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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/8181/2005

CAPH/97/2006 (2) du 22.05.2006 sur TRPH/938/2005 ( CA ) , REFORME

Descripteurs : CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL; CHOSE JUGÉE; POURSUITE PAR VOIE DE FAILLITE; MASSE EN FAILLITE; LÉGITIMATION ACTIVE ET PASSIVE; CONNEXITÉ; SALAIRE; ABUS DE DROIT
Normes : CC.2; CO.545.al1.ch3; LP.219.al4.leta;
Relations : CAPH/147/2004
Résumé : T travaille au profit d'une société simple. L'un des deux associés décède et l'administrateur de la succession résilie le contrat de travail en 2000. Le second associé est mis en faillite en décembre 2002. T assigne ensuite le liquidateur officiel de la succession (E1) ainsi que l'autre associé failli (E2) pour le paiement du salaire de janvier à mars 2003 et obtient gain de cause. Il produit ensuite des créances salariales dans la faillite pour la période de janvier 2003 à juin 2004, puis conteste l'état de collocation. Par deux demandes distinctes, T assigne en 2005 à nouveau E1 et E2 en paiement du salaire d'avril 2003 à août 2004, en ne mentionnant que les montants réclamés. La Cour juge que la masse en faillite n'a pas la légitimation passive, n'ayant pas repris le contrat de travail de T. En effet, elle n'a jamais recouru aux services de T, mais lui a uniquement confié un mandat ponctuel que celui-ci a accepté. T n'a par ailleurs pas offert ses services, ni demandé des sûretés pour le paiement de ses salaires futurs. La résiliation donnée en 2000 par E1 était inopérante et seule la faillite de E2 a entraîné la fin du contrat de travail; le salaire est donc normalement dû jusqu'à la date de cette faillite. T est toutefois de mauvaise foi et commet un abus de droit en intentant deux actions en justice distinctes, a priori contradictoire, en attendant que ses adversaires se positionnent, et en attendant deux ans pour la seconde action alors qu'il aurait pu faire valoir l'ensemble de ses prétentions lors de la 1ère action.
Par ces motifs

 

 

E1_____________

Dom. élu  : Me Filippo RYTER

Rue de Bourg 1

Case postale 2367

1002 lausanne

 

 

MASSE EN FAILLITE DE E2___________

p.a. Office des faillites

Rue de la Marbrerie 13

Case postale 1856

1227 Carouge

 

 

 

 

Parties appelantes

 

 

 

 

D’une part

 

T_____________

Dom. élu  : Me Denis MATHEY

Rue Saint-Léger 8

1205 Genève

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partie intimée

 

 

 

 

 

D’autre part

 

 

 

 

ARRET

 

du 22 mai 2006

 

 

M. Louis PEILA, président

 

 

MM. Denis MATHIEU et Laurent VELIN, juges employeurs

 

MM. Alexandre-Frédéric LAMY et Yves DELALOYE, juges salariés

 

 

M. Philippe GORLA, greffier d’audience

 

 

 

 

A. Par demande déposée au greffe de la juridiction des prud'hommes le 12 avril 2005, T_____________ a assigné E1_____________, en sa qualité de liquidateur officiel de la succession d’A__________, en paiement de 96'000 fr. plus intérêts à 5% dès le 1er janvier 2004 et 83'200 fr. plus intérêts à 5% dès le 1er septembre 2004, à titre de salaire, respectivement pour les mois d'avril à décembre 2003, puis pour les mois de janvier à août 2004. Il a déposé le même jour une demande identique dirigée contre la masse en faillite de E2___________. Ces deux demandes consistent uniquement à mentionner les montants sollicités; il n'y a aucun exposé des faits pertinents ni des motifs juridiques soutenant la prétention formulée. Trois pièces leur étaient jointes, soit un bulletin de salaire de T_____________ pour le mois d'octobre 2002 ainsi qu'un jugement et un arrêt relatifs à une précédente action introduite par T_____________ contre E1_____________, en sa qualité de liquidateur officiel de la succession d’A__________ d'une part et contre E2___________ d'autre part.

 

E1_____________, en sa qualité de liquidateur officiel de la succession d’A__________, et la masse en faillite de E2___________ ont conclu à l’irrecevabilité de la demande, subsidiairement à son rejet.

 

B. Par jugement du 6 décembre 2005, notifié par plis recommandés du lendemain, le Tribunal des prud’hommes a condamné conjointement et solidairement E1_____________, en sa qualité de liquidateur officiel de la succession d’A__________, et la masse en faillite de E2___________ à payer à T_____________ la somme brute de 62'400 fr. plus intérêts à 5% l’an dès le 1er octobre 2003.

 

En résumé, le Tribunal a admis la légitimation passive de la masse, pourtant contestée. Cela étant, le Tribunal a relevé que la précédente procédure, qui sera décrite ci-après, ne s'était pas prononcée sur la validité du congé signifié à T_____________ par E2___________. Enfin, les circonstances du cas d'espèce, notamment la faillite de E2___________, de même que l'inscription de T_____________ au chômage en septembre 2003, militaient en faveur de la fixation d'un terme aux relations de travail à fin septembre 2003. Le Tribunal relevait tant la grande légèreté de la masse en faillite de E2___________ que les carences du demandeur, qui n'avait jamais proposé ses services. Le Tribunal soulignait enfin la mauvaise foi de T_____________.

En conséquence, T_____________ avait donc droit à son salaire jusqu'au 30 septembre 2003, y compris son treizième salaire, pro rata temporis, et le paiement incombait tant à la masse en faillite qu'à E1_____________, es qualités.

C. Par actes adressés respectivement les 4 et 5 janvier 2006, E1_______________, en sa qualité de liquidateur officiel de la succession d’A______________, et la masse en faillite de E2___________ appellent de cette décision et concluent au déboutement total de T______ _________.

 

Par mémoire du 22 février 2006, T_____________ conclut à la confirmation de la décision entreprise.

 

D. T_____________ avait déjà agi en paiement de son salaire devant la Juridiction des prud'hommes de Genève, en assignant la société simple Z_____ E1 E2___________ en paiement de 31'500 fr. plus intérêts à 5% dès le 31 mars 2003, à titre de salaire pour les mois de janvier à mars 2003 uniquement. En cours de procédure, il avait dirigé sa demande contre les associés de Z_____ E1 E2___________, soit E1_____________, en sa qualité de liquidateur officiel de la succession d’A__________, et E2___________. Il concluait également à la réserve de toute prétention pour les salaires des mois suivants, y compris le treizième salaire, se considérant toujours comme salarié de la société simple.

 

Dans cette procédure, E1_____________, agissant es qualités, avait conclu à l’irrecevabilité de la demande, au déboutement de T_____________ et à l'octroi de conclusions reconventionnelles tendant au paiement de 42'561 fr. 70. E2___________ n’avait pris aucune conclusion.

 

Statuant le 22 décembre 2003, le Tribunal des prud’hommes a condamné E1_____________, en sa qualité de liquidateur officiel de la succession d’A__________, à payer à T_____________ la somme brute de 31'200 fr. plus intérêts à 5% l’an dès le 31 mars 2003. Le Tribunal a nié la validité du congé notifié en août 2000 par E1_____________, considérant au contraire que T_____________ était resté employé de Z_____ E1 E2___________, de sorte que son droit au salaire était acquis pour la période en cause. Le Tribunal ne s'est pas prononcé au-delà de cette période; il a pour le surplus écarté la demande reconventionnelle, pour défaut de preuve.

 

Sur appel de E1_____________, en sa qualité de liquidateur officiel de la succession d’A__________, la Cour a confirmé la décision susdécrite. Ni le jugement ni l'arrêt ne se prononcent sur la validité du contrat en 2003, sauf pour préciser qu'il courait toujours durant les trois premiers mois de l'année.

 

E. Il ressort de la procédure les éléments pertinents suivants :

 

a. T_____________, comptable né en 1946 et domicilié en Valais, a été engagé en 1982 par Z_____ E1 E2___________, société simple active dans le domaine de la finance et de la gestion de biens immobiliers.

 

Aucun contrat écrit n’a sanctionné cet engagement.

 

Le dernier salaire versé à T_____________ s’inscrivait à 124'800 fr. l’an en 2002.

 

b. Z_____ E1 E2___________, domiciliée à Genève, a été administrée jusqu’en 1990 par les associés A___________, dit A___________ et E2___________.

 

c. A__________, domicilié à Saint-Prex, est décédé le 29 décembre 1990 à Lausanne. Son hoirie a toutefois décidé de poursuivre l’activité de la société.

 

d. Le Tribunal du district de Morges a, par décision du 29 mars 1993, ordonné la liquidation officielle de la succession d’A__________ et a nommé E1_____________ administrateur à cette fin.

 

e. Par courrier recommandé du 7 août 2000, E1_____________ a résilié, avec effet au 30 novembre 2000, le contrat de travail de l’employé, motivant cette décision par la mauvaise santé financière de E2___________ et par les exigences des créanciers hypothécaires. E2___________ n’a pas contresigné cette lettre de résiliation et n’a pas donné son aval à son contenu d’une quelconque autre manière.

T_____________ a contesté la validité de ce congé par courrier du 15 septembre suivant.

 

En date du 6 octobre 2000, E1_____________ a réitéré son intention de résilier le contrat de travail de T_____________, précisant que sa qualité de liquidateur l’autorisait à procéder de la sorte. T_____________ a à nouveau contesté ce point de vue, signalant qu’il réclamerait son salaire au-delà du 30 novembre 2000. Ce dernier courrier est, semble-t-il, resté sans réponse.

 

f. T_____________ a effectivement poursuivi son activité dans le cadre de Z_____ E1 E2___________ au-delà du 30 novembre 2000. Il a en effet continué de fournir ses services à cette société et, dans ce cadre, a reçu à plusieurs reprises des instructions écrites de E1_____________ (cf. courriers des 21 mai, 2 octobre et 13 décembre 2001, 19 février, 13, 14 et 19 mars, 2 avril, 14 mai, 26 juin et 4 novembre 2002). E1_____________ a précisé en appel qu’il n’avait que peu de contacts avec T_____________, dont l’activité était restreinte. Il savait toutefois que T_____________ continuait de percevoir un salaire « pour le compte de E2___________ ».

 

g. T_____________ a effectivement perçu son salaire pour les exercices 2001 et 2002 et a produit à l’administration fiscale de son domicile les certificats de salaire des 21 février 2002 et 21 janvier 2003 qui lui étaient parvenus. Ceux-ci étaient porteurs du timbre humide de Z_____ E1 E2___________ et signés par E2___________. Ils attestaient d’un revenu annuel de 124'800 fr. versé effectivement par le débit des comptes de Z_____ E1 E2___________, ainsi que E2___________ l’a confirmé devant la Cour d’appel lors de la précédente procédure. Par ailleurs, il résulte également de cette procédure que les charges sociales afférentes à ce salaire étaient payées.

 

h. S’adressant à E1_____________ par courrier recommandé du 26 février 2003, T_____________ s’est plaint de n’avoir pas reçu son salaire pour les mois de janvier et février 2003 et en a requis le paiement.

 

E1_____________ a contesté cette prétention en raison de la dénonciation du contrat résultant de ses courriers des 7 août et 6 octobre 2000.

 

i. Par courrier du 4 mars 2003, E2___________, agissant pour le compte de Z_____ E1 E2___________, a résilié avec effet au 30 septembre 2003 le contrat de travail liant la société simple à T_____________.

 

E2___________ a par ailleurs affirmé que T_____________ était le plus fidèle collaborateur du groupe et de ses sociétés, qui comptaient jusqu’à 29 employés à la fin des années 80. Il conservait T_____________ au service de Z_____ E1 E2___________ dans l’espoir qu’un bien immobilier sis à la rue de Lausanne à Genève puisse redémarrer, ce qui ne s’est pas produit.

 

Dans un courrier du 30 janvier 2003 adressé à E1_____________, E2___________ précisait que T_____________ était occupé à boucler les comptes de l'exercice 2002, avant d'ajouter : "Il est inadmissible de mettre en doute l'utilité et l'importance des tâches accomplies jusqu'ici par T_____________. Aujourd'hui les associés doivent sans nul doute mettre fin à ce contrat de travail. " (cf. pce 2 chargé E1_______).

 

j. La faillite de E2___________ a été prononcée par jugement du Tribunal de première instance le 3 décembre 2002. La Cour de justice a confirmé cette décision par arrêt du 20 mars 2003.

 

Dans le cadre de l'administration de cette faillite, l'Office a procédé à l'interrogatoire du failli le 22 avril 2003 et a rempli à cette occasion un formulaire type. Il est mentionné lapidairement au passif l'existence d'un seul employé, T_____________, avec cet ajout : "Salaires dus : Env. 6 mois", sans que l'on sache s'il s'agit d'un salaire échu ou à venir (cf. pce 8bis demandeur).

 

k. T_____________ s’est inscrit au chômage auprès de la Caisse publique cantonale valaisanne de chômage le 18 septembre 2003, qui a admis de faire rétroagir ses prestations au 8 septembre 2003. Elle n'est pas intervenue dans la présente cause.

 

l. En janvier 2004, la masse en faillite de E2___________ a confié un mandat à T_____________. Elle précisait agir d'entente avec l'hoirie A_____ et proposait une rémunération maximale de 1'500 fr. T_____________ a accepté ce mandat, qui concernait l'établissement de décomptes relatifs à des encaissements de loyers à ______. Il a adressé une note d'honoraires à la masse en faillite de E2___________ et à E1_____________, es qualités.

 

m. T_____________ a annoncé le 22 mars 2004 à la masse en faillite de E2___________ l'existence de sa créance salariale. Il a produit à hauteur de 183'872 fr. 35 le 6 juillet 2004, pour une période courant de janvier 2003 à juin 2004. Cette prétention a été écartée en décembre 2004, l’Office des faillites estimant que les salaires réclamés étaient postérieurs à la faillite.

 

Par acte déposé au greffe du Tribunal le 12 janvier 2005, T______________ a formé une action en contestation de l’état de collocation et a conclu à ce que sa créance en salaire soit admise en première classe, à titre de salaire dû par la masse en faillite de E2___________. Cette cause est en cours d'instruction.

 

n. T_____________ a bénéficié des prestations de la Caisse publique cantonale valaisanne de chômage à Sion à raison de 3'828 fr. 45 du 8 au 30 septembre 2003, de 7'658 fr. 05 le mois suivant et de 14'317 fr. 70 pour novembre et décembre 2003, soit un total de 25'263 fr. Il a reçu, de la même caisse, 42'128 fr. en 2004. T_____________ a retrouvé un emploi au 1er septembre 2004.

 

o. Lors de son audition par le Tribunal, T_____________ a précisé qu'il n'avait plus travaillé pour la masse en faillite de E2___________ ou pour E1_____________, en sa qualité de liquidateur officiel de la succession d’A__________, depuis le mois de septembre 2003. Il n'a pas non plus demandé à ses employeurs du travail, sachant qu'il aurait reçu une réponse négative. En 2003, il avait travaillé à plein temps au début, mais son activité avait progressivement diminué pour devenir de peu d'importance en septembre. Il a ajouté ceci : "Je n'ai reçu aucune instruction de la Masse en faillite de E2___________. Mon employeur était la société Z___." (cf. pv de comparution personnelle du 18 août 205, p. 3).

 

B_____________, secrétaire de E1_____________ depuis 1984, a précisé lors de son témoignage qu'elle ignorait si T_____________ avait offert ses services en 2003 ou en 2004. Elle n'avait jamais eu que des contacts téléphoniques avec T_____________, lesquels avaient cessé depuis plusieurs années. Selon elle, les dernières correspondances échangées entre son employeur et T_____________ remontaient au début de l'année 2003. A sa connaissance, T_____________ n'avait pas travaillé pour Z_____ E1 E2___________ depuis 2000. Elle n'avait eu aucun contact avec l'Office des faillites se rapportant à ce dernier.

 

E2___________ a considéré que le contrat de travail de T_____________ avait cessé au moment de sa faillite, avec effet rétroactif en décembre 2002. Il avait mentionné l'existence de ce contrat de travail à l'Office des faillites lors de son audition du 22 avril 2003, ignorant le sort réservé à ce contrat. Pour ce témoin, T_____________ était toujours sous contrat de travail avec Z_____ E1 E2___________ lors du prononcé de la faillite le 3 décembre 2002, en ajoutant :

"Après cette date, j'ai évidemment continué à collaborer avec T______________, afin de pouvoir renseigner les différents intervenants, notamment l'Office des faillites. Je ne tenais pas cet Office informé des travaux que je demandais à T_____________. Ce dernier est venu en tous cas à deux reprises à l'Office avec moi. Il est clair que j'ai demandé à T_____________ de me fournir des indications que je devais moi-même transmettre à l'Office "

p. T_____________ n'a produit aucune pièce attestant de son activité au-delà de décembre 2002. Il n'a par ailleurs fait citer aucun témoin susceptible d'en établir la réalité. Après la faillite de E2___________, la masse n'a jamais recouru aux services de T_____________, hormis le mandat de 2004, et ce dernier ne lui a jamais proposé son concours, ni ne lui a demandé de sûretés.

 

EN DROIT

 

 

1. Interjetés dans la forme et le délai prévus par la loi (art. 59 de la loi sur la juridiction des prud'hommes, ci-après: LJP), les appels sont recevables. Vu leur connexité, ils doivent être joints.

 

2. L'un des appelants conclut au déboutement de l'intimé au motif qu'il aurait été débouté de toutes autres conclusions que celles qui tendaient au versement de son salaire des mois de janvier à mars 2003 lors de la précédente procédure, ceci incluant qu'il n'avait pas obtenu la réserve sollicitée. Ce raisonnement ne saurait être suivi. En effet, la réserve indéterminée des droits, couramment sollicitée, est sans portée intrinsèque. Soit le droit existe, et point n'est besoin d'en obtenir la réserve, soit il n'existe pas, et même en obtenir la réserve ne saurait le faire naître. En conséquence, la précédente procédure n'ayant pas statué sur les prétentions salariales de l'intimé au-delà de mars 2003, il n'y a pas chose jugée sur cet objet et l'intimé a conservé le droit d'agir pour la période présentement en cause.

 

La théorie de l'action partielle soutenue par E1_____________ ne saurait s'appliquer au cas d'espèce. Elle suppose en effet que le défendeur, pour s'épargner le risque d'un nouveau procès portant sur le même rapport de droit, ait pris des conclusions tendant à la constatation de l'inexistence de plus amples prétentions du demandeur (SJ 1988, p. 609). Or, E1_____________ n'a pris aucune conclusion en ce sens, sollicitant uniquement des précédents juges qu'ils constatent la validité de la résiliation pour le 30 novembre 2000, conclusion dont il a été débouté. Il n'a donc pas été statué sur les actuelles prétentions de l'intimé dans la précédente procédure, la décision ne portant que sur les mois de janvier à mars 2003.

 

3. La masse en faillite persiste à contester sa légitimation passive, considérant que les prétentions de l'intimé concernent des dettes du failli et non des dettes de la masse. Elle en veut pour preuve que l'intimé, avant d'entreprendre la présente action, a produit dans la faillite de E2___________ pour les mêmes montants.

3.1 La qualité pour agir et pour défendre se réfère à la faculté d’entamer un procès ou de s’opposer à une demande ; elle appartient à toute personne invoquant un droit propre à l’appui de son action et à tout défendeur. Le défaut de qualité pour agir ou pour défendre entraîne l’irrecevabilité de la demande (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, Commentaire de la loi de procédure civile, n. 5 ad art. 3 LPC).

La légitimation active ou passive dans un procès civil relève du fondement matériel de l'action; elle appartient au sujet (actif ou passif) du droit invoqué en justice et son absence entraîne, non pas l'irrecevabilité de la demande, mais son rejet (ATF 108 II 216 consid. 1; Bertossa et alii, op. cit., n. 4 ad art. 1 LPC ; Habscheid, Droit judiciaire privé suisse, Genève, 1981, p. 191).

3.2 Le droit suisse ne contient aucune disposition générale selon laquelle la faillite met automatiquement fin aux contrats auxquels le failli est partie (Jeandin, Les effets de la faillite sur le contrat de durée, Le contrat dans tous ses états, Publication de la Société genevoise de droit et de législation à l'occasion du 125e anniversaire de la Semaine Judiciaire, Berne 2004, p. 71 ss, spéc. p. 71 s.; Amonn/Walther, Grundriss des Schuldbetreibungs- und Konkursrechts, 7e éd., Berne 2003, § 42 n. 1), mais seulement quelques dispositions particulières prévoyant la caducité de tel contrat, voire la possibilité pour l'autre partie de le résilier, que l'art. 211 al. 3 LP réserve expressément.

Cette règle générale est applicable au contrat de travail; la faillite de l'employeur n'est pas un motif de résilier le contrat de travail. Le travailleur peut toutefois exiger de l'administration de la faillite que des sûretés lui soient fournies dans un délai convenable, soit quelques jours, afin de garantir son salaire futur, mais pas ses arriérés. Si, saisie d'une telle demande, la masse accepte la fourniture de sûretés, elle reprend ainsi le contrat, de telle sorte que les créances de salaire nées postérieurement à la faillite deviennent désormais des dettes de la masse. La masse peut également "entrer" dans le contrat de travail à la suite d'une déclaration expresse ou d'actes concluants, notamment lorsqu'elle continue à employer le travailleur. Dans ces cas aussi, les salaires échus entrent alors dans les dettes de la masse.

3.3 Selon l'art. 219 al. 4 let. a LP, sont colloquées en première classe les créances que le travailleur peut faire valoir en vertu du contrat de travail, et qui sont nées pendant le semestre précédant l'ouverture de la faillite, ainsi que les créances résultant d'une résiliation anticipée du contrat de travail pour cause de faillite de l'employeur et les créances en restitution de sûretés.

3.4 En l'espèce, la faillite de E2___________ remonte au 2 décembre 2002, date à laquelle l'intimé était lié par un contrat de travail aux associés de la société simple Z_____ E1 E2___________.

Depuis lors, l'intimé, sans vraiment justifier juridiquement ses choix, a d'abord annoncé à la masse en faillite de E2___________ l'existence d'une créance salariale pour la période d'avril 2003 à août 2004 et a produit à hauteur de 183'872 fr. 35 le 6 juillet 2004, puis il a intenté la présente action, pour les mêmes motifs, la même période et les mêmes montants, considérant implicitement que la masse en faillite de E2___________ avait repris son contrat.

Qu'en est-il en l'occurrence ?

Après le prononcé de la faillite, la masse n'a jamais recouru aux services de l'intimé en tant que travailleur et n'a donc jamais exercé un quelconque rapport de subordination. Il est par ailleurs constant que l'intimé n'a jamais offert ses services à la masse et qu'il ne lui a pas demandé de lui fournir des sûretés en garantie de son salaire à venir. Pour sa part, la masse n'a pas laissé entendre à l'intimé qu'elle envisageait d'entrer dans le contrat. Enfin, l'intimé s'est désintéressé de sa relation de travail et n'a pas offert de prouver la nature du travail qu'il aurait prétendument accompli pour Z_____ E1 E2___________ après la faillite de E2___________. Depuis cette échéance, l'intimé n'est intervenu que pour accompagner E2___________ à deux reprises à l'Office, afin de l'assister lors de la procédure d'enquête ouverte par celui-ci. Il s'est ainsi accordé deux possibilités de se rappeler au souvenir de la masse, et autant d'opportunités de lui offrir ses services, sans les saisir. A tout le moins eût-il pu, si cela le concernait encore, demander à l'Office de préciser ses intentions à son sujet. Or, il n'en a rien fait. Qui plus est, s'il avait poursuivi une quelconque activité à titre de salarié, nul doute qu'il en aurait fait part d'abord à l'Office, puis dans le cadre des procédures judiciaires. Dans le même ordre d'idée, on ne comprend pas pourquoi la masse, si le contrat de travail perdurait, aurait confié un mandat à l'intimé en janvier 2004, ni pourquoi celui-ci l'aurait accepté. Cet événement démontre bien qu'à cette date, plus aucune relation de travail n'existait entre les parties.

Enfin, signe du désintéressement de l'intimé, il n'a agi pour le paiement du salaire courant depuis avril 2003 qu'en avril 2005, plus de trois mois après avoir formé une action en contestation de l'état de collocation de la faillite de E2___________, dans laquelle il produisait pour les mêmes montants qu'il réclame dans la présente cause.

Il résulte de l'ensemble de ces circonstances que la masse en faillite n'a pas repris le contrat de travail de l'intimé, ce que l'intimé ne pouvait ignorer.

En conséquence, l'intimé n'est titulaire d'aucune prétention salariale directe envers la masse en faillite de E2___________, avec qui il n'a pas noué de relation contractuelle. Le défaut de légitimation passive de la masse entraîne donc le rejet des prétentions de l'intimé élevées contre elle et entraîne la modification de la décision entreprise.

4. L'intimé peut-il agir contre E1_____________, en sa qualité de liquidateur officiel de la succession d’A__________, en paiement de son salaire ?

4.1 Il ressort de la précédente procédure que la résiliation du contrat de travail de l'intimé n'était pas valable, de sorte que ce contrat liait toujours l'intimé à E1_____________, en sa qualité de liquidateur officiel de la succession d’A__________, au moment de la faillite de E2___________. Depuis lors, ce dernier a résilié le contrat de travail de l'intimé au 30 septembre 2003, échéance admise dans la procédure d'appel. Il s'ensuit que la question ne se pose que pour les mois d'avril à septembre 2003.

4.2 Si le droit suisse ne contient pas de disposition générale selon laquelle la faillite met automatiquement fin aux contrats auxquels le failli est partie, le droit matériel prévoit que la faillite met fin ex lege à certains contrats. C'est le cas en l'espèce où la faillite de E2___________ a entraîné la dissolution de la société simple (art. 545 al. 1 ch. 3 CO). Toutefois, la société ne prend fin que lorsque toutes les opérations de liquidation ont été achevées.

En conséquence, E1_____________, en sa qualité de liquidateur officiel de la succession d’A__________, n'ayant rien entrepris pour la liquidation de la société simple, le contrat de travail de l'intimé obligeait toujours chaque associé de celle-ci. Ainsi, E1_____________, en sa qualité de liquidateur officiel de la succession d’A__________, est resté en principe débiteur de son salaire pendant toute la durée du contrat, à défaut de résiliation valable.

C’est en conséquence à juste titre que les premiers juges ont admis que l’intimé était encore théoriquement à la charge de cet employeur d'avril à septembre 2003.

5. L'appelant E1_____________, en sa qualité de liquidateur officiel de la succession d’A__________, se plaint toutefois de l'attitude de l'intimé et se prévaut de l'abus de droit, au motif qu'il n'a jamais offert ses services ni à l'Office ni à lui-même depuis la mise en faillite de E2___________, observant qu'il n'avait plus travaillé pour lui depuis longtemps.

5.1 Selon l'art. 2 al. 2 CC, l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi. L'existence d'un abus de droit se détermine selon les circonstances concrètes du cas, en s'inspirant des diverses catégories mises en évidence par la jurisprudence et la doctrine (ATF 129 III 493 consid. 5.1 et les arrêts cités). L'adjectif "manifeste" indique qu'il convient de se montrer restrictif dans l'admission de l'abus de droit (consid. 5b non publié de l'ATF 128 III 284; arrêt 4C.225/2001 du 16 novembre 2001, publié in SJ 2002 I p. 405, consid. 2b p. 408 s.). Les cas typiques sont l'absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, l'utilisation d'une institution juridique contrairement à son but, la disproportion manifeste des intérêts en présence, l'exercice d'un droit sans ménagement ou l'attitude contradictoire (cf. ATF 129 III 493 consid. 5.1 et les arrêts cités; 127 III 357 consid. 4c/bb). La règle prohibant l'abus de droit autorise certes le juge à corriger les effets de la loi dans certains cas où l'exercice d'un droit allégué créerait une injustice manifeste. Cependant, son application doit demeurer restrictive et se concilier avec la finalité, telle que le législateur l'a voulue, de la norme matérielle applicable au cas concret (ATF 107 Ia 206 consid. 3b p. 211 et les références citées).

5.2 En l'espèce, les faits de la cause démontrent que l'intimé n'a que fort peu travaillé pour E1_____________, en sa qualité de liquidateur officiel de la succession d’A__________, avant la faillite de E2___________, et ne lui a jamais offert ses services après cet événement. Après cette échéance également, l'intimé ne s'est jamais manifesté auprès de lui, ne serait-ce que pour se renseigner. Il ne ressort pas non plus de la procédure, ce que lui seul aurait pu démontrer, que l'intimé aurait déployé la plus petite activité pour le compte de la société simple durant la période pour laquelle il réclame son salaire. Enfin, au même titre que cela a été souligné pour les prétentions élevées contre la masse, il importe de rappeler que l'intimé a accepté un mandat rémunéré pour une activité relevant normalement de son travail au sein de Z_____ E1 E2___________, ce qui démontre qu'il ne se considérait plus comme employé de celle-ci, ceci suffisant théoriquement à écarter ses prétentions salariales. Cette duplicité se retrouve également dans le fait d'intenter deux actions en justice, a priori contradictoires, sans mentionner le fondement juridique qui les justifie, en attendant que ses adversaires se positionnent, soit en adoptant une attitude caractéristique de mauvaise foi, se situant formellement à l'orée de l'irrecevabilité (absence in casu de tout exposé, de faits et de droit, pièces limitées). Une telle attitude se retrouve aussi dans le fait de ne pas agir pour l'intégralité de ses prétentions dans le cadre de la première procédure, alors que cela eût été possible, puis d'attendre plus de deux ans après la naissance du droit allégué avant de le faire valoir.

Il s'ensuit que la prétention salariale formée par l'intimé contre E1_____________, en sa qualité de liquidateur officiel de la succession d’A__________, doit également être rejetée, étant constitutive d'un abus de droit. La décision querellée sera modifiée en conséquence.

6. L‘intimé, qui succombe, sera condamné à rembourser aux appelantes les émoluments perçus.

 

 

PAR CES MOTIFS

 

La Cour d’appel des prud'hommes, groupe 4,

 

A la forme :

Déclare recevables les appels interjetés par E1_____________, en sa qualité de liquidateur officiel de la succession d’A__________ et la masse en faillite de E2___________ contre le jugement du Tribunal des prud'hommes du 6 décembre 2005 dans la cause C/8181/2005 – 4 ;

Ordonne leur jonction;

 

Au fond :

Annule ledit jugement;

 

 

Puis statuant à nouveau :

 

Déboute T_____________ de toutes ses conclusions;

 

Dit que les émoluments perçus restent acquis à l'Etat ;

 

Condamne T_____________ à rembourser à E1_____________, en sa qualité de liquidateur officiel de la succession d’A__________, et à la masse en faillite de E2___________ les émoluments de 880 fr. versés par chacune des parties;

 

Déboute les parties de toutes autres conclusions ;

 

La greffière de juridiction Le président