consid. 4.3 et 4.4).
Malgré son caractère formel, la garantie du droit d'être entendu ne constitue pas une fin en soi. La violation de ce droit peut être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours jouissant d'un plein pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 310 CPC) ou lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 137 I 195 consid. 2.2 et 2.3.2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_453/2016 du 16 février 2017 consid. 4.2.4; 5A_925/2015 du 4 mars 2016 consid. 2.3.3.2 n.p. in ATF 142 III 195).
4.2 Dans le cas d'espèce, la question de l'octroi d'un délai de grâce par le Tribunal de protection peut demeurer indécise, dès lors que le Tribunal de protection a, quoi qu'il en soit, statué au fond sur les relations personnelles entre le mineur et son père par simple apposition de son timbre humide sur un rapport du SPMi du 18 mars 2024, sans audition préalable des parents. Il a certes laissé à la recourante la possibilité de se déterminer par écrit en acceptant de prolonger, à plusieurs reprises, le délai qui lui avait été initialement octroyé, mais il n'en demeure pas moins que l'audition des parents par le juge n'a pas pour seule vocation de respecter le droit des parties à être entendues, mais constitue également un moyen pour le juge d'établir les faits. Ainsi, en se dispensant d'auditionner les parents, le Tribunal de protection a violé la loi et la jurisprudence constante de la Cour de céans, telles que rappelées ci-dessus.
Au surplus, la décision rendue sur le fond, par simple apposition d'un timbre humide, ne permet pas aux parties qui la reçoivent de savoir quels faits le Tribunal de protection a véritablement retenus et comment il a appliqué le droit à ces faits, de sorte qu'il doit être considéré qu'une telle décision, lorsqu'elle est rendue sur le fond, est insuffisamment motivée et rend difficile pour les parties la possibilité de l'attaquer en toute connaissance de cause. Ainsi, la décision rendue viole, de ce point de vue, le droit d'être entendu des parties. Cette violation ne peut être réparée par la Chambre de céans, laquelle n'a pas vocation à établir les faits en lieu et place du Tribunal de protection.
Par conséquent, au regard des développements qui précèdent, la décision attaquée doit être annulée sans qu'il soit besoin d'aborder le fond ni de se pencher sur les questions préalables de la recourante.
La cause doit être retournée au Tribunal de protection pour suite d’instruction et nouvelle décision.
3. Les causes en fixation de relations personnelles ne sont pas gratuites (art. 67A et B RTFMC et 77 LaCC). Compte tenu de l’issue de la procédure de recours, les frais judiciaires, arrêtés à 400 fr., seront laissés à la charge de l’Etat de Genève et l'avance de frais effectuée sera restituée à la recourante.
Il n'est pas alloué de dépens.
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La Chambre de surveillance :
A la forme :
Déclare recevable le recours formé le 10 juin 2024 par A______ contre la décision DTAE/3687/2024 rendue le 28 mai 2024 par le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant dans la cause C/19421/2020.
Au fond :
L'admet et annule la décision attaquée.
Cela fait :
Retourne la cause au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant pour suite d'instruction dans le sens des considérants et nouvelle décision.
Sur les frais :
Laisse les frais, arrêtés à 400 fr., à la charge de l'Etat de Genève.
Ordonne aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de restituer à A______ la somme de 400 fr.
Dit qu’il n’est pas alloué de dépens.
Siégeant :
Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Mesdames Paola CAMPOMAGNANI et Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, juges; Madame Jessica QUINODOZ, greffière.
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Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral - 1000 Lausanne 14.