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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2650/2022

ATAS/246/2024 du 17.04.2024 ( AI ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2650/2022 ATAS/246/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 17 avril 2024

Chambre 4

 

En la cause

A______

représenté par Me Pierre-Bernard PETITAT, avocat

 

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le recourant) est né le ______1965, originaire du Kosovo, marié et père de deux enfants nés en 2009 et 2011.

b. Il a subi deux accidents professionnels en 1999 et 2013, alors qu’il travaillait pour l’entreprise B______, dont les suites ont été prises en charge par la caisse nationale suisse en cas d’accidents (ci-après : la SUVA).

c. Le 27 novembre 2015, l’assuré a transmis à l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI ou l'intimé) une demande de prestations, indiquant être en incapacité de travail depuis le 27 novembre 2013 à 100%, en raison de problèmes de dos, à la suite de ses deux accidents professionnels. Le diagnostic de contusion lombaire avait été posé.

d. À teneur d'un avis établi le 23 août 2016 par les docteurs C______ et D______, médecins du service médical régional de l’assurance-invalidité (ci-après : SMR), il s'agissait de la première demande d'un assuré de 51 ans, qui était en incapacité de travail dès le 14 novembre 2013 dans son activité de ferrailleur indépendant pour les conséquences de lombalgies suite à une chute sur le dos survenue le 1er novembre 2013. Selon son médecin traitant, le docteur E______, spécialiste FMH en médecine interne générale, l’assuré était capable de travailler dans son activité habituelle à 50% dès le 30 mai 2014. La persistance des lombalgies d’intensité fluctuante n’avait pas permis une reprise à 100% dans l’activité de ferrailleur. Le docteur F______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, qui avait expertisé l’assuré à la demande de la SUVA le 24 mars 2015, avait retenu une capacité de travail de celui-ci dans l’activité habituelle de 50% de façon définitive. Dès lors qu’il ressortait du compte rendu de l’entretien du 27 août 2014 de l’assuré avec la SUVA que celui-ci travaillait sur les chantiers et qu’il était astreint aux mêmes contraintes physiques que ses employés, le SMR a écarté les conclusions des Drs E______ et F______ concernant la capacité de travail dans l'activité habituelle et considéré que l’activité de ferrailleur n’était plus exigible mais qu’une activité adaptée aux limitations fonctionnelles l’était à 100% dès le 24 février 2014, date de la reprise à 25% dans l'activité habituelle.

e. L’OAI a mis en place une mesure d’observation professionnelle auprès des établissements publics pour l’intégration (ci-après : les ÉPI), laquelle s’est déroulée du 9 mars au 2 août 2020. Initiée à un taux d’activité de 100%, la mesure a été réduite à 50% dès sa septième semaine, sur demande du docteur G______, médecin praticien FMH, selon lequel les douleurs dorso-lombaires chroniques de l’assuré n’étaient pas compatibles avec un taux supérieur. Celui-ci a été en mesure d’effectuer des tâches correspondant à l’industrie légère et au conditionnement, sans exigence de précision fine en alternant les positions assise et debout. Le rythme et le tonus étaient inférieurs de moitié par rapport aux attentes et la fatigabilité était importante. La capacité d’adaptation était faible et une importante fragilité d’ordre psychique était relevée.

f. Dans son rapport d’enquête pour activité professionnelle indépendante du 6 novembre 2020, l’OAI a retenu un revenu hypothétique sans invalidité de CHF 80'340.- calculé sur la moyenne des résultats d’exploitation et du salaire perçu par l’assuré en 2010 et 2011 (l’année 2012 comportant des charges extraordinaires). Dans la mesure où l’activité habituelle n’était plus exigible, mais qu’une activité adaptée l’était à 100%, l’assuré devait renoncer à son activité d’indépendant au profit d’une activité salariée plus lucrative.

g. Le 12 novembre 2020, l’OAI a déterminé un degré d’invalidité de 24.9% par comparaison des revenus. Le revenu d’invalide de CHF 60'990.- a été fixé sur la base de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ci-après : ESS) 2018, tableau TA1, pour un homme, secteur privé, ligne « total », activité de niveau 1, après réduction supplémentaire de 10% du fait des limitations fonctionnelles et des années de service. Le revenu sans invalidité de CHF 80'340.- résultait de l’enquête économique.

h. Par projet de décision du 3 décembre 2020, l’OAI a informé l’assuré qu’il envisageait de rejeter sa demande, car le taux d’invalidité de 24% retenu n’ouvrait pas le droit à une rente et que d’autres mesures d’ordre professionnel n’étaient pas indiquées.

i. Le 18 janvier 2021, l’assuré s’est opposé au projet de décision de l’OAI, en produisant un certificat établi le même jour par la docteure H______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, qui attestait suivre l’assuré en raison d’un trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen, en lien avec un contexte socio-économique difficile et des douleurs rachidiennes. Précédemment et depuis le 29 avril 2019, l’assuré avait été suivi par le docteur I______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie. Dans ce cadre, il avait bénéficié d’un traitement antidépresseur. La compliance était décrite comme moyenne et épisodique. L’assuré bénéficiait également d’une psychothérapie de soutien par un psychologue.

j. Le 10 mars 2021, le Dr I______ a posé le diagnostic, avec effet sur la capacité de travail, de trouble dépressif récurrent moyen avec syndrome somatique depuis le 29 avril 2019 et celui, sans effet sur la capacité de travail, de traits de la personnalité émotionnellement labile.

La rechute dépressive moyenne s’inscrivait dans un contexte d'isolement social partiel dans les suites de douleurs chroniques post accident. Il résultait des diagnostics posés des troubles modérés de la concentration, un ralentissement psychomoteur modéré, un isolement social partiel et une aboulie partielle. Les ressources étaient modérées, l’assuré étant partiellement isolé. Sous l’angle psychiatrique, la capacité de travail était de 50% depuis le 29 avril 2019, tant dans l’activité habituelle que dans une activité adaptée. L’état n’était pas stabilisé et l’assuré faisait preuve d’une bonne compliance au traitement. Le psychiatre recommandait un bilan de compétence avec des mesures de réadaptation et une réévaluation à six mois.

k. Le 25 mars 2021, la Dre H______ a posé le diagnostic de trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen, en lien avec un contexte socio-économique difficile et des douleurs rachidiennes. La capacité de travail était estimée nulle dans toute activité depuis le début de la prise en charge. Les limitations fonctionnelles, rapportées par l’assuré étaient une baisse d’énergie, une irritabilité et des difficultés à se concentrer. Sa thymie avait baissé depuis trois ans. Il était confronté à un sentiment d'impasse et à des troubles du sommeil fluctuants.

l. Le 10 août 2021, le Dr I______ a indiqué que la situation de l’assuré demeurait identique à celle décrite par la Dre H______ dans son rapport du 25 mars 2021. Du point de vue clinique, la capacité de travail était nulle dans toute activité. Le taux de 50% auquel il avait fait référence précédemment correspondait à une évaluation « selon la jurisprudence de novembre 2017 ».

m. Au vu de ces éléments, l’OAI a mis en œuvre une expertise bidisciplinaire en rhumatologie et psychiatrie, laquelle a été attribuée de manière aléatoire au J______ (ci-après : le J______) et qui a été effectuée par les docteures K______ (psychiatrie) et L______ (rhumatologie).

n. Les expertes ont reçu l’assuré le 6 avril 2022 et ont remis leur rapport d’expertise à l’OAI le 1er juin 2022.

L’experte psychiatre a posé les diagnostics de trouble dépressif récurrent d’intensité moyenne et de trouble de la personnalité émotionnellement labile, sans incidence sur la capacité de travail.

Se fondant sur les critères d’évaluation des troubles de l’activité et de la participation liés aux maladies psychiques basés sur la classification internationale du fonctionnement du handicap et de la santé (ci-après : Mini CIF-APP), l’experte psychiatre a fait mention de divers éléments qu’elle décrivait comme ayant une incidence sur les capacités fonctionnelles, soit :

-          des problèmes moyens (de 25 à 49%) dans les domaines suivants : adaptation aux règles et routines, planification et structuration des tâches, usage de compétences spécifiques, capacité d’endurance, aptitude à entretenir des relations proches ;

-          et des problèmes graves (de 50 à 90%) dans les domaines suivants : flexibilité et capacité d’adaptation, capacités de jugement et de prise de position, aptitude à établir des relations avec autrui, aptitude à évoluer au sein d’un groupe, aptitude à des activités spontanées.

Quant aux aspects liés à la personnalité de l’assuré et pouvant avoir une incidence sur sa capacité de travail, étaient retenus : un comportement projectif et de repli face à la maladie, un sens des réalités, une capacité de jugement, une gestion de l’affect, une faculté à contrôler ses impulsions, une estime de soi et une capacité à l’autocritique, une intentionnalité et un dynamisme, tous diminués. Le système de défense était le repli et le refus de toute activité.

Les ressources étaient décrites comme limitées du fait du repli sur soi-même ayant pour conséquence une capacité d’autocritique diminuée. La colère et la victimisation représentaient pour leur part des facteurs de surcharge.

L’experte psychiatre a encore relevé que la non-compliance avec le traitement médicamenteux (attestée par les résultats des prélèvements sanguins effectués le jour de l’expertise) était incohérente avec l’aspect décrit comme insupportable d’une situation qui pourrait s'améliorer avec un traitement bien suivi. L'assuré avait présenté en situation d'examen une attitude fermée, butée et énervée. Les symptômes décrits et les douleurs n'avaient en outre pas été mis en évidence de façon particulière lorsqu'il était assis en salle d'attente. À l’inverse, l’assuré bougeait beaucoup dans la salle d'examen. Il était probablement acteur d'un phénomène d'amplification des symptômes.

Enfin, concernant les mesures médicales, l’experte a recommandé une prise en charge hebdomadaire par un infirmier en psychiatrie, ainsi qu'une activité dans un centre de jour, afin de mettre en place des mesures de reconditionnement et évaluer ensuite une activité qui tienne compte de ses limitations fonctionnelles, ainsi que la mise en place d’un monitoring pour la compliance au traitement médicamenteux.

Au final, sous l’angle psychiatrique, la capacité de travail était considérée comme totale tant dans l’activité habituelle que dans une activité adaptée.

Concernant les caractéristiques d’une activité adaptée, l’experte a expliqué que l’assuré ne pouvait pas faire des horaires de nuit, ni des horaires irréguliers. Il devait faire partie d’un groupe et se sentir « valorisé et réparé par l’activité » réalisée et surtout prouver être en mesure d’améliorer financièrement la situation de sa famille. Il devait également se sentir respecté et valorisé par sa hiérarchie.

Sur le plan somatique, l’experte rhumatologue a posé les diagnostics incapacitants de suite de tassement vertébral T11-T12 traumatique et discopathie lombaire L4-L5 et un début de maladie de Dupuytren, sans incidence sur la capacité de travail.

Concernant les caractéristiques d’une activité adaptée, le port de charges au-delà de 15 kg devait être limité et les mouvements répétés de torsion et de flexion du rachis lombaire lors d’efforts de soulèvement devaient pouvoir être accomplis avec une aide.

Pour le surplus, un « vécu douloureux » était mentionné comme aspect lié à la personnalité pouvant avoir une incidence sur les capacités fonctionnelles. L’absence de lésion anatomique importante figurait dans l’expertise au titre de ressource et aucun facteur de surcharge n’était relevé. Enfin, était mentionnée une incohérence entre l’importance des plaintes et l’examen clinique rassurant ainsi que l’absence de traitement médicamenteux ou thérapeutique important.

Au final, la capacité de travail était entière dans une activité adaptée depuis le 14 décembre 2013 et de 80% dans l’activité habituelle dès le 14 janvier 2014.

Dans l’évaluation consensuelle, les expertes ont retenu une capacité de travail globale de 80% dans l’activité habituelle, du fait de l’atteinte rhumatologique avec la nécessité de précautions pour les efforts de port de charges, et de 100% dans une activité adaptée.

o. Dans un rapport du 15 juin 2022, le SMR a estimé qu’il convenait de suivre les conclusions des expertes relatives à la capacité de travail de 100% dans une activité adaptée, respectant les limitations fonctionnelles retenues.

Il y avait en revanche lieu de s’écarter de la capacité de travail de 80% retenue par les expertes en lien avec l’activité habituelle de ferrailleur, les limitations fonctionnelles somatiques retenues ne respectant pas le profil d’effort. Le SMR considérait que l’activité habituelle n’était plus exigible, comme retenu dans son avis du 23 août 2016.

p. Par décision du 21 juin 2022, l’OAI a confirmé son projet du 3 décembre 2020, l’instruction médicale ayant confirmé une capacité de travail entière dans une activité adaptée depuis le 24 février 2014. Le taux d’invalidité demeurait ainsi à 24%, ce qui était insuffisant pour l’ouverture d’un droit à une rente. Des mesures d’ordre professionnel n’étaient pour le surplus pas indiquées.

B. a. L’assuré a recouru contre cette décision le 22 août 2022 auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, en concluant à son annulation ainsi qu’à l’octroi des prestations de l’assurance-invalidité, subsidiairement à la mise en œuvre d’une expertise indépendante, au motif que l’expertise n’avait pas de valeur probante.

b. L’intimé a conclu à son rejet.

c. Le 29 octobre 2022, le recourant a produit un rapport établi par son médecin généraliste le 7 octobre 2022, lequel n’était pas d’accord avec les conclusions de l’expertise du J______ quant à la capacité de travail dans une activité adaptée. Pour sa part, il l’estimait uniquement à 50% du fait des lenteurs et d’un ralentissement psychosomatique ainsi que de l’impact des douleurs du recourant.

d. Le 24 novembre 2022, le recourant a produit un rapport de la Dre H______, critiquant le rapport d’expertise et concluant que la capacité de travail du recourant était nulle dans toute activité.

e. Le 19 décembre 2022, l’intimé a indiqué avoir soumis les nouvelles pièces médicales au SMR qui avait estimé qu’elles n’apportaient aucun élément médical objectif nouveau permettant de modifier son appréciation du cas.

f. Par ordonnance du 15 juin 2023 (ATAS/436/2023), la chambre de céans a ordonné une expertise qu’elle a confiée au docteur M______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, considérant que l’expertise administrative souffrait de lacunes sur le plan psychiatrique, qui était particulièrement peu convaincant. Il n’était pas nécessaire de faire procéder à une nouvelle expertise rhumatologique, car les conclusions de l’experte rhumatologue étaient convaincantes et pas sérieusement remises en question par les critiques du recourant.

g. L’expert M______ a rendu son rapport d’expertise le 20 novembre 2023. Il a retenu le diagnostic de trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen, avec syndrome somatique (F33.11) et modifications gênantes de la personnalité (F61.1). L’état de santé psychique global du recourant s’était progressivement détérioré en lien avec les modifications de la personnalité. Il était incapable de travailler dans l’activité habituelle depuis avril 2019. Ce tableau s’était compliqué d’une modification de la personnalité d’apparition progressive. L’expertisé était partiellement capable de travailler dans son activité habituelle. Les limitations du registre dépressif et de personnalité l’empêchaient de fonctionner comme patron d’une entreprise ou chef d’équipe sur un chantier, comme il l’avait fait précédemment. Dans une activité adaptée, ses limitations fonctionnelles concernaient essentiellement l’adaptation aux règles et routines, la planification et la structuration des tâches ainsi que la capacité de jugement, de prise de décisions et d’endurance. Les modifications de la personnalité pouvaient être gênantes dans la relation aux autres, surtout en cas de relation avec un supérieur hiérarchique exigeant. Ces éléments étaient moyennement perturbés. Idéalement, il faudrait que l’expertisé se sente valorisé dans ses compétences acquises et qu’il puisse retrouver une certaine autonomie financière. La capacité de travail dans une activité adaptée était de 50% depuis avril 2019. Des tâches physiques respectant ses limitations rhumatologiques et demandant peu d’initiatives et de jugement, comme par exemple du conditionnement, étaient envisageables. Dans une activité adaptée, il n’y avait pas de baisse de rendement. L’expert n’avait pas assez d’informations pour se prononcer sur la période allant de mai 2015 avril 2019. Depuis lors, la situation était stationnaire. Sans être rhumatologue, l’expert estimait être capable de faire une lecture critique de l’expertise rhumatologique dont les conclusions lui paraissaient convaincantes. Cette expertise concluait à une capacité de travail de 80% dans l’activité exercée jusqu’ici et de 100% dans une activité adaptée. La capacité de travail globale, qu’il s’agisse de l’activité habituelle (en dehors des tâches de chef d’entreprise ou de chef d’équipe) ou d’une activité adaptée était de 50%, ce qui correspondait à la capacité de travail sur le plan psychiatrique. Il n’y avait pas lieu d’additionner les pourcentages d’incapacité somatique et psychiatrique.

h. Le 5 décembre 2023, le recourant a estimé que l’expertise judiciaire avait pleine valeur probante.

i. Le 12 décembre 2023, l’intimé a fait valoir, se basant sur un avis du SMR du 11 décembre 2023, que la comparaison entre les expertises effectuées en 2022 et l’expertise judiciaire mettait en évidence des examens cliniques superposables avec une thymie dépressive, un pessimisme, des troubles du sommeil et de l’appétit. Il s’agissait d’une analyse différente du même état de fait et le SMR maintenait son appréciation du cas. En conséquence le rapport d’expertise ne pouvait être suivi.

 

EN DROIT

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             À teneur de l’art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s’appliquent à l’assurance-invalidité, à moins que la loi n’y déroge expressément.

3.             Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705) ainsi que celles du 3 novembre 2021 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI – RS 831.201 ; RO 2021 706).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable est celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques, sous réserve de dispositions particulières de droit transitoire (ATF 136 V 24 consid. 4.3 et la référence).

En l’occurrence, la décision querellée concerne un premier octroi de rente dont le droit est né avant le 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

4.             Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

5.             Le litige porte sur le droit du recourant à une rente d’invalidité.

6.              

6.1 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2).

En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28 al. 2 LAI).

En vertu des art. 28 al. 1 et 29 al. 1 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à la date dès laquelle l’assuré a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne pendant une année sans interruption notable et qu’au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins, mais au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l’art. 29 al. 1 LPGA. Selon l’art. 29 al. 3 LAI, la rente est versée dès le début du mois au cours duquel le droit prend naissance.

6.2 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 127 V 294 consid. 4c ; ATF 102 V 165 consid. 3.1 ; VSI 2001 p. 223 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).

La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanant d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel le CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; ATF 141 V 281 consid. 2.1 et 2.1.1 ; ATF 130 V 396 consid. 5.3 et 6).

Selon la jurisprudence, en cas de troubles psychiques, la capacité de travail réellement exigible doit être évaluée dans le cadre d'une procédure d'établissement des faits structurée et sans résultat prédéfini, permettant d'évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée, en tenant compte, d'une part, des facteurs contraignants extérieurs incapacitants et, d'autre part, des potentiels de compensation (ressources) (ATF 141 V 281 consid. 3.6 et 4). L'accent doit ainsi être mis sur les ressources qui peuvent compenser le poids de la douleur et favoriser la capacité d'exécuter une tâche ou une action (arrêt du Tribunal fédéral 9C_111/2016 du 19 juillet 2016 consid. 7 et la référence). 

Le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 125 V 351 consid. 3b/aa et les références).

6.3 L’art. 17 al. 1er LPGA dispose que si le taux d’invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d’office ou sur demande, révisée pour l’avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée. Il convient ici de relever que l’entrée en vigueur de l’art. 17 LPGA, le 1er janvier 2003, n’a pas apporté de modification aux principes jurisprudentiels développés sous le régime de l’ancien art. 41 LAI, de sorte que ceux-ci demeurent applicables par analogie (ATF 130 V 343 consid. 3.5).

Si les conditions de la révision sont données, les prestations sont, conformément à l’art. 17 al. 1 LPGA, modifiées pour l’avenir dans le sens exigé par le nouveau degré d’invalidité. Chaque loi spéciale peut fixer le point de départ de la modification ou encore exclure une révision en s’écartant de la LPGA (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 806/04 du 15 mars 2005 consid. 2.2.).

Dans le domaine de l’assurance-invalidité, le point de départ d’une modification du droit aux prestations est fixé avec précision. En cas de modification de la capacité de gain, la rente doit être supprimée ou réduite avec effet immédiat si la modification paraît durable et par conséquent stable (phr. 1 de l'art. 88a al. 1 RAI); on attendra en revanche trois mois au cas où le caractère évolutif de l'atteinte à la santé, notamment la possibilité d'une aggravation, ne permettrait pas un jugement immédiat (phr. 2 de la disposition; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 666/81 du 30 mars 1983 consid. 3, in RCC 1984 p. 137 s.). En règle générale, pour examiner s'il y a lieu de réduire ou de supprimer la rente immédiatement ou après trois mois, il faut examiner pour le futur si l'amélioration de la capacité de gain peut être considérée comme durable (arrêt du Tribunal fédéral 9C_32/2015 du 10 septembre 2015 consid. 4.1).

Selon la jurisprudence, l'art. 17 LPGA sur la révision d'une rente en cours s'applique également à la décision par laquelle une rente échelonnée dans le temps est accordée avec effet rétroactif -, la date de la modification étant déterminée conformément à l'art. 88a RAI (ATF 131 V 164 consid. 2.2 p. 165; 125 V 413 consid. 2d; arrêt du Tribunal fédéral 9C_134/2015 consid. 4.1 et les références).

Lorsque l’administration entre en matière sur une nouvelle demande, après avoir nié le droit à une prestation [cf. art. 87 al. 3 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI – RS 831.201)], l’examen matériel doit être effectué de manière analogue à celui d'un cas de révision au sens de l'art. 17 al. 1 LPGA (ATF 133 V 108 consid. 5 et les références ; ATF 130 V 343 consid. 3.5.2 et les références; ATF 130 V 71 consid. 3.2 et les références; cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_899/2015 du 4 mars 2016 consid. 4.1 et les références). 

7.              

7.1 En l’espèce, la chambre de céans constate que l’expertise judiciaire répond aux réquisits permettant de lui reconnaître une pleine valeur probante.

Le SMR a fait valoir que l’expertise judiciaire était une analyse différente du précédent expert du même état de fait.

La chambre de céans estime que cette critique ne remet pas sérieusement en cause la valeur probante de l’expertise judiciaire, car celle-ci a été précisément ordonnée, au motif que l’expertise psychiatrique de la Dre K______ n’était pas convaincante, de sorte qu’une autre analyse du cas était parfaitement justifiée.

7.2 En conséquence, l’expertise judiciaire doit se voir reconnaître une pleine valeur probante. Sur cette base, il doit être retenu que le recourant est incapable de travailler à 50% dans toute activité dès avril 2019.

Il ressort en outre de l’expertise rhumatologique de la Dre L______, qui n’a pas été remise en cause, que l’incapacité de travail durable a commencé le 14 novembre 2013 et que la capacité de travail du recourant dans une activité adaptée était de 100% dès le 24 février 2014, selon l’avis SMR du 15 juin 2022. Le recourant ayant déposé sa demande de prestation le 27 novembre 2015, son droit à une rente ne pouvait prendre naissance avant le 1er mai 2016. À cette date, il était pleinement capable de travailler dans une activité adaptée, et il n’avait pas de droit à une rente, car son taux d’invalidité était de 24%, comme l’a justement retenu la décision querellée.

L’état de santé psychique du recourant s’est aggravé dès avril 2019, de sorte qu’un nouveau calcul du taux d’invalidité doit être fait à cette date, en application de l’art. 17 LPGA, en tenant compte d’une capacité de travail de 50%.

Sur la base des données figurant dans la note de l’intimé sur le degré d’invalidité du 12 novembre 2020, qui n’ont pas été critiquées par le recourant, il faut fixer le taux d’invalidité en tenant compte d’un revenu avec invalidité soit CHF 30'495.- (sur la base de l’ESS 2018, soit CHF 67'767.- à 50%, moins 10% d’abattement en raison des années de service comme l’avait retenu l’intimé, plus du temps partiel) et du revenu sans invalidité de CHF 80'340.-, ce qui donne un taux d’invalidité de 62%, étant relevé que l’adaptation des revenus à l’année 2019 est inutile, car elle n’aurait aucune incidence sur le taux d’invalidité.

Le taux de 62% ouvre au recourant le droit à un trois quarts de rente d’invalidité, dès le 1er juillet 2019, soit trois mois après l’aggravation de l’état de santé, selon l’art. 88a RAI.

8.              

8.1 Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et la décision du 21 juin 2022 annulée et il sera dit que le recourant a droit à un trois quarts de rente d’invalidité dès le 1er juillet 2019.

8.2 Le recourant obtenant gain de cause, une indemnité de CHF 3'000.- lui sera accordée, à la charge de l’intimé, à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

8.3 Les frais qui découlent de la mise en œuvre d'une expertise judiciaire pluridisciplinaire peuvent être mis à la charge de l’OAI (cf. ATF 139 V 349 consid. 5.4), si ce dernier a procédé à une instruction présentant des lacunes ou des insuffisances caractérisées et que l'expertise judiciaire sert à pallier des manquements commis dans la phase d'instruction administrative (ATF 137 V 210 consid. 4.4.2).

En l’espèce, les frais de l’expertise judiciaire seront mis à la charge de l’intimé, dès lors que celui-ci a suivi une expertise qui n’était manifestement pas probante et qui présentait ainsi une insuffisance caractérisée.

8.4 Au vu du sort du recours, un émolument de CHF 200.- sera mis à la charge de l’intimé (art. 69 al. 1bis LAI).

 


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

A la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision rendue le 21 juin 2022 par l’intimé.

4.        Dit que le recourant a droit à un trois quarts de rente depuis le 1er juillet 2019.

5.        Alloue au recourant une indemnité de CHF 3'000.- pour ses dépens, à la charge de l’intimé.

6.        Met les frais de l’expertise judiciaire de CHF 5'500.-, selon la facture du 4 décembre 2023 du Dr M______, à la charge de l’intimé.

7.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’intimé.

8.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le