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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1909/2024

ATAS/767/2024 du 08.10.2024 ( LAA ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1909/2024 ATAS/767/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 8 octobre 2024

Chambre 10

 

En la cause

A______

 

 

recourant

 

contre

ALLIANZ SUISSE SOCIÉTÉ D'ASSURANCES SA

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né le ______ 1975, travaille auprès de la B______ (ci-après : l’employeur) depuis le 15 novembre 2021. À ce titre, il est assuré contre les accidents professionnels et non professionnels auprès d’ALLIANZ SUISSE SOCIÉTÉ D'ASSURANCES SA (ci-après : ALLIANZ).

b. Par déclaration de sinistre du 7 août 2023, l’employeur a annoncé que l’assuré avait été victime d’un accident de montagne le 24 juillet 2023 et avait été foudroyé lors de sa descente du refuge C______.

c. Dans le questionnaire complémentaire rempli le 16 août 2023, l’assuré a précisé les circonstances de l’accident, mentionnant que l’événement s’était produit vers 7h00 le 24 juillet 2023 sur l’arrête D______, aux Grisons. Plusieurs autres cordées, dont deux guides avec leurs clients, descendaient également du refuge C______ et se trouvaient au même endroit, où il était impossible de se protéger. Les prévisions indiquaient l’arrivée du mauvais temps vers 9h00, mais la tempête était survenue plus tôt. Il a précisé que son compagnon et lui étaient des chefs de course certifiés par le Club alpin suisse.

d. L’assuré a présenté des brûlures au 2e degré, sur environ 25% de la surface corporelle, et a été greffé aux niveaux du membre supérieur, du thorax et du dos, sur une surface estimée à 5%, avec des prélèvements à la cuisse gauche. Il a été en incapacité de travail à 100% jusqu’au 6 septembre 2023, à 50% du 7 au
24 septembre 2023 et à 20% du 30 octobre 2023 au 31 janvier 2024. Il a repris son activité habituelle à temps complet le 1er février 2024. Il souffre de séquelles, avec des cicatrices de brûlure importantes, qui ont justifié une cure d’hydrothérapie pour laquelle il a été en arrêt de travail à 50% du 22 avril au 8 mai 2024.

e. ALLIANZ a reçu un rapport d’intervention de la REGA (en allemand), dont il ressort que l’alerte avait été donnée à 7h40, mais que les tentatives de sauvetage et de récupération n’avaient pu commencer qu’à partir du 8h10, en raison de la tempête. L’intervention, impossible avec les appareils de la REGA en raison du fort vent, avait eu lieu avec un hélicoptère de la compagnie E______. Les deux alpinistes avaient été frappés de plein fouet par un front de tempête et ne pouvaient malheureusement pas se mettre en sécurité. L’un des deux avait été touché par la foudre et était resté environ 20 minutes inconscient, accroché à la corde. Les secours n’avaient pu intervenir que plus tard et les alpinistes avaient essayé de descendre en rappel. La victime foudroyée présentait de graves brûlures et avait de la peine à tenir debout. Après son évacuation, elle avait été prise en charge par un médecin à la Cabane F______, et les secours étaient repartis chercher deux autres personnes. Quatre alpinistes avaient dû être secourus de cette situation malheureuse, ce qui avait été très difficile en raison de l’orage.

B. a. Par décision du 7 novembre 2023, ALLIANZ a réduit ses prestations de 50% en raison d’une entreprise téméraire. Après vérifications, MétéoSuisse avait annoncé des orages plus ou moins violents dans toute la Suisse pour le jour de l’accident. Ces orages avaient d’ailleurs touché l’ouest de la Suisse vers 5h00 et avaient ensuite traversé jusqu’à l’est. L’assuré avait indiqué que les orages étaient annoncés vers 9h00 et que l’accident s’était produit vers 7h00. Selon le rapport de la REGA, le sinistre était survenu à 7h40. Le refuge C______ disposant d’une connexion internet, l’intéressé aurait pu vérifier les conditions avant de s’engager. Ces orages étaient visibles sur l’image radar déjà à 5h00 et il devait tenir compte qu’ils se propageaient très rapidement et pouvaient « se comporter différemment en montagne ». Sur la base de son expérience dans le domaine alpin et de l’alerte de l’orage dont il avait conscience, elle considérait qu’il avait commis une négligence grave et fait preuve d’une entreprise téméraire relative.

b. Le 15 novembre 2023, l’assuré a formé opposition, contestant que la décision de descendre du refuge puisse constituer une faute. Cette décision avait été prise la veille de l’accident, sur la base des informations alors disponibles, conjointement par toutes les cordées présentes, soit environ 20 personnes, parmi lesquelles se trouvaient deux guides de montagne. Le climat en montagne était imprévisible et changeant, et il n’était pas possible d’effectuer une analyse a posteriori sans une véritable expertise en se basant sur des données approximatives. Tant MétéoSuisse que MétéoBlue, soit les deux sources les plus fiables, annonçaient un mauvais temps vers 9h00 dans la zone où il se trouvait, soit à l’extrême est de la Suisse.

c. Par décision sur opposition du 21 mai 2024, ALLIANZ a rejeté l’opposition et confirmé sa décision du 7 novembre 2023. L’alpinisme constituait une entreprise téméraire relative lorsque la personne assurée n’avait pas réussi à ramener les risques et dangers objectivement existants à un niveau acceptable alors que cela aurait été possible. En sa qualité d’alpiniste expérimenté, l’assuré était capable de prendre en considération les conditions météorologiques du jour de l’événement afin de minimiser les risques et dangers inhérents à une telle expédition et prendre les précautions nécessaires. Il aurait dû faire preuve d’encore plus de prudence compte tenu de l’annonce de l’orage prévu pour 9h et aurait pu s’attendre à ce que ce dernier se produise plus tôt, conscient que le climat en montagne était changeant et imprévisible. Le fait d’avoir pris une décision à plusieurs ne pouvait le dédouaner, puisqu’en sa qualité d’expert, il pouvait exprimer une opinion éclairée, même contraire à l’avis général. Le principe de prudence aurait donc dû le conduire à repousser l’expédition après l’alerte de l’orage annoncé. La décision de prendre le risque d’effectuer la descente alors qu’un orage avait été annoncé, en espérant ne pas y être pris, n’était pas « supportable » par rapport au risque encouru et relevait de la négligence grave et de l’entreprise téméraire. La réduction des prestations pour entreprise téméraire primait celle pour négligence grave. Le cas n’étant pas particulièrement grave, la réduction de moitié des prestations n’était pas contestable.

C. a. Par acte du 4 juin 2024, l’assuré a interjeté recours auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) contre la décision sur opposition précitée, concluant à son annulation et au paiement intégral des prestations d’assurance. Il a rappelé les circonstances dans lesquelles avait été prise la décision de descendre du refuge et exposé qu’il n’était pas clair si la tempête électrique faisait partie ou non des phénomènes orageux annoncés par MétéoSuisse pour 9h00. Les guides de montagne étaient plus expérimentés et avaient plus de compétences que les chefs de course. Les deux guides présents étaient en outre de la région et connaissaient bien l’endroit. La veille, durant le dîner, ces deux guides avaient annoncé leur décision de renoncer à leur course prévue le lendemain et de descendre. Les autres cordées, également formées de personnes expérimentées, avaient pris la même décision. Ils avaient tous pris les précautions nécessaires et raisonnables, compte tenu des informations météorologiques disponibles, notamment en termes d’heure de départ, de vitesse de descente et de parcours. À cet égard, il a précisé qu’ils étaient descendus par la voie normale, réputée peu difficile, balisée et indiquée par des panneaux. Pour gagner du temps, son compagnon, également chef de course, et lui avaient décidé de désescalader les parties simples pour éviter les rappels. La foudre n’était pas un phénomène exclusivement lié à des activités de montagne et pouvait se produire à n’importe quel endroit. Selon les statistiques relatives aux cas de détresse en montagne, les accidents liés à la foudre représentaient un phénomène rare et extrêmement aléatoire, car seulement trois accidents avaient été répertoriés en montagne, toutes activités confondues, depuis 2013. Il avait été surpris par l’orage et se trouvait dans un endroit sans possibilité de protection, ce qui démontrait que l’accident était inévitable et non dû à une quelconque imprudence de sa part.

Le recourant a notamment produit l’itinéraire de montée et de descente (voie normale) pour la cabane C______ et son certificat de chef de course.

b. Dans sa réponse du 3 juillet 2024, l’intimée a conclu au rejet du recours. En substance, elle a soutenu que le recourant aurait dû faire preuve de plus de prudence face à l’orage annoncé pour minimiser les risques inhérents à son expédition. L’intéressé n’était pas lié par la décision des guides de montagne, bien que plus expérimentés, étant rappelé que la descente avait été effectuée uniquement avec son compagnon de cordée. La négligence du recourant était caractérisée par la décision d’effectuer l’expédition nonobstant les alertes météorologiques. Si la descente avait été réalisée une fois l’orage terminé, les risques auraient été fortement réduits. L’intéressé avait délibérément pris le risque de descendre en espérant éviter l’orage, alors que le principe de prudence aurait dû le conduire à repousser son départ.

c. Par réplique du 9 juillet 2024, le recourant a persisté dans ses conclusions. Il a fait grief à l’intimée de n’avoir ni cherché à comprendre le contexte de l’accident, ni sollicité l’avis d’experts en montagne. Que des guides avaient décidé de descendre par le même itinéraire et à la même heure, avec leurs clients, prouvait que cette décision était basée sur des éléments objectifs, à savoir les précisions météorologiques, la situation du glacier, l’enneigement de l’arête.

d. Copie de cette écriture a été transmise à l’intimée le 11 juillet 2024.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance, unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur
l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 À teneur de l'art. 1 al. 1 LAA, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-accidents, à moins que la loi n'y déroge expressément.

1.3 Le délai de recours est de 30 jours (art. 56 LPGA ; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

2.             Le litige porte sur la question de savoir si les prestations auxquelles le recourant a droit peuvent être réduites de moitié au titre d'une entreprise téméraire ou d’une négligence grave.

3.             Aux termes de l'art. 6 al. 1 LAA, l'assureur-accidents verse des prestations à l'assuré en cas d'accident professionnel, d'accident non professionnel et de maladie professionnelle.

3.1 Selon l’art. 21 LPGA, si l’assuré a aggravé le risque assuré ou en a provoqué la réalisation intentionnellement ou en commettant intentionnellement un crime ou un délit, les prestations en espèces peuvent être temporairement ou définitivement réduites ou, dans les cas particulièrement graves, refusées.

À teneur de l’art. 37 LAA, si l’assuré a provoqué intentionnellement l’atteinte à la santé ou le décès, aucune prestation d’assurance n’est allouée, sauf l’indemnité pour frais funéraires (al. 1). Si l’assuré a provoqué l’accident par une négligence grave, les indemnités journalières versées pendant les deux premières années qui suivent l’accident sont, en dérogation à l’art. 21 al. 1 LPGA, réduites dans l’assurance des accidents non professionnels. La réduction ne peut toutefois excéder la moitié du montant des prestations lorsque l’assuré doit, au moment de l’accident, pourvoir à l’entretien de proches auxquels son décès ouvrirait le droit à des rentes de survivants (al. 2). Si l’assuré a provoqué l’accident en commettant, non intentionnellement, un crime ou un délit, les prestations en espèces peuvent, en dérogation à l’art. 21 al. 1 LPGA être réduites ou, dans les cas particulièrement graves, refusées. Si l’assuré doit, au moment de l’accident, pourvoir à l’entretien de proches auxquels son décès ouvrirait le droit à une rente de survivants, les prestations en espèces sont réduites au plus de moitié. S’il décède des suites de l’accident, les prestations en espèces pour les survivants peuvent, en dérogation à l’art. 21 al. 2 LPGA, aussi être réduites au plus de moitié (al. 3).

L’art. 39 LAA dispose que le Conseil fédéral peut désigner les dangers extraordinaires et les entreprises téméraires qui motivent dans l'assurance des accidents non professionnels le refus de toutes les prestations ou la réduction des prestations en espèces. La réglementation des cas de refus ou de réduction peut déroger à l'art. 21 al. 1 à 3 LPGA.

Fondé sur cette norme de délégation de compétence, l'art. 50 de l’ordonnance sur l'assurance-accidents du 20 décembre 1982 (OLAA - RS 832.202) prévoit qu'en cas d'accidents non professionnels dus à une entreprise téméraire, les prestations en espèces sont réduites de moitié ; elles sont refusées dans les cas particulièrement graves (al. 1). Les entreprises téméraires sont celles par lesquelles l'assuré s'expose à un danger particulièrement grave sans prendre de mesures destinées à ramener celui-ci à des proportions raisonnables ou sans pouvoir prendre de telles mesures ; toutefois, le sauvetage d'une personne est couvert par l'assurance même s'il peut être considéré comme une entreprise téméraire (al. 2).

3.2 Constitue une négligence grave la violation des règles élémentaires de prudence que toute personne raisonnable eût observées dans la même situation et les mêmes circonstances pour éviter les conséquences dommageables prévisibles dans le cours ordinaire des choses (ATF 134 V 189 consid. 4 ; 118 V 305
consid. 2a et les arrêts cités).

3.3 La jurisprudence qualifie d'entreprises téméraires absolues celles qui, indépendamment de l'instruction, de la préparation, de l'équipement et des aptitudes de l'assuré, comportent des risques particulièrement importants, même si elles sont pratiquées dans les conditions les moins défavorables. Il en va de même des activités risquées dont la pratique ne répond à aucun intérêt digne de protection (ATF 141 V 216 consid. 2.2 ; 138 V 522 consid. 3.1 et les références). Ont par exemple été considérées comme des entreprises téméraires absolues la participation à une course automobile de côte ou en circuit (ATF 113 V 222 ;
112 V 44), à une compétition de motocross (RAMA 1991 n° U 127 p. 221
[U 5/90]), à un combat de boxe ou de boxe thaï (ATFA 1962 p. 280 ; RAMA 2005 n° U 552 p. 306 [U 336/04]), la pratique, même à titre de hobby, du « Dirt Biking » (ATF 141 V 37), la pratique de la moto lors d'une séance de pilotage libre organisée sur circuit (arrêts du Tribunal fédéral 8C_81/2020 du 3 août 2020 et 8C_217/2018 du 26 mars 2019 publié in : SVR 2019 UV n° 33 p. 123 ; 8C_472/2011 du 27 janvier 2012 publié in : SVR 2012 UV n° 21 p. 77 et RSAS 2012 p. 301), un plongeon dans une rivière d'une hauteur de quatre mètres sans connaître la profondeur de l'eau (ATF 138 V 522), ou encore, faute de tout intérêt digne de protection, l'action de briser un verre en le serrant dans sa main
(SVR 2007 UV n° 4 p. 10 [U 122/06] consid. 2.1).

D'autres activités non dénuées d'intérêt comportent des risques élevés, qui peuvent toutefois être limités à un niveau admissible si l'assuré remplit certaines exigences sur le plan des aptitudes personnelles, du caractère et de la préparation. À défaut, l'activité est qualifiée de téméraire et l'assurance-accidents est en droit de réduire ses prestations conformément aux art. 39 LAA et 50 OLAA. On parle dans ce cas d'entreprise téméraire relative, en ce sens que le refus ou la réduction des prestations dépend du point de savoir si l'assuré était apte à l'exercer et a pris les précautions nécessaires pour limiter les risques à un niveau admissible
(ATF 141 V 216 consid. 2.2 ; 138 V 522 consid. 3.1). Peuvent constituer des entreprises téméraires relatives la « streetluge » (arrêt du Tribunal fédéral 8C_638/2015 du 9 mai 2016 publié in : SVR 2016 UV n° 47 p. 155), le canyoning (ATF 125 V 312), la plongée, y compris la plongée spéléologique dans une source (ATF 134 V 340 ; 96 V 100), l'alpinisme et la varappe (ATF 97 V 72), ou encore le vol delta (ATF 104 V 19). Selon le degré de difficulté et le niveau de risque dans un cas particulier, il n'est pas exclu de qualifier l'une ou l'autre de ces activités d'entreprise téméraire absolue (ATF 134 V 340 consid. 3.2.3).

Pour qu’une action soit qualifiée d’entreprise téméraire, il faut que la personne assurée s’expose sciemment à un danger particulièrement grave. L’élément subjectif de la connaissance se rapporte à la situation dangereuse en tant que telle (par exemple la dangerosité d’un plongeon dans l’eau sans en connaître la profondeur) et non pas aux circonstances concrètes (par exemple le fait que l’eau était effectivement trop peu profonde) (ATF 138 V 522 consid. 6 et 7).

Il est nécessaire de mettre en balance l’étendue de l’activité digne d’être protégée et les intérêts de la communauté des assurés. Il convient de tenir compte de toutes les circonstances spécifiques. Pour des raisons d’égalité juridique, il sied d’adopter une approche aussi abstraite et objective que possible. Toutefois, le fait qu’un risque soit « important » ou « particulièrement grand » (« akut » oder
« besonders gross
») dépend selon les circonstances du cas d’espèce, à des degrés divers, non seulement de facteurs externes objectifs, mais aussi des capacités et des caractéristiques subjectives de la personne qui agit. La dangerosité d’un acte ne doit donc pas être évaluée du point de vue d’une personne moyenne. Il convient plutôt de prendre comme référence la moyenne des personnes qui pratiquent régulièrement l’activité en question. À titre d’exemple, un parcours d’escalade peut ne pas être particulièrement dangereux pour les grimpeurs expérimentés, mais peut comporter un danger considérable et constituer une entreprise téméraire pour les grimpeurs inexpérimentés (David IONTA, Accidents de sport et entreprises téméraires, 2020, in REAS 2020 p. 194-201, p.197 et les références).

La Commission ad hoc des sinistres LAA a établi à l'intention des
assureurs-accidents une recommandation en matière d'entreprises téméraires (recommandation n° 5/83 du 10 octobre 1983 complétée le 27 juin 2018, consultable sur le site de l'Association suisse des assureurs : https://www.svv.ch/fr). Dans le cas d’une entreprise téméraire relative, une activité est en soi digne de protection et les risques qui y sont liés peuvent être réduits à une mesure raisonnable par la personne la pratiquant. Il faut examiner si, compte tenu des capacités personnelles et du type d’exécution, une réduction des risques aurait été possible et a été omise (Recommandation nº 5/83 du
10 octobre 1983 complétée le 27 juin 2018).

3.4 Si les conditions d'une réduction ou d'une suppression des prestations pour entreprise téméraire ne sont pas remplies, une réduction peut néanmoins être prononcée en vertu de l'art. 37 al. 2 LAA. À l'inverse, si les conditions d'application de l'art. 37 al. 2 LAA et celles de l'art. 39 LAA sont remplies pour un même acte, c'est l'art. 39 LAA qui s'applique, à titre de lex specialis
(ATF 134 V 340 consid. 3.2.4).

3.5 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références ; 126 V 353 consid. 5b et les références ; 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

4.             En l’espèce, l’intimée a réduit de moitié les prestations du recourant au motif que le risque encouru constituait une entreprise téméraire et relevait d’une négligence grave.

4.1 La pratique de l’alpinisme est qualifiée d'entreprise téméraire relative par la jurisprudence, ce qui est admis par les parties.

Il convient donc d’examiner si le recourant était apte à exercer cette activité et s’il a pris les précautions nécessaires pour limiter les risques à un niveau admissible.

L’intéressé est au bénéfice d’une qualification de chef de courses « été I », décernée par le Club Alpin Suisse en 2014, après évaluation de ses compétences en qualité de moniteur, de ses connaissances générales, de ses aptitudes en techniques de rocher, de glace et de névé, ainsi que de sa condition physique. Il est donc manifestement expérimenté, comme reconnu par l’intimée.

En ce qui concerne la prise des précautions nécessaires, le recourant a exposé que la décision de descendre du refuge avait été prise durant la soirée du
23 juillet 2023, après consultation des prévisions météorologiques qui annonçaient des orages le lendemain vers 9h00 et discussion avec les autres alpinistes. Il explique avoir été surpris par la tempête, survenue à 7h00 déjà, alors qu’il se trouvait sur une arête, sans possibilité de s’abriter.

L’intimée ne conteste pas que les orages étaient annoncés à partir de 9h00 seulement dans la région où se trouvait l’intéressé, mais elle lui reproche de ne pas avoir vérifié les conditions météorologiques avant de partir, ce qui lui aurait permis de constater, sur les images radars, que de violents orages frappaient l’ouest de la Suisse vers 5h00 déjà.

La chambre de céans relève tout d’abord que la décision litigieuse ne repose sur aucun élément concret. L’intimée n’a notamment pas sollicité l’avis d’experts, ni demandé une détermination à ce propos aux secouristes de la REGA, ni requis d’informations ou d’attestation de MétéoSuisse.

Elle constate ensuite que, même si le recourant avait effectivement observé les images radars le matin à 5h00 et constaté de violents orages dans l’ouest de la Suisse, cela ne l’aurait pas renseigné sur l’heure à laquelle ces orages s’abattraient sur les Grisons. L’intimée ne prétend pas, ni ne démontre par conséquent, que MétéoSuisse aurait modifié le bulletin météorologique durant la nuit et que les informations disponibles à 5h00 divergeaient de celles publiées la veille, sur la base desquelles le recourant a pris la décision qu’elle lui reproche.

Le dossier ne comprend pas d’indice qui justifierait de retenir que le recourant n’a pas respecté les devoirs imposés par la prudence ou qu’il a failli à son devoir de diligence. L’intéressé s’est renseigné sur les prévisions météorologiques, en consultant les deux sites internet les plus précis, et a planifié son heure de départ et son itinéraire, en fonction de ces données. Il a également sollicité l’avis des autres alpinistes présents au refuge, parmi lesquels se trouvaient deux guides de haute montagne, soit des professionnels bien plus qualifiés et expérimentés que lui, qui étaient de surcroît de la région, et donc connaissaient les lieux, et accompagnés de clients, dont ils devaient assurer la sécurité.

En outre, l’itinéraire emprunté est décrit comme étant le plus populaire pour se rendre au refuge C______ (ou en revenir), et l'ascension par l’arête D______ est balisée et assurée par des anneaux pour effectuer les rappels à la descente, mais la désescalade est possible et qualifiée de facile (https://www.sac-cas.ch/fr/cabanes-et-courses/portail-des-courses-du-cas/rifugio-C______-2147428707/alpinisme/ par-la- D______-4305/). Le recourant a donc opté pour la voie la plus sûre et la plus rapide, précisément pour terminer sa course le plus tôt possible, conscient que le climat peut rapidement changer en montagne. Son compagnon de cordée, également expérimenté, et lui ont choisi de privilégier la désescalade plutôt que les rappels, ce qui leur a permis de gagner du temps en évitant les manipulations de corde qui pouvaient l’être.

Ainsi, en prenant la décision de redescendre tôt le matin, plus de deux heures avant l’arrivée du mauvais temps et en empruntant l’itinéraire le plus facile, le recourant n’a pas manqué à son devoir de vigilance, ce d’autant plus qu’il pouvait légitimement être conforté dans son choix par le fait que tous les autres alpinistes présents, dont deux guides de haute montagne qui avaient la responsabilité de leurs clients, avaient également planifié de descendre par la même voie et à la même heure.

Rien ne permet de retenir que le recourant, au moment où il a décidé de quitter le refuge pour descendre par la voie normale, aurait dû prévoir, au vu de ses connaissances et de ses capacités, que de violents orages s’abattraient sur l’arête durant leur désescalade.

Ainsi, l'examen des circonstances du cas concret permet de conclure que le recourant ne s’est pas exposé sciemment à un danger particulièrement grave.

Les conditions d’une réduction de prestations pour entreprise téméraire ne sont donc pas réalisées.

4.2 Reste à examiner si le recourant a provoqué l’accident par une négligence grave.

Pour les motifs déjà évoqués, la chambre de céans considère que tel n’est pas le cas. Aucune violation des règles élémentaires de prudence ne saurait être reprochée au recourant, lequel s’est renseigné sur les conditions météorologiques et a planifié en conséquence sa course, en particulier l’horaire de départ et le choix de l’itinéraire. De surcroît, deux guides de haute montagne de la région ont pris exactement les mêmes décisions, ce qui permet de conclure qu’il s’est conformé aux mesures de précaution élémentaires que toute personne raisonnable aurait suivies dans la même situation et dans les mêmes circonstances.

Partant, une réduction du droit aux prestations en raison d’une négligence grave est également exclue.

4.3 En conclusion, l’intimée a retenu à tort que les lésions accidentelles résultaient d’une entreprise téméraire ou d’une négligence grave, de sorte qu’elle n’était pas fondée à réduire ses prestations.

5.             Partant, le recours sera admis, la décision litigieuse annulée et il sera dit que l’intimée n’a pas le droit de réduire les prestations dues suite à l’accident du
24 juillet 2023.

Le recourant, qui n’est pas représenté en justice et qui n’a pas allégué avoir déployé des efforts dépassant la mesure de ce que tout un chacun consacre à la gestion courante de ses affaires, n’a pas droit à des dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision du 21 mai 2024.

4.        Dit que l’intimée n’a pas le droit de réduire les prestations dues suite à l’accident du
24 juillet 2023.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Julia BARRY

 

La présidente

 

 

 

 

Joanna JODRY

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le