Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/454/2025 du 05.06.2025 ( AI ) , REJETE
En droit
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
| ||
A/4317/2024 ATAS/454/2025 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 5 juin 2025 Chambre 3 |
En la cause
A______
| recourante |
contre
OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE | intimé |
A. a. A______ (ci-après : l’assurée), née en ______ 1980, s’est mariée à deux reprises. Avec son second mari, B______, elle a eu une fille, C______, née en 2017.
b. L’assurée a travaillé comme aide-soignante. À compter de juin 2022, elle a bénéficié de l’aide sociale.
c. Saisi par l’époux de l’assurée, le Tribunal de première instance, par jugement du 29 juin 2022, statuant sur mesures protectrices de l’union conjugale, a, notamment, autorisé les époux à vivre séparés, attribué à l’assurée la jouissance exclusive du domicile conjugal, attribué au père la garde sur C______, condamné la mère à verser au père un certain montant à titre de contribution à l’entretien de C______.
d. L’assurée a fait appel de ce jugement.
B. a. En juillet 2022, l’assurée, atteinte d’une maladie psychique, a déposé une demande de prestations auprès de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : OAI).
b. Le 19 juillet 2022, l’assurée a signé deux documents demandant à la caisse de compensation de verser à l’Hospice général (ci-après : HG), en remboursement de ses avances, d’une part, les indemnités journalières qui lui seraient allouées avec effet rétroactif durant des mesures de réadaptation, dans la mesure où ces indemnités couvriraient la même période que lesdites avances, d’autre part, les arrérages de rente couvrant la même période.
c. Par courrier du même jour, l’HG a fait valoir auprès de l’OAI son droit à bénéficier du remboursement des avances versées à l’assurée.
d. Par courrier du 31 mars 2023, l’HG a produit, d’une part, un document signé du père de C______, demandant à la caisse de compensation de verser au SERVICE CANTONAL D’AVANCE ET DE RECOUVREMENT DES PENSIONS ALIMENTAIRES (SCARPA), en remboursement de ses avances, les rentes complémentaires qui seraient allouées avec effet rétroactif, dans la mesure où elles couvriraient la même période que lesdites avances, d’autre part, une cession de créance en faveur du SCARPA, signée par l’assurée (cédante) et le SCARPA (cessionnaire).
e. Par décision du 7 décembre 2023, l’OAI a reconnu à l’assurée le droit à une rente entière d’invalidité à compter du 1er janvier 2023.
f. Par décision du 9 août 2024, adressée au père de C______, l’OAI a, en premier lieu, fixé le montant de la rente complémentaire de l’enfant à 831.- CHF/mois, en second lieu, calculé que les rentes dues à titre rétroactif pour la période du 1er janvier 2023 au 31 août 2024 équivalaient à CHF 16'620.- et précisé que CHF 14'958.- seraient versés à l’HG.
C. a. Par courrier du 13 août 2024, adressé à l’OAI et transmis par ce dernier à la CAISSE INTERPROFESSIONNELLE AVS DE LA FÉDÉRATION DES ENTREPRISES ROMANDES (ci-après : FER CIAM ou la caisse), l’assurée s’est opposée à cette décision, qualifiée de « déloyale ».
En substance, de cette écriture passablement confuse, il ressort que l’assurée fait valoir que le divorce n’a pas été prononcé, que le juge civil n’a pas autorisé le versement de la rente de leur fille au père de celle-ci et qu’elle s’y oppose donc, tout comme elle conteste la compensation en faveur de l’HG.
Ce recours a été transmis par la caisse à la Cour de céans comme objet de sa compétence le 3 mars 2025.
b. Invité à se déterminer, l’intimé s’est rapporté à la position de la caisse.
Celle-ci explique que l’HG a requis la compensation du montant versé à titre rétroactif par l’assurance-invalidité avec les prestations d’aide sociale versées à titre d’avances à l’assurée durant la même période. Les conditions d’une telle compensation étant remplies, rien ne s’y opposait.
Quant au versement en mains du père de C______ de la rente complémentaire pour enfant, elle est conforme à la loi, puisque la garde de l’enfant a été attribuée à son père.
c. Les autres faits seront repris – en tant que de besoin – dans la partie « en droit » du présent arrêt.
1.
1.1 Conformément à l’art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ – E 2 05), la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA – RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI – RS 831.20.
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.2 À teneur de l’art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s’appliquent à l’assurance-invalidité, à moins que la loi n’y déroge expressément.
1.3 La procédure devant la Cour de céans est régie par les dispositions de la LPGA et de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA – E 5 10).
1.4 Le délai de recours est de 30 jours (art. 56 LPGA ; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).
Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.
2. L’objet du litige porte d’une part sur la question du bien-fondé de la décision de l’intimé de distraire au profit de l’HG, un montant de CHF 14'958.- sur le montant rétroactif accordé à titre de rente complémentaire pour enfant pour la période du 1er janvier 2023 à 31 août 2024. Il porte d’autre part sur la décision de verser en mains du père de l’enfant ladite rente complémentaire.
3. Se pose en premier lieu la question du versement en mains du père de l’enfant de la rente complémentaire de celle-ci.
3.1 Aux termes de l'art. 35 al. 1 LAI, les assurés qui peuvent prétendre une rente d’invalidité ont droit à une rente pour chacun des enfants qui, au décès de ces personnes, auraient droit à la rente d’orphelin de l’assurance-vieillesse et survivants.
3.2 Conformément à l'art. 35 al. 4 LAI, la rente pour enfant est versée comme la rente à laquelle elle se rapporte, les dispositions relatives à un emploi de la rente conforme à son but (art. 20 LPGA), ainsi que les décisions contraires du juge civil étant réservées. Le Conseil fédéral peut édicter des dispositions spéciales sur le versement de la rente, en dérogation à l’art. 20 LPGA, notamment pour les enfants de parents séparés ou divorcés.
L'art. 82 al. 1 du règlement sur l'assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI; RS 831.201) prévoit que les art. 71, 71ter, 72, 73 et 75 du règlement sur l’assurance-vieillesse et survivants du 31 octobre 1947 (RAVS; RS 831.101) s'appliquent par analogie au versement des rentes pour les assurés majeurs.
L'art. 71ter al. 1 RAVS dispose que lorsque les parents de l’enfant ne sont pas ou plus mariés ou qu’ils vivent séparés, la rente pour enfant est versée, sur demande, au parent qui n’est pas titulaire de la rente principale, si celui-ci détient l’autorité parentale sur l’enfant avec lequel il vit, sauf décision contraire du juge civil ou de l'autorité tutélaire.
3.3 De la même manière, les Directives de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) concernant les rentes (DR) de l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité prévoient que les rentes pour enfants doivent en principe être versées conjointement avec la rente principale (ch. 10006 DR). Si les parents de l’enfant ne sont pas ou ne sont plus mariés ensemble, ou s’ils vivent séparés, les rentes pour enfants sont, sur demande et sous réserve d’une décision contraire du juge civil, versées au parent qui n’est pas titulaire de la rente principale lorsqu’il détient l’autorité parentale (le cas échéant partagée) et qu’il vit avec l’enfant (ch. 10007 et 10008 DR).
Le versement d’arriérés de rentes pour enfants peut être fait au parent non bénéficiaire de rente aux mêmes conditions (ch. 10012 DR). Si le parent bénéficiaire de rente s’est acquitté de son obligation d’entretien, il peut exiger le paiement en ses mains de l’arriéré de la rente pour enfant jusqu’à concurrence des contributions qu’il a effectivement fournies. La caisse peut demander par écrit les justificatifs des contributions versées (ch. 10013 DR). Si des contributions d’entretien ont été versées par un tiers (p. ex. avances), ce dernier peut en demander la restitution (ch. 10014 DR).
3.4 En l’occurrence, la garde de l’enfant a été attribuée au père, qui détient également l’autorité parentale (partagée) et ce, depuis 2022. Le père de l’enfant a transmis à la caisse les documents nécessaires au paiement en sa faveur, en particulier ceux en lien avec l’attribution de la garde et de l’autorité parentale. Le versement de la rente pour enfant au père apparaît dès lors justifié, y compris s’agissant du rétroactif, puisque la pension due par l’assurée n’a pas été versée par cette dernière et que c’est le SCARPA qui a avancé les sommes dues au titre de contribution d’entretien de l’enfant.
Les griefs soulevés par la recourante sur ce point sont donc mal fondés.
4. Il convient à présent d’examiner la compensation opérée en faveur de l’HG.
4.1 Selon l'art. 22 LPGA, le droit aux prestations est incessible ; il ne peut être donné en gage (al. 1). Les prestations accordées rétroactivement par l'assureur social peuvent en revanche être cédées à l'employeur ou à une institution d'aide sociale publique ou privée, dans la mesure où ceux-ci ont consenti des avances (al. 2 let. a), ou à l'assureur qui a pris provisoirement à sa charge des prestations (al. 2 let. b). En pratique, la règle de l’art. 22 al. 2 let. b LPGA concerne principalement les assurances privées d’indemnités journalières et, dans une moindre mesure, l’assurance en responsabilité civile (Sylvie PETREMAND in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n. 36 ad art. 22 LPGA).
En dehors de l'art. 20 al. 2 LPGA, la LPGA ne contient pas de norme générale sur la compensation. Ce mode d'extinction des créances est donc régi par les dispositions des lois spéciales (ATF 138 V 402 consid. 4.2), en l’occurrence la LAI et son règlement d’application.
4.2 L’art. 85bis RAI prévoit que les employeurs, les institutions de prévoyance professionnelle, les assurances-maladie, les organismes d'assistance publics ou privés ou les assurances en responsabilité civile ayant leur siège en Suisse qui, en vue de l'octroi d'une rente de l'assurance-invalidité, ont fait une avance peuvent exiger qu'on leur verse l'arriéré de cette rente en compensation de leur avance et jusqu'à concurrence de celle-ci. Est cependant réservée la compensation prévue à l’art. 20 de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10).
Les organismes ayant consenti une avance doivent faire valoir leurs droits au moyen d’un formulaire spécial, au plus tôt lors de la demande de rente et, au plus tard au moment de la décision de l’OAI (art. 85bis al. 1 RAI). Cela étant, l'utilisation du formulaire spécial prévu à l'art. 85bis al. 1 RAI est une prescription d'ordre. Ainsi, le tiers qui veut obtenir directement un paiement de prestations rétroactives de l'AI peut établir l'accord du bénéficiaire de celles-ci par un autre moyen que ce formulaire (ATF 136 V 381 consid. 5.2).
Sont considérées comme une avance les prestations librement consenties, que l'assuré s'est engagé à rembourser, pour autant qu'il ait convenu par écrit que l'arriéré serait versé au tiers ayant effectué l'avance (art. 85bis al. 2 let. a RAI), ainsi que les prestations versées contractuellement ou légalement, pour autant que le droit au remboursement, en cas de paiement d'une rente, puisse être déduit sans équivoque du contrat ou de la loi (art. 85bis al. 2 let. b RAI).
Les arrérages de rente peuvent être versés à l’organisme ayant consenti une avance jusqu’à concurrence, au plus, du montant de celle-ci et pour la période à laquelle se rapportent les rentes (art. 85bis al. 3 RAI). Pour que l'on puisse parler d'un droit non équivoque au remboursement à l'égard de l'assurance-invalidité, il faut que le droit direct au remboursement découle expressément d'une disposition légale ou contractuelle (ATF 133 V 14 consid. 8.3). La jurisprudence admet que le consentement écrit de l'assuré pour le versement direct en mains d'un tiers ayant versé des avances peut suffire lorsque les conditions générales d'assurance prévoient un devoir de remboursement de l'assuré (arrêt du Tribunal fédéral 8C_215/2019 du 24 octobre 2019 consid. 3.2 et les références citées). Selon les directives concernant les rentes de l’assurance vieillesse, survivants et invalidité fédérale (DR) éditées par l’OFAS, une clause de surassurance découlant d’un contrat ou de la loi ne suffit pas à fonder un droit sans équivoque au remboursement (ch. 10066).
4.3 Les objections contre le montant de la créance invoquée en compensation ne peuvent être soulevées dans la procédure devant l’OAI, mais doivent être dirigées directement contre l'organisme qui a fait valoir la compensation (arrêt du Tribunal fédéral 9C_225/2014 du 10 juillet 2014 consid. 3.3.1 ; voir également l’arrêt du Tribunal fédéral I.256/06 du 26 septembre 2007 consid. 6).
La caisse de compensation doit uniquement vérifier si la demande de compensation porte effectivement sur des avances consenties dans l’attente du versement de la rente et si ces avances ont été versées pour la période couverte par le paiement rétroactif de la rente. Ainsi, par exemple, pour la coordination des prestations entre l’assistance sociale et l’assurance-invalidité, est seul déterminant le fait que des prestations de l’assistance sociale et de l’assurance-invalidité aient été objectivement versées durant la même période et que les autres conditions de l’art. 85bis RAI relatives au versement en main de tiers aient été remplies (Michel VALTERIO, Droit de l’assurance-vieillesse et survivants [AVS] et de l’assurance-invalidité [AI], 2011, n. 3329 et arrêt du Tribunal fédéral 9C_225/2014 du 10 juillet 2014 consid 3.3.1).
4.4 En l'occurrence, il n'est pas contesté que les prestations de l’Hospice général constituent des prestations financières d’aide sociale, octroyées en vertu de la loi sur l’insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI - J 4 04), dont le droit au remboursement résulte de la loi (art. 37 LIASI), et que les conditions de l'art. 85bis al. 2 let. b RAI sont ainsi remplies.
Il ressort du dossier que la caisse a procédé à la compensation en faveur de l'HG d’un montant CHF 14'958.-, en compensation du remboursement par l’HG des pensions alimentaires qu’aurait dû verser l’assurée et qui ont été initialement prises en charge par le SCARPA.
Les griefs de la recourante s'avèrent là encore manifestement infondés.
5. Au vu de ce qui précède, le recours est rejeté et la recourante condamnée au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al.1bis LAI).
***
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. Le rejette.
3. Met un émolument de CHF 200.- à la charge de la recourante.
4. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Diana ZIERI |
| La présidente
Karine STECK
|
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties, ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le
Une copie est transmise, pour information, au père de l’enfant, soit M. B______.