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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/21367/2021

CAPH/31/2024 du 07.05.2024 sur JTPH/5/2023 ( OS ) , ARRET/CONTRA

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/21367/2021 CAPH/31/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU MARDI 7 MAI 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 10 janvier 2023 (JTPH/5/2023) et intimé, représenté par le Syndicat B______, ______ [GE],

et

C______ Sàrl, sise ______ [GE], intimée et appelante, représentée par Me D______, avocat.


EN FAIT

A.           Par jugement JTPH/5/2023 rendu le 10 janvier 2023, notifié à A______ le 11 janvier 2023 et à C______ Sàrl le 12 janvier 2023, le Tribunal des prud'hommes (ci-après, le Tribunal) a, statuant par voie de procédure simplifiée, notamment, condamné C______ Sàrl à verser à A______ la somme brute de 19'830 fr. 85, sous déduction de la somme nette de 15'490 fr., avec intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 1er novembre 2020 (chiffre 3 du dispositif), ainsi que les sommes brutes de 231 fr. 20, avec intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 1er mars 2020 (ch. 4), de 1'671 fr. 20, avec intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 8 octobre 2020 (ch. 5), 2'978 fr. 60, avec intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 1er décembre 2020 (ch. 6), invité la partie qui en avait la charge à opérer les déductions sociales et légales usuelles (ch. 7), condamné C______ Sàrl à verser à A______ les sommes nettes de 60 fr., avec intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 1er août 2020 (ch. 8), et de 200 fr., avec intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès le 8 octobre 2020 (ch. 9), condamné C______ Sàrl à établir et remettre à A______ des fiches de salaire pour les mois de novembre 2019 à octobre 2020 (ch. 10), dit que la procédure était gratuite et qu'il ne serait pas perçu de frais (ch. 11) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 12).

B.            a. Par acte expédié le 10 février 2023 à la Cour de justice (ci-après, la Cour), A______ appelle de ce jugement et conclut à l'annulation des chiffres 3 à 6 de son dispositif. Cela fait, il conclut à ce que la Cour condamne C______ Sàrl à lui payer les sommes brutes de 23'512 fr. 60, sous déduction de 12'910 fr. nets déjà reçus, avec intérêts moratoires aux taux de 5% l'an dès le 1er novembre 2020, de 1'258 fr. 70, avec intérêts moratoires aux taux de 5% l'an dès le 1er mars 2020, de 3'283 fr. 70, avec intérêts moratoires aux taux de 5% l'an dès le 1er avril 2020, de 2'417 fr. 65, avec intérêts moratoires aux taux de 5% l'an dès le 1er octobre 2020 et de 4'668 fr. 10, avec intérêts moratoires aux taux de 5% l'an dès le 1er décembre 2020.

b. C______ Sàrl conclut au déboutement de A______ de toutes ses conclusions.

c. Les parties ont répliqué, respectivement dupliqué, et persisté dans leurs conclusions.

d. Par avis du 5 juillet 2023, la Cour a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

C.           a. Par acte expédié le 13 février 2023 à la Cour, C______ Sàrl, comparant par l'avocat nommé curateur de son unique associé-gérant, appelle à son tour de ce jugement et conclut à son annulation. Cela fait, elle conclut au renvoi de la cause au Tribunal, afin qu'il entende E______, accompagné de son curateur, voire ordonne une expertise psychiatrique du prénommé et déboute A______ de toutes ses conclusions.

L'avocat représentant la société a justifié de ses pouvoirs par la production de l'ordonnance le désignant curateur de l'associé-gérant de C______ Sàrl.

b. A______ a conclu au rejet de l'appel et au déboutement de C______ Sàrl.

c. Les parties ont répliqué, respectivement dupliqué, et persisté dans leurs conclusions.

d. Par avis du 5 juillet 2023, la Cour a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

D.           Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. C______ Sàrl est sise à Genève et a pour but l'exploitation d'un atelier d'architecture et activités y relatives dans le domaine de la construction. E______ est son unique associé-gérant.

b. Par demande en paiement déposée le 2 novembre 2021, non conciliée le 7 décembre suivant (C______ Sàrl ayant fait défaut après n'avoir pas réclamé le pli recommandé contenant la convocation), puis introduite au Tribunal le 14 décembre 2021, A______ a conclu au paiement par C______ Sàrl de diverses sommes pour une valeur litigieuse totale de 23'741 fr. 35 et à la délivrance de fiches de salaire pour les mois de novembre 2019 à octobre 2020.

A______ a notamment allégué avoir été l'employé de ladite société depuis novembre 2019 comme responsable de chantier, mais n'avoir obtenu ni contrat de travail, ni fiche de salaire. Il n'avait pas perçu le salaire convenu, son employeur tentant de le faire passer pour un indépendant. Il avait en outre avancé de l'argent pour des frais liés à son travail, qui ne lui avaient pas été remboursés. Il avait démissionné le 7 octobre 2020, alors que des montants dus pour des vacances et des jours de congé non pris restaient en souffrance. Son employeur ne réagissant pas à ses sollicitations, il avait décidé d'emprunter la voie judiciaire.

c. Par ordonnance du 6 janvier 2022, le Tribunal a imparti un délai à C______ Sàrl pour déposer sa réponse à la demande en paiement. L'envoi recommandé n'a pas été réclamé par ladite société.

d. Par ordonnance du 28 février 2022, le Tribunal a invité les parties à communiquer leurs listes de témoins. C______ Sàrl a reçu le pli.

e. Par courriel du 15 mars 2022, C______ Sàrl, soit pour elle E______, a adressé au Tribunal plusieurs documents, soit :

- un certificat médical du 15 février 2022 attestant d'une incapacité totale de travail dès cette date et jusqu'au 16 mars suivant ;

- une attestation de la FONDATION F______ du 15 février 2022 faisant état d'un suivi de E______ depuis janvier 2021 : il présentait depuis avril 2021 "plusieurs phases d'altération de ses capacités dans la gestion administrative et financière du fait de son état de santé".

f. Le Tribunal a alors interpellé le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (ci-après, TPAE) par pli du 17 mars 2022, exposant qu'il considérait que E______ paraissait être "potentiellement empêché d'assurer lui-même la sauvegarde des intérêts de C______ Sàrl". Le Tribunal souhaitait savoir si des mesures avaient été instituées à son endroit et s'il possédait la capacité d'ester en justice.

g. Le TPAE a répondu le 8 avril 2022 que la situation du prénommé était en cours d'instruction afin de déterminer si des mesures de protections étaient nécessaires. Juridiquement, il n'était pas limité dans sa capacité d'ester en justice.

h. Par ordonnance du 20 avril 2022, le Tribunal a transmis cet échange aux parties en leur impartissant un nouveau délai pour déposer leur liste de témoins. C______ Sàrl n'a pas réclamé l'envoi recommandé contenant cette ordonnance.

i. Une audience de débats s'est tenue le 15 août 2022, en l'absence de C______ Sàrl, qui n'avait pas réclamé l'envoi recommandé contenant la convocation.

A______ a été entendu par le Tribunal ; la question de la capacité à comparaître de C______ Sàrl n'a pas été abordée.

j. Le 28 septembre 2022, une nouvelle audience de débats s'est tenue, toujours en l'absence de C______ Sàrl, qui n'avait pas réclamé l'envoi recommandé contenant la convocation.

A______ a plaidé et persisté dans ses conclusions, sur quoi la cause a été gardée à juger.

k. Par courrier du 21 octobre 2022, Me D______ a écrit au Tribunal avoir été nommé d'urgence aux fonctions de curateur de E______ par le TPAE.

C______ Sàrl n'avait plus d'employé et plus d'activité et risquait la faillite, qui était, selon le curateur, "inévitable".

Il n'a pris aucune conclusion.

En annexe, il a produit une ordonnance du TPAE du 5 juillet 2022, par laquelle cette autorité a institué une curatelle de représentation et de gestion en faveur de E______ et désigné l'avocat susnommé comme curateur. Celui-ci devait représenter la personne protégée dans ses rapports avec les tiers et gérer ses revenus et ses biens, notamment. L'exercice des droits civils de E______ a été limité en matière contractuelle.

E. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a, notamment, examiné les conséquences du défaut de C______ Sàrl. Il a considéré que cette partie avait été valablement atteinte et convoquée et que, partant, la procédure devait suivre son cours nonobstant ce défaut.

EN DROIT

1.             1.1 Les deux appels sont recevables pour avoir été interjetés auprès de l'autorité compétente (art. 124 let. a LOJ), dans le délai utile de trente jours et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 142 al. 1 et 3 et 311 CPC), à l'encontre d'une décision finale de première instance rendue dans une affaire de nature pécuniaire, qui statue sur des conclusions dont la valeur litigieuse, compte tenu de l'ensemble des prétentions demeurées litigieuses en première instance, est supérieure à 10'000 fr. (art. 91 al. 1 et 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

1.2 La question de la validité de l'appel déposé au nom de C______ Sàrl par le curateur de son associé-gérant pourrait se poser. Néanmoins, cette question est intrinsèquement liée aux considérations juridiques liées à la capacité de comparaître de cette société dans la procédure en général. Ces deux aspects seront examinés ensemble au considérant 2. ci-dessous.

1.3 Les deux appels seront traités par un seul arrêt au vu de leur connexité.

Par commodité, A______ sera désigné comme l'appelant et C______ Sàrl comme l'intimée.

1.2 Le litige, dont la valeur litigieuse est inférieure à 30'000 fr., est soumis à la procédure simplifiée (art. 243 al. 1 CPC).

1.3 La maxime inquisitoire sociale s'applique, le juge établissant les faits d'office (art. 247 al. 2 let. b ch. 2 CPC). Il est toutefois lié par les conclusions des parties (art. 58 al. 1 CPC).

2.             L'intimée soulève divers griefs en lien avec l'incapacité de défendre ses intérêts dans laquelle se serait trouvé son unique associé-gérant.

2.1
2.1.1 A teneur de l'art. 69 al. 1 CPC, si une partie est manifestement incapable de procéder elle-même, le tribunal peut l'inviter à commettre un représentant. Si la partie ne donne pas suite à cette injonction dans le délai imparti, le tribunal en désigne un.

La capacité de postuler visée par cette disposition est présumée : l'incapacité doit être "manifeste", ce qui implique que l'application par le tribunal de cet article, outre qu'elle est potestative, doit être envisagée restrictivement (Sutter-Somm / Seiler, Handkommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung Art. 1-408 ZPO, 2021, n. 2 ad art. 69 CPC). Le tribunal doit examiner d'office la question de la capacité de procéder des plaideurs (Jeandin, Commentaire Romand - CPC, 2ème éd. 2019, n. 6 ad art. 69 CPC). Puis, si le tribunal considère que l'incapacité répond aux conditions de l'art. 69 al. 1 CPC, il invite la partie à commettre un représentant dans un certain délai à l'échéance duquel, si le plaideur ne s'exécute pas, il en désigne un lui-même (Jeandin, op. cit., n. 7 ad art. 69 CPC).

S'agissant des personnes morales, celles-ci ont la capacité de postuler dès que et aussi longtemps qu'elles disposent des organes prescrits par la loi ou les statuts (art. 54 et 55 al. CC ; Leuenberger / Uffer Tobler, Schweizerisches Zivilprozessrecht, 2ème éd. 2016, n. 3.10). La jurisprudence a limité le cercle des personnes habilitées à représenter une société anonyme, considérants applicables mutatis mutandis à la société à responsabilité limitée (cf. art. 814 al. 4 CO). Sont en premier lieu légitimés à représenter la société en justice les membres du conseil d'administration et, à moins que les statuts ou le règlement d'organisation ne l'exclue, un seul des membres de celui-ci (art. 718 al. 1 CO). En second lieu, la société peut être représentée en justice par un ou plusieurs des membres du conseil d'administration (délégués) ou par des tiers (directeurs), auxquels le conseil d'administration a délégué son pouvoir de représentation (art. 718 al. 2 CO). Toutes ces personnes sont organes, expriment directement la volonté de la société et sont inscrites au registre du commerce (art. 720 CO). En troisième lieu, sans avoir la qualité d'organes, en vertu de leurs pouvoirs de représentation, peuvent représenter la société en justice les fondés de procuration (art. 458 CO), qui sont inscrits au registre du commerce et n'ont pas besoin de pouvoir spécial pour plaider, à moins que leur procuration n'ait été restreinte (art. 460 al. 3 CO), ainsi que les mandataires commerciaux (art. 462 CO), qui ne sont pas inscrits au registre du commerce, à condition qu'ils aient reçu le pouvoir exprès de plaider (art. 462 al. 2 CO). Chacune des personnes habilitées à représenter la société en justice doit justifier de sa qualité et de son pouvoir en produisant soit un extrait du registre du commerce, soit l'autorisation qui lui a été délivrée pour plaider et transiger dans l'affaire concrète dont le tribunal est saisi (cf. art. 68 al. 3 CPC ; ATF 141 III 80 consid. 1.3).

L'art. 69 al. 2 CPC prévoit que le tribunal avise l'autorité compétente lorsque des mesures de protection lui paraissent indiquées. Cette disposition est prévue pour les personnes physiques, mais ne s'applique pas lorsqu'une personne morale est concernée. Dans ce cas, l'art. 731b CO s'applique (Schönbächler, Die Organisationsklage nach Art. 731b OR - Organisationsmängel und deren Rechtsfolgen sowie verfahrensund-kollisionsrechtliche Aspekte, 2013, p. 246 et suivante).

2.1.2 Sous le titre "Carences dans l'organisation de la société", l'art. 731b al. 1 CO - applicable aux sociétés à responsabilité limitée par renvoi de l'art. 819 CO - prévoit qu'un actionnaire ou un créancier peut requérir du tribunal qu'il prenne les mesures nécessaires lorsque l'un des organes prescrits fait défaut (ch. 1) ou qu'un organe prescrit n'est pas composé correctement (ch. 2).

Un cas de non-conformité de la composition d'organe survient notamment lors de l'incapacité civile d'un membre d'un organe social qui a pour conséquence d'affecter la capacité de représentation de la société (Peter / Cavadini, Commentaire Romand - CO II, 2ème éd. 2017, n. 4 ad art. 731b CO).

Lorsqu'il apparaît en procédure que la personne morale n'est plus capable de postuler, le tribunal ne peut pas introduire d'office la procédure prévue à l'art. 731b CO, faute d'être légitimé à le faire. Il doit seulement donner l'opportunité à la société de préserver ses droits dans la procédure en lui fixant un délai pour rétablir une situation conforme au droit. Dans cette attente, il est indiqué de suspendre le procès au sens de l'art. 126 al. 1 CPC. Le demandeur peut d'ailleurs requérir lui-même l'obtention d'un délai pour introduire une requête au sens de l'art. 731b CO (Schönbächler, op. cit., p. 248 et suivante). Laisser la possibilité à la personne morale de participer au procès en étant valablement représentée relève des garanties de l'état de droit et du droit d'être entendu. Le tribunal doit tout mettre en œuvre pour éviter que la procédure se trouve rayée du rôle en raison de l'absence d'une des conditions de recevabilité, soit l'absence de capacité d'être partie ou d'ester en justice de l'un des protagonistes (art. 242 CPC cum art. 57 al. 2 let. c CPC ; Ibid., p. 245 et suivante).

2.1.3 Selon la doctrine majoritaire, le mandat de membre du conseil d'administration (ces considérations développées pour le droit de la société anonyme sont transposables aux sociétés à responsabilité limitée en vertu des nombreux renvois en la matière ; voir notamment art. 814 al. 4 CO) n'est pas sujet à représentation. En effet, les personnes qui siègent dans un conseil d'administration ne peuvent pas se faire représenter, ce quelle que soit la raison qui le nécessiterait (absence, maladie, incapacité, etc.), sauf éventuellement et selon certains auteurs par un autre membre du conseil d'administration. Cette restriction est justifiée par le fait que les membres du conseil d'administration sont élus sur la base de leurs aptitudes personnelles, ce qui exige que le mandat soit exécuté ad personam. Ainsi, le membre du conseil d'administration doit avoir l'exercice des droits civils. L'hypothèse dans laquelle un représentant (légal ou désigné par un mandat pour cause d'inaptitude) exercerait son pouvoir de représentation ainsi que les autres tâches incombant au membre du conseil d'administration devenu incapable de discernement est rejeté par la doctrine au motif que cela serait incompatible avec les principes de fonctionnement d'un conseil d'administration (Fountoulakis, Le mandat pour cause d'inaptitude dans le domaine entrepreneurial, 2023, p. 281 et suivante et les nombreuses références citées).

2.2 En l'espèce, il est constant que l'intimée n'a pas participé à la procédure de première instance.

Tout au plus son associé-gérant s'est-il adressé au Tribunal pour invoquer des problèmes de santé, limitant sa capacité de travail et à gérer ses affaires, ce dont il peut être inféré qu'il ne se considérait plus en mesure de représenter l'intimée et de défendre ses intérêts dans la procédure.

Le Tribunal, qui avait vu la plupart de ses envois recommandés ne pas être réceptionnés par l'intimée et constaté les défauts répétés de celle-ci, a déduit lui aussi de ces documents qu'un problème de capacité d'ester en justice pouvait éventuellement se poser, dès lors qu'il a interpellé le TPAE au sujet de l'associé-gérant de l'intimée.

Cette démarche n'était cependant pas appropriée au vu des circonstances : ce n'était pas la capacité d'ester en justice de la personne physique qui était en jeu - dite personne physique n'étant pas partie à la procédure -, mais celle de l'intimée, personne morale distincte.

Le TPAE a alors informé le Tribunal qu'il instruisait la capacité civile de l'organe de l'intimée, sans s'être encore prononcé. Contrairement à la compréhension que le Tribunal a eu de cette missive, l'ouverture de cette instruction démontrait qu'il existait des éléments objectifs mettant en doute la capacité civile de l'organe unique et justifiant l'inaction de l'intimée, de sorte qu'il ne s'agissait probablement pas d'un cas où l'une des parties s'abstient volontairement et à des fins dilatoires d'exercer ses droits en procédure. Ainsi, la capacité d'ester en justice n'était a priori pas acquise : la probabilité existait que l'organe soit déjà limité dans sa capacité à gérer les intérêts de l'intimée, même si une décision correspondante n'avait pas été prononcée.

Nanti des éléments susdécrits, le Tribunal ne pouvait ainsi pas se contenter de cette réponse et poursuivre sans autre la procédure, sans violer son devoir d'instruire d'office la capacité d'ester en justice qui découle de l'art. 69 CPC. Il résulte de ce qui précède que le Tribunal ne s'est en réalité pas préoccupé de la capacité d'agir de la personne morale, mais uniquement de celle de son organe.

Le raisonnement adopté par le Tribunal est d'autant plus surprenant que, ayant gardé la cause à juger, il a été informé du prononcé d'une mesure de protection peu après. A ce stade, l'éventualité qu'il avait initialement cherché à exclure en s'adressant au TPAE, soit que l'associé-gérant était limité dans l'exercice de sa capacité civile, s'était réalisée, sans pour autant qu'il n'en tire aucune conséquence. S'agissant d'une condition de recevabilité devant être examinée à tous les stades de la procédure, le fait que la cause ait déjà été gardée à juger au moment où le Tribunal a reçu cette information ne lui permettait pas de ne pas en tenir compte. Comme il a été exposé plus haut, le Tribunal disposait en outre de toute manière de suffisamment d'éléments en ce sens antérieurement déjà.

Le Tribunal aurait ainsi dû, dès qu'il avait reçu les documents communiqués par l'associé-gérant, déterminer si l'intimée était encore pourvue des organes exigés par la loi, en d'autres termes, si ceux-ci étaient aptes à représenter la société en justice. Comme il est désormais établi et comme cela pouvait être suspecté à l'époque, tel n'était pas le cas.

Il aurait alors dû interpeller tant le gérant empêché, en sa qualité d'associé, que l'appelant, en sa qualité de créancier, pour leur impartir un délai pour agir conformément à l'art. 731b CO applicable par analogie et requérir du juge la nomination d'un organe habilité à représenter la société en justice, sous la menace d'une radiation de la cause du rôle si cette démarche n'aboutissait pas dans un certain délai. Dans cette attente, la procédure aurait dû être suspendue.

Le jugement est donc vicié en ce qu'il condamne une partie, l'intimée, à payer certains montants, alors qu'elle n'était pas en mesure de faire valoir ses intérêts et qu'elle n'a pas pu se défendre de manière correcte.

L'appel de l'intimée, déposé par le biais du curateur de son gérant, est d'une recevabilité douteuse, dès lors que le curateur ne peut pas se prévaloir d'une procuration valablement conférée par l'intimée. Comme celle-ci est, en l'état, incapable d'exprimer sa volonté et comme le Tribunal a erré en n'entreprenant pas les démarches nécessaires à corriger cette lacune, l'appel sera, au vu de ces circonstances particulières, reçu. En effet, personne d'autre que le curateur n'est à ce stade en mesure de défendre les intérêts de l'intimée.

En tout état, l'absence d'une condition de recevabilité doit être examinée d'office devant toutes les instances cantonales (Copt / Chabloz, Petit Commentaire CPC, 2020, n. 7 ad art. 60 CPC). Elle aurait donc dû être relevée dans le cadre de l'examen de l'appel formé par l'appelant.

Il ne saurait pour le surplus être reproché à l'intimée de ne pas s'être fait représenter devant le Tribunal par le curateur de son organe unique, lequel, comme exposé, ne disposait en principe pas du pouvoir de le faire (cf. consid. 2.1.3 ci-dessus).

Dans le même ordre idée, contrairement à ce que soutient l'appelant, le fait que le curateur ait été nommé le 5 juillet 2022 déjà, mais ne soit intervenu que postérieurement, n'est pas pour servir son point de vue. Au contraire, cela démontre de manière irréfutable que lors des deux dernières audiences la capacité d'ester en justice de l'intimée était inexistante.

Il s'ensuit que la cause doit être retournée au Tribunal qui devra reprendre la procédure au stade où elle se trouvait au moment du dépôt de la demande et procéder dans le sens des considérants.

L'appel de l'intimée sera donc admis et le jugement entrepris annulé.

3. L'annulation intégrale de la décision entreprise par l'admission de l'appel de l'intimée rend sans objet l'appel de l'appelant.

4. Lorsque la valeur litigieuse est inférieure à 50'000 fr. devant la Cour de justice, la procédure est gratuite (art. 116 CPC; art 19 al. 3 let. c LaCC et art. 71 a contrario RTFMC). Aucun frais judiciaire ne sera donc prélevé.

Selon l'art. 22 al. 2 LaCC, il n'est pas alloué de dépens ni d'indemnité pour la représentation en justice dans les causes soumises à la juridiction des prud'hommes. Aucun dépens ne sera donc alloué.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :

A la forme :

Déclare recevables les appels formés les 10, respectivement 13 février 2023, par A______ et C______ Sàrl contre jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 10 janvier 2023 (JTPH/5/2023).

Au fond :

Annule le jugement entrepris.

Retourne la cause au Tribunal des prud'hommes pour suite d'instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants.

Dit qu'il n'est pas perçu de frais judiciaires, ni alloué de dépens.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Madame Monique FLÜCKIGER, Monsieur Claudio PANNO, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

Le président :

Patrick CHENAUX

 

La greffière :

Fabia CURTI

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.