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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/6101/2021

CAPH/48/2024 du 03.06.2024 sur JTPH/288/2023 ( OO ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/6101/2021 CAPH/48/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU LUNDI 3 JUIN 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______ [VD], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 1er septembre 2023 (JTPH/288/2023), représentée par Me Romain FELIX, avocat, SULMONI & FÉLIX, rue de Saint-Léger 2, 1205 Genève,

et

B______ SA, ayant son siège rue Kazem-Radjavi 8, 1202 Genève, intimée, représentée par Me Daniel KINZER, avocat, CMS VON ERLACH PARTNERS SA, Esplanade de Pont-Rouge 9, case postale 1875, 1211 Genève 26.

 


EN FAIT

A.           a. Par jugement du 1er septembre 2023, notifié le 4 du même mois, le Tribunal des Prud'hommes, statuant par voie de procédure ordinaire, a notamment condamné B______ SA à verser à A______ la somme brute de 35'673 fr. 65 avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er avril 2021 à titre du solde de la rémunération variable due selon le PSIP 2020 (ch. 3 du dispositif), a invité la partie qui en avait la charge à opérer les déductions sociales et légales usuelles (ch. 4) et a débouté A______ de ses conclusions en versement d'une indemnité pour licenciement abusif (ch. 5).

Les frais judiciaires, arrêtés à 2'779 fr. 75 (1'120 fr. d'émolument forfaitaire de décision + 1'659 fr. 75 d'indemnités versées aux interprètes et témoins) (ch. 6) et partiellement compensés avec l'avance de frais de 200 fr. effectuée par A______, acquise à l'Etat de Genève (ch. 8), ont été répartis par moitié entre les parties (ch. 7). A______ a en conséquence été condamnée à verser la somme de 1'189 fr. 90 aux Services financiers du Pouvoir judiciaire (ch. 9) et B______ SA la somme de 1'389 fr. 85 (ch. 10).

b. Par acte déposé au greffe de la Cour de justice le 3 octobre 2023, A______ a formé appel à l'encontre dudit jugement. Elle a conclu à l'annulation des chiffres 5 et 7 à 10 de son dispositif, à la condamnation de B______ SA à lui verser la somme nette de 76'668 fr. avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er octobre 2020 à titre d'indemnité pour licenciement abusif, ainsi qu'à prendre en charge les frais judiciaires de la procédure de première instance et d'appel et à la confirmation du jugement entrepris pour le surplus.

c. Aux termes de son mémoire de réponse expédié le 20 novembre 2023 au greffe de la Cour de justice, B______ SA a conclu au rejet de l'appel, à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de A______ aux frais de la procédure d'appel.

d. A______ a répliqué le 3 janvier 2024 et B______ SA a dupliqué le 5 février 2024, persistant chacune dans leurs conclusions respectives.

e. Chacune des parties a encore, les 14 et 26 février 2024, déposé des déterminations spontanées.

f. Par plis séparés du 15 mars 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

B.            a. B______ SA est une société de droit suisse dont le siège se situe à Genève. Son but est la fabrication et la vente de produits de ______ ainsi que la détention de participations dans le capital d'autres sociétés, sur le plan international, et la fourniture de services, en particulier financiers, aux sociétés du groupe B______.

b. Par contrat de travail de durée indéterminée conclu le 31 août 2018, A______ a été engagée à temps complet par B______ SA en qualité de "Digital Journey Oversight Director", avec entrée en fonction le 1er novembre 2018. Elle n'avait, dans ses précédents emplois, jamais occupé un poste de directeur.

Le salaire annuel brut convenu s'élevait à 230'004 fr., ce qui représentait un salaire mensuel brut de 19'167 fr. A______ bénéficiait par ailleurs d'une rémunération variable sous la forme d'un plan incitatif d'intéressement intitulé "Profit Sharing Incentive Plan" (PSIP). L'objectif de rémunération de ce plan représentait 22% de son salaire fixe, soit 50'600 fr. 90 bruts.

Le poste de "Digital Journey Oversight Director" était nouveau. Il était rattaché au département Digital Business Unit (DBU), lequel avait été créé à la fin de l'année 2018.

Lorsque A______ a débuté son emploi, son supérieur hiérarchique direct était C______. Entendu en qualité de témoin, ce dernier a déclaré avoir engagé A______ en raison de ses compétences et de son expérience. Il n'avait pas attribué de tâches spécifiques à ses subordonnés. Chacun d'eux travaillait sur l'établissement de la stratégie digitale globale. Il avait défini une stratégie digitale globale et un plan d'exécution dès la fin de l'année 2018. A______ faisait un très bon travail dans l'ensemble des domaines du projet digital. Elle avait un esprit d'équipe et de bonnes connaissances, de sorte qu'elle avait une grande valeur.

c. Au mois de mai 2019, C______, qui prenait sa retraite au mois de juin 2019, a été remplacé par D______.

Auditionné en qualité de témoin, E______, manager des ressources humaines au sein de B______ SA jusqu'en 2020, a déclaré que C______ était plutôt orienté technologie de l'information (IT) alors que D______ avait une expérience digitale que personne d'autre n'avait au sein de B______ SA.

d. Dès son arrivée, D______ a, dans l'attente d’une stratégie digitale clairement définie, assigné une nouvelle fonction à A______, en lieu et place de ses tâches habituelles, à savoir Scrum Master du projet "Consumer Engagement Plateform" (projet CEP).

Auditionnée en qualité de témoin, D______, qui a travaillé pour B______ SA jusqu'au mois de janvier 2022, a déclaré que A______ était un Scrum Master certifié et était enthousiaste à l’idée d’occuper cette fonction. L’équipe du projet n’avait toutefois pas souhaité continuer à travailler avec elle à cette fonction, raison pour laquelle elle avait cédé son poste à une autre personne plus accomplie dans ce rôle. Elle était néanmoins demeurée dans l'équipe. D______ a précisé que lorsqu'elle avait attribué cette tâche à A______, elle était confiante sur le fait que celle-ci pouvait la mener à bien.

F______, chef de projet au sein du département informatique de B______ SA depuis juin 2019, a travaillé avec A______ dans le cadre du projet "Consumer Engagement Plateform". Lors de son audition en qualité de témoin, il a déclaré que A______ avait comme fonction project manager officer. Selon lui, elle avait toujours bien travaillé. Il se basait sur la collaboration constatée entre les membres du projet pour fonder son affirmation. Il ne supervisait pas A______, qui occupait une position supérieure à la sienne.

e. Au mois de septembre 2019, la stratégie digitale globale de B______ SA a été finalisée et A______ a réintégré sa fonction initiale. Elle avait pour tâche de définir les processus, les méthodes de travail, ainsi que les rôles et les responsabilités au sein du département DBU. Un cabinet de conseil en management dénommé G______ avait été mis à sa disposition.

D______ a déclaré que A______ avait été en charge dans un premier temps de la gestion des ateliers avec l’aide et le soutien du cabinet G______. Elle avait rencontré des difficultés dans l'exécution de cette tâche malgré son aide et celui du cabinet de conseil, même si elle avait progressé.

Entendu en qualité de témoin, H______, consultant pour le cabinet de conseil G______, a déclaré avoir rencontré A______ à une seule reprise. Il avait assisté à un atelier préparé par l’équipe de D______ et dirigé en partie par A______. Cet atelier n’avait pas été jugé satisfaisant, mais il ne pouvait pas juger de la qualité du travail fourni dans ce cadre par A______. D______ lui avait indiqué qu’elle souhaitait que l’équipe en place prépare mieux le prochain atelier. Il ne se souvenait pas si A______ manquait d’expérience. D______ avait demandé au cabinet d'accompagner celle-ci et de la soutenir encore plus dans la préparation des ateliers car elle n’était pas satisfaite de ses performances. Lorsque le cabinet avait pour mission d’accompagner un collaborateur au sein d’une entreprise, cela pouvait être soit parce que cet employé avait besoin d’aide et de ressources supplémentaires, soit parce que le travail fourni par cet employé n’était pas jugé suffisamment bon.

I______, vice-président du département informatique au sein de B______ SA, a déclaré avoir assisté, en automne 2019, à un atelier organisé par l’équipe de D______. Il ne se souvenait pas particulièrement de la prestation de A______, mais il n’avait pas non plus le souvenir qu’elle avait été mauvaise. Cet atelier était bien organisé et avait produit de bons résultats. A______ s'était par ailleurs occupée d'un programme (Projet Management Office), qu'il avait "vu de loin" et qui selon lui était également bien organisé.

f. En janvier 2020, D______ a procédé à l'évaluation de A______ pour l'année 2019, lors de laquelle elle a estimé que celle-ci remplissait les attentes dans deux domaines, à savoir la fiabilité et l'esprit d'équipe, mais avait un besoin d'amélioration dans les autres domaines.

Le rapport d'évaluation mentionne notamment que l'affectation de A______ au sein du projet "Consumer Engagement Plateform" n'avait pas fonctionné, l'équipe ayant demandé un nouveau Scrum Master. Elle était toutefois demeurée dans l'équipe en tant que soutien au projet. Lors de la reprise de sa fonction initiale, elle avait reçu un soutien externe pour l'accompagner dans la réalisation de ses nouvelles tâches. Elle avait travaillé dur pour accomplir les tâches confiées, mais elle n'avait pas encore l'expérience nécessaire pour exercer la fonction de directeur. Elle n'avait ainsi pas été en mesure de démontrer une vision stratégique, de la clairvoyance et une capacité à mettre en place un nouveau domaine. Le poste occupé par A______ était crucial pour la stratégie numérique de B______ SA et nécessitait un directeur expérimenté avec un esprit stratégique.

D______ a déclaré que cette évaluation était correcte, fondée et reflétait la réalité. Elle avait identifié et expliqué à A______ ce qu’elle devait améliorer. Elle lui avait notamment demandé d’assumer son rôle de directrice et lui avait expliqué qu’elle considérait qu’elle ne performait pas suffisamment au regard de la fonction pour laquelle elle avait été engagée. Elle ne se souvenait pas lui avoir dit qu’elle manquait de vision.

C______ a déclaré que D______ n’avait jamais pris contact avec lui à la fin de l’année 2019 afin de recueillir son avis sur ses anciens collaborateurs, dont faisait partie A______. Selon lui, elle était supposée tenir compte de son avis dans le cadre de l’évaluation 2019.

g. A______ n'était pas d'accord avec l'évaluation. Le 11 février 2020, elle a eu un entretien avec la directrice des ressources humaines de B______ SA, J______, et lui a demandé conseil à ce sujet. Selon les déclarations de cette dernière, à aucun moment, durant cet entretien, A______ ne lui a parlé d’un quelconque comportement inapproprié de D______ à son égard.

h. A la suite de cette évaluation, A______ s’est vue attribuer, le 31 janvier 2020, une mission spécifique d'un mois par D______ en lien avec la stratégie et le modèle d’exploitation du département de la stratégie digitale. Un premier projet du modèle opérationnel devait être remis à la fin du mois de février 2020.

D______ a déclaré que cette mission avait pour objectif de permettre à A______ de prouver qu’elle avait le niveau et les compétences requises pour le poste qu’elle occupait au sein de B______ SA.

Auditionné en qualité de témoin, K______, responsable des ressources humaines chez B______ SA, a confirmé qu'une mission spécifique avait été attribuée à A______ car elle avait besoin de s'améliorer. D______ souhaitait s'assurer qu'elle était capable de performer et d'atteindre le niveau exigé par sa fonction. Les objectifs de la mission avaient été établis par D______.

J______ a expliqué que la mission spéciale était une pratique utilisée au sein de B______ SA pour donner à un employé la possibilité d’atteindre des objectifs à court terme et donc de s’améliorer. La durée de la mission dépendait de l'accord entre l'employé et son supérieur hiérarchique ainsi que des objectifs fixés.

i. Quelques jours auparavant, soit le 16 janvier 2020, J______ a adressé un courriel à D______ et K______ résumant leurs échanges. Il est notamment mentionné ce qui suit:

"A______ – prise en charge, livraison de la qualité standard requise. 1 mois. L'impression donne que cela ne va pas fonctionner, mais nous serions ravis de voir que cela pourrait s'améliorer. Feedback et objectifs pour un mois à documenter".

J______ a déclaré avoir participé à une réunion en présence de K______ et D______ au cours de laquelle cette dernière avait indiqué avoir des soucis concernant l’attitude de travail de A______ et la qualité du travail fourni. Elle n'était personnellement pas en mesure de faire des commentaires concernant les prestations de travail de A______ car elle n’avait eu que très peu d’interactions avec cette dernière. D______ s’attendait à ce que A______ relève les défis qui lui avaient été fixés, même si elle avait des doutes au sujet de leur accomplissement. Elle ignorait si les exigences de D______ étaient plus élevées que celles de C______.

K______ a confirmé que D______ pensait que A______ pourrait atteindre les objectifs de la mission. Il n'était pas le supérieur hiérarchique de A______ et ne pouvait donc pas se prononcer sur la qualité de son travail.

j. En raison d'une incapacité de travail, A______ a remis son premier projet de modèle opérationnel le 17 mars 2020.

k. Par courriel du 26 mars 2020, D______ a informé A______ que le modèle opérationnel présenté après deux mois nécessitait encore beaucoup de travail et ne répondait pas à ses attentes. Lors de son audition, elle a déclaré que A______ lui avait remis des ébauches d’éléments du projet, et non un travail fini.

A______ a, par courriel du même jour, exprimé sa surprise, relevant notamment que si, lors de sa présentation du modèle, elle lui avait demandé certaines améliorations, elle avait compris qu'elle était dans l'ensemble très satisfaite.

A______ a expliqué, qu'à la suite de sa présentation du modèle opérationnel, début 2020, D______ lui avait dit oralement que beaucoup d'efforts avaient été fournis et qu'elle était très contente du résultat. Elle avait ainsi été choquée lorsqu'elle avait pris connaissance du contenu du courriel du 26 mars 2020.

D______ a déclaré que le modèle n'avait pas pu être achevé en raison de la pandémie.

l. Début avril 2020, A______ a été à nouveau libérée de ses tâches habituelles pour être exclusivement affectée à la Taskforce COVID constituée au sein de B______ SA.

A______ a été en incapacité de travail à 100% du 10 au 14 juin 2020 puis à 50% jusqu’au 20 juin 2020.

m. D______ a déclaré que A______, qui devait devenir une des cheffes du DBU conformément à son statut de directrice, avait une charge de travail normale. Si elle avait certes des exigences différentes de celles de C______, les prestations de A______ n’étaient pas toujours de grande qualité. Elle lui avait dit qu'elle n'était pas satisfaite de son travail, tant oralement que par écrit. A______ avait disposé d’aide pour s’améliorer et progresser, tant de sa part que de celle du cabinet de conseil externe G______. Elle n’avait cependant pas performé au niveau des exigences requises pour son poste, que cela soit dans la gestion des ateliers ou dans le cadre de sa fonction de Scrum Master au sein du projet Consumer Engagement Plateform. Lorsque A______ faisait quelque chose de bien, elle lui disait qu’elle était satisfaite.

n. Entre le 14 mai et le 17 juin 2020, A______ a, à sa demande, eu plusieurs entretiens avec le manager des ressources humaines de B______ SA, E______. Ce dernier lui a conseillé d'entreprendre une médiation avec D______ et de faire appel à la personne de confiance externe de B______ SA.

E______ a déclaré qu’il existait un différend entre D______ et A______. Il avait parlé à cette dernière à de nombreuses reprises au sujet de ce différend et également à propos d’autres sujets. A______ lui avait indiqué que les exigences de D______ étaient trop élevées et que c’était difficile pour elle de répondre à ses attentes. A son souvenir, il existait tant de la part de D______ que de A______ des plaintes concernant le comportement de l'une envers l'autre. Il ne se souvenait pas de ce que A______ lui avait dit au sujet du comportement de D______. Lorsque A______ s'exprimait, son énergie était assez faible. Elle avait l'air affectée.

E______ a également expliqué que, de manière générale, une enquête interne était amorcée lorsque l’employé s’adressait à une personne désignée qui remontait l’information au comité. C’était ce comité qui décidait de la mise en place d’une enquête. Ce processus était extérieur à son activité de manager au sein des ressources humaines. Il aurait également pu, dans les faits, remonter certaines informations au comité. Lorsqu’un employé venait le voir, le contenu des entretiens restait confidentiel, à moins que l’employé demande de le rendre public. D______ ne pouvait dès lors pas avoir connaissance des plaintes formulées par A______ à son encontre sans l’autorisation de celle-ci.

o. B______ SA a expliqué que les employés disposaient de plusieurs outils en cas de comportement inapproprié au sein de la société. Ils pouvaient adresser une demande au département Compliance ou utiliser le programme ad hoc "Raise Your Voice" afin d'obtenir l’ouverture d’une enquête interne ou faire appel à une personne de confiance externe. Selon elle, une enquête interne n’avait pas été initiée dans le cas de A______ non seulement parce que celle-ci n’avait pas consulté les bonnes personnes au sein des bons départements, mais également parce qu’elle n’en avait pas fait formellement la demande auprès des ressources humaines lors de ses entretiens.

A______ a déclaré qu'elle ignorait à l’époque la procédure exacte à suivre afin de déclencher une enquête interne à l’encontre de D______ et pensait, de par son expérience professionnelle, que s’adresser aux ressources humaines était la démarche à effectuer.

p. Différents témoins se sont exprimés au sujet de la relation entretenue par A______ et D______.

p.a I______ a déclaré que A______ lui avait parlé de comportements inappropriés de D______. Elle lui avait dit qu’il était très difficile de travailler avec cette dernière. Il lui avait alors prodigué des conseils et des idées afin d'améliorer leur collaboration. Il ne se souvenait toutefois pas de lui avoir recommandé d’aller voir une personne ou un département en particulier. Il ignorait si D______ avait réellement eu un comportement inapproprié. Il n’avait rien vu de tel et n’était jamais dans la même salle que les précitées, à part à l’occasion de grandes réunions.

p.b L______, directeur au sein de B______ SA et ancien collègue de A______, a déclaré que celle-ci s'était plainte auprès de lui du comportement de D______. Il n’était toutefois pas au courant de comportements inappropriés qu’aurait pu avoir D______ à l’égard de A______. Il n’avait rien observé de particulier. Il avait eu des discussions avec plusieurs personnes sur le style parfois très directif de management de D______. Cette dernière pouvait rabaisser le travail de tous en général, notamment lorsque, de temps à autre, elle n’appréciait pas les prestations fournies.

p.c D______ a déclaré ne jamais avoir eu un comportement inapproprié à l’égard de A______ et ne pas se souvenir de l’avoir critiquée sans raison ni de l’avoir écartée des communications avec la hiérarchie. Elle l’avait au contraire coachée et ne lui avait pas mis de pression inutile. Elle ne pensait pas lui avoir confié des tâches qui n'étaient pas nécessaires et ne se souvenait pas lui avoir demandé de garder ses opinions pour elle.

q. Par courrier du 25 juin 2020, B______ SA a licencié A______ pour le 30 septembre 2020 et l'a libérée de son obligation de travailler. Elle a joint à son courrier une proposition de convention de fin des rapports de travail (Separation Agreement) et a imparti à son employée un délai d’acceptation au 9 juillet 2020.

D______ a déclaré avoir pris la décision de licencier A______ conjointement avec son propre supérieur et le département des ressources humaines, soit pour lui K______ et E______. Elle avait pris la décision de licencier A______, puis en avait discuté avec son supérieur qui avait approuvé sa décision. Ils en avaient ensuite parlé aux ressources humaines. Cette décision avait été prise car A______ n’arrivait pas à performer à satisfaction en sa qualité de directrice du DBU. Elle n'avait rien contre elle personnellement. Elle n’avait aucunement eu connaissance de plaintes formulées à son encontre par A______ auprès des ressources humaines. Ses premiers contacts avec le département des ressources humaines avaient eu lieu fin 2019, un processus devant être respecté en cas de licenciement. Elle leur avait fait part de ses soucis avec A______ et leur avait demandé conseil. Elle ne se souvenait plus exactement quand la décision de licenciement avait été prise. C’était en tous les cas après que A______ lui avait rendu le rapport en lien avec la mission spéciale qu’elle lui avait attribuée. La décision n'avait pas été prise immédiatement. C’était la période du COVID-19 et tous les employés étaient en télétravail.

K______ a quant à lui expliqué avoir validé la décision communiquée par D______ et E______ de licencier A______. Il appartenait à D______ de prendre la décision et elle l’avait prise. Il l’avait par la suite validée. Lors de la discussion qu’il avait eue avec D______ et E______, il n’avait pas été question des plaintes que A______ avait formulées à l’encontre de D______.

E______ a également déclaré que la décision de licencier A______ avait été prise par D______. Le département des ressources humaines était venu en support.

r. Le 21 juillet 2020, A______ a adressé un courrier à B______ SA par lequel elle sollicitait notamment la motivation écrite de son congé et formait opposition à son licenciement, qu’elle considérait abusif. Elle a en outre refusé de signer le projet de convention.

s. Par email du 21 juillet 2020, B______ SA a, à nouveau, proposé à A______ de signer la convention, sans y apporter de modification, ce que cette dernière a refusé une seconde fois.

t. Fin septembre 2020, B______ SA a payé à A______ son salaire fixe, le solde de ses vacances et la somme brute de 37'951 fr. au titre du PSIP 2020 au prorata temporis de janvier à septembre avec un taux (target) de 100% comme annoncé dans la lettre de licenciement.

C. a. Par demande déposée en conciliation le 26 mars 2021, déclarée non conciliée le 19 mai 2021 et introduite devant le Tribunal des Prud'hommes le 20 septembre 2021, A______ a notamment assigné B______ SA en paiement de la somme de 76'668 fr. nets, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 1er octobre 2020, à titre d’indemnité pour licenciement abusif.

A l'appui de sa demande, A______ a en substance allégué avoir subi de nombreuses atteintes à sa personnalité à la suite d'actes hostiles répétés à son encontre de la part de sa nouvelle supérieure hiérarchique, D______. Dès sa prise de fonction en remplacement de C______, cette dernière avait tenu des propos irrespectueux à son sujet en la critiquant sans raison et en la rabaissant tant personnellement que professionnellement. Elle l’avait systématiquement écartée de toutes communications avec la hiérarchie et avait refusé de la soutenir et de la former, tout en lui infligeant des pressions inutiles.

D______ lui avait attribué la tâche spécifique et technique de Scrum Master inadaptée à ses compétences dans le cadre du projet Consumer Engagement Plateform dans le seul et unique but de la critiquer et de lui reprocher ses prétendues insuffisances. Il en avait été de même lorsque, en 2020, elle lui avait assigné une tâche spécifique liée à la stratégie et au modèle d’exploitation du département de la stratégie digitale. Afin de tenter de remplir cette tâche, elle avait été contrainte de travailler très durement, y compris durant une période d’incapacité de travail. Les pressions constantes de la part de D______ avaient commencé à affecter sa santé mentale et physique, entraînant notamment de l’anxiété et des troubles de la concentration et de la mémoire, ainsi qu'une incapacité de travail au mois de juin 2020. Malgré cette situation, elle avait continué à fournir un travail de qualité, qui avait généré des commentaires positifs de la part de l’ensemble de ses supérieurs hiérarchiques à l’exception naturellement de D______, qui avait, lors de son évaluation 2019, formulé des reproches infondés sur la qualité de son travail.

Face à ce comportement, elle avait fait appel aux ressources humaines en février 2020, puis en mai et juin 2020. Elle avait également consulté le programme d’assistance aux employés (Employee Assistance Program). Malgré les démarches entreprises, B______ SA n’avait mené aucune investigation par le biais d’une enquête interne et n’avait jamais pris aucune mesure appropriée pour la préserver des actes hostiles de D______ à son égard. Au contraire, son employeur l’avait licenciée suite à ses plaintes, ce qui rendait son licenciement abusif.

b. B______ SA a conclu au déboutement de A______ de sa demande en paiement.

B______ SA a notamment allégué que A______ commençait chaque nouvelle mission avec grand enthousiasme et déployait des efforts considérables. Cela étant, il avait été constaté qu’elle manquait d’expérience et présentait des lacunes importantes pour exercer le rôle de directrice, position qu’elle n’avait jamais occupée précédemment. Elle manquait en particulier d’initiative et de vision stratégique. Elle n’était pas en mesure de définir un but final recherché et de communiquer ses idées de manière efficiente, rapide et professionnelle. Malgré des coachings de la part du cabinet G______, notamment lors de préparations de Workshops, les améliorations avaient été minimes et insuffisantes pour le poste de directrice qu’elle occupait. Ces insuffisances avaient été communiquées à A______ par D______ lors de l'évaluation annuelle 2019. A la suite de celle-ci, il avait été décidé d’attribuer à A______ une courte mission afin de lui donner l’opportunité de s’améliorer et d’assumer son rôle de directrice. Le résultat du travail de A______ n’avait cependant pas été concluant et était venu confirmer qu’elle n’avait pas les compétences requises pour occuper le poste de Digital Journey Oversight Director, si bien que D______ avait décidé, en avril 2020, de mettre un terme à son contrat de travail et avait initié le processus de licenciement auprès des ressources humaines. Le licenciement n’était donc pas abusif.

c. Le Tribunal des Prud'hommes a procédé à l'audition des parties ainsi que de plusieurs témoins, dont les déclarations ont été reportées ci-dessus dans la mesure utile.

d. La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience de débats et de plaidoiries finales du 1er juin 2023, lors de laquelle les parties ont persisté dans leurs conclusions.

D. Aux termes du jugement entrepris, le Tribunal des Prud'hommes, s'agissant de la prétention en indemnité pour résiliation abusive formée par A______, seul point demeurant litigieux en appel, a considéré que celle-ci avait échoué à apporter la preuve du caractère abusif de son licenciement et que le motif invoqué par B______ SA, à savoir que l'employée ne possédait pas les compétences requises pour le poste qu'elle occupait, était réel.

Après avoir relevé que A______ avait respecté les délais prescrits pour s'opposer au congé ainsi que pour faire valoir sa prétention en indemnité pour résiliation abusive, le Tribunal a estimé en substance que les enquêtes avaient permis d'établir qu'il existait une incompatibilité personnelle et professionnelle entre A______ et D______. Le niveau d'expérience et d'exigence de celle-ci, qui avait décidé de reprendre et de revoir le travail de son prédécesseur en termes de stratégie digitale, était bien supérieur à celui exigé à l'époque par C______. A______ avait ainsi vu l'appréciation de son travail, les objectifs à atteindre, les exigences attendues et le style managérial évoluer drastiquement en très peu de temps. Si elle s'était plainte du comportement de sa supérieure auprès des ressources humaines non pas en février 2020 comme initialement allégué mais plus tard, elle n'avait pas utilisé les outils et procédures mis à disposition des employés de B______ SA pour déclencher une enquête interne, la structure en place étant cependant lourde et peu compréhensible. L'administration des preuves n'avait toutefois pas permis de démontrer que D______ aurait été au courant des plaintes formulées par A______ à son sujet, ni qu'elle aurait adopté un comportement injurieux et constitutif d'harcèlement à l'égard de cette dernière. A l'inverse, les enquêtes avaient permis de confirmer que le travail de A______ ne répondait pas aux nouvelles exigences élevées du département dirigé par D______ et que c'était à la suite de l'échec de la mission spécifique qui lui avait été attribuée, laquelle avait pour objectif de vérifier si elle était en mesure de fournir des prestations de travail de qualité et à la hauteur de son poste à haute responsabilité et non de la faire échouer dans l'accomplissement de ses tâches, que la décision de licenciement avait été prise puis validée par la chaîne hiérarchique usuelle en place au sein de B______ SA. A______ devait en conséquence être déboutée de sa prétention en versement d'une indemnité pour licenciement abusif.

EN DROIT

1.             1.1 L'appel est recevable pour avoir été interjeté auprès de l'autorité compétente (art. 124 let. a LOJ), dans le délai utile de 30 jours (art. 142 al. 1, 143 al. 1 et 311 al. 1 CPC) et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC), à l'encontre d'une décision finale (art. 308 al. 1 let. a CPC) rendue par le Tribunal des Prud'hommes dans une affaire patrimoniale dont la valeur litigieuse est, compte tenu de la quotité des prétentions contestées en première instance, supérieure à 10'000 fr. (art. 91 et ss et 308 al. 2 CPC).

Sont également recevables la réponse de l'intimée audit appel, déposée dans les formes et délai prescrits (art. 312 CPC) ainsi que les écritures subséquentes des parties (art. 316 al. 2 CPC; ATF 146 III 97 consid. 3.4.1).

1.2 La Chambre de céans revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). La valeur litigieuse étant supérieure à 30'000 fr., la présente procédure est soumise aux maximes des débats et de disposition (art. 55 CPC cum 247 al. 2 let. b ch. 2 CPC et 58 CPC). La procédure ordinaire est applicable (art. 219 et 243 CPC).

1.3 Tant l'appelante que l'intimée soutiennent que certains faits allégués dans les écritures d'appel de leur partie adverse seraient irrecevables, car nouveaux. Les faits concernés n'étant toutefois pas décisifs pour l'issue du litige, leur recevabilité peut demeurer indécise.

2. L'appelante reproche à l'autorité précédente d'avoir constaté arbitrairement les faits et violé le droit en retenant qu'elle n'était pas parvenue à démontrer le caractère abusif de son licenciement.

Elle soutient en premier lieu que la constatation des premiers juges selon laquelle elle ne possédait pas les compétences requises pour le poste qu'elle occupait est erronée. Aucune personne n'ayant travaillé avec elle ou ayant eu l'occasion de la voir à l'œuvre n'a porté un jugement négatif sur son travail, à l'exception de D______, qui ne l'appréciait manifestement pas. Il n'a au demeurant pas été démontré que cette dernière avait des exigences supérieures à celles de C______, qui avait été satisfait des prestations fournies par ses soins. La prétendue qualité insuffisante de son travail n'est en outre corroborée par aucune pièce du dossier, mis à part l'évaluation de 2019 conduite à charge par D______ et ne tenant pas compte de l'avis de son ancien supérieur. Enfin, la mission spécifique n'avait pas pour objectif de juger de ses capacités professionnelles, mais de la faire échouer. Le délai imparti pour son exécution était trop court et D______ savait dès le départ qu'elle ne serait pas satisfaite du travail fourni comme cela ressortait d'un courriel du 16 janvier 2020. Il n'a de surcroît pas été établi que cette mission a été un échec, dès lors que D______ lui avait exprimé oralement sa satisfaction et a déclaré en audience que la mission n'avait pas pu être terminée en raison de la pandémie. Le motif de congé invoqué par B______ SA est ainsi fictif.

L'appelante soutient ensuite que si elle n'est, de son côté, effectivement pas parvenue à démontrer un comportement injurieux et constitutif de mobbing de la part de D______, elle a en revanche établi avoir de bonne foi fait valoir une prétention résultant du contrat de travail. Elle a en effet prouvé s'être plainte du comportement de D______ à son égard dès mi-mai 2020 auprès de E______ du département des ressources humaines, qui avait constaté qu'elle était affectée par la situation, et avoir déjà précédemment abordé ce sujet avec des collègues. Ces éléments suffisaient pour retenir l'existence d'un licenciement abusif, confirmé au demeurant par la chronologie des faits. En effet, D______ n'a rapidement pas été satisfaite de son travail et la mission spécifique prétendument destinée à lui offrir une dernière chance s'est terminée en mars 2020. Or le licenciement n'est intervenu qu'au mois de juin 2020, soit juste après qu'elle se soit plainte du comportement de D______. Il n'est pas déterminant que D______ n'aurait prétendument pas eu connaissance de ses plaintes à son égard dès lors que E______ était au courant et avait participé au processus de licenciement au lieu de la protéger.

Enfin, l'appelante fait valoir qu'en tout état, en la licenciant au motif que ses prestations étaient insuffisantes au regard de sa fonction de directrice, l'intimée a adopté un comportement constitutif d'abus de droit puisqu'elle savait, lors de l'engagement, qu'elle n'avait pas d'expérience antérieure à cette fonction.

2.1 Chaque partie peut décider unilatéralement de mettre fin à un contrat de travail de durée indéterminée (art. 335 al. 1 CO). En droit suisse du travail, la liberté de résiliation prévaut de sorte que, pour être valable, un congé n'a en principe pas besoin de reposer sur un motif particulier. Le droit de chaque cocontractant de mettre fin au contrat unilatéralement est toutefois limité par les dispositions sur le congé abusif (art. 336 ss CO). L'art. 336 CO énonce une liste de cas de résiliation abusive, concrétisant l'interdiction générale de l'abus de droit (ATF 150 III 78 consid. 3.1.1; 136 III 513 consid. 2.3; 132 III 115 consid. 2.1; 131 III 535 consid. 4.1-4.2).

2.1.1 Ainsi, selon l'art. 336 al. 1 let. d CO, qui vise le congé de représailles (ou congé-vengeance), est notamment abusif le congé donné par une partie parce que l'autre partie fait valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail (art. 336 al. 1 let. d CO).

Les prétentions résultant du contrat de travail portent notamment sur des salaires, des primes ou des vacances. Le fait que l'employé se plaigne d'une atteinte à sa personnalité ou à sa santé et sollicite la protection de l'employeur peut aussi constituer une telle prétention (art. 328 CO; arrêt du Tribunal fédéral 4A_401/2016 du 13 janvier 2017 consid. 5.1.1).

Pour que l'art. 336 al. 1 let. d CO soit applicable, il faut que l'autre partie ait eu la volonté d'exercer un droit et qu'elle ait été de bonne foi, même si sa prétention, en réalité, n'existait pas (ATF 136 III 513 consid. 2.4). La bonne foi est présumée (art. 3 al. 1 CC). Il suffit donc à la partie qui bénéficie de la présomption d'alléguer sa bonne foi. Pour combattre cette présomption, la partie adverse peut alors établir que l'intéressé était de mauvaise foi, en vertu de l'art. 3 al. 2 CC (arrêt du Tribunal fédéral 4A_3/2023 du 30 août 2023 consid. 5.1.1). Les prétentions émises par l'employé doivent encore avoir joué un rôle causal dans la décision de l'employeur de le licencier (ATF 136 III 513 consid. 2.6). Ainsi, le fait que l'employé émette de bonne foi une prétention résultant de son contrat de travail n'a pas nécessairement pour conséquence de rendre abusif le congé donné ultérieurement par l'employeur. Encore faut-il que la formulation de la prétention en soit à l'origine et qu'elle soit à tout le moins le motif déterminant du licenciement (arrêt du Tribunal fédéral 4A_652/2018 du 21 mai 2019 consid. 4.1). Déterminer s'il existe un rapport de causalité naturelle est une question de fait (ATF 136 III 513 consid. 2.6; arrêt du Tribunal fédéral 4A_89/2021 du 30 avril 2021 consid. 3.1).

2.1.2 La liste de l'art. 336 CO n'est toutefois pas exhaustive, de sorte qu'une résiliation abusive peut aussi être admise dans d'autres circonstances, en recourant à l'interdiction générale de l'abus de droit consacrée à l'art. 2 al. 2 CC. Il faut cependant que ces situations apparaissent comparables, par leur gravité, aux cas expressément envisagés par la loi (ATF 136 III 513 consid. 2.3; 132 III 115 consid. 2.1; 131 III 535 consid. 4.2).

Le caractère abusif du congé peut résider dans le motif répréhensible qui le sous-tend, dans la manière dont il est donné, dans la disproportion évidente des intérêts en présence, ou encore dans l'utilisation d'une institution juridique de façon contraire à son but (ATF 136 III 513 consid. 2.3; 132 III 115 consid. 2.2 et 2.4). Un licenciement pourra être abusif si l'employeur exploite sa propre violation du devoir imposé par l'art. 328 CO de protéger la personnalité du travailleur (ATF 125 III 70 consid. 2a). Ainsi, lorsqu'une situation conflictuelle sur le lieu de travail nuit notablement au travail en commun dans l'entreprise, le congé donné à l'un des employés en cause est abusif si l'employeur n'a pas pris préalablement toutes les mesures que l'on pouvait attendre de lui pour désamorcer le conflit, telles que des modifications de son organisation ou des instructions adressées aux autres travailleurs (ATF 132 III 115 consid. 2.2; 125 III 70 consid. 2c; cf. également ATF 136 III 513 consid. 2.5 et 2.6).

2.2 Pour dire si un congé est abusif, il faut se fonder sur son motif réel. Déterminer le motif d'une résiliation est une question de fait (ATF 136 III 513 consid. 2.3). En revanche, savoir si le motif ainsi établi donne lieu à un congé abusif ou non relève du droit (arrêts du Tribunal fédéral 4A_368/2022 du 18 octobre 2022 consid. 3.1.1).

2.3 En application de l'art. 8 CC, c'est en principe à la partie qui a reçu son congé de démontrer que celui-ci est abusif. La jurisprudence a toutefois tenu compte des difficultés qu'il peut y avoir à apporter la preuve d'un élément subjectif, à savoir le motif réel de celui qui donne le congé. Le juge peut ainsi présumer en fait l'existence d'un congé abusif lorsque l'employé parvient à présenter des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif avancé par l'employeur. Si elle facilite la preuve, cette présomption de fait n'a pas pour résultat d'en renverser le fardeau. Elle constitue, en définitive, une forme de "preuve par indices". De son côté, l'employeur ne peut rester inactif; il n'a pas d'autre issue que de fournir des preuves à l'appui de ses propres allégations quant au motif du congé (ATF 130 III 699 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_368/2022 du 18 octobre 2022 consid. 3.1.2).

2.4 La partie qui résilie abusivement le contrat doit verser à l'autre une indemnité (art. 336a al. 1 CO). Celle-ci est fixée par le juge, compte tenu de toutes les circonstances; toutefois, elle ne peut dépasser le montant correspondant à six mois de salaire du travailleur (art. 336a al. 2 CO).

2.5 En l'espèce, il est établi que l'appelante s'est, dès mi-mai 2020, soit environ un mois avant son licenciement intervenu le 25 juin 2020, plainte auprès des ressources humaines de l'intimée du comportement de sa supérieure hiérarchique directe, D______. Si, comme le relève l'intimée, la nature exacte des comportements dénoncés n'a pas pu être établie, le fait que l'appelante ait fait la démarche de s'en plaindre tend à démontrer qu'elle estimait être atteinte dans sa personnalité et souhaitait être protégée. E______ a d'ailleurs confirmé qu'elle paraissait affectée et que son énergie était faible lorsqu'elle s'exprimait. Il n'est pas déterminant que l'appelante n'ait pas recouru aux outils mis à disposition par l'intimée en cas de comportement inapproprié. Le rôle des ressources humaines étant de gérer le personnel, l'appelante pouvait légitimement s'adresser à ce service afin d'informer l'intimée d'atteintes portées à sa personnalité. E______ a d'ailleurs confirmé que les ressources humaines pouvaient entreprendre les démarches nécessaires pour qu'une enquête interne soit ouverte. Il y a ainsi lieu d'admettre que l'appelante, en s'adressant mi-mai 2020 aux ressources humaines de l'intimée pour se plaindre du comportement de sa supérieure hiérarchique directe, a émis des prétentions découlant du contrat de travail. Il n'existe par ailleurs aucun élément au dossier permettant de retenir que l'appelante aurait agi de mauvaise foi. Le fait qu'elle ait formulé ses plaintes après avoir été informée que le résultat de la mission spécifique n'était pas satisfaisant ne saurait suffire à remettre en cause sa bonne foi, laquelle est présumée, ce d'autant que plus d'un mois et demi sépare ces deux événements. L'appelante s'est par ailleurs également plainte du comportement de D______ auprès de deux autres collaborateurs et a par la suite subi une incapacité de travail, ce qui tend à confirmer sa bonne foi. Cela étant, le simple fait que l'appelante se soit, peu avant son licenciement, plainte de bonne foi d'atteintes portées à sa personnalité sur son lieu de travail ne saurait suffire pour admettre que le congé donné ultérieurement par l'intimée est abusif. Encore faut-il que la formulation de cette prétention ait joué un rôle déterminant dans la décision de mettre fin au contrat de travail.

Il résulte des différents témoignages que la décision de licencier l'appelante a été prise par D______ en sa qualité de supérieure hiérarchique directe, ce qu'admet d'ailleurs l'appelante dans le cadre de son appel (cf. page 17), le département des ressources humaines n'étant intervenu qu'en soutien. Or, il n'est pas contesté que D______ n'était pas satisfaite de la qualité du travail fourni par l'appelante. Cela résulte tant des témoignages, du rapport d'évaluation pour l'année 2019 que du courriel adressé à l'appelante le 26 mars 2020. D______ a par ailleurs confirmé, lors de son audition, avoir pris la décision de licencier l'appelante car ses compétences professionnelles n'étaient pas suffisantes pour le poste qu'elle occupait. C'est ainsi à juste titre que l'autorité précédente a admis la réalité du motif de congé invoqué par l'intimée, à savoir que les prestations de travail fournies par l'appelante ne donnaient pas satisfaction. Les éléments au dossier ne permettent par ailleurs pas de conclure que ce motif ne serait pas le motif déterminant du congé. Il est en effet établi que D______ avait déjà fait part aux ressources humaines de son mécontentement quant à la qualité du travail fourni par l'appelante lorsque celle-ci s'est plainte de son comportement et avait déjà exprimé son insatisfaction quant au résultat de la mission spécifique. Il n'est en outre pas démontré que D______ aurait eu connaissance des plaintes formulées par l'appelante à son encontre et K______, qui a participé au processus de licenciement, a déclaré que ce point n'avait pas été abordé. Le fait qu'un délai de trois mois se soit écoulé entre le constat de l'échec de la mission spécifique et la résiliation du contrat de travail peut notamment s'expliquer par la survenance de la pandémie COVID-19 au mois de mars 2020 ainsi que l'obligation de télétravail qui en est résulté. Il peut par ailleurs être relevé que la prise d'une telle décision nécessite généralement un temps de réflexion, en particulier lorsque, comme en l'espèce, plusieurs personnes participent à la procédure de congé, et que l'appelante a été en incapacité de travail durant une partie du mois de juin 2020. Enfin, il ne saurait être reproché à l'intimée de ne pas avoir mis fin au contrat de travail dès le moment où elle a été insatisfaite du travail fourni par l'appelante mais d'avoir laissé à celle-ci une chance de progresser.

Le jugement entrepris n'est ainsi pas critiquable en tant qu'il retient que le congé a été donné non pas parce l'appelante a fait valoir des prétentions résultant du contrat de travail mais parce que le travail qu'elle accomplissait ne donnait pas satisfaction à sa supérieure hiérarchique directe.

Si un tel motif ne saurait en soit être considéré comme abusif, encore faut-il que l'insatisfaction de la supérieure hiérarchique ne soit pas le résultat d'un conflit interpersonnel, compte tenu du devoir de l'employeur de protéger la personnalité de ses employés.

Or, contrairement à ce que soutient l'appelante, si des tensions existaient effectivement entre elle et sa supérieure hiérarchique, les éléments du dossier ne permettent pas de retenir que le jugement négatif porté sur la qualité de son travail serait dû à une inimitié de D______ à son égard. En effet, si le rapport d'évaluation réalisé par cette dernière mentionne un besoin d'amélioration de l'appelante dans plusieurs domaines, il contient également des appréciations positives, de sorte qu'il n'apparait pas qu'il aurait été établi de manière partiale, quand bien même l'opinion de l'ancien supérieur hiérarchique de l'appelante n'a pas été sollicitée, les parties admettant que cette démarche n'était pas obligatoire. D______ a d'ailleurs déclaré que lorsqu'elle était satisfaite du travail effectué par l'appelante, elle lui en faisait part. Le rapport d'évaluation a au demeurant été établi plusieurs mois avant que l'appelante ne se plaigne du comportement de D______ auprès des ressources humaines, de sorte que celle-ci n'avait pas de motifs de procéder à une appréciation volontairement négative. Il n'apparaît en outre pas qu'en confiant, à la suite de l'évaluation, une mission spécifique à l'appelante, D______ poursuivait le but de la faire échouer. En effet, comme le relève à juste titre le premier juge, les témoignages recueillis ont permis d'établir que l'objectif de cette mission était de permettre à l'appelante de démontrer qu'elle avait les compétences requises pour le poste qu'elle occupait. Il ressort par ailleurs du courriel du 16 janvier 2020, que le principe de la mission et sa durée ont été décidés en accord avec les ressources humaines. Tant J______ que K______ ont d'ailleurs déclaré que même si elle avait des doutes, D______ pensait que l'appelante pouvait atteindre les objectifs de la mission, ce que confirme le courriel précité puisqu'il est mentionné qu'ils seraient ravis de constater une amélioration. Il n'est au demeurant pas allégué que l'appelante aurait, lorsque la mission spécifique lui a été confiée, émis des réserves quant à sa faisabilité. Il ne peut au demeurant être déduit du fait que l'appelante n'a pas pu apporter d'améliorations au projet soumis en raison de la pandémie COVID-19 que D______ ne pouvait conclure que la mission spécifique était un échec. Il n'apparaissait en effet pas déraisonnable, au vu de la fonction de l'appelante, de considérer que le premier projet remis devait répondre aux objectifs fixés. De même, il n'est pas démontré que D______ aurait, avant l'envoi du courriel du 26 mars 2020, oralement exprimé être satisfaite du résultat de la mission. La surprise exprimée par l'appelante à la réception dudit courriel ne saurait constituer une preuve suffisante, ce d'autant qu'elle reconnait que des améliorations avaient été demandées. Enfin, l'appelante ne conteste pas qu'il n'est pas établi que D______ aurait adopté un comportement inapproprié à son égard.

Certes, aucun des témoins entendus n'a été en mesure de confirmer l'appréciation de D______ quant à la qualité du travail accompli par l'appelante, trois d'entre eux, soit C______, F______ et I______, ayant au contraire formulé des commentaires positifs sur les prestations fournies par celle-ci. Toutefois, sous réserve de l'ancien supérieur hiérarchique de l'appelante, C______, aucun d'entre eux n'avait une vue d'ensemble sur le travail effectué par l'appelante ni n'occupait au sein de son département une position hiérarchique similaire ou supérieure à la sienne. F______ a ainsi fondé son appréciation sur la collaboration constatée entre les membres du projet "Consumer Engagement Plateform". Or, l'évaluation de 2019 reconnaissait déjà cette compétence à l'appelante. En outre, la déclaration de ce témoin selon laquelle l'appelante avait, dans le cadre du projet "Consumer Engagement Plateform", le rôle de projet manager officer tend à confirmer que l'appelante n'a pas donné satisfaction dans la fonction initiale qu'elle occupait, à savoir Scrum Master. I______, pour sa part, a fondé son appréciation sur un atelier organisé par l'ensemble de l'équipe de D______ auquel il n'a fait qu'assister, ce qui permettait difficilement de juger des prestations individuelles de l'appelante, ainsi que sur un programme qu'il n'a pas supervisé ni étudié en détail. Enfin, le fait que C______ avait une opinion différente de D______ sur la qualité du travail accompli par l'appelante ne signifie pas encore que l'évaluation faite par D______ ne reflétait pas la réalité. Il ressort en effet du dossier que C______ et D______ avaient un parcours professionnel et des exigences différents, ce qui peut expliquer leur divergence d'opinion. E______ a d'ailleurs déclaré que l'appelante lui avait indiqué que les exigences de D______ étaient trop élevées.

En conséquence, il n'apparaît pas que l'intimée aurait enfreint son devoir de protection en mettant un terme au contrat de travail sur la base de l'appréciation négative portée par D______ sur les prestations de travail fournies par l'appelante.

Enfin, contrairement à ce que soutient l'appelante, il ne saurait être retenu que le congé est abusif au motif que l'intimée a adopté un comportement contradictoire en exigeant d'elle qu'elle fournisse des prestations à la hauteur de sa fonction, alors qu'elle savait, au moment de l'engagement, qu'elle n'avait jamais occupé de poste de directrice. En effet, si l'appelante n'avait effectivement pas d'expérience en tant que directrice lors de son engagement, l'intimée pouvait toutefois s'attendre, comme elle le relève à juste titre, qu'elle développe les compétences nécessaires au poste qu'elle occupait. Au demeurant, la situation a évolué à la suite de l'engagement de l'appelante puisqu'un changement de hiérarchie est intervenu, de sorte qu'il ne saurait être reproché à l'intimée d'avoir adapté ses attentes.

Au vu de ce qui précède, c'est à juste titre que l'autorité précédente a nié le caractère abusif du congé donné à l'appelante et l'a déboutée de sa conclusion en versement d'une indemnité pour licenciement abusif. Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé.

3. Les frais judiciaires de l'appel seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 71 du Règlement fixant le tarif des frais judiciaires en matière civile [RTFMC], et partiellement compensés avec l'avance de frais, d'un montant de 600 fr., fournie par l'appelante, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC). Ils seront mis à la charge de cette dernière qui succombe dans ses conclusions (art. 106 al. 1 CPC). L'appelante sera en conséquence condamnée à verser 400 fr. aux Services financiers du Pouvoir judiciaire à titre de frais judiciaires (art. 111 al. 1 CPC).

S'agissant d'un litige de droit du travail, il n'est pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :


A la forme
:

Déclare recevable l'appel formé le 3 octobre 2023 par A______ contre le jugement JTPH/288/2023 rendu le 1er septembre 2023 par le Tribunal des Prud'hommes dans la cause C/6101/2021.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais:

Arrête les frais judiciaires de l'appel à 1'000 fr. et dit qu'ils sont partiellement compensés avec l'avance de frais, d'un montant de 600 fr., fournie par A______, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève.

Les met à la charge de A______.

Condamne en conséquence A______ à verser la somme de 400 fr. aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Marie-Noëlle FAVARGER SCHMIDT, Monsieur Thierry ZEHNDER, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.