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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/18468/2021

CAPH/45/2024 du 21.05.2024 sur JTPH/250/2023 ( OO ) , REFORME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/18468/2021 CAPH/45/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU MARDI 21 MAI 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, appelante et intimée d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 27 juillet 2023, représentée par B______,

et

FONDATION C______, domiciliée ______, appelante et intimée, représentée par Me Yann LAM, avocat, MBLD Associés, rue Joseph-Girard 20, case postale 1611, 1227 Carouge.


EN FAIT

A.           Par jugement du 27 juillet 2023, expédié pour notification aux parties le même jour, le Tribunal des prud'hommes a condamné FONDATION C______ à verser à A______ 25'951 fr. 55 bruts avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 31 mars 2021 (ch. 3), ainsi qu'à lui remettre des fiches de salaire de janvier 2020 à mars 2021 (ch. 5), invité la partie qui en avait la charge à opérer les déductions sociales légales et usuelles (ch. 4), et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 6). Il a arrêté les frais de la procédure à 200 fr., mis à la charge des parties par moitié, et condamné FONDATION C______ à rembourser 100 fr. à A______, et dit qu'il ne serait pas alloué de dépens (ch. 7 à 12).

Il a, en substance, retenu que l'employée, au bénéfice d'un emploi de solidarité, n'était pas visée par le champ d'application de la convention collective de travail C______, qu'elle pouvait en revanche entrer dans celui de la convention collective D______ dès le 1er janvier 2020, que son poste d'aide d'atelier devait être colloqué en classe 10 de l'échelle des traitements du personnel de l'Etat comme une assistante socio-éducative, avec huit annuités vu son expérience, qu'elle avait donc droit à 60% de 79'302 fr. par an de la date précitée à la fin de son contrat de travail, alors qu'elle n'avait perçu que 26'820 fr. en 2020 et 6'705 fr. en 2021.

B.            Par acte du 13 septembre 2023, FONDATION C______ a appelé du jugement précité, concluant à l'annulation de celui-ci, cela fait au déboutement de A______ de toutes ses conclusions, sous suite de frais. Dans le corps de son acte, elle a relevé, à titre subsidiaire, que seuls 14'401 fr. 80 étaient dus si le principe retenu par le Tribunal était confirmé.

Par acte du 14 septembre 2023, A______ a également formé appel de ce jugement, concluant à l'annulation des chiffres 3, et 5 à 10 du dispositif de celui-ci, cela fait à la condamnation de FONDATION C______ à lui verser 5'674 fr. bruts avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er novembre 2016, 18'487 fr. bruts avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 18 juillet 2017, 18'066 fr. 80 bruts avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 18 juillet 2018, 19'676 fr. 40 bruts avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 18 juillet 2019, 20'761 fr. 20 bruts, subsidiairement nets, avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 17 juillet 2020, 5'190 fr. 30 bruts, subsidiairement nets, avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 2 mars 2021, ainsi qu'à lui remettre des fiches de salaire afférentes aux paiements susmentionnés avec suite de frais judiciaires, subsidiairement au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision, avec suite de frais.

Chacune des parties a conclu au rejet de l'appel de sa partie adverse.

Aux termes de leurs répliques et dupliques respectives, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

Par avis du 15 mars 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Il résulte de la procédure les faits pertinents suivants:

a.      FONDATION C______ est une fondation inscrite au Registre du commerce genevois en ______, qui a pour but de contribuer à la formation et à l'intégration professionnelle et sociale des personnes qui, au terme de leur scolarité obligatoire, ne peuvent entreprendre immédiatement un apprentissage ou exercer un emploi; assurer la prise en charge globale de personnes mentalement handicapées, atteintes d'une invalidité au sens de l'AI, notamment.

Elle est membre de l'Association D______.

b.      Depuis 2012, elle offre des emplois de solidarité, au sens de la loi en matière de chômage (LMC). Selon la convention conclue avec l'Etat de Genève, les salaires étaient fixés par l'Office cantonal de l'emploi après examen de l'emploi de solidarité concerné et du dossier du bénéficiaire potentiel, conformément à l'art. 43 du règlement d'exécution de la loi en matière de chômage alors en vigueur.

c.       La FONDATION C______ a souscrit une convention collective de travail ("Convention collective de travail C______") avec les syndicats B______ et E______, laquelle est entrée en vigueur pour la première fois au 1er janvier 2004, et a été reconduite régulièrement, notamment en 2015 (entrée en vigueur en 2016) jusqu'au 31 décembre 2019.

Selon les souvenirs de la directrice administrative et financière de FONDATION C______ de 2007 à 2022, la question des emplois de solidarité avait été évoquée lors des négociations de reconduction de la CCT C______. Les syndicats souhaitaient que ces emplois puissent bénéficier des mêmes conditions contractuelles que les autres emplois; la partie patronale avait refusé d'entrer en matière, car il s'agissait d'un statut particulier différent de celui s'appliquant aux autres collaborateurs puisque ces emplois étaient négociés avec l'Etat de Genève. La témoin ne se souvenait pas si la partie syndicale avait requis la rédaction d'un article consacré aux emplois de solidarité (témoin F______).

d.      [L'Association] D______ est signataire d'une convention collective de travail ("Convention collective de travail pour le personnel des organismes genevois d'éducation, d'enseignement et de réinsertion D______"), conclue avec les syndicats E______ et B______, pour la première fois à une date antérieure à 2014. Cette convention a notamment été reconduite pour une entrée en vigueur au 1er juillet 2015.

Selon la responsable associative de D______, lors de la négociation de 2015, à laquelle elle avait participé, la question des emplois de solidarité n'avait pas été évoquée entre les partenaires sociaux. La témoin était certaine que le syndicat B______ n'avait jamais demandé que les emplois de solidarité fassent partie de la CCT. Le sujet n'avait pas été abordé, ni dans le sens que ces emplois y soient soumis, ni dans le sens qu'ils en soient exclus (témoin G______).

e.       A______ est membre du syndicat B______ depuis 2000. Elle a obtenu un CFC d'employée de commerce en 2006. Elle a été active en qualité d'aide éducatrice, travaillé comme garde d'enfants et remplaçante d'aide-éducatrice, comme assistante en soins et santé communautaire, puis comme secrétaire, employée de bureau, réceptionniste, collaboratrice de vente et commise-greffière (jusqu'en février 2011).

f.        A compter du 4 mars 2013, elle s'est engagée au service de FONDATION C______, en qualité d'aide d'atelier au taux de 60%.

Selon FONDATION C______, le poste d'aide d'atelier, surnuméraire, a été créé pour employer un bénéficiaire d'un emploi de solidarité.

Le contrat conclu par les parties stipulait, entre autres, que la collaboratrice était engagée dans le cadre d'un "programme de création d'emplois sur le marché complémentaire, les emplois de solidarité (EdS), destinés aux personnes qui ont épuisé leurs droits à l'assurance-chômage".

L'art. 3 du contrat, consacré au salaire, était rédigé en ces termes: "Le présent contrat de travail est conclu dans le cadre de la loi cantonale en matière de chômage du 28 juin 2007 et de son règlement d'exécution du 23 janvier 2008. Le salaire est fixé conformément à l'article 43 du règlement d'application. Conformément à l'alinéa a dudit article, qui précise le traitement mensuel brut d'un emploi de solidarité, le salaire brut versé à Madame A______ pour une activité à 60% est de CHF 2'235.- par mois. Le salaire est payé en 12 mensualités sous déduction des charges sociales usuelles prévues par la loi […]".

Il est admis que cette rémunération a été déterminée par l'Office cantonal de l'emploi.

A la toute fin du contrat, après les signatures des parties, figure la mention suivante: "N. B.: la convention collective de travail, la charte et les statuts de C______ peuvent être consultés sur notre site internet".

A______ a déclaré au Tribunal qu'elle n'avait pas le souvenir qu'à son engagement la convention collective de travail ait été évoquée.

Le directeur adjoint de C______ pour les ateliers protégés en fonction à l'époque de l'engagement de A______, avait engagé celle-ci parce qu'elle disposait d'un curriculum vitae intéressant. Il n'avait pas abordé les questions de contrat ou de salaire, considérant qu'elles ne le concernaient pas, car relevant du service du chômage. Selon lui, les engagements d'emploi solidarité devaient déboucher sur un engagement "normal". Dans l'opérationnel, il n'y avait pas beaucoup de différence entre une fonction d'assistant socio-éducatif, qui nécessite une formation, et l'accompagnement qu'il était demandé à A______ d'accomplir, cette dernière était autonome (témoin H______).

Les emplois solidarité étaient destinés au renfort et au soutien des équipes, en poste surnuméraire, et n'avaient pas de responsabilités. A______, durant la journée, pouvait avoir certaines responsabilités d'animation qui relevaient de son cahier des charges. Les compétences d'un assistant socio-éducatif sont différentes de celles d'un aide d'atelier. Il pouvait arriver qu'un aide d'atelier doive aider un bénéficiaire pour des soins personnels, c'était rare à l'époque vu que les bénéficiaires, essentiellement des hommes, n'avaient pas ce type de problèmes (témoin I______, responsable d'atelier).

Lorsque les titulaires des emplois de solidarité étaient absents, ils n'étaient pas remplacés. Lors de la modification législative, les salaires étaient devenus libres, mais il fallait rester dans le marché complémentaire de l'emploi et dans les mêmes montants de salaire, sans quoi les indemnités étaient refusées; il avait été dit oralement que l'idéal serait de ne pas "bouger les chiffres" (témoin J______, responsable RH de la FONDATION C______ jusqu'en mars 2022).

Un emploi de solidarité ne doit pas remplacer un poste déjà existant, il est ainsi surnuméraire. Lorsque A______ était absente (ce qui était arrivé "un nombre incalculable de fois"), elle n'était pas remplacée, de sorte qu'elle ne pouvait être comptée comme assistante socio-éducative. Il y avait eu des personnes engagées dans le cadre d'emplois de solidarité qui avaient été engagées en "lambda" ensuite, cela se faisait au cas par cas. La FONDATION C______ avait mis en place des éléments qui pouvaient permettre à A______ de changer de statut. Le témoin n'était pas sûr que son contrat aurait été de la même durée si elle n'avait pas été en emploi de solidarité, à cause de ses absences (témoin K______, éducateur spécialisé, adjoint de direction à la FONDATION C______).

g.      Au cours de son emploi, à compter de 2015, A______ a entamé une validation d'acquis en vue d'obtenir un CFC d'assistante socio-éducative, processus interrompu en 2016 puis repris en mars 2017 (diplôme obtenu en mars 2018); deux heures par semaine de son temps de travail avaient été consacrées à la démarche.

Elle s'était bien sortie de sa formation, il avait fallu la stimuler "un petit peu", et cela avait pris du temps. Lorsqu'elle était présente, elle pouvait effectuer certaines tâches pouvant être assimilées à celles d'une assistante socio-éducative (témoin K______).

Elle avait connu, notamment au cours du processus de validation des acquis, beaucoup d'absences perlées pour cause d'incapacités de travail, soit sans souvenir précis, des maladies, accidents ou maladies d'enfants de l'employée. Elle avait postulé à une occasion pour une fonction d'assistante socio-éducative; le choix s'était porté sur un autre candidat (témoin J______).

h.      A______ a été incapable de travailler du 1er janvier 2020 au 31 mars 2021.

i.        Par courrier du 7 juillet 2020, A______ a fait connaître à FONDATION C______ qu'à son sens les rapports de travail étaient soumis à la CCT C______ jusqu'au 31 décembre 2019 puis à la CCT D______ à compter du 1er janvier 2020. Elle a dès lors requis le versement de salaires conventionnels, en faisant valoir qu'elle aurait dû être colloquée en classe 8 annuité 4 dès le 19 décembre 2015 (annuités 5, 6 et 7 aux 23 avril 2016, 1er janvier 2017 et 1er janvier 2018 respectivement), puis en classe 10 position 6 dès le 15 mars 2018 (positions 7 et 8 en 2019 et dès le 1er janvier 2020 respectivement), date à laquelle elle avait obtenu un CFC d'assistante socio-éducative, dont à déduire les rémunérations versées, soit un total de différence due au 30 juin 2020 de 76'473 fr. 40.

Par lettre du 24 septembre 2020, FONDATION C______ a répondu qu'elle n'entrait pas en matière sur les prétentions élevées.

j.        A l'initiative de A______, les rapports de travail ont pris fin le 31 mars 2021.

Elle a allégué qu'à son départ, son poste avait été repourvu, ce qui est contesté par FONDATION C______.

A un témoin entendu par le Tribunal, il avait semblé que la précitée avait été remplacée après son départ, sans savoir de quelle manière (témoin L______).

Un deuxième atelier avait été ouvert, raison pour laquelle il avait été décidé d'engager un assistant socio-éducatif; c'était à la même période que le départ de A______, sans lien avec celui-ci (témoins K______, J______).

k.      Le 31 août 2021, A______ a saisi l'Autorité de conciliation du Tribunal des prud'hommes d'une demande, dirigée contre FONDATION C______, en paiement de 84'311 fr. 70 avec suite d'intérêts et de frais.

Au bénéfice d'une autorisation de procéder, elle a, le 21 février 2022, introduit au Tribunal une demande par laquelle elle a conclu à ce que FONDATION C______ soit condamnée à lui verser des différences de salaire d'août 2016 à mars 2021, soit 5'674 fr. bruts avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er novembre 2016, 18'487 fr. bruts avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 18 juillet 2017, 18'066 fr. 80 bruts avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 18 juillet 2018, 19'676 fr. 40 bruts avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 18 juillet 2019, 20'761 fr. 20 bruts, subsidiairement nets, avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 17 juillet 2020, 5'190 fr. 30 bruts, subsidiairement nets, avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 2 mars 2021, ainsi qu'à lui remettre des fiches de salaire afférentes aux paiements susmentionnés avec suite de frais judiciaires.

Elle a notamment affirmé que tout au long de son emploi, son cahier des charges était très proche de celui d'une assistante socio-éducative, colloquée en classe 10 de la liste des fonctions du personnel de l'Etat de Genève, donc en classe 10 de l'échelle des traitements prévue par la LTrait.

FONDATION C______ a conclu au déboutement de A______ des fins de ses conclusions.

Elle a notamment contesté que l'activité de A______ ait été proche de celle d'une assistante socio-éducative, dans la mesure où elle était surnuméraire, n'avait pas de responsabilités, n'était pas remplacée durant ses absences, et où il n'était pas attendu d'elle qu'elle traite les problèmes mais qu'elle en informe ses responsables cas échéant, et a contesté qu'elle ait été remplacée après la fin des rapports de travail. La FONDATON C______ a allégué que A______ devait participer aux activités du groupe des participants à l'atelier, être attentive à leurs besoins, leur bien-être et leur sécurité, informer ses collègues et supérieurs en cas de problèmes, et développer et animer des activités d'artisanat. A______ travaillait dans un atelier dont la structure comprenait un maître d'atelier, un infirmier et un psychologue, mais pas un assistant socio-éducatif.

Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

Elles ont fait de même à l'audience de plaidoiries du Tribunal.

Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le jugement attaqué constitue une décision finale rendue dans une cause patrimoniale dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

Interjetés dans le délai et la forme prévus par la loi (art. 130, 131, 142 al. 3 et 311 CPC), les deux appels sont recevables.

2.             Les deux parties ayant formé appel, elles seront désignées respectivement comme l'employeur et l'employée.

3.             Le Tribunal a retenu que la CCT C______ ne s'appliquait pas aux emplois de solidarité, car cela avait été refusé par la partie patronale, lors des négociations de 2015. En revanche, rien ne permettait de retenir un tel refus s'agissant de la CCT D______, le sujet n'ayant pas été abordé lors des négociations, et le champ d'application de cette CCT étant vaste.

L'employeur reproche au Tribunal ce dernier point, soutenant que la CCT D______ n'a pas vocation à s'appliquer de façon large, qu'elle exclut expressément les apprentis et les stagiaires auxquels s'appliquent des normes de droit public.

L'employée pour sa part fait grief aux premiers juges d'avoir retenu que la CCT C______ ne s'appliquait pas. Selon elle, cette convention étant directement applicable, compte tenu de sa propre appartenance à un syndicat signataire de la CCT, quelle que fût la réglementation de droit public applicable aux emplois de solidarité.

3.1.1 A compter de 2008, les art. 45Dss de la loi cantonale sur le chômage (LMC; J/2/20) ont institué des emplois de solidarité sur le marché complémentaire de l'emploi.

Il s'agit d'une mesure du marché du travail au sens de l'art. 23 al. 3bis LACI (arrêt du Tribunal administratif fédéral B-266/2014 du 21 décembre 2015).

Jusqu'au 19 décembre 2015, le Conseil d'Etat était compétent pour déterminer les salaires minimaux sur préavis du Conseil de surveillance du marché de l'emploi (art. 45H al. 2 aLMC).

Depuis lors, l’Etat contribue au paiement du salaire versé aux bénéficiaires par leur employeur dans la mesure où ce salaire est conforme aux pratiques du marché complémentaire de l’emploi (art. 45H al. 1 LMC).

Dans le cadre du projet de loi modifiant la LMC (du 24 septembre 2014,
PL-11541), les travaux préparatoires font état d'une prise de position des milieux syndicaux en ces termes: "Pour la CGAS, le salaire des EdS doit être fixé par l'employeur comme le préconise le PL mais dans le respect des CCT ou CTT existants, cas échéant selon les grilles salariales en vigueur dans l'entité" (Rapport de la Commission de l'économie chargée d'étudier le PL 11541-A, du 1er septembre 2015, p. 23).

Les relations contractuelles entre les bénéficiaires et les institutions partenaires sont régies pour le surplus par le contrat de travail signé par ces derniers et, à titre supplétif, par les dispositions du titre dixième du code des obligations (art. 45H al. 3 LMC). Le contrat de travail est à durée indéterminée et donne lieu au prélèvement des cotisations sociales usuelles. (art. 45H al. 4 LMC).

Selon l'art. 43 du règlement d'exécution de la loi en matière de chômage (RMC; J/2/20/01), en vigueur depuis le 1er janvier 2020, les salaires conformes aux pratiques du marché complémentaire de l'emploi, au sens de l'article 45H alinéa 1, de la loi cantonale, ne peuvent pas être inférieurs aux salaires minimaux prévus par les conventions collectives de travail étendues ou les contrats-types de travail au sens de l'article 360a du code des obligations ou, à défaut, les usages établis par l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail.

3.1.2. Les particularités liées aux emplois de solidarité, qui présentent indiscutablement une composante de formation, peuvent justifier de soumettre à un régime spécial les emplois de solidarité en ce qui concerne le montant des salaires. Dans cette perspective, il est loisible aux parties contractantes de modifier le champ d'application personnel d'une convention collective de travail pour tenir compte de ces particularités. Le bénéficiaire d'un emploi de solidarité a toujours la possibilité de saisir le juge civil dans l'hypothèse où la rémunération perçue ne serait pas conforme à une convention collective (ATF 134 I 269 consid. 6.5 et 6.6).

3.1.3. Dans un arrêt CAPH/184/2021 du 24 septembre 2021, la Cour a retenu qu'en 2015, le législateur avait renforcé la liberté contractuelle des parties dans le cadre d'un emploi de solidarité. Elle a ajouté qu'il paraissait logique et conforme au but de la LMC de ne pas pratiquer, dans le cadre du marché complémentaire de l'emploi, des salaires concurrençant le marché principal (l'objectif poursuivi étant de favoriser le retour des chômeurs en fin de droit sur le marché primaire de l'emploi et non d'inciter les employés de solidarité à conserver leur poste sur le marché complémentaire).

3.1.4. Sauf disposition contraire de la convention, les clauses relatives à la conclusion, au contenu et à l'extinction des contrats individuels de travail ont, pour la durée de la convention, un effet direct et impératif envers les employeurs et travailleurs qu'elles lient (art. 357 al. 1 CO).

Les clauses qui ont un effet direct et impératif sur les contrats individuels entre les employeurs et employés qu'elles lient sont appelées des clauses normatives (cf. ATF 115 II 251 consid. 4a; parmi d'autres: Rémy Wyler, Droit du travail, 2e éd. 2008, p. 675). Les dispositions normatives d'une convention collective de travail doivent être interprétées de la même manière qu'une loi (ATF 127 III 318 consid. 2a).

D'après la jurisprudence, la loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). On peut cependant s'écarter de cette interprétation s'il y a des raisons sérieuses de penser que le texte de la loi ne reflète pas la volonté réelle du législateur; de tels motifs peuvent découler des travaux préparatoires, du but et du sens de la disposition, ainsi que de la systématique de la loi. Lorsque plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires, du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose ou encore de sa relation avec d'autres dispositions; le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique (cf. ATF 135 I 198 consid. 2.1;
135 II 78 consid. 2.2. consid. 4.1, 416 consid. 2.2; 135 III 20 consid. 4.4 consid. 3.3.2 consid. 5.1; 135 V 153 consid. 4.1, 249 consid. 4.1).

Dans le domaine de l'interprétation des dispositions normatives d'une convention collective, il ne faut pas exagérer la distinction entre les règles sur l'interprétation des lois et les règles sur l'interprétation des contrats; la volonté des cocontractants et ce que l'on peut comprendre selon le principe de la bonne foi constituent également des moyens d'interprétation (ATF 133 III 213 consid. 5.2).

3.2.1 Il découle de l'art. 357 al. 1 CO que les clauses relatives notamment au contenu des contrats individuels de travail n'ont en principe d'effet direct et impératif qu'envers des employeurs et travailleurs qu'elles lient. De telles clauses s'appliquent automatiquement, sans incorporation dans le contrat de travail, et les parties ne peuvent y déroger contractuellement au détriment du salarié (cf. AUBERT, Commentaire romand, n. 3 s. ad art. 357 CO). Ces effets supposent que les deux parties soient liées. Tel est le cas si l'employeur est personnellement partie à la convention, si l'employeur et le travailleur sont membres d'une association contractante (art. 356 al. 1 CO), ou encore si l'employeur et le travailleur ont fait une déclaration de soumission volontaire au sens de l'art. 356b CO et ont obtenu le consentement des parties (ATF 134 I 269 consid 6.3.1 cf. ATF 123 III 129 consid. 3a p. 131; arrêt du Tribunal fédéral 4C.276/2004 du 12 octobre 2004).

3.2.2 A teneur de son article premier, la CCT C______ s'applique aux rapports de travail entre l'employeur et "tous ses employés engagés sous contrat de droit privé, à l'exception de ceux qui sont au bénéfice de la CCT D______".

L'art. 1 de la CCT D______ prévoit que la convention s'applique à tous les employeurs membres de D______ et à toutes les personnes employées par lesdits membres, que les rapports de travail relèvent du droit privé ou du droit public.

3.3 En l'espèce, il est constant que l'employée était, dès avant son engagement par l'employeur, membre du syndicat B______, et que cet organisme a été partie à la CCT C______ et est partie à la CCT D______.

Il est par ailleurs établi que l'employée, au sein de l'employeur, a occupé un emploi de solidarité au sens des art. 45D LMC.

Le contrat de travail liant les parties, conclu en 2013, stipule expressément ce cadre, et opère un renvoi à la législation en matière de chômage conformément à la règlementation cantonale de droit public alors en vigueur, notamment s'agissant de la rémunération. L'accord des parties en l'espèce présente donc une particularité notable par rapport aux contrats de travail qui ne se réfèrent pas à cette législation.

Les deux parties ont déclaré de façon concordante qu'au moment de la conclusion de leur accord, elles n'avaient pas évoqué, et sans doute pas identifié, la problématique conventionnelle. A cet égard, la mention, en fin de document, de l'existence de la convention collective de travail n'emporte pas de conséquence particulière; il s'agit en effet d'une vraisemblable formule reprise d'autres contrats de travail, dont le texte n'est en tout état pas de nature à faire naître des droits.

Cette omission n'a pas porté à conséquence sur le plan financier, dans la mesure où la rémunération n'était alors pas à la libre disposition des parties, compte tenu de la règle légale en vigueur à l'époque, qui réservait cette compétence à l'Etat.

A compter de la modification de la LMC dès janvier 2015, la détermination du salaire est revenue à l'employeur, aidé financièrement par l'Etat. Il n'apparaît pas que les parties auraient alors identifié la problématique; en tout état, aucune d'elles n'a allégué de conditions salariales qui auraient été revues du fait de la nouveauté législative. Les rapports de travail se sont ainsi poursuivis sur la même base, jusqu'à ce que l'employée y mette fin.

Au plan conventionnel, s'agissant de la convention collective C______, le témoin F______ a déclaré que la question des emplois de solidarité avait été abordée lors des étapes précédant la reconduction de 2015, les négociations n'ayant pas abouti à un accord, tandis que s'agissant de la convention collective D______ le témoin G______ a déclaré que le sujet n'avait pas été abordé. Contrairement à l'avis de l'employée, qui ne met pas en exergue de circonstance spécifique conduisant à mettre en doute la portée des déclarations de la témoin F______, sinon sa position au sein de l'employeur, il n'y a pas à relativiser la force probante de ce témoignage direct.

Aucun autre élément de preuve n'a été offert quant à des discussions, dans un cadre conventionnel, portant sur le marché complémentaire de l'emploi, en particulier par l'employée.

Il s'ensuit que rien ne permet de considérer que les partenaires sociaux auraient entendu, de façon concordante, soumettre les emplois de solidarité à des conventions collectives d'entreprises ou de secteurs, entre 2015 et 2020, étant observé que les salaires qui y sont fixés s'appliquent aux emplois du marché primaire.

Par ailleurs, depuis le 1er janvier 2020, le règlement d'application de la loi prévoit clairement que les conventions collectives, en ce qui concerne les conditions salariales, s'appliquent, à la condition qu'elles soient étendues. S'agissant sans doute d'une amélioration de la situation des travailleurs, il est possible d'en inférer que l'usage qui prévalait jusqu'alors était moins favorable, partant n'entrainait pas d'application du tout de conventions collectives de travail, en particulier celles au spectre moins large que celui provoqué par un arrêté d'extension. Ces dernières demeurent non applicables selon l'art. 43 RMC.

Comme le relève l'employeur, en tout état, le raisonnement du Tribunal relatif au champ d'application de la convention collective D______, qui aurait eu vocation à s'appliquer à des relations de travail relevant du droit public, par conséquent aurait un champ d'application "plus vaste", ne convainc pas. En effet, quoi qu'il en soit de la raison de la mention de rapports de travail relevant du droit public, cette référence n'a pas de lien avec l'emploi de solidarité dont bénéficiait l'employée, lequel ne lie pas une entité étatique, revêt un caractère de droit privé et présente des caractéristiques particulières notables.

Le traitement différencié que le Tribunal a réservé aux deux conventions collectives de travail, en s'appuyant sur la lettre de leurs dispositions consacrées à leurs champs d'application respectifs, repose ainsi sur une distinction dépourvue de portée s'agissant du cas d'espèce.

Enfin, la Cour a déjà eu l'occasion d'analyser la liberté contractuelle dont jouissent les parties à un emploi de solidarité, et de retenir que le critère de l'emploi sur le marché complémentaire de l'emploi, qui obéit à des conditions spécifiques en lien avec la législation sur le chômage, justifie de ne pas pratiquer des rémunérations de nature à concurrencer le marché primaire. L'objectif légal est en effet de ne pas inciter les employés à conserver ce type d'occupations, une fois qu'ils ont pu surmonter l'écueil de la situation de fin de droits de chômage à laquelle ils étaient confrontés avant d'obtenir l'emploi de solidarité.

Cet objectif apparaît au demeurant à la base de la pratique rapportée par le témoin J______, selon laquelle les salaires ne devaient pas être modifiés lors du changement législatif de 2015, sans quoi les indemnités étatiques ne seraient pas versées.

Certes, en l'occurrence, l'employée est demeurée à son poste durant une période largement supérieure à ce qui était sans doute envisagé d'entrée de cause et en tout cas conçu par le système législatif. Par quoi, elle a vraisemblablement manifesté que le cadre global dans lequel elle était employée, constitué, il est vrai, d'une rémunération inférieure à celle d'un emploi sur le marché primaire, mais également de conditions favorables telles que décrites par les témoins J______ et K______ (traitement tolérant pour les absences, encadrement, accompagnement pour la validation d'acquis sur une longue période en particulier), lui convenait, sans quoi elle y aurait mis fin beaucoup plus rapidement. Pour sa part, l'employeur a pris en compte sa postulation pour un emploi d'assistante socio-éducative diplômée, mais n'a finalement pas retenu sa candidature, ce qui, en l'absence de toute autre précision, n'est pas critiquable.

La longue durée de l'emploi de solidarité, choisie par l'employée, ne constitue donc pas une circonstance déterminante en l'occurrence.

Dès lors, l'emploi de solidarité, régi par la loi, dont il n'a pas été démontré qu'il aurait été l'objet d'un accord entre partenaires sociaux pour sa prise en compte dans le cadre conventionnel, présente des spécificités telles par rapport à un emploi sur le marché primaire que le champ d'application des conventions collectives de travail ne peut être compris comme s'y étendant, singulièrement pour les rémunérations.

Contrairement à ce que soutient l'employée, le Tribunal fédéral, dans l'arrêt publié aux ATF 134 I 269, n'a pas exclu l'application de la LMC à un contrat de travail de droit privé, mais a retenu que, dans un cas concret, le travailleur disposait de la voie de l'action ordinaire devant les tribunaux civils pour toute prétention salariale.

En définitive, au vu de ce qui précède, si l'employée est légitimée à soumettre sa demande en paiement de différence de salaires aux juges prud'hommes, elle n'est pas fondée à en obtenir l'accueil, faute d'application de tout texte conventionnel aux rapports de travail qu'elle a conclus avec l'employeur, partant de prétention à un salaire supérieur à celui qu'elle a perçu.

Le jugement attaqué sera donc annulé en tant qu'il a fait droit à certaines des conclusions de l'employée en différences de salaire et remise de bulletins de salaire.

L'employée succombe donc dans ses conclusions d'appel. Pour sa part, l'employeur a gain de cause, en ce sens qu'il sera statué à nouveau dans le sens que l'employée sera déboutée des fins de sa demande.

4.             L'employée a élevé en première instance des prétentions atteignant une valeur litigieuse de 84'311 fr. 70; le Tribunal y a fait droit à concurrence de 25'951 fr. 55. Dans son appel, elle a persisté dans ses conclusions initiales.

La quotité des frais fixée à 200 fr. par les premiers juges n'a pas été remise en cause; elle est conforme à l'art. 69 RFTMC.

Seul l'appel de l'employée est soumis à la perception d'un émolument de décision, qui sera arrêté à 300 fr. (art. 71 RFTMC).

L'employée, qui succombe entièrement, supportera les frais de la procédure de première instance et d'appel (art. 106 al. 1 CPC), soit 500 fr., compensés avec les avances opérées, acquises à l'Etat de Genève.

Il ne sera pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :


A la forme
:

Déclare recevables les appels formés respectivement par A______ et par FONDATION C______ contre le jugement rendu le 27 juillet 2023 par le Tribunal des prud'hommes.

Au fond :

Annule ce jugement. Cela fait:

Déboute A______ des fins de sa demande dirigée contre FONDATION C______.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais:

Arrête les frais judiciaires de première instance et d'appel à 500 fr., compensés avec les avances opérées, acquises à l'ETAT DE GENEVE.

Les met à la charge de A______.

Condamne A______ à verser 300 fr. à FONDATION C______.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Monsieur Roger EMMENEGGER, Madame
Fiona MAC PHAIL, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.