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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/523/2019

ACST/14/2022 du 14.10.2022 ( ABST ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/523/2019-ABST ACST/14/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 14 octobre 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______
et
B______
représentés par Me Christian Van Gessel, avocat

contre

GRAND CONSEIL

 


EN FAIT

1) B______ (ci-après : l’association) est une association au sens des art. 60 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210). Monsieur A______ en est le président.

2) Le 26 avril 2018, le Grand Conseil a adopté la loi 11'764 sur la laïcité de l’État (LLE - A 2 75), entrée en vigueur le 9 mars 2019, dont les art. 3, 6 et 7 ont la teneur suivante :

« Art. 3

Neutralité religieuse de l’État

1 L’État est laïque. Il observe une neutralité religieuse. Il ne salarie ni ne subventionne aucune activité cultuelle.

La neutralité religieuse de l’État interdit toute discrimination fondée sur les convictions religieuses, ou l’absence de celles-ci, ainsi que toute forme de prosélytisme. Elle garantit un traitement égal de tous les usagers du service public sans distinction d’appartenance religieuse ou non.

Les membres du Conseil d’État, d’un exécutif communal, ainsi que les magistrats du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions et, lorsqu’ils sont en contact avec le public, ils s’abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.

4 Lorsqu’ils siègent en séance plénière, ou lors de représentations officielles, les membres du Grand Conseil et des Conseils municipaux s’abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des signes extérieurs.

Les agents de l’État, soit ceux du canton, des communes et des personnes morales de droit public, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions et, lorsqu’ils sont en contact avec le public, ils s’abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.

6 Les cérémonies officielles et les prestations de serment sont organisées selon des modalités respectant la neutralité religieuse.

 

Art. 6

Manifestations religieuses de nature cultuelle et non cultuelle

1 Les manifestations religieuses cultuelles se déroulent sur le domaine privé.

2 À titre exceptionnel, les manifestations religieuses cultuelles peuvent être autorisées sur le domaine public. Dans ces cas-là, les dispositions de la loi sur les manifestations sur le domaine public, du 26 juin 2008, s’appliquent.

3 Les manifestations religieuses non cultuelles sur le domaine public sont soumises aux dispositions de la loi sur les manifestations sur le domaine public, du 26 juin 2008.

4 L’autorité compétente tient compte des risques que la manifestation peut faire courir, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre public, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

 

Art. 7

Restrictions relatives aux signes extérieurs

1 Afin de prévenir des troubles graves à l’ordre public, le Conseil d’État peut restreindre ou interdire, sur le domaine public, dans les bâtiments publics, y compris les bâtiments scolaires et universitaires, pour une période limitée, le port de signes religieux ostentatoires. En cas de recours, le tribunal compétent statue dans un délai de 15 jours.

Dans les administrations publiques, les établissements publics ou subventionnés, ainsi que dans les tribunaux, le visage doit être visible. Les exceptions sont traitées par voie réglementaire. »

3) Par acte du 8 février 2019, M. A______ et l’association ont recouru auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre la LLE, concluant à l’annulation des art. 3 al. 3 à 5, 6 al. 1 et 2 et 7 al. 1 et 2 de la loi et à l’octroi d’une indemnité de procédure.

4) Par arrêt du 21 novembre 2019 (ACST/35/2019), la chambre constitutionnelle a partiellement admis le recours, annulé l’art. 3 al. 4 LLE, mis un émolument de CHF 500.- à la charge de l’association et alloué à celle-ci, ainsi que solidairement à M. A______, une indemnité de CHF 1'000.- à la charge de l’État.

S'agissant de l'art. 6 al. 2 LLE, elle a retenu que les termes « à titre exceptionnel » étaient problématiques, mais que la disposition pouvait recevoir une application conforme au droit supérieur, dans le sens où, lorsque les manifestations cultuelles ne peuvent pas, pour une raison ou une autre, se dérouler sur le domaine privé, même si celui-ci ne doit pas être nécessairement clos selon les travaux préparatoires, elles doivent pouvoir se dérouler sur le domaine public aux mêmes conditions que les manifestations religieuses non cultuelles.

5) Contre cet arrêt, M. A______ et l’association ont interjeté un recours au Tribunal fédéral, concluant à l’annulation des art. 3 al. 3 à 5, 6 al. 1 et 2 et 7 al. 1 et 2 LLE.

6) Par arrêt du 23 décembre 2021 (2C_1079/2019), le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours dans la mesure de sa recevabilité, annulé partiellement l’arrêt de la chambre constitutionnelle et l’a réformé dans le sens que la condition « à titre exceptionnel » prévue par l’art. 6 al. 2 LLE est annulée. Il a en outre renvoyé la cause à la chambre constitutionnelle afin qu’elle statue à nouveau sur les frais et dépens de la procédure accomplie devant elle.

7) Le 12 avril 2022, le juge délégué a invité les parties à se déterminer sur la question des frais et indemnités.

8) Par courrier daté du 29 novembre 2022 (sic), M. A______ et l’association ont indiqué que les frais et dépens devaient être corrigés. La condamnation de l’association au paiement d’un émolument de CHF 500.- devait être annulée, voire largement diminuée. L’indemnité de procédure, initialement fixée à CHF 1'000.-, devait être augmentée dans la même mesure.

9) Le 25 avril 2022, le Grand Conseil s’en est remis à la pratique et à l’appréciation de la chambre constitutionnelle sur ces questions.

10) Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

 

EN DROIT

1) L’objet du renvoi de la cause est limité à la fixation des frais et indemnités pour la procédure cantonale.

2) a. La chambre de céans statue sur les frais de procédure et émoluments dans les limites établies par règlement du Conseil d’État et conformément au principe de la proportionnalité (art. 87 al. 1 et 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; ACST/7/2022 du 27 avril 2022 consid. 2a).

Selon l’art. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les frais de procédure qui peuvent être mis à la charge de la partie comprennent l’émolument d’arrêté au sens de l’art. 2 et les débours au sens de l’art. 3. En règle générale, l’émolument d’arrêté n’excède pas CHF 10'000.- (art. 2 al. 1 RFPA) ; toutefois, dans les contestations de nature pécuniaire, il peut dépasser cette somme, sans excéder CHF 15'000.- (art. 2 al. 2 RFPA).

Un principe général de procédure administrative veut que les frais soient supportés par la partie qui succombe et dans la mesure où elle succombe (René RHINOW et al., Öffentliches Prozessrecht, 3ème éd., 2021, n. 971 ; Regina KIENER/Bernhard RÜTSCHE/Mathias KUHN, Öffentliches Prozessrecht, 3ème éd., 2021, n. 1673).

La chambre de céans dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant à la quotité de l’émolument qu’elle met à charge de la partie qui succombe. Cela résulte notamment de l’art. 2 al. 1 RFPA, dès lors que ce dernier se contente de plafonner – en principe – l’émolument d’arrêté à CHF 10'000.- (ACST/7/2022 précité consid. 2b).

Il est de jurisprudence constante que la partie qui succombe supporte une partie des frais découlant du travail qu’elle a généré par sa saisine (ACST/7/2022 précité consid. 2c ; ATA/779/2022 du 9 août 2022 consid. 2c). Les frais de justice sont des contributions causales qui trouvent leur fondement dans la sollicitation d’une prestation étatique et, partant, dépendent des coûts occasionnés par le service rendu. Il est cependant notoire que, en matière judiciaire, les émoluments encaissés par les tribunaux n’arrivent pas, et de loin, à couvrir leurs dépenses effectives (ATF 143 I 227 consid. 4.3.1 ; 141 I 105 consid. 3.3.2).

b. Par ailleurs, la juridiction administrative peut, sur requête, allouer à la partie ayant eu entièrement ou partiellement gain de cause une indemnité pour les frais indispensables causés par le recours (art. 87 al. 2 LPA).

L’art. 6 RFPA, intitulé « indemnité », prévoit que la juridiction peut allouer à une partie, pour les frais indispensables occasionnés par la procédure, y compris les honoraires éventuels d’un mandataire, une indemnité de CHF 200.- à CHF 10’000.-.

La juridiction saisie dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant à la quotité de l’indemnité allouée et, de jurisprudence constante, celle-ci ne constitue qu’une participation aux honoraires d’avocat (ACST/41/2019 du 19 décembre 2019 consid. 4), ce qui résulte aussi, implicitement, de l’art. 6 RFPA dès lors que ce dernier plafonne l’indemnité à CHF 10'000.-. Enfin, la garantie de la propriété (art. 26 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 ; Cst. - RS 101) n’impose pas une pleine compensation du coût de la défense de la partie victorieuse (arrêt du Tribunal fédéral 1C_58/2019 du 31 décembre 2019 consid. 3.4).

Pour déterminer le montant de l’indemnité, il convient de prendre en compte les différents actes d’instruction, le nombre d’échanges d’écritures et d’audiences. Quant au montant retenu, il doit intégrer l’importance et la pertinence des écritures produites et de manière générale la complexité de l’affaire (arrêt du Tribunal fédéral 1C_58/2019 précité consid. 3.4). La fixation des dépens implique une appréciation consciencieuse des critères qui découlent de l’esprit et du but de la réglementation légale (arrêt du Tribunal fédéral 2D_35/2016 du 21 avril 2017 consid. 6.2).

3) En l’espèce, la chambre de céans, dans son arrêt du 21 novembre 2019, a annulé l’art. 3 al. 4 LLE, le Tribunal fédéral ayant, en outre, réformé ledit arrêt dans le sens que la condition « à titre exceptionnel » prévue par l’art. 6 al. 2 LLE devait être annulée. Ce faisant, les recourants, qui contestaient au plan cantonal et fédéral, outre ces dispositions, l’art. 3 al. 3 et 5, l’art. 6 al. 1 et l’art. 7 al. 1 et 2 LLE, n’ont que partiellement obtenu gain de cause. Il se justifie dès lors de mettre à la charge de l’association – M. A______ étant au bénéfice de l’assistance juridique – un émolument réduit, de CHF 250.-. L’indemnité de procédure accordée aux recourants, pris solidairement, sera en outre fixée à CHF 1'500.-.

4) Conformément à la pratique courante de la chambre de céans, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA) ni alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA) pour le présent arrêt.

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE
Statuant à nouveau sur les frais :

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument de la part de Monsieur A______ ;

met un émolument de CHF 250.- à la charge de B______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'500.- à Monsieur A______ et à B______, pris solidairement, à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Christian van Gessel, avocat des recourants, ainsi qu’au Grand Conseil.

Siégeant : M. Verniory, président, Mmes Krauskopf et Lauber, MM. Knupfer et Mascotto, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

 

C. Gutzwiller

 

le président siégeant :

 

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

la greffière :