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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/26902/2020

ACJC/1007/2021 du 05.08.2021 ( SBL ) , IRRECEVABLE

Normes : CPC.319
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/26901/2020 et C/26902/2020 ACJC/1006/2021
ACJC/1007/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU JEUDI 5 AOÛT 2021

 

Entre

CAISSE DE PREVOYANCE A______, sise ______, appelante contre deux ordonnances rendues par le Tribunal des baux et loyers les 22 et 24 février 2021, comparant par Me Boris LACHAT, avocat, rue Saint-Ours 5, 1205 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______, et Monsieur C______, domicilié ______, intimés, comparant tous deux par Me D______, avocate, ______, en l'étude de laquelle ils font élection de domicile.

 


EN FAIT

A. a. B______ et C______, avocats, sont locataires depuis de nombreuses années de locaux commerciaux ainsi que d'un dépôt sis rue 1______, [code postal] Genève, dans lesquels ils exercent leur activité professionnelle.

La bailleresse est la CAISSE DE PREVOYANCE A______.

b. Par avis officiels du 24 novembre 2020, la bailleresse a résilié les baux précités pour le 31 décembre 2020, pour cause de non-paiement du loyer.

c. Le 23 décembre 2020, les locataires ont déposé à l'encontre de la bailleresse, par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, une requête de conciliation, concluant principalement à ce que celle-ci constate que les résiliations des baux du 24 novembre 2020 sont inefficaces et que ces baux sont toujours valables. Subsidiairement, ils ont conclu à l'annulation des résiliations des baux susmentionnées.

d. Ces demandes ont été enregistrées par la Commission sous quatre numéros de causes distincts, à savoir C/2______/2020 concernant l'action en constatation de droit relative au dépôt, C/3______/2020 concernant l'action en contestation de congé relative au dépôt, C/26901/2020 concernant l'action en constatation de droit relative aux locaux commerciaux et C/26902/2020 concernant l'action en contestation de congé relative aux locaux commerciaux.

Par ordonnances du 23 février 2020, la cause C/2______/2020 a été jointe à la cause C/3______/2020 et la cause C/26901/2020 jointe à la C/26902/2020.

e. Une audience de conciliation prévue pour le 10 mars 2021 a été convoquée le 3 février 2021 par la Commission.

f. Le 5 février 2021, l'avocate des locataires a requis le report de cette audience, faisant valoir qu'elle avait un rendez-vous médical fixé de longue date.

g. Cette demande a été acceptée par la Commission le 12 février 2021 et une nouvelle audience a été fixée le 24 février 2021.

h. Le 16 février 2021, l'avocate des locataires a requis un nouveau renvoi, faisant valoir qu'elle serait en congé du 22 au 28 février 2021, semaine des vacances scolaires vaudoises. Elle a ajouté que son client C______ était absent de Genève la même semaine, relevant qu'il serait également absent du 8 au 15 mars 2021.

i. Par ordonnance du 22 février 2021, la Commission a retenu que la demande de renvoi d'audience du 16 février 2021 n'était pas fondée sur des motifs suffisants au sens de l'art. 135 let. b CPC, de sorte que l'audience était maintenue. C______ était dispensé d'y comparaître, conformément à l'art. 204 al. 3 CPC.

j. A teneur du procès-verbal de l'audience du 24 février 2021, B______ a comparu, assisté d'un avocat excusant l'avocate constituée. Il représentait en outre C______, valablement excusé. La bailleresse était représentée par son avocat.

Il a été porté au procès-verbal ce qui suit : "La Commission va formuler une proposition de jugement à l'attention des parties".

La A______ allègue que son avocat a soulevé une objection lors de l'audience du 24 février 2021, faisant valoir que la cause devait être rayée du rôle en raison de l'absence d'un requérant consort nécessaire.

Cette allégation est contestée par les locataires.

Aucune mention ne figure au procès-verbal à ce sujet.

k. Le 26 février 2021, la Commission a rendu dans les causes C/26902/2020 et C/3______/2020 des propositions de jugement PJCBL/10/2021 et PJCBL/11/2021.

Les résiliations des baux litigieux ont été déclarées inefficaces et il n'a pas été prélevé de frais.

l. La bailleresse a formé opposition en temps utile à ces propositions de jugement de sorte que, le 15 avril 2021, la Commission a délivré aux locataires une autorisation de procéder dans les deux causes susmentionnées.

m. Les demandes ont été déposées le 21 mai 2021 par devant le Tribunal des baux et loyers.

B. a. Le 26 février 2021, la A______ a formé appel de l'ordonnance du 22 février et de la décision du 24 février 2021 par laquelle la Commission annonçait qu'elle formulerait une proposition de jugement, concluant, à titre principal, à ce que la Cour annule ces décisions, considère que les requêtes des locataires étaient retirées, dise que les procédures étaient devenues sans objet et rayées du rôle.

Elle a notamment fait valoir sur le fond que les conditions d'une dispense de comparaître de C______ n'étaient pas réalisées. Celui-ci avait fait défaut à l'audience de sorte que la cause devait être rayée du rôle.

b. Le 25 mars 2021, les locataires ont conclu à l'irrecevabilité de l'appel, subsidiairement à son rejet, avec suite de frais et dépens.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

d. Elles ont été informées le 8 juin 2021 de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. L'appelante fait valoir que la Commission aurait rendu le 24 février 2021 une décision refusant de rayer la cause du rôle et annonçant son intention de formuler ultérieurement une proposition de jugement. Il s'agissait là d'une décision incidente au sens de l'art. 237 CPC, car une décision en sens contraire, à savoir la radiation de la cause du rôle en raison du défaut de C______ aurait permis de mettre fin au procès en réalisant une économie de temps ou de frais appréciable.

1.1 1.1.1 Le recours est recevable contre des décisions et ordonnances d'instruction de première instance, dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

Les ordonnances d'instruction se rapportent à la préparation et à la conduite des débats; elles statuent en particulier sur l'opportunité et les modalités de l'administration des preuves, ne déploient ni autorité ni force de chose jugée et peuvent en conséquence être modifiées ou complétées en tout temps (CR CPC-Jeandin, art. 319 N 14).

La notion de préjudice difficilement réparable est plus large que celle de préjudice irréparable consacré par l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Ainsi, elle ne vise pas seulement un inconvénient de nature juridique, mais toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, pourvu qu'elle soit difficilement réparable. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre la réalisation de cette condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu. Il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès
(Jean-Luc Colombini, Code de procédure civile, condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise, 2018, n. 4.1.3 ad art. 319 CPC; Blickenstorfer, Schweizerische Zivilprozessordnung [ZPO], n. 39 ad art. 319 CPC; Jeandin, Commentaire romand, n. 22 ad art. 319 CPC).

Une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne constitue ainsi pas un préjudice difficilement réparable (Spühler, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, n. 7 ad art. 319 CPC; Hoffmann-Nowotny, ZPO-Rechtsmittel, Berufung und Beschwerde, n. 25 ad art. 319 CPC).

1.1.2 Selon l'art. 237 al. 1 CPC, le tribunal peut rendre une décision incidente lorsque l'instance de recours pourrait prendre une décision contraire qui mettrait fin au procès et permettrait de réaliser une économie de temps ou de frais appréciable. La décision incidente est sujette à recours immédiat; elle ne peut être attaquée ultérieurement dans le recours contre la décision finale (al. 2).

Les décisions incidentes au sens de l'art. 237 sont des décisions qui ne mettent pas fin au procès, mais tranchent une question qui pourrait entraîner cette fin s'il était statué en sens inverse. Il s'agit généralement de décisions rendues au début du procès selon les art.125 et 222 al.3 CPC: sont en particulier incidentes selon l'art.237 CPC de telles décisions séparées écartant une éventuelle irrecevabilité pour un motif de procédure selon l'art.59 CPC, ou un moyen libératoire préjudiciel de fond comme la prescription ou l'absence d'un des éléments de la responsabilité comme la faute dans une action en dommages-intérêts (alors que si l'irrecevabilité ou le moyen libératoire préjudiciel est admis, le procès prend fin et la décision est finale selon l'art.236) (CR CPC-Tappy, art.237 N 3).

1.1.3 Les ordonnances relevant de la conduite du procès ne se rapportent pas à l'objet du litige en tant que tel et ne se prononcent pas sur le bien-fondé de la demande. En revanche, le jugement incident tranche préalablement une question de procédure ou de droit matériel dont dépend la suite de la procédure. Le jugement incident ne met pas fin à la procédure, mais représente uniquement une étape sur le chemin qui conduit au jugement final. A titre d'exemples de jugement incident, la doctrine mentionne l'admission de la compétence à raison du lieu, ou le refus d'admettre la prescription. Si le tribunal rend un jugement incident indépendant, il doit respecter les exigences de l'art. 238 CPC, notamment indiquer les voies de droit (lit. h) (arrêt du Tribunal fédéral 5D_160/2014 du 26 janvier 2015 consid. 2.3 - 2.4).

1.1.4 Selon l'art. 210 al. 1 CPC, l'autorité de conciliation peut soumettre aux parties une proposition de jugement dans les litiges relatifs aux baux à loyer.

A teneur de l'art. 211 al. 1 CPC, la proposition de jugement est acceptée et déploie les effets d'une décision entrée en force lorsqu'aucune des parties ne s'y oppose dans un délai de 20 jours à compter du jour où elle a été communiquée par écrit aux parties. L'opposition ne doit pas être motivée. 

Après la réception de l'opposition, l'autorité de conciliation délivre l'autorisation de procéder (art. 211 al. 2 CPC).

Selon la jurisprudence, il n'y a plus lieu d'examiner la question d'un recours immédiat contre une décision incidente de dispense de comparution personnelle en procédure de conciliation (art. 204 al. 3 lit. b CPC), lorsque l'autorisation de procéder (acte qui met fin à la procédure devant l'autorité de conciliation) a déjà été accordée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_616/2013 du 16 juin 2014 consid. 2.2 n.p. in ATF 140 III 227).

L'autorisation de procéder, bien que consistant en un acte d'une autorité, n'est pas une décision sujette à recours; sa validité doit être examinée par le Tribunal saisi de la cause (ATF 140 III 227 consid. 3.1).

1.2 En l'espèce, la décision de la Commission du 22 février 2021, dispensant C______ de comparaître à l'audience, est une ordonnance d'instruction au sens de l'art. 319 al. 1 let. b CPC. Seul le recours - et non l'appel - est ouvert contre cette ordonnance, à la condition que le recourant établisse l'existence d'un préjudice difficilement réparable.

Or aucun préjudice de ce type ne menace la A______, rendant l'acte irrecevable.

Dans la mesure où la proposition de jugement, rendue le 26 février 2021 par la Commission, a fait l'objet d'une opposition de sa part en temps utile, et que l'autorisation de procéder a été délivrée aux intimés, la procédure de conciliation a maintenant pris fin.

Conformément à la jurisprudence susmentionnée, il n'y a dès lors plus lieu d'examiner la question d'un recours immédiat contre la décision de dispense de comparution.

Les griefs soulevés par la A______, soit la question de savoir si c'est à juste titre ou non que la Commission a dispensé C______ de comparaître et, cas échéant, quelle est la conséquence de cet état de fait, devront être soulevés et examinés dans le cadre de la procédure qui est maintenant introduite par-devant le Tribunal.

Il incombe en effet, selon la jurisprudence, à cette autorité de se prononcer, dans l'examen des conditions de recevabilité de la demande, sur la validité de l'autorisation de procéder accordée par l'autorité de conciliation.

Par ailleurs, c'est également une ordonnance d'instruction au sens de l'art. 319 al. 1 let. b CPC, et non une décision incidente au sens de l'art. 237 CPC, que la Commission a rendue le 24 février 2021.

La Commission n'a ce jour-là prononcé aucune décision concernant le litige, se limitant à informer les parties de la suite de la procédure, à savoir qu'elle entendait rendre postérieurement une proposition de jugement. Il s'agit ainsi d'une ordonnance relevant de la conduite du procès, qui ne se rapporte pas à l'objet du litige en tant que tel et ne se prononce pas sur le bien-fondé de la demande.

A cela s'ajoute que l'allégation de la A______ selon laquelle elle aurait requis de la Commission, le 24 février 2021, la radiation du rôle, requête refusée par celle-ci n'est pas établie. En effet, cette affirmation est contestée par les intimés et le procès-verbal de l'audience n'en fait aucune mention.

Il en résulte qu'il n'y a eu, sur la question de la radiation du rôle, aucun litige susceptible d'être tranché par une décision le 24 février 2021.

L'ordonnance rendue ce jour-là par la Commission ne cause à la A______ aucun préjudice irréparable, puisque la proposition de jugement a été annulée suite à l'opposition formée par celle-ci, l'autorisation de procéder ayant été délivrée le 15 avril 2021.

L'acte déposé par la A______ est dès lors irrecevable également en tant qu'il est dirigé contre l'ordonnance du Tribunal du 24 février 2021.

2. Il n'est pas prélevé de frais ni alloué de dépens, s'agissant d'une cause soumise à la juridiction des baux et loyers (art. 22 al. 1 LaCC).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :


Déclare irrecevable l'appel interjeté le 26 février 2021 par la CAISSE DE PREVOYANCE A______ contre les ordonnances rendues par la Commission de conciliation en matière de baux et loyers les 22 et 24 février 2021 dans les causes C/26901/2020 et C/26902/2020.

Dit que la procédure est gratuite.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Pauline ERARD et Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ et
Monsieur Stéphane PENET, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

La présidente :

Sylvie DROIN

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.